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07/11/2023 | FRANCE | N°23TL00423

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 07 novembre 2023, 23TL00423


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme Geotec a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la récusation de M. A... B..., expert désigné par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 12 avril 2021.

Par un jugement n° 2206272 du 25 janvier 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 février 2023, la société Geotec, représentée par Me Comolet, demande à la cour :
>1°) d'annuler ce jugement n° 2206272 du 25 janvier 2023 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) pron...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme Geotec a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la récusation de M. A... B..., expert désigné par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 12 avril 2021.

Par un jugement n° 2206272 du 25 janvier 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 février 2023, la société Geotec, représentée par Me Comolet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2206272 du 25 janvier 2023 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) prononcer la récusation de M. B..., expert désigné par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 12 avril 2021 ;

3°) de désigner un expert en remplacement de M. B....

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, si l'expert a engagé sa responsabilité dans le cadre de la première mission qui lui a été confiée, par le juge des référés du tribunal judiciaire de Montauban, à l'occasion d'un référé préventif, il existe de facto un doute sur son impartialité dans le cadre de sa seconde mission, qui porte précisément sur les désordres survenus lors de sa mission préventive ; il est en effet juge et partie car il est impliqué dans la survenance des désordres ;

- ainsi, dans le cadre de ce référé préventif il a déposé, le 6 décembre 2019, un rapport dans lequel il n'émettait aucun avis ou recommandation concernant les précautions particulières à prendre ou les conséquences dommageables pour la cathédrale jouxtant le chantier projeté, alors qu'il avait été destinataire de l'alerte émise par elle sur la sensibilité de cet ouvrage ancien ;

- en conséquence, la récusation de cet expert doit être prononcée et un expert géotechnicien doit être désigné, hors du ressort de la cour d'appel judiciaire de Toulouse.

Par un mémoire, enregistré le 24 avril 2023, M. B..., représenté par Me de Fontbressin, conclut à ce qu'il soit constaté que la requête est devenue sans objet et à la confirmation du jugement attaqué en tant qu'il rejette la demande de récusation.

Il soutient que :

- le tribunal a motivé son jugement ;

- il ne relevait pas de la compétence du juge administratif de se prononcer sur les conditions d'exécution d'une mission d'expertise préventive ordonnée par le juge judiciaire ;

- de plus, il a été désigné par le juge des référés du tribunal administratif alors que celui avait connaissance de la mission d'expertise préventive qui lui avait été auparavant confiée et cette ordonnance de désignation n'a fait l'objet d'aucune voie de recours et aucune demande de récusation n'a été formée au cours des 18 mois durant lesquels les opérations d'expertise se sont déroulées ;

- l'assignation délivrée à son encontre devant le tribunal judiciaire de Montauban, quasiment à l'issue des opérations de l'expertise décidée par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse n'est pas de nature à justifier la demande de récusation ; il s'agit en fait d'une manœuvre ;

- en tout état de cause, son rapport définitif ayant été déposé, la demande de récusation s'avère nécessairement sans objet.

Par un mémoire, enregistré le 12 juillet 2023, la ministre de la culture conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la demande de première instance de la société Geotec était tardive ; en effet, aux termes de l'article R. 621-6 du code de justice administrative l'action en récusation doit être engagée avant le début des opérations d'expertise ou dès la révélation de la cause de la récusation ; or, en l'espèce, la société Geotec n'a présenté sa demande que le 13 octobre 2022, soit sept mois après le dépôt du pré-rapport, dans lequel l'expert pointait la responsabilité de cette société dans l'apparition des dommages subis par la cathédrale ;

- en l'espèce la société appelante instrumentalise l'action en récusation, au vu de la motivation de celle-ci, qui cible les conclusions du rapport, qui lui sont défavorables ; ainsi l'action judiciaire engagée à l'encontre de l'expert est manifestement motivée dans le seul but d'obtenir sa récusation ; de plus, l'expert est resté dans les limites de ses missions en procédant au seul examen technique des questions qui lui étaient posées ; le seul fait que l'expert soit intervenu dans le cadre d'une précédente expertise ne constitue pas une cause de récusation ; au contraire, en l'occurrence cela constituait justement un motif pour le désigner, en raison de sa connaissance du chantier entrepris ;

- l'engagement d'une nouvelle expertise est incompatible avec la sauvegarde de la cathédrale de Montauban, qui nécessite la mise en œuvre urgente de travaux

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

- les observations de Me Malaize, représentant la société Geotec, celles de Me de Fontbressin, représentant M. B..., de Mmes C... et Deruvo, représentant la ministre de la culture, de Me Solivères, représentant la société Demathieu et Bard, de Me Zanier, représentant la société NGE Fondations et de Me Durand-Raucher, représentant la société TPF Ingénierie.

Considérant ce qui suit :

1. Le 14 août 2018, la communauté d'agglomération du Grand Montauban a conclu avec la société Interparking France un contrat de délégation de service public d'une durée de trente ans pour la conception, la réalisation et la gestion globale d'un parc de stationnement souterrain. Ce projet a notamment impliqué d'importants travaux en sous-sol, en particulier un décaissement d'un niveau de 18 mètres par rapport à la cote du terrain avant travaux pour une emprise au sol de 3 600 m² sur le parvis de la cathédrale de Montauban. Durant ces travaux, le 30 octobre 2020, des désordres ont été constatés sur cette cathédrale, qui est la propriété de l'État. Antérieurement à l'apparition de ces désordres, la société Interparking France a formé un référé préventif devant le tribunal judiciaire de Montauban et une ordonnance, rendue le 10 janvier 2019, a désigné M. A... B... en qualité d'expert. Postérieurement aux désordres constatés sur la cathédrale de Montauban, la ministre de la culture a saisi le tribunal administratif de Toulouse en référé aux fins qu'une expertise soit ordonnée visant à déterminer l'ampleur de ces désordres et leurs causes. Par ordonnance du 12 avril 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a fait droit à cette demande d'expertise et désigné M. A... B... en qualité d'expert.

2. La société Geotec relève appel du jugement du 25 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit prononcé la récusation de M. B..., expert désigné par l'ordonnance précité du 12 avril 2021.

3. Aux termes de l'article R. 621-6 du code de justice administrative : " Les experts ou sapiteurs mentionnés à l'article R. 621-2 peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges. S'il s'agit d'une personne morale, la récusation peut viser tant la personne morale elle-même que la ou les personnes physiques qui assurent en son nom l'exécution de la mesure. La partie qui entend récuser l'expert ou le sapiteur doit le faire avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de la récusation ". Et aux termes de l'article R. 621-6-4 de ce code : " Si l'expert acquiesce à la demande de récusation, il est aussitôt remplacé. Dans le cas contraire, la juridiction, par une décision non motivée, se prononce sur la demande, après audience publique dont l'expert et les parties sont averties. Sauf si l'expertise a été ordonnée sur le fondement du titre III du livre V, cette décision ne peut être contestée devant le juge d'appel ou de cassation qu'avec le jugement ou l'arrêt rendu ultérieurement. L'expert n'est pas admis à contester la décision qui le récuse ".

4. Il résulte de ces dispositions que la récusation d'un expert ne peut être prononcée que s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité. Il appartient au juge, saisi d'un moyen mettant en doute l'impartialité d'un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité.

Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée par M. B... :

5. Il ressort des termes du dernier alinéa de l'article R. 621-6-4 du code de justice administrative, précité, que, lorsque l'expertise a été ordonnée sur le fondement du titre III du livre V de ce code, la décision par laquelle le tribunal administratif a rejeté la demande de récusation de l'expert peut faire l'objet d'un appel, indépendamment du jugement rendu ultérieurement sur le fond.

6. La désignation de l'expert ayant été ordonnée par la juge des référés du tribunal administratif de Toulouse sur le fondement de l'article R. 532-1, qui est inclus dans le titre III du livre V du code de justice administrative, le jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif a rejeté la demande de récusation de l'expert, est susceptible d'être contesté devant le juge d'appel.

L'achèvement des opérations d'expertise ne rend pas sans objet l'appel formé contre le jugement rejetant cette demande de récusation. Il n'en va autrement que si la décision juridictionnelle ultérieurement rendue au vu du rapport d'expertise est elle-même passée en force de chose jugée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Par suite et contrairement à ce que soutient M. B..., il y a toujours lieu de statuer sur la requête présentée par la société Geotec, nonobstant la circonstance que l'expert a déposé son rapport définitif le 12 avril 2023.

Sur la régularité du jugement :

7. Si, en précisant que le juge se prononce par une " décision non motivée ", l'article R. 621-6-4 du code de justice administrative, précité, n'a pas entendu écarter l'application de la règle générale de motivation des décisions juridictionnelles, rappelée à l'article L. 9 de ce code, il a seulement entendu tenir compte des exigences d'une bonne administration de la justice ainsi que des particularités qui s'attachent à une demande de récusation, laquelle est notamment susceptible, selon la teneur de l'argumentation du requérant, de porter atteinte à la vie privée de l'expert ou de mettre en cause sa probité ou sa réputation professionnelle. Aussi appartient-il au juge d'adapter la motivation de sa décision, au regard de ces considérations, en se limitant, le cas échéant à énoncer qu'il y a lieu, ou qu'il n'y a pas lieu, de faire droit à la demande.

8. Eu égard à ce qui vient d'être exposé, le jugement attaqué, en relevant que ni la circonstance, à la supposer établie, que M. B... n'aurait pas pleinement rempli la mission d'expertise définie par le juge des référés du tribunal de grande instance de Montauban, ni la circonstance que la société Géotec, postérieurement à la saisine du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, a assigné M. B... devant les juridictions judiciaires pour voir engager sa responsabilité à raison de ce que cette société estime constituer un manquement à des obligations professionnelles de l'expert ne sont, dans les circonstances de l'espèce, constitutives d'une raison sérieuse de nature à mettre en doute l'impartialité de l'expert, doit être regardé comme suffisamment motivé.

Sur la recevabilité de la demande de récusation :

9. Il résulte de l'instruction qu'alors que la " note de synthèse-pré-rapport " de l'expert désigné par la juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a été déposée le 14 mars 2022 au greffe de cette dernière juridiction et que c'est le contenu de ce document, dans lequel l'expert a pointé l'existence d'omissions et de négligences de la part de cette société dans le cadre des missions qui lui avaient été confiées, soit une étude géotechnique de conception et la supervision géotechnique d'exécution, qui a suscité la demande de récusation, celle-ci n'a été présentée au tribunal administratif de Toulouse que le 13 octobre 2022. En conséquence et eu égard aux dispositions précitées de l'article R. 621-6 du code de justice administrative selon lesquelles la partie qui entend récuser l'expert doit le faire dès la révélation de la cause de la récusation, la demande de la société Geotec doit être regardée comme tardive.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Geotec n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du 25 janvier 2023 du tribunal administratif de Toulouse qui a rejeté sa demande de récusation de M. B..., expert désigné par une ordonnance du 12 avril 2021.

DÉCIDE:

Article 1 : La requête de la société Geotec est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Geotec et à M. A... B..., à la ministre de la culture, à la communauté d'agglomération Grand Montauban, aux sociétés Interparking France, Laba Architecture, Demathieu Bard Construction, Nge Fondations, Tpf-Ingenierie, Socotec et Xl Insurance Compagny Se.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023.

Le président-assesseur,

P. Bentolila

Le président-rapporteur,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL00423


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00423
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: M. Eric REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : SCP COMOLET - MANDIN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-11-07;23tl00423 ?
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