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29/04/2024 | FRANCE | N°23/00793

France | France, Cour d'appel d'Agen, Chambre civile, 29 avril 2024, 23/00793


COUR D'APPEL D'AGEN

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Chambre civile











N° RG 23/00793

N° Portalis DBVO-V-B7H -DE5K



























GROSSES le

aux avocats

N° 5-2024











ORDONNANCE

DU 29 Avril 2024







DEMANDEUR :



Monsieur [N] [K]

né le [Date naissance 2] 2000 à [Localité 9]

de nationalité française

domicile élu chez Me Louis TORT,

avocate

[Adresse 1]

[Localité 4]



assisté de Me Louise TORT, substituée à l'audience par Me Sarah CATELLA-NALLET, avocate au barreau de PARIS







DÉFENDEUR :



AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des affaires juridiques

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 5]



représenté par Me Guillaume ...

COUR D'APPEL D'AGEN

---

Chambre civile

N° RG 23/00793

N° Portalis DBVO-V-B7H -DE5K

GROSSES le

aux avocats

N° 5-2024

ORDONNANCE

DU 29 Avril 2024

DEMANDEUR :

Monsieur [N] [K]

né le [Date naissance 2] 2000 à [Localité 9]

de nationalité française

domicile élu chez Me Louis TORT, avocate

[Adresse 1]

[Localité 4]

assisté de Me Louise TORT, substituée à l'audience par Me Sarah CATELLA-NALLET, avocate au barreau de PARIS

DÉFENDEUR :

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des affaires juridiques

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 5]

représenté par Me Guillaume BERT, associé de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocat au barreau d'AGEN

MINISTÈRE PUBLIC :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

Cour d'Appel d'Agen

[Adresse 11]

[Localité 6]

représenté par Mme Corinne CHATEIGNER-CABROL, substitut général

A l'audience tenue le 10 avril 2024 par Stéphane BROSSARD, premier président de la cour d'appel d'AGEN, assisté de Nathalie CAILHETON, greffière, a été évoquée la présente affaire, les représentants des parties ayant été entendus ou appelés.

A l'issue des plaidoiries, l'affaire a été mise en délibéré, l'ordonnance devant être rendue ce jour.

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Le 7 décembre 2018 [N] [K] né le [Date naissance 2] 2000 à [Localité 9] a été mis en examen par le juge d'instruction du TGI d'Agen des chefs de violence volontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur mineur de 15 ans avec cette circonstance que les faits ont été commis par une personne ayant autorité sur la victime pour être le concubin de la mère et de viol incestueux comme ayant été commis par le concubin de la mère, sur mineur de 15 ans, pour des faits commis le 5 décembre 2018 au préjudice de [R] [U] née le [Date naissance 3] 2017.

[N] [K] a été incarcéré du 7 décembre 2018 au 8 avril 2022 à 0h47, la cour d'assises du Lot et Garonne a, le 7 avril 2022, acquitté [N] [K] et a ordonné sa mise en liberté immédiate.

Sur appel, la cour d'assises du Gers a, le 31 mars 2023, confirmé l'acquittement de [N] [K], en l'absence de tout pourvoi, la décision de la cour d'assises du Gers est devenue définitive.

Par requête déposée à la première présidence de la cour d'appel d'Agen le 29 septembre 2023, [N] [K] sollicite l'indemnisation de sa détention provisoire à hauteur de 486 800 euros au titre du préjudice moral, de 66 001 euros au titre du préjudice matériel, et une indemnité de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre l'octroi de l'exécution provisoire.

[N] [K] évoque la durée de la détention injustifiée de 3 ans et 4 mois, la durée très longue de détention étant un critère d'aggravation du préjudice, l'angoisse face à la peine encourue de 30 ans de réclusion criminelle, le choc carcéral à 18 ans alors qu'il n'avait jamais été incarcéré, les conditions de la détention, il était placé sous un régime de surveillance particulière compte tenu des menaces dont il faisait l'objet à la suite de la médiatisation locale de l'affaire, la succession de transfèrements d'[Localité 6] à [Localité 10] et à [Localité 8] motivée par la nécessité de préserver sa sécurité, les conditions d'hygiène et de confort précaires tout au long de sa détention, les répercussions personnelles et familiales résultant de la séparation familiale ainsi que les répercussions physiques et psychologiques justifiant que les 1217 jours de détention soient indemnisés à hauteur de 400 euros par jour soit la somme de 486 800 euros.

Sur le préjudice matériel, il fait valoir qu'il percevait préalablement à son incarcération le revenu minimum d'insertion et sollicite à ce titre la somme de 22 344 euros, qu'il a subi une perte de chance alors qu'il a commencé à travailler comme apprenti cuisinier dès l'âge de 16 ans, qu'il a travaillé comme cuisinier en Angleterre à l'été 2018, il sollicite à ce titre la somme de 40 000 euros, par ailleurs sa mère a subi des frais de transport durant son incarcération dont il demande le paiement à hauteur de 3657 euros.

Par réquisitions en date du 25 janvier 2024, le parquet général a conclu à la recevabilité de la requête déposée dans le délai prévu par l'article 149-2 du code de procédure pénale, il a fait valoir que [N] [K] placé en détention provisoire du 7 décembre 2018 au 8 avril 2022 soit durant 3 ans et 4 mois ou 1217 jours a subi un préjudice moral, âgé de 18 ans il n'avait jamais été incarcéré auparavant, même s'il avait des antécédents judiciaires, il a connu trois établissements pénitentiaires et s'est trouvé confronté à des conditions matérielles difficiles à la maison d'arrêt d'[Localité 6], ce dernier ayant fait l'objet de menaces au regard des faits qui lui étaient reprochés, il ne vivait pas au domicile familial au moment de son incarcération, mais au domicile de sa concubine, le ministère public a proposé une indemnisation de 90 000 euros au titre du préjudice moral, a conclu au rejet de la demande de préjudice matériel à défaut de justifier d'une perte de salaire ou à la perte d'une chance dans le domaine professionnel et s'en rapporte sur la demande de frais irrépétibles.

Par conclusions récapitulatives en date du 4 mars 2024, l'agent judiciaire de l'Etat a conclu à la recevabilité de la demande, il fait valoir que le montant de l'indemnisation de son préjudice moral ne saurait excéder la somme de 85 000 euros, il expose que le requérant vivait au domicile de sa concubine que l'atteinte portée à sa réputation est attachée à la nature de l'infraction ou à la procédure judiciaire et non à la mesure de la détention. Il conclut au rejet de la perte de revenus à défaut d'en justifier avant son incarcération, au rejet de la perte de chance de travailler comme cuisinier à défaut de travailler au moment de son placement en détention provisoire, au rejet de la demande des frais de transport exposés par sa mère, le requérant n'ayant pas qualité à former une demande indemnitaire pour le compte d'autrui. L'agent judiciaire de l'Etat demande de réduire à de plus justes proportions la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Sur la recevabilité de la demande

[N] [K] a été détenu du 7 décembre 2018 au 8 avril 2022 pendant une durée de 3 ans et 4 mois soit 1217 jours, la cour d'assises du Lot et Garonne l'a acquitté des chefs de violence volontaire ayant entrainé la mort sans intention de la donner sur mineur de 15 ans avec cette circonstance que les faits ont été commis par une personne ayant autorité sur la victime pour être le concubin de la mère et de viol incestueux comme ayant été commis par le concubin de la mère, sur mineur de 15 ans, pour des faits commis le 5 décembre 2018 au préjudice de [R] [U] née le [Date naissance 3] 2017.

Sur appel, la cour d'assises du Gers a le 31 mars 2023 confirmé l'acquittement de [N] [K], en l'absence de tout pourvoi, la décision de la cour d'assises du Gers est devenue définitive.

Selon les dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

[N] [K] a déposé sa requête le 29 septembre 2023 dans le délai de 6 mois de l'arrêt de la cour d'assises du Gers rendu le 31 mars 2023, conformément aux dispositions de l'article 149-2 du code de procédure pénale, cette décision est devenue définitive, la demande de [N] [K] est par conséquent recevable.

Sur le préjudice moral

Le préjudice moral est apprécié au regard des circonstances dans lesquelles la détention est effectuée, l'éloignement de la famille du demandeur par rapport au lieu de détention a aussi une influence sur le montant de l'indemnisation alloué de même qu'il est tenu compte de l'âge, les éléments de personnalité, de l'environnement familial et social carcéral ressenti, le cas échéant de l'existence de séquelles psychologiques.

En l'espèce [N] [K] a subi une détention provisoire durant 1217 jours, lorsqu'il a été incarcéré, il était âgé de 18 ans, et vivait avec sa concubine.

Le choc carcéral est incontestable, [N] [K] a régulièrement exprimé la souffrance liée à la détention à travers des courriers adressés au magistrat instructeur, lequel en a informé le chef d'établissement de la maison d'arrêt, il s'agissait de sa première incarcération qui allait durer plus de trois années, la durée excessive de la détention provisoire est un critère d'aggravation du préjudice, par ailleurs l'incertitude de son avenir personnel et professionnel liée à son incarcération et l'angoisse face à la peine encourue de 30 ans de réclusion criminelle a nécessairement créé une oppression douloureuse. Cette très longue incarcération a entrainé un choc psychologique important pour [N] [K].

[N] [K] a été placé sous le régime de surveillance particulière compte tenu des menaces dont il faisait l'objet, ces menaces étaient consécutives à la nature des faits pour lesquels il a été mis en examen et du très jeune âge de la victime fille de sa compagne. Les conditions de détention ont été des plus strictes et contraignantes au regard du régime de surveillance particulière dont a fait l'objet [N] [K]. Il a ainsi été placé à son arrivée dans une cellule dédiée aux personnes vulnérables, afin de contenir le risque de violences à son égard, ses activités se déroulant à part du reste de la détention. Cette affectation a généré chez lui un sentiment d'isolement total et une grande détresse psychologique ainsi que l'a souligné le chef d'établissement de la maison d'arrêt d'[Localité 6].

Le retentissement médiatique, s'il ne peut être reconnu comme une atteinte à la réputation en lien avec la nature de l'infraction, a eu en l'espèce un impact sur sa détention puisqu'il a bénéficié d'un régime de surveillance spécifique ainsi que des transferts.

[N] [K] a connu trois établissements pénitentiaires, [Localité 6], [Localité 10] et [Localité 8], ces transfèrements ont été motivés par la nécessité de préserver sa sécurité. Il s'est trouvé par ailleurs confronté à des conditions matérielles de détention difficiles à la maison d'arrêt d'[Localité 6], rapportées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté dans une mission diligentée le 8 juillet 2022.

[N] [K] ne vivait pas avec sa famille au moment de son incarcération puisqu'il vivait depuis deux mois avec sa concubine après son séjour en Angleterre, il entretenait néanmoins des relations fortes avec sa mère et avec son beau-père, sa mère lui a rendu visite en détention toutes les semaines.

S'il n'a pas été privé de tous liens familiaux durant son incarcération puisqu'il a reçu du courrier de ses proches ainsi que leurs visites, notamment de sa mère et de son beau-père, ces liens familiaux se sont exercés dans le cadre très contraint du milieu carcéral, la séparation familiale a généré nécessairement des répercussions personnelles et psychologiques.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le préjudice moral de [N] [K] peut être évalué à hauteur de 540 euros le premier jour de son incarcération, à 270 euros par jour du 2e au 21e jour soit 20 X 270 euros =5400 euros et à 100 euros par jour du 22e au 1217e jours soit 100 euros X 1196 = 11 9 600 euros soit un total de 125 540 euros.

Sur le préjudice matériel

[N] [K] fait valoir qu'il percevait avant son incarcération un revenu minimum d'insertion et sollicite à ce titre la somme de 2 344 euros, [N] [K] ne justifie pas de la perception de ce revenu, il convient de le débouter de cette demande.

[N] [K] fait valoir qu'il a subi une perte de chance d'exercer la profession de cuisinier alors qu'il a commencé à travailler comme apprenti cuisinier dès l'âge de 16 ans, qu'il a travaillé comme cuisinier en Angleterre à l'été 2018, il sollicite à ce titre la somme de 40 000 euros.

[N] [K] ne travaillait pas lorsqu'il a été placé en détention provisoire, il ne peut se prévaloir d'une perte de chance de trouver un emploi, il justifie d'un salaire d'apprenti cuisinier en décembre 2016 et d'un emploi de cuisinier en Angleterre à l'été 2018 qu'il a rompu de sa propre initiative, sa perte de chance de devenir cuisinier n'est pas sérieuse à défaut de justifier d'une qualification et d'une expérience professionnelle confirmée.

Sur les frais

[N] [K] demande la somme de 3 657 euros au titre des frais de transport engagés par sa mère durant son incarcération.

Les dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale ne réparent que le préjudice personnel du requérant à l'exclusion de celui des tiers, les victimes par ricochet, membres de la famille ne peuvent obtenir réparation des préjudices qui leurs sont propres même s'ils sont en relation avec la détention, il convient par conséquent de débouter [N] [K] de cette demande.

Il parait équitable d'allouer à [N] [K] une indemnité de 3 000 euros au titre des frais qu'il a engagés pour la présente instance.

La décision du premier président de la cour d'appel accordant une réparation est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS :

Nous, Stéphane Brossard, premier président de la cour d'appel d'Agen, statuant par décision contradictoire, en premier ressort

Déclarons la demande d'indemnisation de [N] [K] recevable,

En réparation de la détention provisoire imposée du 7 décembre 2018 au 8 avril 2022,

Allouons à [N] [K] la somme de 125 540 euros au titre de son préjudice moral,

Déboutons [N] [K] de sa demande de réparation du préjudice matériel et des frais de transport,

Allouons à [N] [K] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Disons que ces sommes seront à la charge du Trésor public,

Rappelons que la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire,

Laissons les dépens à la charge du Trésor public.

La greffière Le premier président

Nathalie CAILHETON Stéphane BROSSARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Agen
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/00793
Date de la décision : 29/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-29;23.00793 ?
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