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11/09/2012 | FRANCE | N°11/14744

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 14e chambre, 11 septembre 2012, 11/14744


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

14e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 11 SEPTEMBRE 2012



N°2012/731





Rôle N° 11/14744





SAS ARCELOR MITTAL MEDITERRANEE





C/



[E] [B]

CPCAM DES [Localité 6]



MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE

FIVA Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante







Grosse délivrée le :



à :

SCP A VIDAL-NAQUET AVOCATS ASSOCIES, avocats au b

arreau de MARSEILLE



CPCAM DES [Localité 6]











copie certifiée conforme

délivrée

le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOUCHES DU RHONE en date du 19...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

14e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 11 SEPTEMBRE 2012

N°2012/731

Rôle N° 11/14744

SAS ARCELOR MITTAL MEDITERRANEE

C/

[E] [B]

CPCAM DES [Localité 6]

MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE

FIVA Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante

Grosse délivrée le :

à :

SCP A VIDAL-NAQUET AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE

CPCAM DES [Localité 6]

copie certifiée conforme

délivrée

le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOUCHES DU RHONE en date du 19 Juillet 2011,enregistré au répertoire général sous le n° 21004862.

APPELANTE

SAS ARCELOR MITTAL MEDITERRANEE, venant aux droits de la Société SOLLAC MEDITERRANEE faisant élection de domicile en son Etablissement de [Localité 9], Site de [Localité 9], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit établissement, demeurant [Adresse 1]

représentée par la SCP A VIDAL-NAQUET AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [E] [B], demeurant [Adresse 2]

représenté par la SCP TEISSONNIERE ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS

CPCAM DES [Localité 6], demeurant [Adresse 7]

représenté par Mme [X] [I] en vertu d'un pouvoir spécial

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE, demeurant [Adresse 4]

non comparant

FIVA Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante, demeurant [Adresse 13]

non comparant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 19 Juin 2012 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Bernadette AUGE, Président

Madame Florence DELORD, Conseiller

Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2012

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2012

Signé par Madame Bernadette AUGE, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE - PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

[E] [B] a été employé par la société SOLLAC devenue ARCELORMITTAL MÉDITERRANÉE . En 2008, il a été atteint d'un cancer broncho-pulmonaire reconnu par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie comme maladie professionnelle.

Le 11 juin 2010, il a saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches du Rhône pour voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur et obtenir une indemnisation.

Par jugement en date du 19 juillet 2011, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale a :

- déclaré le recours de [E] [B] recevable en la forme,

- débouté la SAS ARCELOR de sa demande d'expertise relative à la maladie professionnelle,

- dit que la maladie dont est atteint Monsieur [B] est due à la faute inexcusable de son employeur la société ARCELOR,

- accordé à Monsieur [B] l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale,

Avant dire droit,

- ordonné une mesure d'expertise,

- dit que la décision de prise en charge de la maladie professionnelle est opposable à la société ARCELOR,

- dit que les sommes allouées au titre de la faute inexcusable seront avancées par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des [Localité 6] qui récupérera celles-ci auprès de la SAS ARCELORMITTAL MÉDITERRANÉE,

- réservé la demande de Monsieur [B] au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile - ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Le 10 août 2011, la SAS ARCELORMITTAL MÉDITERRANÉE a relevé appel de cette décision.

Elle conteste le caractère professionnel de la pathologie de Monsieur [B] compte tenu de l'existence du facteur tabac comme cause possible de celle-ci et elle réclame une mesure d'expertise.

Elle demande qu'il soit sursis à statuer sur la faute inexcusable dans l'attente de la décision sur l'origine professionnelle de la maladie. Subsidiairement elle conteste la conscience du danger qu'elle aurait dû avoir compte tenu de la période et du poste de travail de Monsieur [B].

Elle soutient que la prise en charge de la maladie au titre du risque professionnel par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie lui est inopposable.

Sur l'indemnisation, elle demande la limitation des sommes accordées à : 30.000 euros au titre des souffrances physiques et morales, 30.000 euros au titre du préjudice d'agrément et 7.000 euros au titre du préjudice esthétique. Elle conteste l'existence d'un préjudice professionnel.

[E] [B] demande la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise, les élément permettant de retenir le caractère professionnel de sa maladie étant réunis.

Sur la reconnaissance de la faute inexcusable, il soutient que son activité au sein de l' entreprise de 1973 à 2010 , en qualité de technicien d'entretien, responsable chef de poste, responsable exploitation et responsable qualité site, l'a amené de façon habituelle à travailler dans un environnement chargé d'amiante.

Il prétend que le type d'activité de la société ARCELORMITTAL et la taille de l'entreprise ne pouvaient la laisser ignorer les risques découlant de l'utilisation massive de l'amiante

Il fait en outre observer que la société n'a pris aucune mesure nécessaire pour préserver la santé de ses salariés dont lui-même.

Il demande la confirmation de la décision et sur l'indemnisation de son préjudice il réclame les sommes suivantes

- souffrances physiques :120.000 €

- souffrances morales :120.000 €

- préjudice d'agrément : 120.000€

- préjudice esthétique : 50.000 €

- perte de chance de promotion professionnelle : 35.000 €

Il réclame également la condamnation de la SAS ARCELORMITTAL à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie des [Localité 6] s'en rapporte sur la faute inexcusable et dans l'hypothèse où celle-ci serait retenue, elle conclut à la modération des demandes et au remboursement par l'employeur des sommes qu'elle sera amenée à avancer.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer aux écritures de celles-ci reprises oralement à l'audience.

La MNC et le FIVA , régulièrement convoqués ne comparaissent pas.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le caractère professionnel de la maladie

Attendu que [E] [B] a effectué le 27 mai 2009 une déclaration de maladie professionnelle sur la base d'un certificat médical établi par le Docteur [K], médecin pneumologue à l'hôpital [11] à [Localité 10], visant la maladie professionnelle n° 30 bis comme étant une ' néoplasie broncho-pulmonaire primitive chez un patient ayant effectué des travaux d'entretien ou de maintenance sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante';

Attendu que les conditions du tableau n° 30 bis visant le ' cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation d'amiante' sont les suivantes :

1/ maladie : cancer broncho-pulmonaire primitif,

2/ délai de prise en charge : 40 ans ( sous réserve d'une durée d'exposition de dix ans)

3/ liste limitative des travaux : ( notamment) travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante, de retrait d'amiante, de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante, d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante, d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante;

Attendu que sont présumées maladies professionnelles, sans que la victime ait à prouver le lien de causalité entre son affection et son travail, les maladies inscrites et définies aux tableaux prévus par les articles L.461-2 et R.461-3 du Code de la Sécurité Sociale et ce, dès lors qu'il a été établi que le salarié qui en est atteint a été exposé de façon habituelle au cours de son activité professionnelle, à l'action d'agents nocifs;

Attendu qu'il appartient à l'employeur qui entend contester le caractère professionnel de la maladie de combattre la présomption par la production d'éléments probants;

Attendu que la SAS ARCELORMITTAL ne conteste pas le fait que Monsieur [B] soit atteint d'un cancer broncho-pulmonaire primitif mais discute le lien entre cette pathologie et l'activité de ce dernier en soutenant que l'origine du cancer de l'intimé peut être liée à un tabagisme important;

Attendu qu'il convient de rappeler que l'origine multifactorielle d'une maladie n'est pas exclusive de son caractère professionnel; qu'il suffit que l'activité professionnelle soit une des causes de la pathologie pour que le caractère professionnel puisse être retenu; que l'employeur qui conteste le lien entre l'activité professionnelle et la maladie doit établir que cette activité n'a joué aucune rôle dans le développement de la pathologie;

Attendu qu'en l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que [E] [B] a été employé du 25 avril 1973 au 30 juin 1981 en qualité d'agent d'entretien dans le secteur Hauts-Fourneaux puis du 1er juillet 1981 au 30 septembre 2000 au départements énergie, centrale thermique & fours Pits à la conduite, surveillance, intervention et dépannage des installations thermiques;

Attendu qu'au cours de l'enquête diligentée par la Caisse, le représentant de l'employeur a indiqué que 'jusqu'en 2002, le travail de Monsieur [B] était principalement un travail d'organisation et d'encadrement du personnel. Cependant, M. [B] a pu être de manière occasionnelle au contact de matériaux à base d'amiante ( gaines de protection en amiante afin de protéger les câbles électriques, très épisodiquement opérations de nettoyage technique dans la chambre de soufflage des contacteurs électriques. Depuis 1990, l'amiante est éliminée progressivement de ces contacteurs et le soufflage interdit);

Attendu que les attestations versées aux débats ( [R], [Z], [P]), le courrier du Professeur [A], chef du service de chirurgie thoracique indiquant ' chez cet homme qui a travaillé pendant une dizaine d'années dans les Hauts-Fourneaux puis dans une centrale thermique, il faut considérer qu'il y a un contact à l'amiante probablement prolongé...' et l'attestation d'exposition à l'inhalation des poussières d'amiante délivrée par l'employeur le 12 février 2010 établissent le lien entre la maladie et l'activité professionnelle;

Attendu que la société ARCELORMITTAL ne produit aucun élément probant permettant de combattre cette présomption et de démontrer que l'activité professionnelle de Monsieur [B] n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie; que la demande d'expertise judiciaire qui n'a pas pour but de pallier la carence des parties en matière de preuve n'apparaît pas suffisamment justifiée et doit être rejetée;

Sur la faute inexcusable

Attendu que les éléments constants relatifs aux faits en cause sont les suivants :

- [E] [B] né le [Date naissance 3] 1951 a été employé par la société SOLMER devenue SOLLAC puis ARCELORMITTAL MEDITERRANEE du 25 avril 1973 au 1er janvier 1981 dans le secteur Hauts-Fourneaux, du 1er janvier 1981 au 30 mars 2008 à la centrale thermique, en qualité successivement de technicien d'entretien, de responsable chef de poste, de responsable exploitation puis en qualité de responsable qualité site,

-le 27 mai 2009, à l'âge de 58 ans, il a fait une déclaration de maladie professionnelle en visant la pathologie inscrite au tableau n°30B mise en évidence par une première constatation médicale en date du 22 décembre 2008

- la maladie a été reconnue et prise en charge à titre professionnel le 2 novembre 2009 , le taux d'IPP a été fixé à 80% puis à 100% le 19 septembre 2010;

Attendu que l'employeur est tenu en vertu du contrat de travail le liant à son salarié d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses salariés du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ou de l'activité de celle-ci;

Que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver;

Qu'il importe de rappeler que pour faire retenir la faute inexcusable de l'employeur, le salarié doit nécessairement établir de manière circonstanciée d'une part l'imputabilité de la maladie à son activité au sein de l'entreprise et donc qualifier l'exposition au risque et d'autre part la réalité de la conscience du danger auquel l'employeur exposait ses salariés;

Sur l'exposition au risque amiante

Attendu que les éléments analysés au présent arrêt concernant le lien entre l'activité professionnelle de Monsieur [B] et le développement de la maladie démontrent l'exposition au risque d'inhalation des poussières d'amiante;

Attendu qu'en effet, eu égard aux divers postes occupés par l'intimé, celui-ci était directement exposé à l'amiante de 1973 à 2002, tant au secteur Fonte-Hauts Fourneaux où le matériel soumis à des températures extrêmement élevées était protégé par une isolation en amiante, qu'ultérieurement à la centrale thermique où il intervenait sur les capteurs, les fours, les chaudières et les chambres de soufflage, matériel également protégé par de l'amiante; qu'il doit être admis que Monsieur [B], a été en contact habituel, du fait de la répétition de situations occasionnelles sur une période de 29 ans, avec des produits et des isolants thermiques contenant de l'amiante;

Sur la conscience du danger

Attendu qu'en France, la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante a dès 1945 été inscrite dans le tableau n° 25 consacré aux maladies professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières siliceuses et amiantifères (ordonnance du 2 août 1945 faisant référence au cardage, à la filature et au tissage de l'amiante);

Que par la suite, le décret du 31 août 1950 a instauré le tableau n° 30 des maladies professionnelles consacré à l'asbestose, lequel contenait une liste simplement indicative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie et ne fixait par ailleurs aucun seuil d'exposition, en deçà duquel le risque n'existait pas;

Attendu que le fait que le tableau n° 30 des affections respiratoires liées à l'amiante ait été crée dès 1945 et qu'il ait été complété à plusieurs reprises a eu pour conséquence que, quelle que fût la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques de l'époque, tout entrepreneur avisé était dès cette époque tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de cette fibre; que par ailleurs, le cancer broncho-pulmonaire primitif a été inscrit au tableau des maladies professionnelles le 19 juin 1985

Attendu que ces dispositions réglementaires étaient à l'époque la concrétisation des observations internationales ainsi que des travaux de scientifiques français comme ceux des Professeurs [J] et [F] (1930) et la publication de tels documents dans les revues spécialisées traitant de la médecine du travail;

Que dès 1955, l'enquête de [C] [W] sur les maladies professionnelles des travailleurs de l'amiante en Grande- Bretagne confirma l'existence d'un risque de cancer du poumon;

Qu'en 1964, le Professeur [Y] a exposé les résultats d'études menées en Afrique du Sud sur la relation entre l'exposition à l'amiante et le mésothéliome, travaux formalisés depuis 1960;

Attendu que le premier cas de mésothéliome en France fut décrit lors de la séance de l'académie de Médecine du 9 février 1965 par le Professeur [L];

Qu'en 1973, le Bureau International du Travail (BIT) soulignait, au sujet du risque du cancer broncho-pulmonaire, qu'il n'existait aucun seuil d'exposition minimal de protection;

Attendu qu'il ne suffit pas qu'une entreprise ne soit pas productrice d'amiante ou fabricante de produits à base d'amiante pour considérer qu'elle ne pouvait avoir conscience du danger auquel elle exposait ses salariés;

Attendu que la spécialisation industrielle de la société ARCELORMITTAL la conduisait à utiliser l'amiante de manière importante comme produit de protection ou de conservation de la chaleur sur les canalisations, fours, chaudières et matériel électrique soumis à des températures élevées;

Attendu qu'il apparaît que la problématique de la présence d'amiante était connue de la société puisqu'en 1992, une mission ' risque amiante' avait été diligentée sur le site de [Localité 8] exploité par la même société et avait révélé la présence de ce produit dans les cablâges des circuits d'alimentation électrique et les protections thermiques; que le 23 avril 1997, le secrétaire du CHSCT du site de [Localité 9] avait attiré l'attention du Président du Comité de Coordination des CHSCT sur le problème des contacteurs électriques et de leurs chambres de soufflage;

Attendu que compte tenu de l'importance internationale de l'entreprise, de ses équipements en matière de sécurité et prévention des maladies et de son secteur d'activité , elle a dû avoir nécessairement conscience du danger en particulier au niveau des zones de la fonderie et de la centrale thermique du fait de l'utilisation de protections et isolations à base d'amiante;

Attendu qu'il n'est pas démontré de manière suffisante que les moyens utilisés au titre de la protection des salariés se soient avérés pertinents dans leur efficacité, obligation qui demeure à la charge de l'entreprise;

Attendu qu'en conséquence, la Cour, reprenant les motifs du premier juge, confirme la décision ayant reconnu l'existence d'une faute inexcusable;

Sur l'opposabilité de la procédure de prise en charge

Attendu que la société appelante conteste avoir disposé d'un délai suffisant pour pouvoir présenter ses observations;

Attendu qu'il résulte des pièces du dossier que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des [Localité 6] a adressé le courrier informant ARCELORMITTAL de la possibilité de prendre connaissance des pièces par lettre recommandée avec accusé de réception le lundi 19 octobre 2009, précisant que la décision interviendrait le 2 novembre 2009 soit 2 semaines plus tard;

Attendu que ce courrier a été remis au destinataire le 21 octobre 2009 selon la copie de l'avis de réception versé aux débats par la caisse; que la décision est intervenue le lundi 2 novembre, de sorte que la société, qui avait participé à l'enquête, a disposé d'un délai de 7 jours ouvrables, suffisant pour venir consulter le dossier et présenter ses observations sur les éléments susceptibles de lui faire grief;

Attendu que le jugement sera confirmé de ce chef;

Sur l'indemnisation

Attendu que l'expert désigné par le tribunal a déposé son rapport; que [E] [B] demande à la Cour de fixer le montant de son indemnisation; qu'aucune des parties ne s'oppose à cette demande et que toutes ont conclu sur ce point; qu'il est de bonne justice de donner au litige une solution définitive;

Attendu que c'est à juste titre que le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale a alloué l'indemnité forfaitaire de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale;

Attendu que le rapport d'expertise ordonné par le jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale en date du 19 juillet 2011 et rendu le 13 septembre 2011 par le professeur [U] fait ressortir des souffrances physiques et morales assez importantes (5/7), un préjudice esthétique modéré ( 3/7) , un préjudice d'agrément important avec la perte d'activités sportives soutenues et la perte de nombreux loisirs réguliers ainsi qu'un préjudice lié à la perte d'une promotion professionnelle;

Attendu que l'indemnisation des préjudices extra patrimoniaux doit être évaluée en fonction des préjudices effectivement subis par chaque victime, appréciés à partir d'éléments objectifs relatifs à son état de santé, à son âge, à sa situation personnelle, familiale et sociale; qu'à la souffrance physique et au préjudice d'agrément, résultant de la privation des activités de loisir et des agréments normaux de l'existence, s'ajoute la souffrance morale spécifique aux victimes de l'amiante qui varie en fonction du degré de gravité de la pathologie et de l'âge de l'intéressé;

Attendu que les documents médicaux ainsi que les attestations produits aux débats témoignent de l'importance des souffrances physiques endurées par [E] [B] à compter de l'année 2009, liées aux effets du cancer broncho pulmonaire qui a nécessité plusieurs interventions chirurgicales, de multiples chimiothérapies, une exploration pulmonaire, une fibroscopie puis en septembre 2010 a récidivé; que ces traitements et examens médicaux indispensables ont été source de souffrances; que sont décrites, des difficultés d'alimentation, des nausées et vomissements, des douleurs thoraciques et abdominales, une intense fatigue;

Attendu que la souffrance morale résulte de la connaissance par le malade du caractère grave et douloureux de sa pathologie révélée alors qu'il avait 57 ans, de sa dépendance totale à l'égard de ses proches.

Attendu que son état l'a privé de tous les agréments normaux de l'existence, et notamment de la possibilité de toute activité de loisir, alors qu'il était très actif avant sa maladie et pratiquait de nombreuses activités sportives et de loisir ( marche, randonnée, football, ski de fond, plongée); qu'il peut même très difficilement se déplacer à pieds et sur des distances très limitées;

Attendu enfin que [E] [B] a subi une perte de poids considérable (21 Kg), que les interventions chirurgicales ont laissé des cicatrices importantes qui incontestablement lui ont causé un préjudice esthétique;

Que compte tenu de ces éléments, ses préjudices extra-patrimoniaux sont évalués de la manière suivante :

-souffrances physiques et morales : 70. 000 €,

-préjudice d'agrément : 30.000 €.

-préjudice esthétique : 7. 000 €

soit au total 107.000 euros;

Attendu qu'en ce qui concerne la perte de chance de promotion professionnelle, même si la prise en compte de ce type de préjudice peut être constituée par la preuve d'un cursus évolutif déjà amorcé, il demeure cependant que doivent être démontrés la réalité et le sérieux de la chance perdue, s'analysant nécessairement dans sa préexistence à la survenance de la maladie;

Attendu qu'il doit être rappelé que cette perte est différente du seul déclassement professionnel de la victime, lequel est déjà réparé par l'attribution de la rente allouée au titre de la maladie professionnelle, cette rente étant majorée en cas de faute inexcusable de l'employeur;

Attendu qu'il doit être également noté que le fait que le chef de mission renseigné par l'expert et relatif à la perte de chance de promotion professionnelle, fasse apparaître éventuellement une réponse positive - comme en l'espèce- n'est pas de nature à comporter une quelconque incidence; qu'en effet, l'appréciation de la perte d'une chance de promotion relève d'éléments distincts du seul aspect médical et constitue une notion juridique;

Attendu que s'il peut être admis que [E] [B] ait suivi une évolution normale de carrière au sein de la société ARCELORMITTAL , aucun élément n'est cependant produit permettant de démontrer qu'antérieurement à l'apparition de sa pathologie, il devait bénéficier d'une promotion professionnelle;

Attendu que la demande à ce titre sera rejetée;

Attendu que la société appelante sera condamnée au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile;

Attendu que la procédure devant les juridictions de la sécurité sociale est gratuite et sans frais conformément aux dispositions de l'article R 144-6 du Code de la Sécurité Sociale et qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière de sécurité sociale,

Confirme le jugement entrepris;

Evoquant l'indemnisation des préjudices de [E] [B],

Fixe ainsi qu'il suit cette indemnisation:

souffrances physiques et morales : 70. 000 €,

-préjudice d'agrément : 30.000 €.

-préjudice esthétique : 7. 000 €

soit au total 107.000 euros;

Dit que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des [Localité 6] fera l'avance des sommes allouées,

Dit que la SAS ARCELORMITTAL MÉDITERRANÉE remboursera à la caisse les sommes dont elle aura fait l'avance,

Condamne la SAS ARCELORMITTAL MÉDITERRANÉE à payer à [E] [B] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 14e chambre
Numéro d'arrêt : 11/14744
Date de la décision : 11/09/2012

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 14, arrêt n°11/14744 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-09-11;11.14744 ?
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