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06/02/2024 | FRANCE | N°22TL21866

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 06 février 2024, 22TL21866


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2021 par lequel le préfet de l'Hérault a prononcé son expulsion du territoire français à destination du pays dont il a la nationalité et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1500 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 en cas d'admission à l'aide juridictionnelle ou à lui-même au titre de l'article L 761-1 du code de justice

administrative en cas de rejet de sa demande tendant au bénéfice de l'aide juridictionnel...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2021 par lequel le préfet de l'Hérault a prononcé son expulsion du territoire français à destination du pays dont il a la nationalité et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1500 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 en cas d'admission à l'aide juridictionnelle ou à lui-même au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative en cas de rejet de sa demande tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Par un jugement n°2106846 du 12 mai 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 mai 2022, et deux mémoires, enregistrés les 27 juin et 23 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Ruffel, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 12 mai 2022 ;

2°) de constater l'abrogation de l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 22 décembre 2021 par le préfet de l'Hérault ;

3°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 22 décembre 2021 par le préfet de l'Hérault ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat à verser à son conseil la somme de 2 000 euros en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la procédure devant le tribunal administratif est irrégulière dès lors qu'il n'a pu assister à l'audience alors qu'il avait demandé au préfet son extraction pour pouvoir y assister ;

- le tribunal a omis de statuer sur son moyen tiré de la méconnaissance du 3° de l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté d'expulsion a été abrogé par la délivrance, le 9 août 2022, d'un récépissé, la remise de ce document autorisant sa présence sur le territoire français ;

- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions du 3° de l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- il encourt des risques en cas de retour en Algérie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 23 octobre 2023, la clôture d'instruction a été reportée au 9 novembre 2023.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Teulière, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de M. A....

Une note en délibéré présentée pour M. A... a été enregistrée le 3 février 2024 et n'a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant algérien, né le 2 janvier 1993 à Oran (Algérie), entré sur le territoire français en décembre 2006, a été titulaire d'un certificat de résidence sur la période du 11 juillet 2012 au 5 juin 2019. Après un avis favorable de la commission départementale d'expulsion, réunie le 15 décembre 2021, le préfet de l'Hérault a pris à son encontre, le 22 décembre 2021, un arrêté d'expulsion. M. A... relève appel du jugement du 12 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur l'abrogation de l'arrêté d'expulsion :

2. Si postérieurement à l'arrêté contesté, M. A... s'est vu remettre, le 9 août 2022, un récépissé, consécutivement à l'enregistrement de sa demande en vue de se voir délivrer un certificat de résidence, ce récépissé a été implicitement mais nécessairement abrogé par la décision en date du 22 novembre 2022, portant refus de sa demande de titre de séjour. Par suite et alors qu'à la date de la délivrance du récépissé comme à celle de la décision de refus de séjour, la peine d'interdiction du territoire national pour une durée de cinq ans prononcée à l'encontre du requérant par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 2 juillet 2020, devenu définitif, était encore exécutoire et qu'elle n'a été relevée que postérieurement par un nouvel arrêt de la même cour en date du 3 mars 2023, il n'y a pas lieu de constater l'abrogation de l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. A....

Sur la régularité du jugement :

3. Dans son mémoire du 15 mars 2022 devant le tribunal administratif de Montpellier,

M. A... a soutenu qu'il était protégé d'une mesure d'expulsion par les dispositions du 3° de l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les premiers juges ont omis de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, le jugement attaqué, en date du 12 mai 2022, doit être annulé.

4. Il y a lieu de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.

Sur la demande de M. A... devant le tribunal administratif :

5. Aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3. ". L'article L. 631-2 du même code dispose : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que l'article L. 631-3 n'y fasse pas obstacle :1° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; (...) 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été pendant toute cette période titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; (...). ". Aux termes de l'article L. 631-3 de ce code : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...). ".

6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. A... a fait l'objet, entre 2011 et 2018, de trois condamnations judiciaires pour des faits de violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'une incapacité n'excédant pas huit jours, de vol, de conduite d'un véhicule sans permis et qu'il a été condamné en 2020 à quatre ans d'emprisonnement pour atteinte sexuelle avec violences, contrainte, menace ou surprise sur une mineure alors âgée de quatorze ans. Cette dernière condamnation par le tribunal correctionnel de Carcassonne a été confirmée par un arrêt du 2 juillet 2020, de la cour d'appel de Montpellier, devenu définitif. Eu égard à la répétition des actes délictueux, aux risques de récidive soulignés par la cour d'appel et à la particulière gravité des faits ayant donné lieu à la condamnation du 2 juillet 2020 que l'intéressé ne prend pas en compte selon les motifs du même arrêt de la cour d'appel, le préfet de l'Hérault n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en estimant que la présence de M. A... en France constituait une grave menace pour l'ordre public.

7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France en décembre 2006, alors qu'il était âgé de plus de treize ans. Par suite, il ne relève pas des dispositions citées au point 5 du 1° de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si M. A... soutient également être protégé d'une mesure d'expulsion par les dispositions du 3° de l'article L. 631-2 du même code, il ressort des pièces du dossier que, s'il s'est vu délivrer, le 20 mai 2011, un récépissé de demande de carte de séjour valable jusqu'au 30 juin 2011, il n'a en revanche été titulaire d'un certificat de résidence qu'au titre de la période du 11 juillet 2012 au 5 juin 2019. En outre, il ne conteste pas que sa demande de renouvellement de son titre de séjour, déposée le 6 février 2020 auprès des services de la sous-préfecture de Béziers, a fait l'objet d'un classement sans suite le 12 août 2021, en raison de l'absence de diligences accomplies par l'intéressé. Par suite, il ne justifie pas résider régulièrement en France depuis plus de dix ans et n'entre donc pas dans le champ d'application des dispositions qu'il invoque, citées au point 5, du 3° de l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

9. M. A... soutient avoir établi le centre de sa vie privée et familiale en France où il est arrivé à l'âge de treize ans et expose qu'au regard de ses liens privés et familiaux sur le territoire français, de son isolement dans son pays d'origine et de ses efforts d'insertion, l'arrêté contesté porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Cependant, s'il soutient avoir vécu, avant son incarcération, avec une ressortissante française qui serait la mère de son fils né en 2019, la réalité de cette vie commune n'est pas démontrée par les éléments versés au débat tels qu'un bail établi à leurs deux noms, ce dernier n'étant signé que par le requérant et ayant été résilié dès le mois d'avril 2021. La seule présentation d'un formulaire complété de dossier de mariage est également insuffisante pour établir la réalité de ce projet d'union. En outre, il n'est pas contesté que ladite compagne n'a jamais sollicité de permis de visite du requérant en détention et ne s'est pas davantage manifestée lors de la procédure d'expulsion dont il a fait l'objet. Ce dernier ne produit également aucune preuve de sa paternité d'un enfant français, ni d'une contribution effective à l'entretien et l'éducation de cet enfant. Il n'établit également pas entretenir des liens d'une particulière intensité avec les membres de sa famille résidant sur le territoire français, seul son frère lui ayant rendu visite en détention. Par ailleurs, il a fait l'objet en détention de huit rapports d'incident, dont plusieurs pour des faits de violences. S'il a présenté une promesse d'embauche dans un salon de coiffure, la cour d'appel de Montpellier, par son arrêt précité du 2 juillet 2020, a relevé l'absence d'ancrage du requérant dans la société ainsi que l'absence de projet d'insertion. Si M. A... soutient qu'il a suivi des formations en vue de son insertion professionnelle depuis sa sortie de détention, ce suivi est postérieur à la mesure en litige. Dans ces conditions et eu égard à la gravité de la menace que constitue la présence en France de M. A..., ce dernier n'est pas fondé à soutenir que la mesure d'expulsion porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté. Pour les mêmes motifs, l'arrêté d'expulsion n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle et familiale du requérant.

10. Enfin, si M. A... soutient qu'il est susceptible d'être menacé en cas de retour en Algérie, il ne l'établit pas et il ne ressort, par ailleurs, pas des pièces du dossier qu'il ne pourrait recevoir dans ce pays les soins nécessités par son état psychologique. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme doit donc être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 22 décembre 2021. Ses conclusions devant le tribunal relatives aux frais liés au litige ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au bénéfice du conseil de M. A..., au titre des frais liés au litige.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n°2106846 du 12 mai 2022 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montpellier et le surplus de ses conclusions présentées en appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

M. Teulière, premier conseiller,

Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.

Le rapporteur,

T. Teulière

La présidente,

A. Geslan-Demaret La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22TL21866 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21866
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02-04 Étrangers. - Expulsion. - Droit au respect de la vie familiale.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: M. Thierry TEULIÈRE
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : RUFFEL

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-06;22tl21866 ?
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