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26/10/2023 | FRANCE | N°21TL24725

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 1ère chambre, 26 octobre 2023, 21TL24725


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Barracuda a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des amendes fiscales qui lui ont été infligées au titre des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016 sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.

Par un jugement n° 1905477 du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2021 sous le n° 21BX04725 au greffe d

e la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 21TL24725 au greffe de la cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Barracuda a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des amendes fiscales qui lui ont été infligées au titre des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016 sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.

Par un jugement n° 1905477 du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2021 sous le n° 21BX04725 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 21TL24725 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, la société Barracuda, représentée par Me Combradet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des amendes fiscales qui lui ont été infligées au titre des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016 sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué n'est pas motivé ;

- l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 15 janvier 2019 a été rendu dans une composition irrégulière ;

- l'acte anormal de gestion n'est pas établi dès lors que, ayant confié l'exploitation du navire pour lequel elle est preneuse dans le cadre d'un contrat de crédit-bail, elle ne s'est privée d'aucune recette ;

- à titre subsidiaire, la méthode d'évaluation des recettes dont elle se serait privée est viciée dans son principe.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante sont inopérants ou ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 3 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 16 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lafon,

- et les conclusions de M. Clen, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Barracuda, qui a pour objet la location, l'achat, la vente et l'entretien de bateaux de plaisance, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016, à l'issue de laquelle le service vérificateur a réduit les déficits déclarés à concurrence de renonciations à recettes constitutives d'un acte anormal de gestion et correspondant à l'utilisation gratuite par ses associés d'un voilier catamaran dont elle est propriétaire. L'administration lui a, par ailleurs, infligé, sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts, des amendes pour non désignation des bénéficiaires des distributions procédant de ces renonciations à recettes, égales à 100 % des sommes distribuées et s'élevant à 14 000 euros pour l'exercice 2014, à 56 000 euros pour l'exercice 2015 et à 18 200 euros pour l'exercice 2016. La société Barracuda fait appel du jugement du 2 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces amendes.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Contrairement à ce que soutient la société Barracuda, les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement, en particulier leur réponse aux moyens tirés de l'absence de démonstration de l'existence d'un acte anormal de gestion et de ce que la méthode d'évaluation des renonciations à recettes serait viciée dans son principe.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts, qui, en vertu de l'article 108, est applicable aux revenus distribués par les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". L'article 110 du même code dispose que : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés (...) ". Selon l'article 117 du même code : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. / En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1759 ". Aux termes enfin de l'article 1759 du même code : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées (...) ".

4. En premier lieu, le moyen tiré de ce que l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 15 janvier 2019 aurait été rendu dans une composition irrégulière, résultant de ce qu'un seul de ses membres représentait les contribuables alors que deux représentaient l'administration fiscale, doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 3 du jugement attaqué.

5. En deuxième lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Constitue un acte anormal de gestion, l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'une renonciation à recettes constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.

6. Il résulte de l'instruction que, par contrat du 1er décembre 2013, la société Barracuda a confié à la société de droit britannique The Moorings Ltd, contre un revenu mensuel de 3 563 euros, l'exploitation du voilier catamaran dont elle est propriétaire. Ce contrat prévoit également que la société Barracuda bénéficie du droit d'utiliser le voilier jusqu'à l'équivalent d'un total de 42 points de réservation par année civile, dont un maximum de 28 points en haute saison, auxquels s'ajoutent 42 points d'utilisation de dernière minute. Il précise à ce titre que le barème est de 2 points par jour en haute saison et de 1 point par jour en basse saison, que la société Barracuda bénéficie de la jouissance de l'intégralité de la flotte de son cocontractant à raison de points d'utilisation et du paiement, le cas échéant, d'un supplément et qu'elle peut donner, vendre ou autoriser un invité à utiliser ses points, dans la limite annuelle de 14 et en basse saison. Il résulte, par ailleurs, du relevé des réservations de propriétaires établi par la société The Moorings Ltd que la société Barracuda a fait usage de ses points, au profit de ses deux associés, à hauteur de 10 jours en 2014, de 40 jours en 2015 et de 20 jours en 2016.

7. Aucune des stipulations du contrat du 1er décembre 2013, y compris celles qui prévoient que les droits du propriétaire s'étendent à l'ensemble de la flotte exploitée par la société The Moorings Ltd, qu'ils peuvent être en partie cédés et que seule cette dernière a la possibilité de procéder à la facturation de droits de préparation et de suppléments, ne fait obstacle à ce que la société Barracuda puisse retirer des revenus de l'ensemble des points dont elle est titulaire. Dans ces conditions, en faisant bénéficier ses associés de ses points d'utilisation sans les valoriser, leur permettant d'utiliser gratuitement les voiliers mis à leur disposition, la société Barracuda a consenti une renonciation à recettes. En l'absence de contrepartie retirée par celle-ci de cette renonciation, l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve qu'un tel avantage, qui ne correspond pas à l'intérêt de l'exploitation, a procédé d'un acte anormal de gestion. Elle était, par suite, fondée à réintégrer dans les résultats de la société Barracuda les revenus que ses droits étaient susceptibles de lui procurer dans les conditions normales du marché.

8. En troisième lieu, pour évaluer l'avantage consenti, le service vérificateur a pris en compte les montants moyen et médian des loyers journaliers du voilier appartenant à la société Barracuda facturés en 2014 par la société The Moorings Ltd, en excluant les locations consenties sans loyer ou pour un loyer anormalement bas, ainsi que les locations d'une durée inférieure à 5 jours. Ces montants s'élevant respectivement à 1 405,75 euros et 1 456,73 euros, le service a retenu une valeur de 1 400 euros. Pour déterminer le loyer qui aurait dû être perçu durant les trois exercices vérifiés, qu'il a réintégré dans les recettes de la société Barracuda et pris en compte pour le calcul des amendes en litige, il a multiplié ce montant par le nombre de jours d'utilisation gratuite du voilier par ses deux associés, ce nombre étant réduit de 20 à 13 pour l'exercice 2016 car l'administration a pris en compte le montant réel des frais facturés par la société The Moorings Ltd pour 7 jours supplémentaires où le bénéficiaire des distributions était identifié. La société requérante ne critique pas valablement cette méthode d'évaluation en contestant la prise en compte de prix pratiqués en 2014 et l'exclusion de certains tarifs, pourtant non représentatifs, ou en proposant de retenir un avantage journalier correspondant au chiffre d'affaires annuel de la société The Moorings Ltd divisé par 365 jours d'exploitation par an, dès lors que cette méthode alternative ne rend pas compte des revenus que l'utilisation de ses droits de propriétaire était susceptible de lui procurer. Il résulte par ailleurs de ce qui a été dit aux points 6 et 7 du présent arrêt que le potentiel économique de ces droits n'était pas limité aux 14 points que la société Barracuda pouvait, en vertu du contrat du 1er décembre 2013, donner, vendre ou transmettre à un invité. Par suite, la méthode suivie par le service, qui revient à évaluer la valeur marchande des points utilisés par des tiers et alors même qu'ils sont susceptibles de porter sur l'intégralité de la flotte, n'est pas viciée dans son principe et l'administration doit être regardée comme établissant le montant des recettes dont la société requérante s'est privée. C'est donc à bon droit qu'elle les a réintégrées dans ses résultats pour chacun des exercices en litige.

9. Il résulte de ce qui précède que la société Barracuda n'est pas fondée à demander la décharge des amendes pour non désignation des bénéficiaires des distributions procédant des avantages consentis du fait de l'utilisation gratuite de son voilier, qui lui ont été infligées sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Barracuda n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Barracuda est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Barracuda et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, où siégeaient :

- M. Barthez, président,

- M. Lafon, président assesseur,

- Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.

Le rapporteur,

N. Lafon

Le président,

A. Barthez

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°21TL24725 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21TL24725
Date de la décision : 26/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-04-02 Contributions et taxes. - Généralités. - Amendes, pénalités, majorations. - Pénalités pour distribution occulte de revenus.


Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: M. Nicolas LAFON
Rapporteur public ?: M. CLEN
Avocat(s) : COMBRADET-CLAVERIE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-10-26;21tl24725 ?
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