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02/12/2021 | FRANCE | N°21VE01802

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 02 décembre 2021, 21VE01802


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du maire de la commune de Trappes du 12 juin 2014 rejetant sa demande de protection fonctionnelle, de condamner la commune de Trappes à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis et de mettre à la charge de cette commune le versement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 140642

7 du 13 novembre 2017, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du maire de la commune de Trappes du 12 juin 2014 rejetant sa demande de protection fonctionnelle, de condamner la commune de Trappes à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis et de mettre à la charge de cette commune le versement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1406427 du 13 novembre 2017, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18VE00816 du 14 novembre 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par Mme C... contre ce jugement.

Par une décision n° 437641 du 21 juin 2021, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi de Mme C..., annulé cet arrêt en tant qu'il statue sur le rejet de la demande de Mme C... tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle à raison des dénonciations calomnieuses dont elle a été victime en mars 2005 et a renvoyé dans cette mesure l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles.

Procédure devant la cour :

Par une ordonnance n° 1800464 en date du 14 février 2018, la présidente du tribunal administratif de Versailles a renvoyé à la cour administrative d'appel de Versailles la requête en appel enregistrée le 21 janvier 2018, présentée par Mme C....

Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 18VE00816 les 21 janvier 2018, 6 janvier et 10 juin 2019, Mme C..., représentée par Me Leroy, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Versailles ;

2°) d'annuler la décision du maire de la commune de Trappes en date du 12 juin 2014 ;

3°) de condamner la commune de Trappes à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice matériel, la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral et la somme de 20 000 euros au titre de l'atteinte à son honneur ;

4°) de mettre à la charge de la commune le versement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête n'est pas tardive ;

- les pièces jointes à sa requête ont été présentées sur Télérecours de manière séparée et conforme à l'inventaire ;

- ses conclusions indemnitaires ne sont pas nouvelles mais correspondent à l'évolution des préjudices au cours du temps ;

- le tribunal administratif n'a pas examiné la compétence de l'auteur de la décision attaquée, alors que l'identité du signataire de cette décision est douteuse ;

- le jugement attaqué est entaché d'erreur de fait, de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision attaquée ne comporte pas les mentions légales et réglementaires relatives aux voies de recours ;

- les attaques dont elle a fait l'objet en 2004 et 2005 sont en lien avec l'exercice de ses fonctions ;

- le maire était en situation de compétence liée pour lui accorder la protection fonctionnelle ;

- le droit à la protection fonctionnelle doit être accordé, même si les attaques ont cessé ;

- le délai de prescription quadriennale a été interrompu par la constitution de partie civile et l'arrêt du juge d'appel ;

- lors de son retour de congé en 2013, elle a fait l'objet d'attitudes menaçantes et provocantes de la part des autres agents ;

- elle a subi un préjudice matériel, moral et une atteinte à son honneur.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Camenen,

- les conclusions de Mme Sauvageot, rapporteure publique,

- les observations de Me Lerat pour Mme C... et celles de Me Geissmann, pour la commune de Trappes.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a été recrutée par la commune de Trappes en 1997 en qualité d'agent contractuel d'animation au service jeunesse, puis a été titularisée à compter du 1er septembre 2001 et affectée à la structure socio-éducative de l'école Maurice Thorez. Par deux demandes en date du 4 mars et du 23 mai 2014, Mme C... a sollicité, d'une part, le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre des attaques qu'elle a subies de la part d'autres agents de la commune en mars 2005 ainsi que, à l'occasion de sa réintégration dans les services de la commune dont elle était restée éloignée durant plusieurs années, en décembre 2013, d'autre part, l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'inaction fautive de la commune. Par une décision du 12 juin 2014, le maire de la commune de Trappes a rejeté ses demandes. L'intéressée a interjeté appel du jugement du tribunal administratif de Versailles du 13 novembre 2017 rejetant les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à l'indemnisation du préjudice subi. Par un arrêt du 14 novembre 2019, la cour a rejeté sa requête. Par une décision du 21 juin 2021, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant qu'il statue sur le rejet de la demande de Mme C... tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle à raison des dénonciations calomnieuses dont elle a été victime en mars 2005, a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour et a rejeté le surplus des conclusions du pourvoi.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la commune de Trappes et se rattachant aux conclusions encore en litige :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le jugement attaqué a été notifié à Mme C... le 21 novembre 2017. Ainsi, sa requête, qui a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Versailles le 21 janvier 2018, est recevable.

4. En second lieu, aux termes de l'article R. 414-3 du code de justice administrative dans sa rédaction alors applicable : " (...) Lorsque le requérant transmet, à l'appui de sa requête, un fichier unique comprenant plusieurs pièces, chacune d'entre elles doit être répertoriée par un signet la désignant conformément à l'inventaire mentionné ci-dessus. S'il transmet un fichier par pièce, l'intitulé de chacun d'entre eux doit être conforme à cet inventaire. Le respect de ces obligations est prescrit à peine d'irrecevabilité de la requête (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que les pièces jointes à la requête de Mme C... ont été produites dans des fichiers distincts. Ainsi, la commune de Trappes n'est pas fondée à soutenir qu'en l'absence de signets, la requête serait irrecevable.

Sur la régularité du jugement attaqué :

6. En premier lieu, la décision attaquée du 12 juin 2014 comporte la signature manuscrite du maire de Trappes. En l'absence de tout élément de nature à établir l'absence d'authenticité de cette signature, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait dû censurer cette décision pour incompétence, en relevant d'office ce moyen.

7. En second lieu, si Mme C... soutient que le jugement attaqué est entaché d'erreur de fait, de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation, ces moyens se rattachent au raisonnement suivi par le tribunal administratif et sont sans incidence sur la régularité du jugement en litige.

Sur la légalité de la décision du maire de Trappes du 12 juin 2014 en tant qu'elle rejette la demande de protection fonctionnelle de Mme C... à raison des dénonciations calomnieuses dont elle a été victime en mars 2005 :

8. Aux termes du troisième alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable à la date de la demande de Mme C... : " La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Ces dispositions législatives établissent à la charge de l'Etat ou des collectivités publiques intéressées et au profit des fonctionnaires lorsqu'ils ont été victimes d'attaques relatives au comportement qu'ils ont eu dans l'exercice de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général. L'obligation imposée à la collectivité publique peut avoir pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis.

9. Il ressort des termes de la décision attaquée du 12 juin 2014 que le maire de Trappes a rejeté la demande de protection fonctionnelle présentée par Mme C... pour les faits survenus en mars 2005 aux motifs que la procédure pénale engagée en 2005 n'entretenait aucun lien avec le service et que sa demande était atteinte par la prescription quadriennale. La commune de Trappes soutient en outre qu'à la date à laquelle Mme C... l'a saisie, aucune mesure de protection ou de réparation n'était plus envisageable.

10. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par (...) / Tout recours formé devant une juridiction relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance./ Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Il résulte de ces dispositions qu'une plainte avec constitution de partie civile interrompt le cours de la prescription quadriennale dès lors qu'elle porte sur le fait générateur, l'existence, le montant ou le paiement d'une créance sur une collectivité publique, notamment lorsque l'infraction engage la responsabilité d'une personne publique dans le cadre de la protection fonctionnelle garantie à ses agents.

11. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que Mme C... a fait l'objet de plaintes, déposées les 18 et 22 mars 2005 par deux agents d'animation pour menaces de mort réitérées, qui ont abouti, le 8 février 2006, à un jugement de relaxe du tribunal correctionnel de Versailles et, d'autre part, que Mme C... a engagé, par citation directe du 30 mai 2008, une procédure en dénonciation calomnieuse avec constitution de partie civile ayant abouti à la condamnation des deux plaignantes par jugement du 7 juillet 2008 du tribunal correctionnel de Versailles, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 21 janvier 2010. Cette dernière procédure doit être regardée comme portant sur le fait générateur, l'existence et le montant de la créance que la requérante estime détenir sur la commune de Trappes au titre de la protection fonctionnelle qui lui est due du fait de la dénonciation calomnieuse dont elle a fait l'objet en mars 2005. Ainsi, la créance de Mme C... n'était pas prescrite lorsqu'elle a sollicité, le 4 mars 2014, le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par suite, Mme C... est fondée à soutenir que le motif opposé par le maire de Trappes tiré de la prescription de sa créance est entaché d'illégalité.

12. En deuxième lieu, les plaintes pénales déposées les 18 et 22 mars 2005 ont trait à des menaces de mort réitérées à connotations raciales qu'aurait proférées Mme C... à l'encontre de deux de ses collègues. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des procès-verbaux d'audition de ces dernières en 2005, qu'elles ont exercé des fonctions d'animatrices dans le même centre de loisirs que Mme C... à partir de juillet 2004 et que leurs relations de travail se sont profondément dégradées. Ainsi, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'elles visent des menaces prétendument proférées en dehors du service, ces dénonciations calomnieuses sont en lien direct avec les fonctions exercées par Mme C.... Par suite, Mme C... est fondée à soutenir que le premier motif opposé par le maire de Trappes est également entaché d'illégalité.

13. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 8, l'obligation imposée à la collectivité publique d'assurer la protection fonctionnelle de son agent peut avoir pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La circonstance qu'à la date à laquelle le maire de Trappes a refusé à Mme C... le bénéfice de la protection fonctionnelle, les attaques dont elle a été victime avaient cessé, n'était pas de nature à justifier le rejet de sa demande, Mme C... n'ayant pas reçu une réparation adéquate de ses préjudices en lien avec la dénonciation calomnieuse dont elle a fait l'objet. Ainsi, la commune n'est pas fondée à soutenir que la demande de Mme C... devait être rejetée au motif qu'aucune démarche n'était plus envisageable pour assurer sa protection fonctionnelle.

14. Enfin, Mme C... n'apporte aucune justification de l'existence d'un préjudice matériel, notamment d'un préjudice financier, qui serait en lien direct avec la dénonciation calomnieuse dont elle a fait l'objet en 2005. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et de l'atteinte à l'honneur résultant directement de la dénonciation calomnieuse dont Mme C... a fait l'objet en l'évaluant globalement à la somme de 3 000 euros.

15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de ce que les conclusions indemnitaires de Mme C... sont irrecevables en ce qu'elles excédent la somme réclamée au première instance, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du maire de Trappes du 12 juin 2014 refusant de lui accorder la protection fonctionnelle à raison des dénonciations calomnieuses dont elle a été victime en mars 2005.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit mise à la charge de Mme C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Trappes le versement de la somme de 2 000 euros à Mme C... au titre de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1406427 du tribunal administratif de Versailles du 13 novembre 2017 est annulé en tant qu'il rejette la demande de Mme C... tendant à l'annulation de la décision du maire de Trappes du 12 juin 2014 refusant de lui accorder la protection fonctionnelle à raison des dénonciations calomnieuses dont elle a été victime en mars 2005.

Article 2 : La décision du maire de Trappes du 12 juin 2014 est annulée en tant qu'elle refuse d'accorder à Mme C... la protection fonctionnelle à raison des dénonciations calomnieuses dont elle a été victime en mars 2005.

Article 3 : La commune de Trappes est condamnée à verser à Mme C... la somme de 3 000 euros.

Article 4 : La commune versera la somme de 2 000 euros à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme C... est rejeté.

3

N° 21VE01802


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01802
Date de la décision : 02/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers. - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: M. Gildas CAMENEN
Rapporteur public ?: Mme SAUVAGEOT
Avocat(s) : BUES ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-12-02;21ve01802 ?
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