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14/03/2017 | FRANCE | N°16VE03486

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 14 mars 2017, 16VE03486


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme U...et autres, représentés par MeD..., ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 26 novembre 2015 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a ordonné la perquisition administrative des locaux d'entreprise situés au 35/37 rue Baudin au Pré-Saint-Gervais, de ses dépendances privatives ainsi que de trois véhicules ;

Par un jugement n° 1600529 du 4 octobre 2016, le Tribunal administratif de

Montreuil a rejeté leur requête.

Procédure devant la C

our :

Par une requête enregistrée le 5 décembre 2016, Mme U...et autres, représentés par Me D....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme U...et autres, représentés par MeD..., ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 26 novembre 2015 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a ordonné la perquisition administrative des locaux d'entreprise situés au 35/37 rue Baudin au Pré-Saint-Gervais, de ses dépendances privatives ainsi que de trois véhicules ;

Par un jugement n° 1600529 du 4 octobre 2016, le Tribunal administratif de

Montreuil a rejeté leur requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 5 décembre 2016, Mme U...et autres, représentés par Me D...demandent à la Cour :

1° d'annuler ce jugement et l'arrêté en date du 26 novembre 2015 ;

2° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'arrêté n'est pas suffisamment motivé, en méconnaissance des dispositions de la loi

n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ; qu'ils n'ont pas non plus été informés " sans délai " de ses motifs, en méconnaissance des dispositions de cette même loi ;

- l'arrêté méconnait les dispositions de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 en ce qu'il ne précise ni le moment de la perquisition ni l'identité des personnes dont le comportement constituerait une menace pour l'ordre public ;

- les motifs retenus ne permettent pas de considérer qu'il y aurait des raisons sérieuses de penser qu'une menace pour la sécurité et l'ordre publics serait constituée ; en effet, le préfet se fonde sur une note blanche dont la matérialité des faits est soit erronée soit non établie soit ne traduit pas une raison sérieuse de penser que le comportement des personnes fréquentant

" l'Annexe " ou les véhicules perquisitionnés constitueraient une menace pour l'ordre et la sécurité publics, et cette note désigne nommément des personnes ne résidant ni ne fréquentant le lieu-dit " l'Annexe ", et n'appartenant pas au collectif d'organisation ;

- les activités menées par le collectif du lieu-dit perquisitionné " l'Annexe " sont non violentes et légales, s'inscrivant dans le cadre d'une mobilisation citoyenne pour le climat au moment de la COP21.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

la Constitution, notamment son article 62 ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;

- la loi n° 2016-162 du 19 février 2016 ;

- la loi n° 2016-629 du 20 mai 2016 ;

- la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste ;

- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Margerit,

- et les conclusions de Mme Orio, rapporteur public,

1. Considérant que, par un arrêté du 26 novembre 2015, le préfet de la

Seine-Saint-Denis a ordonné la perquisition administrative des locaux d'entreprise situés au 35/37 rue Baudin au Pré-Saint-Gervais, de ses dépendances privatives ainsi que de trois véhicules ; que Mme U...et autres ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil l'annulation de cet arrêté ; que, par un jugement en date du 4 octobre 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur requête ; que Mme U...et autres relèvent régulièrement appel de ce jugement ;

2. Considérant qu'en application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain et en Corse ; que, s'agissant des mesures de perquisition administrative prévues à l'article 11 de cette loi, le décret n° 2015-1476 du même jour a décidé qu'elles pouvaient être mises en oeuvre sur l'ensemble des communes d'Ile-de-France ; que

l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015 a ensuite prorogé l'état d'urgence pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, et a modifié, notamment, ce même article 11 de la loi du 3 avril 1955 ; que les modifications résultant de cette loi sont applicables aux mesures prises après son entrée en vigueur, qui est intervenue, immédiatement à compter de sa publication le 21 novembre 2015 ; qu'aux termes du I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 qui est applicable au litige : " Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. / Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. Les données auxquelles il aura été possible d'accéder dans les conditions prévues au présent article peuvent être copiées sur tout support. / La perquisition donne lieu à l'établissement d'un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République. / Lorsqu'une infraction est constatée, l'officier de police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République. / Le présent I n'est applicable que dans les zones fixées par le décret prévu à l'article 2. " ;

En ce qui concerne la motivation de l'arrêté préfectoral, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de la requête :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 79-587 du

11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, alors en vigueur : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : - restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ; " ; que, selon l'article 3 alors en vigueur de cette même loi : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision " ; qu'aux termes de l'article 4 de cette même loi : " lorsque l'urgence absolue a empêché qu'une décision soit motivée, le défaut de motivation n'entache pas d'illégalité cette décision. Toutefois, si l'intéressé en fait la demande, dans les délais du recours contentieux, l'autorité qui a pris la décision devra, dans un délai d'un mois, lui en communiquer les motifs. " ;

4. Considérant que les décisions qui ordonnent des perquisitions sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 présentent le caractère de décisions administratives individuelles défavorables qui constituent des mesures de police ; que, comme telles, elles doivent être motivées en application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, désormais codifié à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ; que la motivation exigée par ces dispositions doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit ainsi que des motifs de fait faisant apparaître les raisons sérieuses qui ont conduit l'autorité administrative à penser que le lieu visé par la perquisition est fréquenté par une ou plusieurs personnes dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; que le caractère suffisant de la motivation doit être apprécié en tenant compte des conditions d'urgence dans lesquelles la perquisition a été ordonnée ; que si les dispositions de l'article 4 de la loi du 11 juillet 1979, codifié à l'article L. 211-6 du code des relations entre le public et l'administration, prévoient qu'une absence complète de motivation n'entache pas d'illégalité une décision lorsque l'urgence absolue a empêché qu'elle soit motivée, il appartient au juge administratif d'apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, si une urgence absolue a fait obstacle à ce que la décision comporte une motivation même succincte ;

5. Considérant, en l'espèce, que si l'arrêté préfectoral litigieux rappelle les dispositions législatives et réglementaires qui en constituent le fondement, il se borne, s'agissant des motifs de fait, à relever, d'une part, la gravité de la menace terroriste sur le territoire national à la suite des attentats du 13 novembre 2015 et la nécessité d'employer les moyens juridiques rendus possibles par la déclaration d'urgence pour prévenir cette menace et, d'autre part, qu'il existe des raisons sérieuses de penser que les locaux d'entreprise et ses dépendances privatives en cause sont occupés par une ou plusieurs personnes sans droit ni titre ; qu'une telle motivation n'identifie pas les motifs pour lesquels le lieu visé par la perquisition serait fréquenté par une ou plusieurs personnes dont le comportement constituerait une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et que le préfet de la Seine-Saint-Denis ne fait état d'aucune circonstance particulière, justifiant qu'une situation d'urgence absolue ait fait obstacle à ce que la décision comporte une motivation même succincte ; que la circonstance que l'état d'urgence ait été déclaré n'est pas, à elle seule, constitutive d'une urgence absolue au sens de l'article 4 de la loi du 11 juillet 1979 ; qu'il en résulte que l'acte attaqué ne comporte pas l'énoncé des considérations de fait qui en constituent le fondement, et est, par suite, insuffisamment motivé ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme U...et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement en date du 4 octobre 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 novembre 2015 du préfet de la Seine-Saint-Denis ; qu'ils sont fondés à demander l'annulation de ce jugement ainsi que de l'arrêté préfectoral susmentionné ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme U...et autres et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er La décision du préfet de la Seine-Saint-Denis en date du 26 novembre 2015 et le jugement n° 1600529 en date du 4 octobre 2016 du Tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Mme U...et autres la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 16VE03486


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16VE03486
Date de la décision : 14/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BORET
Rapporteur ?: Mme Diane MARGERIT
Rapporteur public ?: Mme ORIO
Avocat(s) : KEMPF

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2017-03-14;16ve03486 ?
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