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22/12/2020 | FRANCE | N°18VE00532

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 22 décembre 2020, 18VE00532


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 21 novembre 2014 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire ainsi que la décision implicite née le 21 mai 2015 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique.

Par un jugement n° 1506165 du 12 décembre 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision

de l'inspecteur du travail du 21 novembre 2014 ainsi que la décision du 21 mai...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 21 novembre 2014 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire ainsi que la décision implicite née le 21 mai 2015 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique.

Par un jugement n° 1506165 du 12 décembre 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 21 novembre 2014 ainsi que la décision du 21 mai 2015 de la ministre chargée du travail.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 février 2018 et complétée par deux mémoires enregistrés le 6 avril et le 21 mai 2018, la société Alten, représentée par Me Serizay, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement n° 1506165 et de confirmer la décision implicite de rejet opposée au salarié par la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social le 20 mai 2015 en confirmation de la décision du 21 novembre 2014 par laquelle l'inspectrice du travail de la 24ème section de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Dirrecte) d'Ile-de-France a autorisé le licenciement du salarié ;

2° de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, le recours hiérarchique qui n'a pas été présenté par M. B... en personne ni par une personne effectivement habilitée à le représenter est irrégulier ; il ne pouvait donc tenter de bénéficier du délai accordé aux parties souhaitant exercer un recours contentieux contre la décision implicite du ministre ;

- à titre subsidiaire, il n'y a pas eu de manquement dans l'enquête contradictoire ; M. B... a bien tenu en public des propos orduriers, infamants, avilissants, destinés à humilier et diffamatoires ; de tels agissements constituent une faute grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail ; la société a respecté les délais de procédure ; M. B... a pu préparer sa défense ; il n'y a pas de lien entre la demande de licenciement et la réunion du CHSCT du 23septembre 2014.

.....................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., pour la société Alten et de Me E..., pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. La société Alten, spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques, a sollicité, par un courrier du 13 octobre 2014, l'autorisation de licencier pour faute M. B..., engagé au sein de la société en qualité d'ingénieur d'études depuis le 6 avril 1998 et titulaire du mandat de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Par une décision du 21 novembre 2014, l'inspecteur du travail a accordé l'autorisation de licenciement sollicitée, puis, par une décision implicite née le 21 mai 2015, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté le recours hiérarchique formé le 19 janvier 2015 par M. B.... La société Alten demande à la cour l'annulation du jugement n° 1506165 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise annulant les décisions de l'inspectrice du travail et du ministre et la confirmation tant de la décision implicite de rejet opposée au salarié par le ministre du travail le 20 mai 2015 que de la décision du 21 novembre 2014 par laquelle l'inspectrice du travail de la 24ème section de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine de la Dirrecte d'Ile-de-France a autorisé le licenciement du salarié.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la cour de cassation et les avoués près les cours d'appel ". Par ailleurs, aux termes de l'article 6 de la même loi : " Les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques, sous réserve des dispositions légales et réglementaires ". Il résulte de ces dispositions que, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires excluant l'application d'un tel principe dans les cas particuliers qu'elles déterminent, les avocats ont qualité pour représenter leurs clients devant les administrations publiques sans avoir à justifier du mandat qu'ils sont réputés avoir reçu de ces derniers dès lors qu'ils déclarent agir pour leur compte.

3. En l'espèce, le recours hiérarchique à fin d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail a été présenté par Me E..., par lettre du 19 janvier 2015, en sa qualité de conseil de M. B.... Ce faisant, l'avocat a régulièrement représenté ce dernier, en application des dispositions précitées, pour présenter en son nom un recours hiérarchique. Le moyen tiré de ce que le recours hiérarchique formé le 19 janvier 2015 n'aurait pas eu pour effet de proroger le délai de recours contentieux à l'encontre de la décision de l'inspecteur du travail du 21 novembre 2014, ce qui entrainerait, par voie de conséquence, la tardiveté de la demande de première instance, ne peut dès lors qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. D'une part, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi, et le cas échéant au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exercice des fonctions dont il est investi.

5. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail : " A défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. (...) Si un doute subsiste, il profite au salarié ".

6. Pour accorder l'autorisation de licenciement contestée, l'inspecteur du travail s'est fondé sur l'existence de propos intolérables, orduriers et insultants qu'aurait tenus M. B... à plusieurs reprises au sein de l'entreprise, dirigés à l'encontre tant du directeur du service D2A que de ses collègues. Pour établir la matérialité de ces faits, l'employeur a produit des témoignages et des copies de courriers électroniques échangés entre le 26 septembre et le 30 septembre 2014 par trois personnes affectées au service D2A de la société. Si la société fait valoir que les faits retracent un comportement sur tout le mois de septembre, le courrier électronique de rappel à l'ordre du 9 septembre du directeur des ressources humaines, rédigé en des termes généraux, ne peut suffire à l'établir. Par ailleurs, et alors que M. B... conteste formellement avoir tenu les propos injurieux qui lui sont reprochés, ces témoignages et courriers électroniques ont été rédigés peu de temps après la séance du CHSCT du 23 septembre 2014, au cours de laquelle M. B... a mis en cause, en sa qualité de salarié mandaté, les conditions de travail et les dysfonctionnements du service D2A, ainsi que les pratiques des personnes responsables de ce service. En outre, et alors même qu'il est reproché à M. B... d'avoir tenu les propos injurieux dans des lieux collectifs de l'entreprise, ces témoignages imprécis, ne sont corroborés par aucun témoignage d'autres salariés. Ils sont en outre partiellement contredits par les pièces du dossier, dès lors que, s'il est reproché à M. B... d'avoir tenu des propos insultants à l'égard d'un salarié de la société lors de la séance du CHSCT du 23 septembre 2014, une telle circonstance ne ressort pas des termes du procès-verbal de séance, alors qu'il ressort en revanche de plusieurs attestations concordantes de membres du comité que M. B... a pris la parole afin de décrire les conditions d'activité au sein du service D2A, sans toutefois tenir des propos déplacés. La circonstance que M. B... a ensuite tenté d'obtenir des attestations de moralité n'est pas non plus de nature à démontrer sa culpabilité. Ainsi, en raison tant du caractère peu circonstancié des témoignages, dont certains ne font que rapporter des propos rapportés, relatant les faits reprochés à M. B..., que de la circonstance qu'ils émanent de personnes liées à l'employeur par un lien de subordination et, pour deux d'entre elles, concernées par les critiques apportées par M. B... dans le cadre de l'exercice son mandat, pour la troisième, nouvelle embauchée et donc en période d'essai, les éléments produits par la société Alten ne suffisent pas à établir la matérialité des faits reprochés au salarié. Il en est de même du constat d'huissier établi le 30 septembre 2014, lequel se borne à retranscrire les propos d'un responsable du service D2A informant la direction des ressources humaines dans des termes très généraux de l'attitude de M. B.... Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... présentait des antécédents disciplinaires et aurait adopté par le passé un comportement similaire à celui reproché par l'employeur. Dans ces conditions, un doute subsiste sur l'exactitude matérielle des faits à l'origine de la demande de licenciement présentée par la société Alten. En application des dispositions précitées de l'article L. 1235-1 du code du travail, le doute devant profiter au salarié, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, la société Alten n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement en litige, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 21 novembre 2014 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. B... ainsi que la décision du ministre du travail du 21 mai 2015 rejetant le recours hiérarchique formé contre cette décision.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ". Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Alten demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Alten une somme de 1 000 euros à verser à M. B... au titre de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Alten est rejetée.

Article 2 : La société Alten versera la somme de 1 000 euros à M. B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

N° 18VE00532 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE00532
Date de la décision : 22/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Eugénie ORIO
Rapporteur public ?: Mme MARGERIT
Avocat(s) : TOURNIQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-12-22;18ve00532 ?
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