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17/03/2022 | FRANCE | N°20VE01220

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 17 mars 2022, 20VE01220


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F..., épouse B..., a demandé au tribunal administratif de Versailles, d'une part, d'annuler l'arrêté du 24 avril 2019 par lequel le préfet de l'Essonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de sa destination, et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de l'Essonne de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à déf

aut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexam...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F..., épouse B..., a demandé au tribunal administratif de Versailles, d'une part, d'annuler l'arrêté du 24 avril 2019 par lequel le préfet de l'Essonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de sa destination, et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de l'Essonne de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à défaut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement à intervenir, l'ensemble sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1903587 du 3 avril 2020, le tribunal administratif de

Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, des mémoires et des pièces, enregistrés les 1er mai, 13 septembre et 13 octobre 2020, le 25 mars 2021 et les 1er et 11 février 2022, Mme F..., épouse B..., représentée par Me Kanza, avocat, demande à la cour :

1°) à titre principal, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler le jugement ;

3°) d'annuler la décision de refus de séjour prise à son encontre par le préfet de l'Essonne le 24 avril 2019 ;

4°) d'enjoindre au préfet de l'Essonne de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 24 avril 2019 lui faisant obligation de quitter le territoire français ;

6°) d'enjoindre au préfet de l'Essonne de réexaminer sa situation dans un délai de trois mois à compter de l'arrêt et sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

7°) à titre très subsidiaire, d'annuler la décision fixant la Guinée comme pays de renvoi ;

8°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de l'absence de justification quant au changement d'appréciation de son état de santé et à l'absence de soins disponibles dans son pays d'origine ;

- la décision portant refus de titre de séjour est insuffisamment motivée en fait, en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle est irrégulière en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour ;

- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière au regard de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 et des articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en raison du caractère incomplet de l'avis du collège des médecins de l'OFII ;

- elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'absence d'accès effectif à un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine du fait des dysfonctionnements du système hospitalier guinéen et de son absence de ressources ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé en situation de compétence liée au regard de l'avis du collège des médecins de l'OFII ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- la décision fixant le pays de destination est entachée d'illégalité en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour et de la décision portant obligation de quitter le territoire ;

- cette décision est également illégale dans la mesure où elle risque de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine.

...........................................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bonfils,

- et les observations de M. D..., expressément mandaté par Mme F..., épouse B..., empêchée à raison de son hospitalisation.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... F..., épouse B..., ressortissante guinéenne née le 22 décembre 1977 à Conakry, est régulièrement entrée en France pour la dernière fois le 25 décembre 2016. Après avoir bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour pour soins d'une durée de quatre mois, délivrée le 15 décembre 2017, elle a sollicité, le 1er mars 2018, un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 avril 2019, le préfet de l'Essonne a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de sa destination. Mme F..., épouse B..., fait appel du jugement du 3 avril 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la demande d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Mme F..., épouse B..., a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 janvier 2021. Par suite, ses conclusions à fin d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont devenues sans objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la date de l'arrêté en litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. ".

4. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un accès effectif au traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un accès effectif à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

5. Pour refuser à Mme F..., épouse B..., la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Essonne s'est notamment fondé sur l'avis émis le 26 novembre 2018 par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration dont il s'est approprié les motifs. Il ressort des pièces du dossier que ces médecins ont estimé que l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut peut entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais que, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.

6. Pour contester l'appréciation portée par l'autorité administrative sur sa situation médicale, et en particulier sur l'accès effectif aux soins rendus nécessaires par sa pathologie en Guinée Conakry, Mme F..., épouse B..., verse aux débats de nombreuses ordonnances, compte-rendu de consultation et certificats médicaux. Il en résulte que, souffrant d'une cardiopathie valvulaire, elle a bénéficié en France, à l'hôpital Bichat, en août 2007, d'une chirurgie cardiaque qui a consisté en la pose d'une bioprothèse mitrale, mais n'a plus fait l'objet, à compter de 2011 et après avoir regagné son pays d'origine, du suivi médical régulier dont elle avait besoin. Dès son retour en France, elle a été prise en charge en janvier et mars 2017 et a bénéficié d'un suivi à intervalles très réguliers pour cette même pathologie. A cet égard, elle produit notamment un certificat du docteur E... de l'hôpital Bichat, établi le 18 janvier 2017, indiquant que l'état cardiologique de l'intéressée nécessite une prise en charge dans un centre spécialisé en France " et n'est pas compatible avec des soins réalisés en Guinée ". Il ressort par ailleurs d'autres documents produits par Mme F..., épouse B..., certes postérieurs à l'arrêté en litige mais qui éclairent une situation de fait antérieure à son édiction et s'inscrivent tous dans le suivi médical régulier dont l'intéressée a constamment fait l'objet depuis son arrivée en France, et notamment du certificats établis par le docteur C... de l'hôpital Bichat, le 20 mai 2019, qu'outre un suivi rapproché indispensable, sa pathologie nécessitera une nouvelle intervention. En effet, à la suite de différents examens réalisés, le même médecin de l'hôpital Bichat, a ainsi constaté la dégénérescence progressive de la prothèse mitrale posée en 2007 impliquant son inévitable remplacement, le médecin soulignant que cette opération, qui interviendra avant la fin du premier trimestre 2022, n'est pas réalisable en Guinée Conakry. Enfin, Mme F..., épouse B..., produit par ailleurs quatre autres certificats établis par des médecins cardiologues guinéens, datés de mai 2019, lesquels corroborent en des termes précis et concordants le passé médical de l'intéressée et évoquent le manque de plateau technique et les risques de complication de l'opération de chirurgie cardiaque à intervenir, en attestant qu'eu égard à l'état des structures et des conditions sanitaires, elle ne peut bénéficier de soins et d'un suivi adéquats en Guinée. Ces pièces médicales, qui sont suffisamment précises et probantes, ne sont pas contestées par le préfet de l'Essonne qui ne produit aucun élément sur l'existence de soins adaptés disponibles en Guinée. Dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir qu'en l'absence de traitement approprié dans son pays d'origine, elle pouvait prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que cette circonstance faisait obstacle à ce qu'une obligation de quitter le territoire soit prise à son encontre.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme F..., épouse B..., est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 avril 2019 du préfet de l'Essonne.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

9. L'annulation de l'arrêté attaqué implique nécessairement la délivrance à Mme F..., épouse B..., d'une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Essonne de délivrer à la requérante un tel titre dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État le versement à Me Kanza, avocat de Mme F..., épouse B..., de la somme de 1 500 euros qu'il demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Kanza renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire de Mme F..., épouse B....

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 1903587 du 3 avril 2020 et l'arrêté du 24 avril 2019 du préfet de l'Essonne sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Essonne de délivrer à Mme F..., épouse B..., une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera au conseil de Mme F..., épouse B..., Me Kanza, la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que cet avocat renonce à l'aide juridictionnelle

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

2

N° 20VE01220


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE01220
Date de la décision : 17/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DANIELIAN
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : KANZA

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-03-17;20ve01220 ?
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