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01/02/2024 | FRANCE | N°21TL04342

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 01 février 2024, 21TL04342


Vu la procédure suivante :



Par une requête enregistrée le 9 novembre 2021 sous le n° 21MA04342 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 21TL04342 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, puis des mémoires enregistrés les 13 et 28 avril 2022, la société par actions simplifiée SEPE Les Martys, représentée par SK et Partner, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2021 par lequel le préfet de l'Aude lui a refusé l'autorisation environnementale d'exploiter un parc

éolien composé de quatre aérogénérateurs d'une puissance totale de 12 mégawatts (MW) et d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 9 novembre 2021 sous le n° 21MA04342 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 21TL04342 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, puis des mémoires enregistrés les 13 et 28 avril 2022, la société par actions simplifiée SEPE Les Martys, représentée par SK et Partner, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2021 par lequel le préfet de l'Aude lui a refusé l'autorisation environnementale d'exploiter un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs d'une puissance totale de 12 mégawatts (MW) et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Les Martys ;

2°) de lui délivrer l'autorisation d'exploiter sollicitée et l'assortir des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Aude de lui délivrer l'autorisation sollicitée dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est entaché d'une incompétence de son signataire et d'une incompétence négative, le préfet s'étant estimé lié par l'avis défavorable du commissaire-enquêteur ;

- contrairement à ce qu'a estimé le préfet, le projet refusé n'est pas incompatible avec les dispositions régissant la zone N du plan local d'urbanisme de la commune ;

- le préfet a commis une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 181-3 du code de l'environnement s'agissant des impacts du projet sur le paysage alors que le site d'implantation ne présente pas d'intérêt spécifique et que le projet ne porte pas d'atteinte paysagère dirimante ;

- en outre, l'intervention présentée au soutien de l'arrêté attaqué est irrecevable en l'absence d'intérêt à agir des intervenants.

Par des mémoires en intervention volontaire enregistrés le 23 mars 2022, le 11 avril 2022 et le 9 mai 2022, le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) B..., M. A... B..., la commune de Mazamet et l'association Vent Mauvais, représentés par Me Cabrol, concluent à ce que leur intervention soit admise, au rejet de la requête et demandent qu'il soit mis à la charge de la société requérante le paiement à chaque intervenant d'une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- ils ont intérêt à intervenir au soutien de l'arrêté attaqué ;

- le projet porte atteinte aux paysages et à la biodiversité.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 avril 2022, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par une ordonnance en date du 9 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 mai 2022.

Un mémoire en intervention volontaire, au soutien de la requête, a été enregistré le 4 octobre 2022 pour la société Parc Eolien des Ailles, représentée par Me Deldique.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- les observations de Me Brault, représentant la société SEPE Les Martys,

- et les observations de Me Bonhoure, représentant les intervenants en défense.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 mai 2019, la société SEPE Les Martys a déposé une demande d'autorisation environnementale pour implanter et exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent constituée de quatre aérogénérateurs d'une puissance unitaire de 3 MW, pour une puissance totale installée maximale de 12 MW et d'une hauteur maximale en bout de pale d'environ 125 mètres ainsi que d'un poste de livraison, sur le territoire de la commune de Les Martys (Aude). L'autorité environnementale a rendu son avis le 24 août 2020 et l'enquête publique s'est tenue du 25 février au 29 mars 2021 à l'issue de laquelle le commissaire-enquêteur a rendu un avis défavorable le 23 avril 2021. Par un arrêté du 15 septembre 2021, le préfet de l'Aude a refusé de délivrer l'autorisation ainsi sollicitée. Par la présente requête, la société SEPE Les Martys demande l'annulation de cet arrêté préfectoral.

Sur la fin de non-recevoir opposée à l'intervention en défense :

2. L'association Vent Mauvais, qui a notamment pour objet la protection de l'environnement et du patrimoine sur le territoire faisant partie de la Montagne Noire dans le département de l'Aude, et la commune limitrophe de Mazamet, dont le hameau de Saint-Saraille est situé à proximité immédiate du projet, ont intérêt au maintien de l'arrêté préfectoral attaqué. Par suite, l'intervention collective présentée par l'association et la commune doit être admise sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité en tant qu'elle émane de chacun des autres intervenants.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. L'arrêté en litige a été signé par M. Simon Chassard, secrétaire général de la préfecture de l'Aude, lequel disposait, en vertu d'un arrêté du 19 avril 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 21 avril 2021, d'une délégation de signature du préfet de l'Aude à l'effet de signer " tous actes, arrêtés, décisions, mesures de police administrative (...) relevant des attributions de l'État dans le département de l'Aude, à l'exception : / a) des réquisitions de la force armée, / b) des arrêtés de conflit ". L'arrêté pris en matière de police spéciale des installations classées pour la protection de l'environnement n'étant pas excepté de cette délégation de signature qui, compte tenu des exceptions qu'elle prévoit, n'est pas d'une portée trop générale, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué manque en fait et doit être écarté.

4. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet se serait à tort cru en situation de compétence liée par rapport à l'avis défavorable du commissaire-enquêteur et aurait ainsi entaché sa décision d'incompétence négative. Par suite, ce moyen doit également être écarté.

5. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". Et aux termes de l'article L. 511-1 du même code, régissant les installations classées pour la protection de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

6. Pour se prononcer sur une demande d'autorisation environnementale, il appartient à l'autorité administrative compétente de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages et de conservation des sites et des monuments. Pour rechercher si l'existence d'une atteinte à un paysage ou à la conservation des sites et des monuments est de nature à justifier un refus d'autorisation environnementale ou les prescriptions spéciales accompagnant sa délivrance, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage au sein duquel l'installation concernée est projetée, puis d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le paysage ou sur les monuments.

7. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment de l'étude paysagère, que le projet de parc éolien de quatre éoliennes de 125 mètres de hauteur porté par la société requérante doit être implanté au nord du village de Les Martys, en limite du département du Tarn et de la commune de Mazamet, sur une altitude de 925 mètres à 955 mètres pour les deux éoliennes situées les plus au nord, suivant un alignement qui s'étire en forêt le long d'un chemin sur une distance d'environ 500 mètres à environ 2,6 kilomètres du village. Ce site est localisé au sein de l'unité paysagère de la Montagne Noire constituée de monts entrecoupés de vallées encaissées fortement boisées, de clairières ouvertes laissant la place à quelques habitations, de plusieurs routes traversant le massif du nord au sud en empruntant la plupart du temps les couloirs dessinés par les vallées. Le projet en cause se situe également à proximité du pic de Nore, de deux sites UNESCO du Canal du Midi au sud et de la Rigole de la Montagne Noire à l'ouest. La zone d'implantation du projet éolien présente par ailleurs des enjeux patrimoniaux importants compte tenu de sa situation à proximité de nombreux monuments historiques classés ou inscrits. Ainsi, l'étude paysagère produite par la société pétitionnaire à l'appui de sa demande d'autorisation recense 159 monuments historiques dont l'ancienne église de Cubserviès, 49 sites classés dont le hameau de Cubserviès et sa cascade, tous localisés à moins de 10 kilomètres des forteresses de montagne, dont les châteaux de Lastours, le lac de Laprade Basse. Les seules circonstances que le secteur d'implantation soit composé de vallons et de petit bois et qu'un parc éolien voisin préexiste à proximité immédiate, ne sont pas de nature à remettre en cause l'intérêt du site et de son environnement tels que précédemment décrits. Par suite, et dans ces conditions, le site retenu par la société requérante pour l'implantation de son projet présente ainsi une qualité certaine du point de vue paysager et patrimonial.

8. D'autre part, il résulte également de l'instruction, en particulier de l'avis de l'autorité environnementale en date du 24 août 2020, de la contribution paysage en date du 28 octobre 2019 des services compétents de l'Etat et des photomontages insérés dans l'étude paysagère, que le parc éolien projeté se percevra de façon visible dans le paysage à côté et en plus des 26 éoliennes du plateau de Sambrès, sans permettre de lecture globale de l'ensemble éolien Sambrès-les Ailles. Il résulte des mêmes éléments que les mâts des éoliennes projetées ainsi que la rotation des pales troubleront la lecture de la ligne d'horizon et que, compte tenu de cette implantation, ledit parc produira un effet de mitage de nature à dévaloriser le paysage naturel. En outre, il résulte de l'instruction que le site étant positionné sur un versant orienté vers l'ouest, à la faveur du vallon du ruisseau de Cun qui crée une échancrure dans la silhouette de la montagne en vues lointaines, l'échancrure place ainsi les éoliennes projetées en discontinuité avec le parc du plateau de Sambrès et les met bien en vue depuis le nord. Il résulte également de l'instruction que la perception du paysage sera significativement modifiée tant depuis de nombreux hameaux de Mazamet, tous orientés vers le sud, c'est-à-dire vers le parc projeté, que depuis des sites touristiques ou emblématiques de Mazamet, tels que notamment le village médiéval de Hautpoul ou encore le Lac de Montagnès. Il résulte de même de l'instruction qu'en vues proches, les trouées induites par le projet dans le boisement et le terrassement pour réaliser les pistes d'accès et pour la fondation des mâts, modifieront l'ambiance paysagère en artificialisant les lieux, et que le parc lui-même ajoutera de nouvelles vues sur des éoliennes depuis certains hameaux ou de certaines voies de circulation à l'échelle immédiate ou rapprochée. Si la société requérante fait valoir que le site d'implantation projetée s'inscrit dans la continuité des éoliennes du plateau de Sambrès, il résulte de l'instruction que le site du projet litigieux se situe pratiquement sur la ligne de crête bien plus haut, à flanc de versant orienté ouest, que les sites des parcs environnants, notamment le parc éolien voisin du Sambrès, et que les respirations paysagères existant entre les différents parcs sont alors diminuées, cependant que, de surcroît, les superpositions induites complexifient la lecture de ces paysages. Enfin, les incidences du projet sur le paysage et le patrimoine constituent d'ailleurs le principal motif des avis défavorables ou réservés rendus par l'autorité environnementale, par les services des directions régionales de l'environnement et des affaires culturelles d'Occitanie, par le commissaire enquêteur, et par l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement, ainsi que la totalité des communes consultées et s'étant prononcées sur la demande d'autorisation.

9. Dans ces conditions, eu égard à l'ensemble des éléments ainsi exposés et compte tenu des atteintes que portera le projet litigieux sur le paysage environnant et le patrimoine bâti qu'aucune mesure n'est de nature à atténuer, le préfet de l'Aude n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement en refusant d'autoriser le projet pour ce motif.

10. Si la société requérante conteste également le bien-fondé de l'autre motif opposé par l'arrêté préfectoral attaqué tiré de ce que le projet situé en zone N serait incompatible avec les dispositions du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Les Martys interdisant toutes les constructions et installations, il résulte de l'instruction que le préfet de l'Aude aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que le motif tiré de l'atteinte aux paysages et aux sites.

11. Il s'ensuit que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 15 septembre 2021 par lequel le préfet de l'Aude a rejeté sa demande d'autorisation environnementale.

Sur les conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation ou, à titre subsidiaire, au prononcé d'une injonction :

12. Le présent arrêt rejetant les conclusions à fin d'annulation présentées par la société requérante, ses conclusions tendant à ce que la cour lui délivre l'autorisation ou à ce qu'elle prononce une injonction à l'encontre du préfet de l'Aude doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par la société requérante au titre des frais non compris dans les dépens. Les mêmes dispositions s'opposent également à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée sur ce point par les intervenants en défense, lesquels n'ont pas la qualité de parties.

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention en défense de la commune de Mazamet, de l'association Vent Mauvais et des autres intervenants est admise.

Article 2 : La requête de la société SEPE Les Martys est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par les intervenants en défense sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée SEPE Les Martys, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la commune de Mazamet représentant unique pour l'ensemble des intervenants en défense et à la société Parc Eolien des Ailles.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

Mme Lasserre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2024.

Le président-assesseur,

X. HaïliLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21TL04342


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL04342
Date de la décision : 01/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Xavier HAÏLI
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : GREENLAW AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-01;21tl04342 ?
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