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29/02/2024 | FRANCE | N°22VE01060

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 29 février 2024, 22VE01060


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 mai 2022 et le 20 octobre 2023, la société Kinepolis Prospection, représentée par Me d'Albert des Essarts, avocate, demande à la cour :



1°) d'annuler la décision du 2 février 2022 par laquelle la Commission nationale d'aménagement cinématographique a rejeté son recours et accordé à la société Cinémas Arpajon l'autorisation d'aménagement d'un établissement cinématographique de 5 salles et 606 places, à l'enseigne " Première Cinémas " à Arpajon ;



2°) de mettre à la charge des défendeurs une somme de 5 000 euros chacun en application de l'art...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 mai 2022 et le 20 octobre 2023, la société Kinepolis Prospection, représentée par Me d'Albert des Essarts, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler la décision du 2 février 2022 par laquelle la Commission nationale d'aménagement cinématographique a rejeté son recours et accordé à la société Cinémas Arpajon l'autorisation d'aménagement d'un établissement cinématographique de 5 salles et 606 places, à l'enseigne " Première Cinémas " à Arpajon ;

2°) de mettre à la charge des défendeurs une somme de 5 000 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que :

- sa requête est recevable et elle dispose d'un intérêt à agir ;

- la décision est entachée d'erreurs d'appréciation des effets du projet sur la diversité de l'offre cinématographique mentionnée à l'article L. 212-6 du code du cinéma et de l'image animée au regard des critères fixés par l'article L. 212-9 de ce code compte tenu :

o de la nature et la diversité de l'offre culturelle cinématographique faute de prise en compte, d'une part, des effets cumulés des trois projets autorisés dans la même zone d'influence cinématographique et, d'autre part, d'un niveau de fréquentation cinématographique de cette zone non pertinent ;

o de l'absence d'amélioration du projet en termes de diversité de l'offre cinématographique ;

- elle est entachée d'erreurs d'appréciation des effets du projet sur l'aménagement culturel mentionné à l'article L. 212-6 de ce code au regard des critères fixés par l'article L. 212-9 de ce code compte tenu de la qualité des équipements déjà présents dans la zone.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 mars 2023, la Commission nationale d'aménagement cinématographique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

La procédure a été communiquée à la société Cinémas Arpajon et à la commune d'Arpajon qui n'ont pas produit de mémoire dans la présente instance.

Par une ordonnance du 8 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du cinéma et de l'image animée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Aventino,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- et les observations de Me Reymond, substituant Me d'Albert des Essarts, pour la société Kinepolis prospection.

Considérant ce qui suit :

1. Le 28 septembre 2021, la commission départementale d'aménagement cinématographique de l'Essonne a délivré à la société Cinémas Arpajon l'autorisation de créer un établissement de spectacles cinématographiques à l'enseigne " Première Cinémas " situé à Arpajon et offrant 5 salles et 606 places. La société Kinepolis prospection qui exploite l'établissement à l'enseigne " Cinémas Kinepolis ", situé à Brétigny-sur-Orge, a formé un recours préalable obligatoire devant la Commission nationale d'aménagement cinématographique. Par une décision du 2 février 2022, cette dernière a rejeté ce recours et autorisé le projet porté par la société Cinémas Arpajon. La société Kinepolis prospection demande à la cour d'annuler la décision de la Commission nationale du 2 février 2022.

Sur la légalité de la décision du 2 février 2022 :

En ce qui concerne l'appréciation de la Commission nationale d'aménagement cinématographique :

2. Aux termes de l'article L. 212-6 du code du cinéma et de l'image animée : " Les créations, extensions et réouvertures au public d'établissements de spectacles cinématographiques doivent répondre aux exigences de diversité de l'offre cinématographique, d'aménagement culturel du territoire, de protection de l'environnement et de qualité de l'urbanisme, en tenant compte de la nature spécifique des œuvres cinématographiques. Elles doivent contribuer à la modernisation des établissements de spectacles cinématographiques et à la satisfaction des intérêts du spectateur tant en ce qui concerne la programmation d'une offre diversifiée, le maintien et la protection du pluralisme dans le secteur de l'exploitation cinématographique que la qualité des services offerts ". Aux termes de l'article L. 212-9 du même code : " Dans le cadre des principes définis à l'article L. 212-6, la commission départementale d'aménagement cinématographique se prononce sur les deux critères suivants : / 1° L'effet potentiel sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence cinématographique concernée, évalué au moyen des indicateurs suivants : / a) Le projet de programmation envisagé pour l'établissement de spectacles cinématographiques objet de la demande d'autorisation et, le cas échéant, le respect des engagements de programmation éventuellement souscrits en application des articles L. 212-19 et L. 212-20 ; / b) La nature et la diversité culturelle de l'offre cinématographique proposée dans la zone concernée, compte tenu de la fréquentation cinématographique ; / c) La situation de l'accès des œuvres cinématographiques aux salles et des salles aux œuvres cinématographiques pour les établissements de spectacles cinématographiques existants ; / 2° L'effet du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme, évalué au moyen des indicateurs suivants : / a) L'implantation géographique des établissements de spectacles cinématographiques dans la zone d'influence cinématographique et la qualité de leurs équipements ; / b) La préservation d'une animation culturelle et le respect de l'équilibre des agglomérations ; /c) La qualité environnementale appréciée en tenant compte des différents modes de transports publics, de la qualité de la desserte routière, des parcs de stationnement ; / d) L'insertion du projet dans son environnement ; /e) La localisation du projet, notamment au regard des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d'urbanisme./ Lorsqu'une autorisation s'appuie notamment sur le projet de programmation cinématographique, ce projet fait l'objet d'un engagement de programmation cinématographique souscrit en application du 3° de l'article L. 212-23. /(...) ". Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement cinématographique ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet d'équipement cinématographique contesté compromet la réalisation des objectifs et principes énoncés par la loi. A ce titre, il appartient à la Commission nationale, lorsqu'elle se prononce sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs et principes, au vu des critères d'évaluation et indicateurs mentionnés à l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée.

S'agissant des effets du projet sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence cinématographique :

3. Le projet présenté par la société Cinémas Arpajon consiste en la rénovation d'un établissement de 5 salles comprenant 606 places en lieu et place d'un précédent établissement de 5 salles et 820 places ayant définitivement fermé en janvier 2020.

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'instruction et de la décision attaquée, que d'une part la croissance de la population des communes de la zone d'influence cinématographique (ZIC) représente 6,7 % entre 2007 et 2017 alors que le taux de l'évolution de la population nationale sur la même période n'était que de 4,6 %. Sur cette même période, la population de la zone primaire d'influence cinématographique a également augmenté de 7,9 %. D'autre part, l'offre d'établissements cinématographiques de la ZIC comprend 5 établissements fixes : trois cinémas exploités sous statut public ou associatif dotés de 1 à 3 écrans, un projet de cinéma du même opérateur au centre-ville de Sainte-Geneviève-des-Bois, doté de 7 écrans et l'établissement de la société requérante de type multiplexe en périphérie de Bretigny-sur-Orge, doté de 10 écrans. Avec 3,10 entrées par habitant en 2019, la zone du projet bénéficie d'un niveau de fréquentation cinématographique inférieur à la fois à la moyenne nationale de 3,31 et de l'unité urbaine parisienne de 4,98, permettant une large marge de progression.

5. La ZIC déterminée par l'opérateur et validée par la commission nationale, qui n'a pas été contestée par la société requérante, ne comporte pas la commune de Grigny. En outre, le projet " Première cinémas " de Sainte-Geneviève-des-Bois a bien été pris en compte tant dans l'instruction du dossier que dans la décision par la commission nationale. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à contester ces éléments faute pour la décision d'avoir pris en compte les effets cumulés du projet avec ceux des projets de Sainte-Geneviève-des-Bois et du multiplexe à l'enseigne " Megarama " situé à Grigny. Si la société requérante soutient également que les chiffres de fréquentation cinématographique, datant de 2019, ne pouvaient fonder la décision en litige du 2 février 2022 dès lors qu'il ressort des statistiques de la fréquentation pour les années 2020 et 2021, que celle-ci s'est effondrée pour des raisons conjoncturelles liées à la crise sanitaire mais également structurelles liées au développement des plateformes de diffusion en ligne et vidéos à la demande, elle n'établit pas que la tendance de fond résultant d'une comparaison des statistiques pour les années 2010 à 2019 n'était pas la plus représentative à cette date, alors que les seules années 2020 et 2021 offrent peu de recul et ne sont pas représentatives compte tenu des fermetures et mesures imposées par la crise sanitaire. En outre, quand bien même la fréquentation a diminué en 2020 et 2021, la société requérante ne conteste pas que la ZIC présente en données relatives une marge de progression de la fréquentation cinématographique par rapport à des zones comparables. Elle ne conteste pas davantage le dynamisme en termes de population de la ZIC.

6. A ce titre, l'atteinte portée à la fréquentation des établissements de la zone ne peut être prise en compte que si elle est de nature à avoir des effets négatifs sur la diversité cinématographique, conformément aux dispositions précitées des articles L. 212-6 et L. 212-9 du code du cinéma. La société requérante ne saurait dès lors utilement soutenir que, dans un contexte de baisse de la fréquentation cinématographique après la crise sanitaire, la Commission nationale aurait dû différer l'autorisation de nouveaux projets, afin de ne pas augmenter la pression concurrentielle.

7. En second lieu, il ressort du projet de programmation que le futur établissement proposera 275 nouveaux films par an et 7 900 séances, avec une programmation de ces séances dédiée à 25 % aux films d'art et essai et près de la moitié de son affiche consacrée à ces films. L'établissement se fixe pour objectif d'obtenir le classement " Art et Essai " ainsi que le label " jeune public ". Il prévoit également 2 à 3 films par semaine en sortie nationale, renforçant l'accès des spectateurs de la zone d'influence cinématographique aux films inédits dès leur sortie. S'il a été relevé qu'à l'échelle de la zone, l'apport du projet de programmation sur la diversité de l'offre de films programmé sera plus limité compte tenu de l'offre déjà présente, le projet repose en outre sur l'organisation régulière d'évènements et d'actions d'animation culturelle et d'éducation à l'image en lien avec l'association Cinessonne. Cette programmation est ainsi adaptée à l'environnement prévu de cet établissement de centre-ville et complémentaire de celle du complexe généraliste et familial de la société requérante. L'impact du projet, couplé à celui de la commune de Sainte-Geneviève-des-Bois, sur l'établissement de la société requérante, évalué à une diminution de la fréquentation de 15 %, ne suffit pas à caractériser une atteinte à l'animation culturelle alors que cet établissement de type multiplexe concentre plus des deux-tiers des entrées de la ZIC. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que les autres établissements développant également une offre culturelle " Art et Essai " ne sont pas situés dans la zone primaire de la ZIC et que le taux d'exposition aux œuvres art et essai est inférieur dans cette zone à la moyenne nationale en termes de séance. La société requérante n'établit donc pas les effets négatifs allégués au regard de l'offre culturelle des établissements de la ZIC constitués de petits établissements subventionnés. Enfin, au regard du projet de Sainte-Geneviève-des-Bois, il s'agit du même opérateur et la direction sera commune aux deux cinémas, de sorte que la Commission nationale a pu prendre en compte ces éléments ainsi que les engagements de programmation pour conclure à la complémentarité des deux offres. Dès lors, compte tenu de l'augmentation de la population, de la situation du projet et de la programmation envisagée, le projet contribuera à améliorer l'exposition de l'offre cinématographique sur la zone. Il résulte de ce qui précède que le projet ne peut être regardé comme compromettant la réalisation de l'objectif de diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans cette zone.

S'agissant de l'impact du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme :

8. Il ressort des pièces du dossier que le projet s'implante au centre-ville d'Arpajon, commune qui poursuit, aux termes de ses documents de planification d'urbanisme, un objectif de développement de l'attractivité de son territoire et bénéficie du plan gouvernemental " Action cœur de ville " de revitalisation des territoires. Ce projet consiste à rénover un établissement fermé depuis 2020, en le dotant d'équipements plus modernes et confortables, répondant aux normes d'accessibilité notamment. Il contribuera ainsi à améliorer la qualité des équipements cinématographiques de la zone, nonobstant la bonne qualité de ces établissements. La réalisation du projet contribuera également à renouveler le parc cinématographique de la zone et à en renforcer la diversité en créant un équipement doté d'une taille intermédiaire de 5 écrans. Dans ces conditions, la Commission nationale d'aménagement cinématographique a pu estimer, sans erreur d'appréciation, que le projet en litige ne compromet pas les objectifs d'aménagement culturel du territoire, de protection de l'environnement et de qualité de l'urbanisme.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la société requérante tendant à l'annulation de la décision de la Commission nationale d'aménagement cinématographique du 2 février 2022 autorisant la société Cinémas Arpajon à créer un établissement de spectacles cinématographiques regroupant 5 salles et 606 places à l'enseigne " Première cinémas " à Arpajon doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Kinepolis Prospection sur leur fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Kinepolis Prospection est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kinepolis Prospection, à la société Cinémas Arpajon, à la commune d'Arpajon et au président de la Commission nationale d'aménagement cinématographique.

Copie en sera adressée pour information à la ministre de la culture.

Délibéré après l'audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Even, président de chambre,

Mme Aventino, première conseillère,

M. Cozic, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024.

La rapporteure,

B. AVENTINO

Le président,

B. EVEN

La greffière,

C. RICHARD

La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 22VE01060


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE01060
Date de la décision : 29/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-05 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. - Réglementation des activités économiques. - Activités soumises à réglementation. - Aménagement commercial.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Barbara AVENTINO
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : SELAS WILHELM & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-29;22ve01060 ?
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