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25/04/2024 | FRANCE | N°23TL02267

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 1ère chambre, 25 avril 2024, 23TL02267


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de quatre mois.



Par un jugement n° 2300282 du 28 février 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellie

r a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 6 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de quatre mois.

Par un jugement n° 2300282 du 28 février 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2023, M. B..., représenté par Me Bazin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de quatre mois ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault, à titre principal, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt de la cour ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier, sa requête de première instance n'étant pas tardive et étant donc recevable ;

- la décision d'éloignement est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen réel et complet de sa situation ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de quatre mois est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision d'éloignement ;

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire, enregistré le 14 mars 2024, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Barthez a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant bangladais né le 21 mai 2000 et déclarant être entré en France le 24 août 2021, a présenté une demande d'asile le 15 septembre 2021. Cette demande a fait l'objet de décisions de rejet de la part de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 5 mai 2022 et de la Cour nationale du droit d'asile le 19 octobre 2022. Par un arrêté du 20 décembre 2022, le préfet de l'Hérault a fait obligation à M. B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de quatre mois. M. B... fait appel du jugement du 28 février 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 20 décembre 2022.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes du I de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " (...) Conformément aux dispositions de l'article L. 614-5 " du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " la notification d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire, prise en application des 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 du même code, fait courir un délai de quinze jours pour contester cette obligation ainsi que les décisions relatives au séjour, au délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour notifiées simultanément. Cette notification fait courir ce même délai pour demander la suspension de l'exécution de la décision d'éloignement dans les conditions prévues à l'article L. 752-5 du même code (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que l'administration a notifié à M. B... l'arrêté du 20 décembre 2022 par pli recommandé avec accusé de réception. Dans le cadre de l'instance introduite par l'intéressé devant le tribunal administratif de Montpellier, le préfet de l'Hérault a produit la copie de l'avis de réception postal de ce pli à l'adresse de M. B..., sur laquelle est écrite, dans la mention " présenté, avisé le ", la date du 22 décembre 2022, et qui comporte la signature du destinataire ainsi qu'un tampon d'un bureau de poste nommé " Montpellier Antigone ". Cet avis ne comporte toutefois aucune mention de la date à laquelle le pli a été retiré et effectivement notifié à M. B.... Celui-ci a également produit devant le premier juge le suivi de ce pli recommandé avec accusé de réception, ce suivi mentionnant la disposition de ce courrier au point de retrait " Montpellier Antigone " et une distribution de ce même pli au destinataire le mercredi 4 janvier 2023. Dès lors, le premier juge ne pouvait retenir comme date de notification de l'arrêté du 20 décembre 2022 à M. B... celle du 22 décembre 2022 qui est la date de vaine présentation du pli. M. B... l'ayant retiré le 4 janvier 2023, c'est à cette date que l'arrêté du 20 décembre 2022 lui a été notifié. Par suite, le recours introduit devant le tribunal administratif de Montpellier le 18 janvier 2023, soit dans le délai de quinze jours fixé par les dispositions précitées, n'était pas tardif. En estimant que la demande de M. B... était pour ce motif irrecevable, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a entaché son jugement d'irrégularité. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier.

Sur la légalité des décisions de l'arrêté du préfet de l'Hérault :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, l'arrêté en litige vise les textes dont il fait application, notamment les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il mentionne que la demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d'asile et que M. B... ne bénéficie donc plus du droit de se maintenir en France. Il indique, par ailleurs, que les liens personnels et familiaux en France de l'intéressé ne sont ni anciens ni intenses, qu'il a vécu dans son pays d'origine, où il n'établit pas être dépourvu de toute attache, jusqu'à une date récente, et qu'ainsi, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. Au surplus, cet arrêté précise que M. B... ne démontre pas être exposé à des traitements inhumains et dégradants dans son pays d'origine. Ces indications, qui ont permis à l'intéressé de comprendre et de contester la mesure prise à son encontre, étaient suffisantes. Il s'ensuit que le moyen tiré du défaut de motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des termes mêmes de la motivation rappelée au point précédent, que le préfet de l'Hérault a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B... avant de prendre la décision l'obligeant à quitter le territoire français. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen préalable doit être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Selon ses propres allégations, M. B... ne séjourne habituellement en France que depuis le 24 août 2021, soit une durée de séjour inférieure à un an et demi à la date de la décision du préfet de l'Hérault. Par ailleurs, il ne ressort des pièces du dossier ni que M. B..., célibataire et sans enfant, aurait désormais en France le centre de ses attaches personnelles ou familiales, ni qu'il serait inséré dans la société française. Ainsi, et alors que M. B... n'établit, ni même n'allègue d'ailleurs, être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-et-un ans, le préfet de l'Hérault n'a pas porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis par cette mesure d'éloignement. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.

9. En quatrième lieu, aucune des circonstances de fait évoquées précédemment ne permet de regarder la décision contestée du préfet de l'Hérault comme entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B....

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

10. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

11. Alors au demeurant que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ont rejeté la demande d'asile présentée par M. B..., celui-ci n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité des risques dont il fait état dans ses déclarations en cas de retour dans son pays d'origine. Ni l'actualité des menaces alléguées ni l'incapacité des autorités bangladaises à assurer sa protection en cas de nécessité ne ressortent des pièces du dossier. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précitées doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de quatre mois :

12. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de celle l'obligeant à quitter le territoire français.

13. En deuxième lieu, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français vise notamment les articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle indique, par ailleurs, les circonstances de fait qui justifient la mesure. Elle précise en particulier que, bien que M. B... ne constitue pas une menace pour l'ordre public ni n'ait fait l'objet précédemment d'une mesure d'éloignement, sa présence en France est récente, aucun lien familial en France n'est établi et l'absence d'attaches familiales dans le pays d'origine n'est pas justifiée. Elle ajoute, en outre, qu'aucune circonstance humanitaire ne fait obstacle à la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.

14. En dernier lieu, comme il a été dit précédemment s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français, M. B... ne justifie ni d'une insertion particulière sur le territoire français depuis son arrivée ni y avoir établi des attaches personnelles et familiales. Dans ces conditions, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... risquerait d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants au Bangladesh, la décision d'interdiction de retour sur le territoire français n'est pas disproportionnée et, en particulier, ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale par rapport aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Eu égard aux éléments de fait précédemment mentionnés, elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B....

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de quatre mois. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au conseil de M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier du 28 février 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Judith Bazin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Barthez, président,

M. Lafon, président-assesseur,

Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2024.

Le président-rapporteur,

A. Barthez

L'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

N. Lafon

Le greffier,

F. Kinach

Le République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°23TL02267 2


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL02267
Date de la décision : 25/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Barthez
Rapporteur ?: M. Alain Barthez
Rapporteur public ?: M. Clen
Avocat(s) : BAZIN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-04-25;23tl02267 ?
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