La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/10/2023 | FRANCE | N°21VE03271

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 13 octobre 2023, 21VE03271


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du maire de la commune de Lassay-sur-Croisne du 11 décembre 2018 portant alignement de la voie communale n° 7, d'annuler la décision implicite par laquelle ce maire a refusé d'acquérir une bande de terrain d'une superficie de 221 m² leur appartenant et de condamner la commune à leur verser la somme de 773,50 euros en réparation du préjudice subi du fait de la privation de jouissance perpétuelle.

Par

un jugement n° 1902937 du 7 octobre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du maire de la commune de Lassay-sur-Croisne du 11 décembre 2018 portant alignement de la voie communale n° 7, d'annuler la décision implicite par laquelle ce maire a refusé d'acquérir une bande de terrain d'une superficie de 221 m² leur appartenant et de condamner la commune à leur verser la somme de 773,50 euros en réparation du préjudice subi du fait de la privation de jouissance perpétuelle.

Par un jugement n° 1902937 du 7 octobre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cet arrêté du maire de la commune de Lassay-sur-Croisne du 11 décembre 2018 et rejeté le surplus des conclusions

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 décembre 2021 et le 22 septembre 2023, la commune de Lassay-sur-Croisne, représentée par Me Rainaud, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les conclusions de M. et Mme C... tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du maire de la commune de Lassay-sur-Croisne du 11 décembre 2018 portant alignement de la voie communale n° 7 et de la décision implicite de rejet par laquelle le maire a refusé d'acquérir une bande de terrain leur appartenant d'une superficie de 221 m², et, d'autre part, à la condamnation de la commune à leur verser la somme de 773,50 euros en réparation du préjudice subi du fait de la privation de jouissance perpétuelle ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation en jugeant que la voie litigieuse n'est pas une voie communale alors qu'elle est située en agglomération et qu'il est établi qu'elle était ouverte à la circulation générale en 1959 du fait de son insertion dans un réseau de voies de communication communales et départementales ;

- l'arrêté d'alignement n'est entaché d'aucune irrégularité ;

- la décision implicite de rejet de la demande des époux C... d'acquérir une bande de terrain d'une superficie de 221 m² leur appartenant n'est entachée d'aucune irrégularité ;

- M. et Mme C... ne démontrent pas en quoi l'emprise de la voie communale n° 7 les déposséderaient d'une partie de leur propriété.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2022, M. et Mme C..., représentés par Me Léron, avocat, concluent au rejet de la requête, à la condamnation de la commune de Lassay-sur-Croisne à les indemniser du préjudice subi en raison de l'emprise irrégulière sur leur propriété pour une somme de 773,50 euros et à leur verser la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la voie litigieuse ne constitue pas une voie communale au sens de l'article 9 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 ;

- la commune a commis un détournement de procédure en recourant à la procédure de l'alignement individuel alors que la voie litigieuse n'est pas une voie communale ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 112-1 du code de la voirie routière dès lors qu'il ne se borne pas à constater les limites actuelles et réelles de la voie ;

- l'incorporation d'une partie de leur parcelle, d'une surface de 221 m2, au domaine public a eu pour effet de les déposséder d'une partie de leur propriété et a créé un préjudice à leur encontre.

Un mémoire produit pour M. et Mme C... le 24 septembre 2023 n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de la voirie routière ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voirie des collectivités locales, abrogée par la loi n° 89-413 du 22 juin 1989 instituant le code de la voirie routière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Even,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- et les observations de Me Léron, pour M. et Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... C... et M. A... C... sont propriétaires d'une maison d'habitation située au 7 rue Fleur de Lys à Lassay-sur-Croisne (41112), lieudit " Le bourg ", cadastrée section B n° 40, située en bordure de la " voie roulante n° 7 ". Le maire de la commune de Lassay-sur-Croisne a, par un arrêté du 11 décembre 2018, procédé à l'alignement individuel de la voie précitée au droit de la propriété de M. et Mme C.... Par un courrier du 7 décembre 2018, ces derniers ont demandé au maire de la commune d'acquérir une partie de leur parcelle, d'une superficie de 221 m² en raison de l'emprise de la voie communale. Cette demande a été implicitement rejetée. La commune de Lassay-sur-Croisne fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif d'Orléans a annulé cet arrêté du 11 décembre 2018.

Sur la légalité de l'arrêté contesté :

2. D'un part, aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voie des collectivités locales, codifié par la loi du 22 juin 1989 instituant le code de la voirie routière à l'article L. 141-1 du code de la voirie routière qui détermine la liste des voies communales : " La voirie des communes comprend : / 1° Les voies communales, qui font partie du domaine public ; / 2° Les chemins ruraux, qui appartiennent au domaine privé de la commune ". Aux termes de l'article 9 de cette même ordonnance : " Deviennent voies communales les voies qui, conformément à la législation en vigueur à la date de la présente ordonnance, appartiennent aux catégories ci-après : / 1° Les voies urbaines ; / 2° Les chemins vicinaux à l'état d'entretien ; le préfet établira, à cet effet, dans un délai de six mois, la liste par commune des chemins vicinaux à l'état d'entretien ; / 3° Ceux des chemins ruraux reconnus, dont le conseil municipal aura, dans un délai de six mois, décidé l'incorporation ; cette délibération pourra être prise sans enquête publique ". Aux termes de l'article L. 2111-14 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le domaine public routier comprend l'ensemble des biens appartenant à une personne publique mentionnée à l'article L. 1 et affectés aux besoins de la circulation terrestre, à l'exception des voies ferrées ". Selon le premier alinéa de l'article L. 141-1 du code de la voirie routière : " Les voies qui font partie du domaine public routier communal sont dénommées voies communales (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 112-3 du code de la voirie routière : " L'alignement individuel est délivré par le représentant de l'État dans le département, le président du conseil départemental ou le maire, selon qu'il s'agit d'une route nationale, d'une route départementale ou d'une voie communale (...) ". L'article L. 112-1 du même code dispose que : " L'alignement est la détermination par l'autorité administrative de la limite du domaine public routier au droit des propriétés riveraines. Il est fixé soit par un plan d'alignement, soit par un alignement individuel. / Le plan d'alignement, auquel est joint un plan parcellaire, détermine après enquête publique ouverte par l'autorité exécutive de la collectivité territoriale ou de l'établissement public de coopération intercommunale, propriétaire de la voie, et organisée conformément aux dispositions du code des relations entre le public et l'administration la limite entre voie publique et propriétés riveraines. / L'alignement individuel est délivré au propriétaire conformément au plan d'alignement s'il en existe un. En l'absence d'un tel plan, il constate la limite de la voie publique au droit de la propriété riveraine ". Et aux termes de l'article L. 112-2 de ce même code : " La publication d'un plan d'alignement attribue de plein droit à la collectivité propriétaire de la voie publique le sol des propriétés non bâties dans les limites qu'il détermine. / Le sol des propriétés bâties à la date de publication du plan d'alignement est attribué à la collectivité propriétaire de la voie dès la destruction du bâtiment. / Lors du transfert de propriété, l'indemnité est, à défaut d'accord amiable, fixée et payée comme en matière d'expropriation ".

4. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 112-1 du code de la voirie routière qu'un arrêté d'alignement, qui, en l'absence de plan d'alignement, se borne à constater les limites d'une voie publique en bordure des propriétés riveraines, et constitue ainsi un acte purement déclaratif sans effet sur les droits des propriétaires riverains, ne peut être fixé qu'en fonction des limites actuelles de la voie publique en bordure des propriétés riveraines éventuels, empiètements inclus. Un arrêté d'alignement se bornant à constater les limites d'une voie publique en bordure des propriétés riveraines, une contestation relative à la propriété des immeubles riverains de la voie publique sur laquelle il n'appartiendrait qu'à l'autorité judiciaire de statuer, ne peut, dès lors, être utilement soulevée à l'appui de conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un tel arrêté. En revanche, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un arrêté d'alignement, de vérifier si l'arrêté d'alignement attaqué se borne ou non à constater les limites actuelles de la voie publique en bordure des propriétés riveraines.

5. Font partie de la voirie urbaine et appartiennent au domaine public communal, les voies situées dans une agglomération, dont une commune est propriétaire et qui étaient affectées à l'usage du public avant l'intervention de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voirie des collectivités locales, sans que soit nécessaire l'intervention de décisions expresses de classement. Dès lors qu'une voie a été, antérieurement à l'intervention de l'ordonnance du 7 janvier 1959, ouverte à la circulation générale du public, la circonstance qu'elle ait cessé, à une date antérieure à celle de cette ordonnance, d'être ouverte à la circulation générale du public est sans incidence sur son appartenance au domaine public, en l'absence de décision de déclassement.

6. Il ressort des pièces du dossier que la preuve de l'ouverture de la " voie roulante n° 7 " avant 1959 n'est pas apportée, le tribunal d'instance de Blois ayant au demeurant qualifié cette rue de chemin rural relevant du domaine privé de la commune. Les pièces nouvelles versées en appel par les défendeurs confortent cette analyse, ladite voie étant qualifiée de chemin rural par un panneau situé en amont de son tracé et la circulation y étant expressément interdite aux véhicules dont la masse est supérieure à 3,5 tonnes. Si la commune se réfère à des plans cadastraux datant de 1933 réactualisés en 1988, ils ne permettent pas d'en déduire que la voie aurait été affectée à l'usage du public, quand bien même elle serait située en agglomération et se serait substituée à un ancien chemin rural. Enfin, les quatre attestations émanant d'habitants de la commune témoignant que la voie aurait été entretenue et ouverte au public, ne permettent pas d'établir que la voie était ouverte à la circulation générale du public avant la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 7 janvier 1959, alors que les intéressés affirment qu'ils empruntaient cette voie dans le seul but d'accéder à leurs propriétés respectives. Par suite, la voie litigieuse ne peut être regardée comme constituant une voie communale appartenant au domaine public de la commune, et l'arrêté d'alignement litigieux, qui ne peut se borner qu'à constater la limite d'une voie et ne confère pas de droits à la personne qui en a sollicité la délivrance, est donc entaché d'une illégalité.

7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Lassay-sur-Croisne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté du 11 décembre 2018 portant arrêté d'alignement de la voie communale n° 7. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées à titre accessoire, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions incidentes de M. et Mme C... :

8. Il résulte de tout ce qui précède que dès lors que l'arrêté du 11 décembre 2018 a été annulé, les conclusions indemnitaires présentées par M. et Mme C..., par la voie de l'appel incident, tendant à l'indemnisation de leur préjudice lié à l'incorporation de la voie au sein du domaine public ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Lassay-sur-Croisne une somme de 2 000 euros à verser à M. et Mme C... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Lassay-sur-Croisne est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident présentées par M. et Mme C... sont rejetées.

Article 3 : La commune de Lassay-sur-Croisne versera à M. et Mme C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Lassay-sur-Croisne et à M. et Mme A... C....

Délibéré après l'audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Even, président de chambre,

Mme Aventino, première conseillère,

M. Cozic, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2023.

Le président-rapporteur,

M. EVEN

L'assesseure la plus ancienne,

B. AVENTINO

La greffière,

C. RICHARD

La République mande et ordonne au préfet de Loir-et-Cher en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE03271


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE03271
Date de la décision : 13/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

71-02-02-01 Voirie. - Régime juridique de la voirie. - Alignements. - Arrêtés individuels d'alignement.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Bernard EVEN
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : CABINET CASADEI-JUNG et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-10-13;21ve03271 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award