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11/04/2013 | FRANCE | N°12/24255

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9e chambre a, 11 avril 2013, 12/24255


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre A



ARRÊT AU FOND

DU 11 AVRIL 2013



N°2013/ 402















Rôle N° 12/24255







[E] [B]





C/



SELAFA MJA



CGEA AGS ILE DE FRANCE OUEST























Grosse délivrée le :



à :



Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE





Me Arnaud CLERC, avocat

au barreau de PARIS



Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le 











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 17 Décembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/44...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 11 AVRIL 2013

N°2013/ 402

Rôle N° 12/24255

[E] [B]

C/

SELAFA MJA

CGEA AGS ILE DE FRANCE OUEST

Grosse délivrée le :

à :

Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS

Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le 

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 17 Décembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/4498.

APPELANT

Monsieur [E] [B], demeurant [Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Jean Paul TEISSONNIERE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

SELAFA MJA, prise en la personne de maître [H], mandataire judiciaire de la société LA NORMED, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Coralie FRANC, avocat au barreau de PARIS

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

CGEA AGS ILE DE FRANCE OUEST, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Coralie FRANC, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre

Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller

Madame Laure ROCHE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2013

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2013

Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Fabienne MICHEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Monsieur [E] [B] a travaillé pour le compte de la société CHANTIERS DU NORD ET DE LA MÉDITERRANÉE ( LA NORMED) du 7 décembre 1981 au 31 octobre 1986 sur le chantier naval de [Localité 2], en qualité de 'dessinateur'.

LA NORMED ayant été mise en redressement judiciaire, le 30 juin 1986, puis en liquidation judiciaire, le 27 février 1989, Maître [H] a été désigné mandataire liquidateur.

LA NORMED a été inscrite par arrêté du 7 juillet 2000 sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), dispositif auquel le salarié a été inscrit.

Invoquant une exposition à l'amiante dans l'exécution de son travail et, par ce fait, avoir subi un un préjudice d'anxiété et une perte dans son espérance de vie, le salarié a saisi, le 19 septembre 2011, le conseil de prud'hommes de MARSEILLE aux fins d'obtenir des dommages-intérêts.

Par jugement du 17 décembre 2012, le conseil de prud'hommes de MARSEILLE l' a reçu en ses demandes mais l'en a débouté au fond.

C'est le jugement dont appel a été régulièrement interjeté par le salarié.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur [E] [B] demande à la cour de:

-infirmer la décision attaquée;

- constater qu'il a été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la société NORMED et qu 'il doit être indemnisé de ses préjudices;

-en conséquence, fixer sa créance de dommages-intérêts au passif de la liquidation judiciaire de la société NORMED aux sommes de:

*15000€ pour le préjudice d'anxiété;

*15000€ pour le préjudice lié au bouleversement dans ses conditions d'existence;

-dire que l'arrêt sera opposable à l'AGS- CGEA qui devra garantir et avancer les sommes susvisées.

Répliquant à l'exception d'incompétence, l'appelant fait valoir, pour l'essentiel, que la cour est compétente puisque ses prétentions ne portent que sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et non sur la reconnaissance d'une pathologie professionnelle ou de la faute inexcusable de l'employeur.

Sur le fond, il soutient qu'il avait été salarié de la NORMED, que pour la période considérée, ses fonctions l'avaient exposé à l'amiante, que d'ailleurs elles figurent sur l'arrêté du 7 juillet 2000, que l'employeur avait commis une faute en ne prenant pas les mesures suffisantes de protection prévues par le décret 17 août 1977, ce qui l'avait amené à inhaler des poussières d'amiante toxiques et susceptibles d'entraîner des maladies graves, incurables même après plusieurs années.

Il considère que cette faute avait eu pour conséquence, d'une part, de le plonger dans un état permanent d'anxiété face à la possibilité de voir la maladie se déclarer un jour, même si ce n'est pas le cas actuellement, peu important qu'il se soit ou non soumis à des examens médicaux de contrôle et, d'autre part, de perturber ses conditions d'existence en ce qu'il ne vivra pas la période de sa retraite sur le plan moral et affectif, comme il l'aurait espéré.

.../...

Me [H], es qualités de liquidateur judiciaire de LA NORMED et l'AGS CGEA IDF OUEST demandent à la cour de:

-in limine litis, se déclarer incompétente au profit du TASS des Bouches du Rhône et du FIVA pour toute demande ayant trait au montant de L'ACAATA, à l'indemnisation de préjudice découlant d'une contamination ou de préjudice physique ou de préjudice d'anxiété. Ils soutiennent, en effet, que de telles demandes relèvent de la compétence du TASS et du FIVA en application des articles 41-VI de la loi du 23 décembre 1998, 53, 53-I-2° et 53-II de la loi du 232 décembre 2000 dès lors que sont invoqués une contamination à l'amiante et ou un préjudice physique.

-dire les demandes irrecevables et les mettre hors de cause l'appelant n'ayant jamais été le salarié de LA NORMED.ou n'étant plus le salarié de LA NORMED au jour de la liquidation judiciaire.

-débouter le demandeur de ses prétentions faute par lui d'avoir rapporté la preuve soit d'avoir été exposé à l'amiante, soit de la réalité de ses préjudices spécifiques d'anxiété, découlant notamment d'un suivi médical, et de bouleversement dans les conditions d'existence.

-à titre subsidiaire, dire que la faute de l'employeur n'est pas établie dès lors que les préjudices allégués ne découlent pas de l'arrêté ACAATA ou de l'adhésion à ce dispositif, que ces préjudices ne sont pas liés à une obligation de sécurité de résultat, que l'article L 4121- 1 du code du travail n'était pas applicable à la date des faits, que la démonstration n' a pas été faite que le demandeur aurait subi individuellement une violation d'une règle de sécurité applicable à l'époque en relation directe avec les préjudices allégués.

-en tout état de cause, dire que la créance qui pourrait éventuellement être fixée ne serait pas opposable à l'AGS dès lors qu'il ne s'agirait pas d'une créance salariale et qu'elle ne serait pas née avant l'ouverture de la procédure collective .

En tout état de cause, il est sollicité la réduction des dommages-intérêts à une plus juste proportion

* * *

Pour le surplus, la cour entend ici renvoyer pour plus amples développements des faits, de la procédure des moyens et arguments des parties aux conclusions déposées avant l'audience et expressément reprises par les parties au cours de celle-ci.

SUR QUOI

En la forme

Interjeté dans les formes et délais légaux, l'appel est régulier.

Au fond

sur l'exception d'incompétence

L'article L. 1411-1 du code du travail, dispose que le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti. La juridiction prud'homale est compétente dès lors que le litige est né du contrat de travail.

En l'espèce, il est constant qu'un contrat de travail a lié les parties. Au soutien de ses prétentions, le demandeur n'invoque comme fondement ni l'une des pathologies visées à l'article 1er de l'arrêté du 5 mai 2002, dont le constat vaut justification de l'exposition à l'amiante dans le cadre du FIVA, ni la notion de faute inexcusable de l'employeur.

Il fonde seulement ses prétentions sur les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et donc sur l'exécution entre les parties du contrat de travail qui relève, comme rappelé plus haut, de la compétence de la juridiction prud'homale de sorte que les demandes indemnitaires présentées ne relèvent pas de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociales ni du FIVA. L'exception d'incompétence d'attribution doit être rejetée.

Sur l'irrecevabilié

Il est invoqué par les intimés la circonstance que pour certains salariés,dont Monsieur [E] [B], aucune relation de travail n'avait existé entre les parties de sorte que LA NORMED n'avait jamais été leur employeur , que les demandes dirigées contre LA NORMED seraient dès lors irrecevables et, en tout état de cause, que leur véritable employeur n'ayant pas été attrait dans la procédure, les demandes concernant la garantie de l'AGS-CGEA seraient irrecevables.

Le certificat de travail produit aux débats vise la période d'emploi du 7 décembre 1981 au 31 octobre 1986. Si ce certificat de travail indique dans son entête les 'Chantiers Navals de la Ciotat' et est ainsi rédigé 'Nous soussigné, Directeur des Chantiers Navals de la Ciotat, certifions que' ces mentions ne suffisent pas pour autant à établir, comme le soutiennent les intimés, que la société des Chantiers Navals de la Ciotat (CNC) aurait été l'employeur du salarié pour la période d'emploi susvisée. En effet, ce document porte le timbre de LA NORMED. Les mentions 'Chantiers Navals de la Ciotat' y figurant, renvoient en réalité au site des chantiers navals se trouvant à [Localité 2] mais ne désignent pas comme ayant été l'employeur l'ancienne personne morale du même nom.En outre, la société des Chantiers Navals de La Ciotat avait cèdé fin 1982 son activité de construction et de réparation navale sur laquelle le salarié était affecté. Ce dernier n'avait donc pas pu travailler pour le compte de la société des Chantiers Navals de La Ciotat sur le chantier naval de La Ciotat après 1982 mais pour celui de LA NORMED. Il résulte de ces constatations que le demandeur avait bien été le salarié de LA NORMED sur une période de temps antérieure à la liquidation judiciaire et non couverte par la prescription ce qui rend ses demandes contre elle et l'AGS-CGEA recevables.

Sur la responsabilité

Il est constant que le principe de la responsabilité civile implique la démonstration de l'établissement d'une faute d'autrui, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre-eux qui justifie le droit à réparation de l'intégralité des dommages subis.

La société Les Chantiers du Nord et de la Méditerranée, LA NORMED, a été créée le 24 décembre 1982 à la suite du regroupement à travers la Société de Participation et de Constructions Navales (SPCN) des branches navales de trois autres sociétés, la Société Industrielle et Financières des Chantiers de France Dunkerque, la Société des Chantiers Navals de La Ciotat (CNC) et la Société des Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM).

Comme précédemment indiqué, LA NORMED a été mise en redressement judiciaire, le 30 juin 1986 et en liquidation judiciaire, le 27 février 1989.

Il est constant que dans le cadre de son activité de construction navale, de réparation et de maintenance, LA NORMED avait utilisé des matériaux contenant de l'amiante et que dans le cadre de leur travail des salariés de LA NORMED avaient pu être exposés aux poussières d'amiante. Par arrêté du 7 juillet 2000, LA NORMED a d'ailleurs été inscrite sur la liste des établissements de construction et de réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA au profit des salariés concernés sur la période comprise entre 1946 et 1989, dans le cadre du dispositif prévu par la loi du 23 décembre 1998.

Il est admis par la communauté scientifique que les poussières d'amiante avaient été identifiées comme vecteur potentiel de maladies professionnelles, dès 1945 et 1950, par l'inscription de pathologies liées à l'amiante au tableau des maladies professionnelles, que de nombreux documents, études et rapports publiés depuis le début du XX° siècle avaient apporté la preuve d'une connaissance bien antérieure à 1976 des dangers de l'amiante et qu'une pathologie liée à l'inhalation de poussières pouvait se révéler de nombreuses années plus tard.

Si l'obligation de sécurité mise à la charge de l'employeur a été codifiée par l'article L. 230-2 ancien du code du travail, devenu L. 4121-1, dont la rédaction est issue de la loi du 31 décembre 1991, il n'en demeure pas moins que sur le fondement de la responsabilité contractuelle résultant de l'article 1147 du code civil, ainsi qu'au visa des dispositions règlementaires prises antérieurement en matière de sécurité telles qu'évoquées par le demandeur (loi du 12 juin 1893, décret d'application du 11 mars 1894, décret du 13 décembre 1948 visant de manière générale la protection contre les poussières et le décret du 17 août 1977 visant de manière spécifique la protection contre les poussières d'amiante), la carence d'un employeur dans la mise en oeuvre des mesures de prévention des risques auxquels un salarié est exposé pendant l'exercice de son emploi, en l'espèce le fait de ne pas avoir pris les précautions suffisantes pour éviter une exposition potentiellement nocive aux poussières d'amiante, est constitutive d'un manquement à ses obligations contractuelles de nature à engager sa responsabilité et à justifier la réparation intégrale des préjudices subis.

En l'espèce, la réalité de ces expositions est attestée par les témoignages concordants et produits régulièrement aux débats, fussent -ils désormais contestés par les intimés, dequels il résulte que l'amiante avait été utilisée sur tout le chantier de [Localité 2] sans que les salariés exposés avaient pu bénéficier de protections suffisantes ce qui les avait conduit à inhaler les poussières d'amiante et que beaucoup d'entre eux avaient été affectés par des pathologies liées à l'amiante dont certains étaient aujourd'hui décédés.

Contrairement à ce qu'affirment les intimés,il n'est aucunement justifié par les pièces versées aux débats que LA NORMED avait pris de façon effective, sur le chantier de [Localité 2] où était affecté le salarié pendant la période considérée, les mesures nécessaires, notamment les mesures particulières visées par le décret du 17 août 1977, pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié contre les poussières d'amiante alors que la nature de l'emploi exercé par cet ancien salarié, qui figure d'ailleurs sur la liste des métiers fixée par l'arrêté du 7 juillet 2000, l'avait mis en contact direct avec des matériaux contenant de l'amiante et donc l'avait exposé à de telles inhalations nocives, comme cela est corroboré par les attestations régulières produites ([G] .) Au demeurant, LA NORMED, qui affirme l'absence de rapport avec l'amiante du seul fait de la nature du poste occupé par le demandeur, ne verse pour autant aucun document technique, qu'elle est la seule à pouvoir détenir, venant étayer cette affirmation

Il sera, en outre, relevé que le compte rendu de la réunion du comité d'entreprise de la société CNC du 11 avril 1978 faisait déjà état des interrogations des salariés sur les conséquences des poussières d'amiante sur le site de [Localité 2] sans que la réponse apportée à l'époque par l'employeur ('Il y a tout de même des nécessités techniques qui nous amènent à utiliser certains produits, par exemple l'amiante, qui ne peuvent être remplacés par d'autres moins nocifs') ait pris la mesure de la gravité du problème pour l'avenir..

Le rapport du CHS rédigé le 29 mars 1978, pour l'année 1977 aux termes duquel, selon les intimés, toutes les mesures de protection contre l'inhalation des poussières d'amiante avaient été techniquement prises dès cette époque et la lettre de la Caisse Régionale d'Assurance Maladie du Sud-Est du 17 janvier 1985, également invoquée par les intimés, aux termes de laquelle l'amiante n'avait plus été utilisée à cette date ne concernent pas l'établissement de [Localité 2], où était employé le demandeur, mais uniquement l'établissement de [Localité 3]. Il est également invoqué la circonstance que la plainte pénale visant les conditions de travail sur le chantier naval de [Localité 1] avait l'objet d'une décision définitive de non-lieu. Toutefois, cette issue pénale est sans influence sur la présente instance.

Il s'ensuit que les manquements fautifs imputés à l'employeur sont établis quand bien même le demandeur ne serait atteint à ce jour d'aucune pathologie résultant de l'exposition à des poussières d'amiante, de telle sorte qu'il importe d'analyser les prétentions sur les préjudices allégués.

Sur les préjudices allégués

Il convient de constater que l'appelant ne reprend pas devant la cour sa demande d'indemnisation concernant le préjudice économique.

* en ce qui concerne le préjudice d'anxiété

Le CGEA comme le liquidateur soutiennent qu'aucun élément probant n'est produit pour établir la réalité du préjudice d'anxiété et son lien avec un manquement fautif de l'employeur.

L'ancien salarié réitère sa prétention en invoquant le fait qu'il a été exposé à l'inhalation aux poussières d'amiante générant un état d'anxiété légitime liée à la crainte permanente d'être atteint d'une pathologie due à cette situation du fait du caractère cancérigéne de ce produit scientifiquement établi. Il conteste l'argument de la partie adverse sur la nécessité de justifier d'un suivi médical pour prétendre à l'établissement d'un préjudice d'anxiété.

Or, alors que la réalité de l'exposition de cet ancien salarié aux poussières d'amiante au cours de l'exercice de son emploi pendant plusieurs années sur l'un des sites de la société NORMED, formellement visée au titre des entreprises concernées par les pathologies en rapport avec l'amiante, et pour lesquelles le dispositif spécifique de l' ACAATA a été mis en place dans le cadre de la loi du 23 décembre 1998, est établie puisqu'il exerçait l'un des métiers visés par l'arrêté du 7 juillet 2000, et que cette situation a mis en évidence les manquements fautifs de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail, il est parfaitement compréhensible que dans ces circonstances, quand bien même aucune maladie n'a été constatée à ce jour en lien avec son exposition à l'amiante, cet ancien salarié soit confronté à une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, indépendamment des contrôles et examens médicaux réguliers et nécessaires ayant en fait pour effet que d'aggraver l'angoisse initiale.

En l'état des éléments produits aux débats, le préjudice d'anxiété doit être réparé à hauteur de la somme de 8.000,00€.

* en ce qui concerne le préjudice lié au bouleversement dans les conditions d'existence

L' appelant présente une demande nouvelle au titrede son préjudice lié au bouleversement dans ses conditions d'existence. Selon lui, il s'agirait d' un préjudice spécifique résultant de son exposition à l'amiante, qui ne saurait être confondu ni avec le préjudice économique ni avec le préjudice d'anxiété et qui serait caractérisé par son impossibilité d'anticiper sereinement son avenir compte tenu du changement dans ses conditions de vie dû à sa contamination à l'amiante. Il fait notamment valoir la reconnaissance par d'autres juridictions de ce préjudice dont il demande réparation.

Tant le liquidateur que le CGEA s'opposent à cette prétention qui serait insuffisamment démontrée, ce dernier faisant valoir que le bouleversement décrit par l'ancien salarié serait soit hypothétique et non indemnisable, soit constituerait un cumul d'indemnisation avec le préjudice d'anxiété.

Sans méconnaître le principe constant de la réparation intégrale des préjudices subis du fait du comportement fautif d'autrui, la seule affirmation par cet ancien salarié selon laquelle il aurait subi un dommage spécifique, selon lui distinct de celui réparé au titre du préjudice d'anxiété, sans même établir précisément ni même suffisamment en quoi ses conditions d'existence avaient été perturbées depuis la prise de connaissance des risques de son exposition à l'amiante dans le cadre de l'emploi qu'il avait exercé au sein de la NORMED, ne peut justifier une indemnité complémentaire dans la mesure où, au vu de ses explications, il ressort qu'il ne fait qu'invoquer, à travers cette nouvelle prétention, une argumentation résultant des conséquences de l'anxiété qu'il a légitimement ressentie du fait des manquements mis à la charge de l'employeur et dont il sera indemnisé par la somme fixée en sa faveur par la cour au titre du préjudice d'anxiété. En outre, à supposer qu'il y ait eu bouleversement dans les conditions d'existence, il ne démontre pas qu'il en est résulté pour lui un dommage nécessitant une réparation en lien direct avec les manquements susvisés de son ancien employeur, les divers aléas de la vie de tout individu pouvant à eux seuls générer ce genre de bouleversements sans pour autant justifier dédommagement sur le fondement de la responsabilité civile.

Cette demande doit dès lors être rejetée.

Sur l'opposabilité de la créance du salarié à L'UNEDIC DÉLÉGATION AGS-CGEA

Pour s'opposer à la garantie du paiement des sommes allouées à l'ancien salarié, le CGEA soutient, sur le fondement de l'article L. 3253-8 du code du travail, que l'indemnité réparant le préjudice d'anxiété ne peut être de nature contractuelle, qu'elle n'est pas en lien avec l'exécution du contrat de travail mais qu'elle ne peut que résulter de l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur.

A titre subsidiaire, cet organisme fait valoir, en l'état de l'ouverture de la procédure collective de la NORMED le 30 juin 1986, suivie de sa liquidation judiciaire le 27 février 1989, que la naissance de la créance relative au préjudice d'anxiété, qui est celle de la réalisation du dommage, exclusion faite de la période d'exposition à l'amiante qui n'équivaut qu'à un risque, ne peut qu'être postérieure à ces deux dates, le ressentiment d'anxiété et donc la conscience du risque étant lié à l'incertitude de l'avenir sur une mauvaise nouvelle découlant des visites médicales, de telle sorte que la garantie doit être écartée. Il soutient, en l'absence de précisions de l'ancien salarié qui ne justifie pas avoir pris conscience du risque auparavant, que la date de prise en compte de ce préjudice doit correspondre à celle de la saisine du Conseil Prud'hommes.

Toutefois, dans la mesure où le préjudice d'anxiété subi par le salarié découle, non pas de l'obligation de sécurité édictée par l'article L. 4121-1 du code du travail, mais du manquement contractuel fautif de l'employeur ci-dessus caractérisé, lequel résulte de l'exposition à l'amiante au cours de l'exécution du contrat de travail, soit antérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société NORMED, compte tenu de la durée du contrat de travail de cet ancien salarié au sein de cette société, au visa des règles de garantie susvisées, aucun obstacle ne s'oppose à l'opposabilité au CGEA de la créance fixée au titre du préjudice d'anxiété, créance au demeurant salariale et non commerciale comme soutenu à tort par ailleurs par l'UNEDIC, l'article 11 du traité d'apport partiel d'actif prévoyant en effet que la SPCN reprend sans recours contre la société apporteuse les obligations contractées par cette dernière en application des contrats de travail dans les conditions prévues aux articles L. 122-12 et L. 132-7 du code du travail concernant le personnel employé dans l'activité apportée.

Cette garantie doit prendre effet dans les limites légales prévues par les dispositions applicables à la date de rupture du contrat de travail.

En cas de défaut de disponibilité des fonds entre les mains du liquidateur de la NORMED, celui-ci devra transmettre un état de créance à l'UNEDIC DÉLÉGATION AGS-CGEA d' ILE DE FRANCE OUEST et de [Localité 4] dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe, et en matière prud'homale,

-Déclare l'appel recevable en la forme,

-Rejette l'exception d'incompétence et les fins de non recevoir de l'UNEDIC DÉLÉGATION AGS-CGEA d' ILE DE FRANCE OUEST et de MARSEILLE,

-Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Marseille du 17 décembre 2012 ,

-Statuant à nouveau,

-Fixe la créance de M.[E] [B] au passif de la S.A. NORMED représentée par la SELAFA MJA en la personne de M° [H], ès qualités de liquidateur, à la somme de HUIT MILLE EUROS (8.000,00 euros) au titre du préjudice d'anxiété,

-Dit que l'UNEDIC DÉLÉGATION AGS-CGEA d' ILE DE FRANCE OUEST et de MARSEILLE ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-8 du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19 à L. 3253-21 du même code, et sous les limites du plafond de garantie applicable, en vertu des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créances par le liquidateur dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L. 3253-20 de ce code,

-Déboute M.[E] [B] de sa demande indemnitaire au titre du préjudice lié au bouleversement dans les conditions d'existence,

-Dit que les dépens seront pris en frais privilégiés par le liquidateur.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 9e chambre a
Numéro d'arrêt : 12/24255
Date de la décision : 11/04/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-04-11;12.24255 ?
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