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19/12/2013 | FRANCE | N°12VE03793

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 19 décembre 2013, 12VE03793


Vu la requête, enregistrée le 21 novembre 2012, présentée pour M. H... F...et Mme G...B..., épouseF..., demeurant..., et Mme A... F...épouseE..., demeurant..., par la SCP Bastian Manciet et Associés, avocats ; les requérants demandent à la Cour :

1° d'annuler le jugement n°1103795 du 20 septembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Ouen à leur verser la somme de 40 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 2010 en réparation des préjudices subis du

fait de la décision du 10 novembre 2010 par laquelle le maire de la commu...

Vu la requête, enregistrée le 21 novembre 2012, présentée pour M. H... F...et Mme G...B..., épouseF..., demeurant..., et Mme A... F...épouseE..., demeurant..., par la SCP Bastian Manciet et Associés, avocats ; les requérants demandent à la Cour :

1° d'annuler le jugement n°1103795 du 20 septembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Ouen à leur verser la somme de 40 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 2010 en réparation des préjudices subis du fait de la décision du 10 novembre 2010 par laquelle le maire de la commune de Saint-Ouen a exercé le droit de préemption urbain sur le bien situé 25 rue Kléber à Saint-Ouen ;

2° de condamner la commune de Saint-Ouen à leur verser une somme de 35 000 euros, assortie de l'intérêt au taux légal à compter du 10 novembre 2010 au titre de leur manque à gagner, ainsi que 5 000 euros en réparation des troubles dans les conditions d'existence ;

3° de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que :

- la décision de préemption du 10 novembre 2010 ne satisfait pas aux exigences de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ; en tout état de cause la commune ne justifie pas de la réalisation d'un projet précis de nature à justifier la décision de préemption ; dans ces conditions, cette décision ne satisfait pas aux conditions de motivation nécessaires à son existence légale ;

- l'illégalité commise constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ; le préjudice s'élève à 35 000 euros ; ce préjudice est direct et certain dès lors qu'ils justifient de l'obtention du prêt dans le cadre de la promesse de vente initiale ; la décision illégale a également entraîné pour M. F...des troubles dans les conditions d'existence, le préjudice y afférent pouvant être évalué à 5 000 euros ;

.........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 décembre 2013 :

- le rapport de M. Delage, premier conseiller,

- les conclusions de M. Soyez, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour la commune de Saint-Ouen ;

1. Considérant que M. D... F..., propriétaire d'un appartement dans un immeuble en copropriété situé 25 rue Kléber à Saint-Ouen, a signé le 15 septembre 2010 un compromis de vente pour la somme de 185 000 euros ; que le 10 novembre 2010, en réponse à la déclaration d'intention d'aliéner reçue le 17 septembre 2010, le maire de la commune de Saint-Ouen a décidé d'exercer le droit de préemption urbain pour la somme de 122 000 euros ; que M.D... F... a transmis à la collectivité une nouvelle déclaration d'intention d'aliéner, le 25 novembre 2010, pour la somme de 150 000 euros ; que la commune a renoncé à préempter le bien par une décision expresse du 9 décembre 2010 ; que la vente a finalement été conclue au prix de 150 000 euros le 12 janvier 2011 ; que, le 14 février 2011, M. D... F...a présenté à la commune de Saint-Ouen une demande tendant au versement d'une somme de 40 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du caractère illégal de la décision de préemption du 10 novembre 2010 ; que la commune a implicitement rejeté cette demande ; que les requérants, héritiers de M. D...F..., ont saisi le Tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Ouen au paiement d'une somme de 40 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la décision de préemption ; qu'ils relèvent appel du jugement du 20 septembre 2012 rejetant leur requête ;

2. Considérant que pour considérer que les requérants n'établissaient pas que le préjudice invoqué résultait de façon certaine de la décision de préemption illégale, le tribunal a considéré que la vente ne présentait pas un caractère probable dès lors que le compromis de vente du bien immobilier objet de la préemption comportait une condition suspensive liée à l'obtention d'un prêt bancaire par l'acquéreur potentiel, à concurrence de 200 000 euros, dans un délai de quarante-cinq jours suivant la signature du compromis de vente et que les requérants n'apportaient aucun élément de nature à établir que cette condition se serait réalisée ; que toutefois, les requérants produisent pour la première fois devant la Cour l'accord de principe, établi le 6 octobre 2010 par la banque Société Générale à l'intention de l'acquéreur, sur le financement en vue de l'acquisition du bien en litige ; que cet accord de principe respecte les caractéristiques mentionnées dans la stipulation du compromis de vente relative à la condition suspensive de prêt ; qu'il suit de là, et alors même que les requérants ne produisent pas le courrier de l'acquéreur acceptant cette offre de prêt, que la vente était probable à la date de la décision de préemption ; que les requérants sont fondés, dans cette mesure, à demander l'annulation du jugement attaqué ;

3. Considérant qu'il appartient à la Cour administrative d'appel de Versailles, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les requérants devant le Tribunal administratif de Montreuil ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme, le droit de préemption peut être exercé pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation d'actions ou d'opérations d'aménagement qui répondent aux objectifs énoncés par l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ; qu'en application du dernier alinéa de l'article L. 210-1 précité, la décision de préemption peut se référer aux dispositions de la délibération par laquelle une commune a délimité des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine ; qu'il résulte de ces dispositions et de ce qui a été dit ci-dessus que, lorsqu'une collectivité publique décide d'exercer le droit de préemption urbain pour constituer une réserve foncière à l'intérieur d'un périmètre qu'elle a délimité en vue d'y mener une opération d'aménagement et d'amélioration de la qualité urbaine, les exigences de motivation résultant de l'article L. 210-1 doivent être regardées comme remplies lorsque la décision fait référence aux dispositions de la délibération délimitant ce périmètre et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener pour améliorer la qualité urbaine au moyen de cette préemption ; qu'à cette fin, la collectivité peut soit indiquer l'action ou l'opération d'aménagement prévue par la délibération délimitant ce périmètre à laquelle la décision de préemption participe, soit renvoyer à cette délibération elle-même si celle-ci permet d'identifier la nature de l'opération ou de l'action d'aménagement poursuivie ;

5. Considérant que la décision du 10 novembre 2010 mentionne que l'acquisition d'un appartement tel que celui appartenant alors à M. D...F..., " à proximité de 4 sites qui devront être traités, tant foncièrement que socialement, peut être nécessaire notamment dans une perspective de relogement, dans un contexte audonien tendu " ; que la référence, dans la décision attaquée, aux objectifs du programme local de l'habitat adopté par une délibération du conseil municipal du 5 février 2001 n'établit pas l'existence d'un projet réel et précis de nature à justifier la préemption litigieuse ; que si la commune fait état de la constitution d'une réserve foncière, mentionnée également dans ladite décision et qui viserait à permettre les relogements nécessités à terme par les importantes opérations d'aménagement entreprises sur le territoire communal, et si elle invoque également le protocole de coopération de lutte contre l'habitat indigne, ces éléments de caractère général, qui attestent d'une volonté d'intervention foncière de la commune, ne permettent cependant pas d'identifier les opérations d'aménagement que la collectivité publique entend mener et ne permettent pas davantage de fixer le périmètre des secteurs visés par ces opérations; qu'ainsi les requérants sont fondés à soutenir que la décision de préemption contestée est entachée d'illégalité ; que cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Saint-Ouen ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'à l'issue d'une procédure de préemption qui n'a pas abouti, le propriétaire du bien en cause peut, si la décision est entachée d'illégalité, obtenir réparation du préjudice que lui a causé de façon directe et certaine cette illégalité ; que, lorsque le propriétaire a cédé le bien après renonciation de la collectivité, son préjudice résulte, en premier lieu, dès lors que les termes de la promesse de vente initiale faisaient apparaître que la réalisation de cette vente était probable, de la différence entre le prix figurant dans cet acte et la valeur vénale du bien à la date de la décision de renonciation ; que, pour l'évaluation de ce préjudice, le prix de vente effectif peut être regardé comme exprimant cette valeur vénale si un délai raisonnable sépare la vente de la renonciation, eu égard aux diligences effectuées par le vendeur, et sous réserve que ce prix de vente ne s'écarte pas anormalement de cette valeur vénale ;

7. Considérant qu'en raison de l'illégalité fautive commise par la commune de Saint-Ouen, les requérants ont subi, ainsi qu'ils le font valoir, un préjudice financier d'un montant de 35 000 euros correspondant à la diminution de la valeur du bien entre le prix figurant dans la promesse de vente et le prix, qui ne s'écarte pas de manière anormale de la valeur vénale à la date de la renonciation, auquel M. D...F...a vendu ledit bien au terme d'un délai qui s'est avéré raisonnable en l'espèce ; que, pour contester l'indemnisation de ce chef de préjudice, la commune ne peut utilement invoquer la procédure de saisine du juge de l'expropriation, prévue à l'article L. 213-4 du code de l'urbanisme, inapplicable en l'espèce ; que les requérants ont donc droit à se voir accorder ladite somme de 35 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal sur la somme susmentionnée à compter du 16 février 2011, date de réception de leur demande d'indemnisation par l'administration et non, comme ils le demandent, à compter de la date de la décision illégale de préemption ;

8. Considérant, en troisième lieu, que si les requérants font état de troubles dans les conditions d'existence résultant pour M. D...F...de la décision de préemption illégale, ils n'apportent aucune précision ni aucune élément justificatif de nature à établir la réalité et l'importance du préjudice ainsi invoqué ; que la demande tendant à la condamnation de la commune à leur verser à ce titre une somme de 5 000 euros ne peut donc qu'être rejetée ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se fonder sur les éléments contenus dans les pièces produites par les requérants le 2 décembre 2013 et qui, pour ce motif, n'ont pas été communiquées, que les consorts F... sont partiellement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande ;

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen la somme de 2 000 euros que les requérants demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que les consorts F...n'étant pas partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées sur le même fondement par la commune de Saint-Ouen ne peuvent qu'être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La commune de Saint-Ouen est condamnée à verser à M. H...F..., à Mme G...B...épouse F...et à Mme A...F...épouseE..., pris conjointement et solidairement, une somme de 35 000 euros qui portera intérêt au taux légal à compter du 2 février 2011.

Article 2 : Le jugement n° 1103795 du Tribunal administratif de Montreuil en date du 20 septembre 2012 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Saint-Ouen versera à M. H...F..., à Mme G...B...épouse F...et à Mme A...F...épouse E...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Saint-Ouen tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N°12VE03793 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 12VE03793
Date de la décision : 19/12/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice.

Urbanisme et aménagement du territoire - Procédures d'intervention foncière - Préemption et réserves foncières - Droits de préemption.


Composition du Tribunal
Président : M. DEMOUVEAUX
Rapporteur ?: M. Philippe DELAGE
Rapporteur public ?: M. SOYEZ
Avocat(s) : SCP LEVY GOSSELIN MALLEVAYS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2013-12-19;12ve03793 ?
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