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16/06/2020 | FRANCE | N°17VE02614

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 16 juin 2020, 17VE02614


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... E... et la FNSBA CGT ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision en date du 9 avril 2015 par laquelle le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique qu'il avait formé, annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 19 août 2014 et autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1504719 du 11 juillet 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.
>Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 4 août 2017 et un mémoire ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... E... et la FNSBA CGT ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision en date du 9 avril 2015 par laquelle le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique qu'il avait formé, annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 19 août 2014 et autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1504719 du 11 juillet 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 4 août 2017 et un mémoire en réplique enregistré le 15 mars 2019, M. C... B... E... et la FNSBA CGT, représentés par Me Gayat, avocat, demandent à la Cour :

1° d'annuler le jugement du 11 juillet 2017 ;

2° d'annuler la décision en date du 9 avril 2015 par laquelle le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique qu'il avait formé, annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 19 août 2014 et autorisé son licenciement pour motif disciplinaire ;

3° de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. B... E... soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- les dispositions de l'article R. 2421-14 du code du travail ont été méconnues en ce qu'un délai excessif s'est écoulé entre la date de la mise à pied conservatoire et la convocation du comité d'établissement, ainsi qu'entre la consultation du comité d'établissement et la demande d'autorisation de licenciement ;

- la matérialité des faits reprochés n'est pas établie ; il est dans la culture du milieu professionnel de proférer des paroles très directes ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation des faits ;

- il existe un lien entre son mandat et son licenciement.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Margerit, rapporteur,

- les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public,

- les observations de Me A... pour les requérants et celles de Me D... pour la société Colas Ile-de-France Normandie.

Considérant ce qui suit :

1. La société Colas Ile-de-France Normandie a sollicité, par courrier du 29 juillet 2014, l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. B... E..., employé en qualité de coffreur-boiseur depuis le 12 janvier 2004 et exerçant le mandat de membre du comité d'entreprise. Par une décision du 19 août 2014, l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation de licencier l'intéressé. Le 16 octobre 2014, la société Colas Ile -de-France a formé un recours hiérarchique contre cette décision. Par une décision en date du 9 avril 2015, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet initiale née du silence gardé sur ce recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 19 août 2014 et a accordé l'autorisation de licencier M. B... E.... Ce dernier, d'une part, et la FNSBA CGT, d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision en date du 9 avril 2015 du ministre du travail. Par un jugement n° 1504719 du 11 juillet 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande. M. C... B... E... et la FNSBA CGT, par une requête commune, relèvent régulièrement appel de ce jugement.

Sur la décision du ministre du travail du 9 avril 2015 :

2. En premier lieu, pour retirer sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique présenté le 16 octobre 2016 par la société Colas Ile-de-France Normandie et annuler la décision de l'inspecteur du travail lui ayant refusé l'autorisation de licencier M. B... E... pour faute, le ministre, par sa décision attaquée du 9 avril 2015, a, après avoir visé notamment les articles L. 2411-1 et L. 2411-8 du code travail, estimé que les faits reprochés à l'intéressé étaient établis au regard des différentes attestations et témoignages constitutifs de harcèlement moral à l'encontre de M. F..., et présentaient le caractère d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement et que la demande de licenciement était dépourvue de tout lien avec le mandat. Une telle décision, qui comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement, est ainsi suffisamment motivée.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R 2421-14 du code du travail : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / La consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. / La demande d'autorisation de licenciement est présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise. S'il n'y a pas de comité d'entreprise, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied. /La mesure de mise à pied est privée d'effet lorsque le licenciement est refusé par l'inspecteur du travail ou, en cas de recours hiérarchique, par le ministre. ". Si le délai de dix jours prévu à cet article n'est pas prescrit à peine d'irrégularité de la procédure, il doit cependant être aussi court que possible, eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied et des contraintes des dirigeants de l'entreprise.

4. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, qu'en raison d'incidents en date des 22 mai, 27 mai et 10 juin 2014 mettant en cause le comportement violent et injurieux de M. B... E..., celui-ci, après avoir été convoqué à un entretien préalable à sanction dès le 26 mai, entretien tenu le 6 juin, a été mis à pied le 30 juin 2014. La société Colas Ile de France Normandie a réuni le comité d'établissement le 24 juillet 2014, soit 24 jours après la mise à pied. La société fait toutefois valoir, d'une part qu'un tel délai a été nécessaire du fait des délais légaux devant être respectés après l'entretien préalable, pour la convocation des membres du comité d'entreprise, et d'autre part, que la mise à pied conservatoire n'a pas pris effet du fait de l'arrêt de travail pour maladie de M. B... E.... En effet, ce dernier a été placé en congé de maladie dès le 25 juin, date à laquelle le CHSCT a terminé l'enquête initiée le 11 juin en vue de la remise de son rapport. Cet arrêt maladie devait initialement se terminer le 5 juillet mais a été prolongé jusqu'au 18 juillet 2014. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, et compte tenu du fait que la prolongation du congé de maladie de M. B... E..., non prévue initialement, a eu pour effet de priver d'effet la mise à pied du 30 juin 2014 prise quatre jours après le début de ce congé de maladie, le moyen tiré de la tardivité de la saisine du comité d'établissement doit être écarté.

5. Il ressort des pièces du dossier, d'autre part, que la société Colas Ile-de-France a saisi l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de licenciement le 29 juillet 2014 soit 5 jours après la réunion du comité d'établissement. Toutefois,. le dépassement de trois jours, du délai prescrit, n'est pas de nature, eu égard à sa faible amplitude, à vicier la procédure conduite par l'employeur.

6. En dernier lieu, en vertu des dispositions de l'article L. 2411-3 du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives, bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle et ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution du mandat dont il est investi.

7. M. B... E... soutient la matérialité des faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis.

8. La demande d'autorisation de licenciement pour faute grave de M. B... E... est fondée sur le comportement insultant et menaçant de l'intéressé vis-à-vis de son chef de chantier, ayant entraîné chez ce dernier et certains collègues une dégradation des conditions de travail et une situation de harcèlement moral. Pour rejeter cette demande, l'inspecteur du travail a estimé qu'au regard des pièces du dossier un doute subsistait sur la matérialité des faits reprochés à l'intéressé, que la véracité des propos relatés dans certaines attestations étaient sujets à caution, qu'enfin, au regard des tensions existant depuis plusieurs années entre la direction de l'entreprise et le requérant, un lien avec le mandat n'était pas à exclure. Pour annuler cette décision, le ministre du travail a en revanche estimé que les faits reprochés à l'intéressé étaient établis au regard des différentes attestations et témoignages, et constitutifs de harcèlement moral à l'encontre de M. F..., chef de chantier, qu'ils présentaient le caractère d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement et que la demande de licenciement était dépourvue de tout lien avec le mandat.

9. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".

10. Il ressort tant des pièces du dossier de première instance que de celui d'appel que les témoignages et attestations fournis par la société sont concordants et circonstanciés quant à l'existence d'un comportement agressif, virulent ou déplacé de la part de M. B... E... à l'égard de M. F... lors des faits survenus les 22, 27 mai et 10 juin 2014, et quant à l'utilisation d'un vocabulaire insultant et particulièrement grossier. De telles pièces établissent les violences verbales répétées, les pressions morales, les dénigrements et des attitudes agressives envers M. F.... M. B... E... ne peut utilement soutenir en appel que les insultes proférées à l'encontre de M. F... seraient habituelles dans son milieu professionnel et constitueraient un mode d'expression et de communication. Par ailleurs aucun élément ne permet de considérer que les attestations établissant la teneur des insultes proférées par le requérant constitueraient " des attestations de complaisance " du fait qu'elles ont été établies dans le cadre de la demande d'autorisation adressée à l'inspecteur du travail. En outre, les mêmes éléments sont corroborés par le compte rendu de l'enquête diligentée par le CHSCT, alors même qu'elle n'aurait pas été menée conjointement avec le représentant du personnel de cette instance. En effet, à l'occasion de cette enquête, les membres du CHSCT ont pu constater lors des différentes auditions que M. B... E... avait tenu des propos insultants à l'encontre de M. F..., qu'il ne le respectait pas et avait refusé d'exécuter certains des ordres transmis. Les membres du CHSCT ont précisé dans les conclusions de l'enquête qu'il ressortait des éléments et témoignages recueillis que la relation professionnelle entre M B... E... et M. F... a porté atteinte à l'intégrité physique et psychologique de ce dernier. Cette dégradation physique et psychologie est confirmée par les différents arrêts maladie de M. F.... La brièveté de la durée au cours de laquelle les faits ont été constatés ne fait pas obstacle à la qualification de harcèlement moral. Enfin, le requérant avait, trois ans avant ces faits, déjà fait l'objet d'un avertissement en date du 29 novembre 2010 pour des faits similaires. Ainsi, la matérialité des agissements fautifs reprochés par la société Colas est établie, et leur gravité suffisante pour justifier la décision de licenciement pour faute grave.

11. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mesure de licenciement prononcée à l'encontre de M. B... E... présenterait un lien avec le mandat qu'il détenait.

12. Il résulte de ce qui précède que M. B... E... et la FNSBA CGT ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par le jugement du 11 juillet 2017, a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision en date du 9 avril 2015 par laquelle le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique qu'il avait formé, annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 19 août 2014 et autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B... E... et le syndicat FNSCBA CGT demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu de mettre à la charge de M. C... B... E... et du syndicat FNSCBA CGT, pris ensemble, une somme de 1500 euros au titre des frais exposés par la société Colas Ile-de-France Normandie et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... B... E... et du syndicat FNSCBA CGT est rejetée.

Article 2 : M. C... B... E... et le syndicat FNSCBA CGT, pris ensemble, verseront à la société Colas Ile de France Normandie une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

N° 17VE02614 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17VE02614
Date de la décision : 16/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : Mme LE GARS
Rapporteur ?: Mme Diane MARGERIT
Rapporteur public ?: Mme BRUNO-SALEL
Avocat(s) : SCP PEROL RAYMOND KHANNA et ASSOCIES PRK

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-06-16;17ve02614 ?
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