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28/09/2021 | FRANCE | N°21VE01403

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 28 septembre 2021, 21VE01403


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2021 par lequel le préfet des Yvelines a décidé son transfert aux autorités roumaines responsables de l'examen de sa demande de protection internationale, d'enjoindre au préfet des Yvelines d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile, à défaut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en vue du réexamen de sa situation et, de mett

re à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2021 par lequel le préfet des Yvelines a décidé son transfert aux autorités roumaines responsables de l'examen de sa demande de protection internationale, d'enjoindre au préfet des Yvelines d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile, à défaut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en vue du réexamen de sa situation et, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'État versée au titre de l'aide juridictionnelle.

Par un jugement n° 2101502 du 21 avril 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 mai 2021, M. A..., représenté par Me Abdollahi Mandolkani, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2021 du préfet des Yvelines ;

3°) d'enjoindre au préfet des Yvelines de transmettre sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, à défaut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en vue du réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le premier juge a omis de se prononcer sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les articles 4 et 17.2 de ce règlement ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation s'agissant de la détermination de la responsabilité de l'État membre en charge du traitement de sa demande d'asile.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Deroc,

- et les observations de Me Abdollahi Mandolkani, avocat de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant turc né le 27 octobre 1997 à Diyarbakir (Turquie), est entré irrégulièrement sur le territoire français et a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 4 janvier 2021. La consultation des données dactyloscopiques centrales et informatisées du système Eurodac a révélé que les empreintes digitales de l'intéressé avaient été relevées le 29 janvier 2020 en Grèce, alors que l'intéressé avait franchi irrégulièrement la frontière de cet État en venant d'un État tiers à l'Union européenne, puis le 3 septembre 2020 par les autorités de contrôle compétentes en Roumanie, à l'occasion de l'enregistrement d'une demande de protection internationale dans ce pays. Saisies par le préfet des Yvelines le 6 janvier 2021, les autorités roumaines ont accepté, le 19 janvier suivant, de reprendre en charge M. A.... Par un arrêté du 22 janvier 2021, le préfet des Yvelines a décidé du transfert de l'intéressé vers la Roumanie. M. A... fait appel du jugement du 21 avril 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant notamment à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Il résulte du jugement du 21 avril 2020 que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Versailles a omis de répondre au moyen, qu'il n'a d'ailleurs pas visé et qui n'est pas inopérant, soulevé à fin d'annulation de l'arrêté, selon lequel le préfet des Yvelines aurait méconnu les dispositions du 2. de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, en ne citant que l'article 2 et le 1. de l'article 17 de ce règlement et ne se prononçant qu'au regard de ces dispositions et principalement de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions précitées du paragraphe 1. de l'article 17. Le jugement contesté est donc irrégulier et doit, par suite, être annulé.

3. Il y a lieu, dans ces conditions, pour la Cour de statuer, par la voie de l'évocation, sur l'ensemble des conclusions et moyens présentés par M. A... tant devant la cour que devant le tribunal administratif de Versailles.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. En premier lieu, par un arrêté n° 78-2020-10-26-006 du 26 octobre 2020 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet des Yvelines a donné délégation à Mme B... C..., directrice des migrations, pour signer en toutes matières ressortissant à ses attributions, tous arrêtés, actes, décisions relevant des attributions du ministère de l'intérieur et de l'administration du département. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / (...). ". Aux termes de l'article 5 de ce même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) 6. L'Etat membres qui mène l'entretien rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien (...) L'Etat membre veille à ce que le demandeur (...) ait accès en temps utile au résumé ". Aux termes de l'article L. 111-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger fait l'objet d'une mesure (...) de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qu'il ne parle pas le français, il indique au début de la procédure une langue qu'il comprend. Il indique également s'il sait lire. Ces informations sont mentionnées sur la décision (...) de transfert (...). Ces mentions font foi sauf preuve contraire. La langue que l'étranger a déclaré comprendre est utilisée jusqu'à la fin de la procédure. Si l'étranger refuse d'indiquer une langue qu'il comprend, la langue utilisée est le français. ".

6. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle il décide la réadmission de l'intéressé dans l'État membre responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

7. S'il est constant que les brochures A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " et B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' ", qui comprennent l'ensemble des informations nécessaires aux demandeurs d'une protection internationale en vertu de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 et figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, ont été remises à M. A... en langue française, il est précisé, par une mention manuscrite renseignée sur une attestation datée du 4 janvier 2021, signée de l'intéressé et sur laquelle le cachet de la préfecture des Yvelines est apposé, que " les brochures A et B avec mon accord m'ont été remises en français " et que " les informations contenues dans celles-ci ont été portées oralement à ma connaissance dans la langue d'audition, conformément à l'article 4 du règlement 604/2013, via : / le concours d'un interprète ". Par ailleurs, il résulte du compte-rendu de l'entretien individuel intervenu le même jour, signé de l'intéressé, que celui-ci a " été informé que sa demande d'asile est traitée conformément au règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, dit " règlement " DUBLIN " ", a indiqué " avoir compris la procédure engagée à son encontre " et certifie que " l'information sur les règlements communautaires [lui a] été remis[e] ". D'une part, la circonstance que des traductions des brochures en langue kurde kurmanji, langue parlée par l'intéressé, et en langue turque, langue de son pays d'origine, existent mais n'ont pas été remises à M. A..., n'a pas eu pour effet de priver ce dernier de la garantie susmentionnée dès lors que les informations contenues dans les brochures en langue française lui ont été délivrées par le truchement d'un interprète en langue kurde et qu'il a d'ailleurs indiqué ne pas savoir lire. D'autre part, un tel mode de délivrance ne méconnaît pas les dispositions précitées et était au demeurant requis dès lors que M. A... est illettré. Enfin, la seule circonstance que l'attestation susmentionnée indique que l'entretien s'est déroulé avec M. A... par le biais d' " ISM Interprétariat " et que, sur les brochures, figurerait le tampon " Le demandeur ayant déclaré ne pas savoir lire, les informations contenues dans celle-ci ont été portées oralement à la connaissance du demandeur, via le concours d'un interprète d'AFTCom Interprétariat ", et le seul fait que le compte-rendu d'entretien susmentionné ne ferait pas état de sa durée, ne sont pas de nature à établir que les informations nécessaires aux demandeurs d'une protection internationale en vertu des dispositions précitées, contenues dans les brochures litigieuses, ne lui ont pas été effectivement et utilement communiquées par un interprète, alors que, comme indiqué précédemment, dans le compte rendu de son entretien individuel, il a déclaré " avoir compris la procédure engagée à son encontre " et que l'attestation signée de sa main confirme le déroulement de l'entretien par le biais d'un interprète. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le préfet des Yvelines aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

8. Par ailleurs, M. A... fait état de ce que l'identité et la qualité de la personne ayant mené l'entretien du 4 janvier 2011 n'étant pas mentionnées sur son compte-rendu, rien ne permet d'établir qu'elle aurait été habilitée conformément aux exigences de l'article 5 précité. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été reçu à la préfecture des Yvelines pour un entretien " conduit par un agent qualifié de la préfecture des Yvelines ", dont le résumé est authentifié par un tampon de la préfecture. La seule circonstance que le procès-verbal de cet entretien ne comporte pas d'informations relatives à l'identité et la qualité de la personne ayant conduit l'entretien, ni sa signature, ne suffit pas à démontrer qu'il n'aurait pas été conduit dans des conditions conformes aux dispositions précitées par une personne qualifiée en vertu du droit national, ni que le requérant aurait été privé d'une garantie tenant notamment au bénéfice d'un entretien individuel et de la possibilité de faire valoir toutes observations utiles, alors qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 741-1 et R. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et de l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'État responsable de leur traitement, le préfet des Yvelines était compétent pour enregistrer la demande d'asile de M. A... et procéder à la détermination de l'État membre responsable de l'examen de cette demande. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.

9. En troisième lieu, M. A... fait valoir que le préfet des Yvelines ne lui a pas communiqué, par écrit, dans une langue qu'il comprend, les droits et obligations prévus à l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, ni la brochure " Eurodac ". Toutefois, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000, aujourd'hui reprises à l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Ainsi, si M. A... entend se prévaloir de l'article 29 susmentionné, la méconnaissance de l'obligation d'information qu'il consacre ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'État français refuse l'admission provisoire au séjour à un demandeur d'asile et remet celui-ci aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Le moyen tiré d'un détournement et d'un vice de procédure sur ce point ne peut qu'être écarté.

10. En quatrième lieu, le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 précité qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre. Cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre. Selon le même règlement, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est écartée en cas de mise en œuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1. de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2. de ce même article 17. Le paragraphe 2. de cet article prévoit en effet qu'un État membre peut, même s'il n'est pas responsable en application des critères fixés par le règlement, " rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées notamment sur des motifs familiaux ou culturels ". Pour l'application de cette clause humanitaire, la notion de " membres d'une même famille " ne doit pas nécessairement être entendue dans le sens restrictif fixé par le g) de l'article 2 du règlement. La mise en œuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ".

11. D'une part, il n'est pas établi, ni même allégué, que les conditions de dépendance ou de minorité mentionnées aux 2. et 3. de l'article 16 du règlement seraient satisfaites, d'autre part, les dispositions susmentionnées n'ouvrent à l'autorité administrative française qu'une faculté de procéder à l'examen de leurs demandes d'asile, qui relève normalement d'un autre État. Si l'intéressé fait valoir la présence en France de son père, bénéficiant du statut de réfugié, il ne justifie, ni même ne fait état, d'une quelconque intensité de leurs liens familiaux. Il ne justifie pas non plus d'une relation de dépendance à son égard en se bornant à faire état d'un besoin de " présence indispensable " compte tenu de " son état de santé " et à produire un premier certificatif médical établi le 17 février 2021, soit postérieurement à l'arrêté attaqué, faisant seulement état d'une asthénie, d'un état de dénutrition, de la nécessité d'une prise en charge d'un point de vue psychologique et de l'importance " de la mise en place du soutien familial que peut lui apporter son père, réfugié politique en France ", ainsi qu'un second certificat, également postérieur à l'arrêté attaqué, témoignant sans autre justification, d'un état de détresse psychologique lié à sa traversée de la Roumanie, d'une amélioration de son état de dénutrition généralisée, de " l'importance du soutien familial que lui apporte la présence de son père " et d'un nécessaire maintien de sa prise en charge sanitaire. Si M. A... fait valoir, à cet égard, que son état de santé serait incompatible avec un transfert en Roumanie, il n'en justifie pas davantage par la production de ces seuls certificats médicaux. S'il indique que son transfert en Roumanie aurait pour effet de le " replacer dans le contexte où a été engendré [sa] pathologie ", il n'apporte aucun élément de nature à justifier du bien-fondé de ses allégations. S'il fait état de mauvais traitements qu'il pourrait subir dans son pays d'origine, la décision de transfert attaquée n'a ni pour objet ni pour effet d'éloigner le requérant vers ce pays mais seulement de prononcer son transfert aux autorités roumaines. Enfin, la seule circonstance qu'il entend solliciter l'asile à raison de craintes de persécution en Turquie pour avoir repris les " activités de guide " de son père à l'origine de la fuite en France de ce dernier et de la reconnaissance de sa qualité de réfugié également en France, cette seule circonstance, présentée comme relevant de la " bonne administration " de son dossier, ne caractérise pas une situation humanitaire au sens des dispositions précitées. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 2. de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.

12. En dernier lieu, selon l'avis n° 420900 du 7 décembre 2018 du Conseil d'État, lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre État membre, elle peut être transférée vers cet État, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI du règlement (UE) n° 604/2013.

13. Il ressort en outre de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt n° C-582/217 et C-583/17 du 2 avril 2019, au point 52, que les b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 ne trouvent à s'appliquer que si l'État membre dans lequel une demande a été antérieurement introduite a achevé la procédure de détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile en admettant sa responsabilité pour examiner cette demande et en a débuté l'examen, au point 58, que la procédure de reprise en charge est régie par des dispositions présentant des différences substantielles avec celles gouvernant la procédure de prise en charge et, aux points 65 à 72, que malgré le libellé " Obligations de l'État membre responsable " du chapitre V, l'interprétation selon laquelle une requête aux fins de reprise en charge ne pourrait être formulée que si l'État membre requis peut être désigné comme l'État responsable en application des critères de responsabilité énoncés au chapitre III du règlement est contredite par l'économie générale de ce règlement.

14. Les critères du chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 ne sont susceptibles de fonder une décision de transfert que s'il s'agit d'un transfert en vue d'une première prise en charge, et non en vue d'une reprise en charge. Les dispositions de l'article 18-1, b) à d) de ce règlement doivent être regardées comme figurant au nombre des critères énumérés dans le règlement, au sens du 2. de l'article 3 du règlement. Par suite, lorsqu'une personne a antérieurement présenté des demandes d'asile auprès d'un ou de plusieurs États membres, avant d'entrer sur le territoire d'un autre État membre pour y solliciter de nouveau l'asile dans des conditions permettant à cet État de demander sa reprise en charge sur le fondement des dispositions de l'article 18-1 b), c) ou d) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, sa situation ne relève pas des dispositions du premier alinéa du 2. de l'article 3 du règlement, qui concernent le cas dans lequel aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement.

15. Il ressort des pièces du dossier que, le 29 janvier 2021, les autorités roumaines ont explicitement accepté de reprendre en charge M. A... sur le fondement de l'article 18-1 c) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, mettant ainsi fin au processus de détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile. Par suite, contrairement à ce qu'il soutient, la situation de M. A... ne relève pas des dispositions du 1. de l'article 13, ni d'ailleurs davantage de celles du premier alinéa du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 en application desquelles, lorsqu'aucun aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen de cette demande. Il s'ensuit que M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en désignant la Roumanie et non la Grèce, état dans lequel il a séjourné avant d'entrer en Roumanie, comme État responsable de sa demande d'asile, le préfet des Yvelines aurait fait une application erronée des critères de détermination de l'État responsable de sa demande d'asile et des articles 1er, 3.2 et 7.1 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé, et à revendiquer l'application de son article 13.1. Il n'est pas davantage fondé à se prévaloir d'une méconnaissance de la recommandation de la Commission du 8 décembre 2016 adressée aux États membres, concernant la reprise des transferts vers la Grèce au titre du règlement (UE) n° 604/2013, laquelle ne revêt en tout état de cause pas un caractère contraignant, conformément à l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 22 janvier 2021 par lequel le préfet des Yvelines a décidé son transfert aux autorités roumaines responsables de l'examen de sa demande de protection internationale. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2101502 du 21 avril 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Versailles est annulé.

Article 2 : La demande de M. A... est rejetée.

2

N° 21VE01403


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01403
Date de la décision : 28/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-02-02


Composition du Tribunal
Président : Mme DANIELIAN
Rapporteur ?: Mme Muriel DEROC
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : ABDOLLAHI MANDOLKANI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-09-28;21ve01403 ?
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