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05/07/2022 | FRANCE | N°21VE02677

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 05 juillet 2022, 21VE02677


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 14 octobre 2020 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français durant deux ans et la décision orale du même jour refusant d'enregistrer sa demande de délivrance d'un titre de séjour.

Par un jugement n° 2010616 du 30 novembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure

devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 septembre 2021, M. C..., représenté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 14 octobre 2020 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français durant deux ans et la décision orale du même jour refusant d'enregistrer sa demande de délivrance d'un titre de séjour.

Par un jugement n° 2010616 du 30 novembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 septembre 2021, M. C..., représenté par Me Charles, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° d'annuler les décisions contestées ;

3° d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine d'enregistrer sa demande de titre de séjour dans le délai d'une semaine ;

4° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision orale de refus d'enregistrement de sa demande de titre de séjour lui a été notifiée au guichet par un agent de préfecture qui n'avait pas reçu délégation pour prendre cette décision ;

- elle méconnaît l'obligation du préfet d'enregistrer et d'instruire les demandes de titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'arrêté portant interdiction de retour est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'un vice de procédure tenant à la méconnaissance du principe de loyauté et à un détournement de pouvoir ;

- le droit d'être entendu prévu par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a été méconnu ;

- l'interdiction de retour est illégale par exception d'illégalité du refus d'enregistrement de sa demande de titre de séjour ;

- elle est disproportionnée, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et porte une atteinte excessive à sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet des Hauts-de-Seine qui n'a pas produit de mémoire.

Les parties ont été informées le 10 mai 2022, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office le moyen tiré de l'incompétence du magistrat désigné pour statuer sur la décision de refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour de M. C....

Par une ordonnance du 10 mai 2022, l'instruction a été fixée au 25 mai 2022, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2020/016561 du 30 juin 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience en application des dispositions de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... ;

- les observations de Me Lendrevie, substituant Me Charles, pour M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant mauritanien né le 31 décembre 1988, entré en France, selon ses déclarations lors de l'enregistrement de sa demande d'asile le 30 janvier 2018, a présenté une demande d'asile le 16 mars 2018 rejetée par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 29 novembre 2018, décision confirmée par la cour nationale du droit d'asile le 28 juin 2019, et fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sur le fondement du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prise à son encontre le 6 février 2020 par le préfet de police de Paris. M. C..., qui occupe un emploi de manutentionnaire rémunéré au SMIC depuis le 1er janvier 2018, a présenté par courrier une demande de rendez-vous afin de déposer une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié. Convoqué en préfecture le 14 octobre 2020, il s'est vu notifier une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. C... relève appel du jugement du 30 novembre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 octobre 2021 du préfet des Hauts-de-Seine lui faisant interdiction de retour sur le territoire français durant deux ans et de la décision orale du même jour refusant d'enregistrer sa demande de délivrance d'un titre de séjour.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes du I bis de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (..) L'étranger qui fait l'objet d'une interdiction de retour prévue au sixième alinéa du III du même article L. 511-1 peut, dans le délai de quinze jours suivant sa notification, demander l'annulation de cette décision. / Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou parmi les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. (...) ". Le sixième alinéa du III du même article L. 511-1 prévoit que : " Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative prononce une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. "

3. Si, en vertu de ces dispositions, le magistrat désigné par le président du tribunal de Cergy-Pontoise était compétent pour statuer sur la légalité de l'arrêté du 14 octobre 2020 faisant interdiction à M. C... de retourner sur le territoire français durant deux ans, la décision orale distincte de refus d'enregistrement de demande de titre de séjour, qui constitue une décision faisant grief susceptible d'un recours de droit commun, ne relevait pas de sa compétence, à moins que la demande d'annulation de cette décision ne soit manifestement irrecevable. Les conclusions de M. C... dirigées contre le refus d'enregistrement de sa demande de titre de séjour n'étaient pas tardives, s'agissant d'une décision orale dépourvue de la mention des voies et délais de recours, et ne constituaient pas un litige distinct de la demande d'annulation de l'arrêté portant interdiction de retour, dès lors que ces deux décisions sont relatives à son droit au séjour en France. Il s'ensuit qu'en rejetant la demande d'annulation de cette décision, alors qu'il n'était pas compétent pour statuer sur sa légalité et qu'il lui appartenait de renvoyer les conclusions de la demande d'annulation de cette décision devant une formation collégiale du tribunal, le magistrat désigné a entaché son jugement d'irrégularité sur ce point. Il s'ensuit que le jugement doit être annulé en tant qu'il statue sur la demande d'annulation de la décision orale de refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour de M. C....

4. Il y a lieu pour la cour de se prononcer sur les conclusions dirigées contre la décision de refus d'enregistrement de la demande de délivrance du titre de séjour par voie d'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la requête.

Sur la demande d'annulation de la décision de refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour de M. C..., par la voie de l'évocation :

5. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour (...) est tenu de se présenter (...) à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient (...) ". Aux termes de l'article R. 311-4 du même code : " Il est remis à tout étranger admis à souscrire une demande de première délivrance ou de renouvellement de titre de séjour un récépissé qui autorise la présence de l'intéressé sur le territoire pour la durée qu'il précise (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions qu'en dehors du cas d'une demande à caractère abusif ou dilatoire, l'autorité administrative chargée d'instruire une demande de titre de séjour ne peut refuser de l'enregistrer, et de délivrer le récépissé y afférent, que si le dossier présenté à l'appui de cette demande est incomplet. Le caractère abusif ou dilatoire de la demande doit s'apprécier compte tenu d'éléments circonstanciés. Le simple fait que l'étranger soit sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français exécutoire ne suffit pas à le caractériser.

7. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la convocation adressée par la préfecture des Hauts-de-Seine à M. C... le 9 octobre 2020, que celui-ci était invité à se présenter le 14 octobre suite à sa demande de rendez-vous en vue du dépôt d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour. Dans ces conditions, M. C... est fondé à soutenir que l'arrêté portant refus d'interdiction de retour qui lui a été notifié au guichet lors de ce rendez-vous révèle un refus oral d'enregistrer sa demande d'admission exceptionnelle au séjour, notifié au guichet le 14 octobre 2020, dont il est recevable à demander l'annulation.

8. Le préfet des Hauts-de-Seine, qui n'a pas présenté de défense sur ce point, ne soutient pas que le dossier présenté par M. C... était incomplet. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la demande d'admission exceptionnelle au séjour de M. C..., qui est salarié à temps plein depuis le 1er janvier 2018 et bénéficie d'une promesse d'embauche de son employeur en contrat à durée indéterminée, présentait un caractère abusif ou dilatoire. Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que le refus d'enregistrement de sa demande de titre de séjour est entaché d'illégalité et doit être annulé.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français durant deux ans :

9. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " I. ' L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger (...), lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger (...) / II. ' L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) / III. - (...) / Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative prononce une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

10. Le moyen tiré de la violation par une autorité d'un Etat membre de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, selon lequel : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", est inopérant dès lors que ces obligations ne s'imposent qu'aux institutions, organes et organismes de l'Union. Toutefois, le requérant doit être regardé comme invoquant la méconnaissance de son droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... ait été entendu, lors de son rendez-vous au guichet portant sur sa demande de régularisation, sur l'interdiction de retour sur le territoire français qui lui a été notifiée au guichet. Le moyen tiré de ce que son droit d'être entendu a été méconnu doit par suite être accueilli.

11. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation des décisions du 14 octobre 2021 du préfet des Hauts-de-Seine lui faisant interdiction de retour sur le territoire français durant deux ans et refusant d'enregistrer sa demande d'admission exceptionnelle au séjour.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. "

13. En l'absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait, le présent arrêt implique que le préfet des Hauts-de-Seine, ou le préfet territorialement compétent, enregistre la demande de titre de séjour de M. C..., et lui délivre un récépissé, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais de l'instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Charles, avocat de M. C... désigné au titre de l'aide juridictionnelle, en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que ce conseil renonce à la part contributive de l'Etat.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 30 novembre 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision orale de refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour de M. C....

Article 2 : La décision orale de refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour présentée par M. C... et l'arrêté du 14 octobre 2021 du préfet des Hauts-de-Seine lui faisant interdiction de retour sur le territoire français durant deux ans sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet des Hauts-de-Seine d'enregistrer la demande de titre de séjour de M. C... et de lui délivrer un récépissé dans le délai d'un mois.

Article 4 : L'Etat versera à Me Charles la somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L .761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Charles renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet des Hauts-de-Seine.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Beaujard, président de chambre,

Mme Dorion, présidente-assesseure,

M. Bouzar, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.

La rapporteure,

O. A...

Le président,

P. BEAUJARD

La greffière,

C. FAJARDIE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour exécution conforme,

La greffière,

N°.21VE02677 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21VE02677
Date de la décision : 05/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : CHARLES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-07-05;21ve02677 ?
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