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14/11/2023 | FRANCE | N°22TL22429

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 14 novembre 2023, 22TL22429


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 17 février 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui accorder un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement

à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jours de retard ou, à tout le moins,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 17 février 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui accorder un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jours de retard ou, à tout le moins, de procéder au réexamen de sa demande, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que ce dernier renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Par un jugement n°2101626 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. C... tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2022, et des pièces complémentaires enregistrées le 24 mars 2023, M. C..., représenté par Me Brel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er avril 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 17 février 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jours de retard ou, à tout le moins, de procéder au réexamen de sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens et la somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

Sur la décision portant refus de titre de séjour :

-la décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

-la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation et des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

-la décision portant obligation de quitter le territoire français est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

-la décision est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

-la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement prise à son encontre ;

-eu égard aux risques auxquels il est exposé en cas de retour dans son pays d'origine, la décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 février 2023, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 24 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 17 avril 2023.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 9 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Armelle Geslan-Demaret, présidente rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant nigérian est entré sur le territoire français le 4 octobre 2018. Après annulation par le tribunal administratif de Toulouse, par un jugement du 24 janvier 2019, de l'arrêté du 21 janvier 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile, M. C... a sollicité l'asile le 25 octobre 2018 et sa demande d'asile a été rejetée de façon définitive par la Cour nationale du droit d'asile le 2 septembre 2020. Par un arrêté du 9 octobre 2020 le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays dont il a la nationalité en tant que pays de renvoi. Par un jugement du 31 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, au motif que cette décision d'éloignement était intervenue avant que le préfet n'ait statué sur la demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade présentée par l'intéressé. M. C... a présenté le 13 octobre 2020 une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 17 février 2021, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. M. C... relève appel du jugement du 1er avril 2022 du tribunal administratif de Toulouse qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° À l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. (...) ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de cette mission : " Les conséquences d'une exceptionnelle gravité résultant d'un défaut de prise en charge médicale, mentionnées au 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sont appréciées sur la base des trois critères suivants : degré de gravité (mise en cause du pronostic vital de l'intéressé ou détérioration d'une de ses fonctions importantes), probabilité et délai présumé de survenance de ces conséquences. Cette condition des conséquences d'une exceptionnelle gravité résultant d'un défaut de prise en charge doit être regardée comme remplie chaque fois que l'état de santé de l'étranger concerné présente, en l'absence de la prise en charge médicale que son état de santé requiert, une probabilité élevée à un horizon temporel qui ne saurait être trop éloigné de mise en jeu du pronostic vital, d'une atteinte à son intégrité physique ou d'une altération significative d'une fonction importante. Lorsque les conséquences d'une exceptionnelle gravité ne sont susceptibles de ne survenir qu'à moyen terme avec une probabilité élevée (pathologies chroniques évolutives), l'exceptionnelle gravité est appréciée en examinant les conséquences sur l'état de santé de l'intéressé de l'interruption du traitement dont il bénéficie actuellement en France (rupture de la continuité des soins). Cette appréciation est effectuée en tenant compte des soins dont la personne peut bénéficier dans son pays d'origine ".

3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif saisi de l'affaire, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi et de la possibilité d'y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi et la possibilité d'en bénéficier effectivement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

4. Pour refuser à M. C... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Haute-Garonne s'est notamment fondé sur l'avis du 23 décembre 2020 par lequel le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que, si l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale, le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'il pouvait voyager sans risque vers son pays d'origine.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... souffre d'un état de stress post-traumatique à la suite des événements vécus au Nigéria et présente un syndrome dépressif majeur avec un risque suicidaire moyen à élevé, pour lesquels il fait l'objet d'un suivi médical et d'un traitement médicamenteux. Si les certificats médicaux du 10 mars 2021 et du 28 juin 2022, qui font état d'une détérioration significative de l'état de santé du requérant, sont postérieurs à l'arrêté attaqué, il ressort toutefois du certificat médical du 15 septembre 2020, établi par le même praticien, le docteur A..., médecin attaché des hôpitaux de Toulouse, que l'état de santé de M. C... " nécessite une prise en charge dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences graves, notamment le suicide " et que " dans l'éventualité où il devrait se rendre de nouveau au Nigéria, il pourrait avoir une recrudescence de la symptomatologie post-traumatique et un suicide dans le cadre d'un raptus anxieux est à craindre ". Dans ces conditions, les éléments produits par M. C..., dans les circonstances de l'espèce, sont de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur la gravité de son état de santé, et ainsi que le bien-fondé de l'appréciation du préfet qui se l'est approprié. Le requérant est, par suite, fondé à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade pour le motif évoqué au point 4, le préfet de la Haute-Garonne a méconnu le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

7. L'exécution du présent arrêt n'implique pas nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à M. C..., mais seulement d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

8. M. C... ne justifie pas avoir engagé, dans la présente instance, des frais mentionnés à l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens ne peuvent qu'être rejetées.

9. Sous réserve de la renonciation de Me Brel à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, le versement d'une somme de 1 000 euros au conseil de M. C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 1er avril 2022 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 17 février 2021 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer la situation de M. C... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Brel une somme de 1 000 euros en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de la renonciation de ce dernier à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à Me Brel et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2023.

La présidente rapporteure,

A. Geslan-Demaret La présidente assesseure,

A. Blin

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22TL22429 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22429
Date de la décision : 14/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Armelle GESLAN-DEMARET
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-11-14;22tl22429 ?
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