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07/05/2013 | FRANCE | N°12/06366

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17e chambre, 07 mai 2013, 12/06366


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 07 MAI 2013



N°2013/

YR/FP-D













Rôle N° 12/06366







[O] [J] [F]





C/



SCP DES DOCTEURS VETERINAIRES [X]-[A]









































Grosse délivrée le :

à :

Me Didier LODS, avocat au barreau de GRASSE

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Me Philippe LASSAU, avocat au barreau de GRASSE





Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 22 Mars 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/43.





APPELANTE



Madame [O] [J] [F], demeurant [Adres...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 07 MAI 2013

N°2013/

YR/FP-D

Rôle N° 12/06366

[O] [J] [F]

C/

SCP DES DOCTEURS VETERINAIRES [X]-[A]

Grosse délivrée le :

à :

Me Didier LODS, avocat au barreau de GRASSE

Me Philippe LASSAU, avocat au barreau de GRASSE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 22 Mars 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/43.

APPELANTE

Madame [O] [J] [F], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Didier LODS, avocat au barreau de GRASSE

INTIMEE

SCP DES DOCTEURS VETERINAIRES [X]-[A], prise en la personne de son repésentant légal en exercice, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Philippe LASSAU, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 25 Mars 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Yves ROUSSEL, Président, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Yves ROUSSEL, Président

Madame Martine VERHAEGHE, Conseiller

Madame Corinne HERMEREL, Conseiller

Greffier lors des débats : Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Mai 2013

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Mai 2013

Signé par Monsieur Yves ROUSSEL, Président et Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le 25 février 2004, Mme [F] a été embauchée en qualité d'auxiliaire vétérinaire par la SCP des Docteurs vétérinaires BAILLE-PITON.

Elle a été licenciée pour faute grave, par lettre du 16décembre 2010, dans les termes suivants : « Vous tenez des propos calomnieux contre le Docteur [A], chargée plus particulièrement du recrutement du personnel et de l'organisation des plannings. Vous déstabilisez ainsi l'équipe, ce qui est perceptible par la clientèle. Problèmes de communication ; Quotidiennement, vous ne transmettez pas les informations provenant des appels des clients, même si un rappel urgent est sollicité. Vous ne transmettez pas les messages téléphoniques aux autres ASV. Les erreurs dans les rendez-vous se multiplient : ainsi vous donnez rendez-vous à un client un jour où il est noté sur le planning que le Docteur [A] est absente. Ceci entraîne des dysfonctionnements et donne une mauvaise image de l'entreprise au client. Insubordinations répétées : Vous décidez si vous travaillez en chirurgie ou à l'accueil... ou échangez avec d'autres membres du personnel vos tâches, sans l'accord de votre employeur. Vous faites ce que vous voulez à la chirurgie, de préférence... le contraire de ce qui vous est demandé. Vous ne vous levez jamais pour venir aider le Docteur [A] à tenir un chien en consultation, plusieurs appels répétés et nominatifs. Vous n'exécutez pas ce qui est demandé au titre des soins d'une plaie en chirurgie...Vous répondez avec agressivité alors qu'il vous est demandé d'installer l'animal d'une certaine manière pour l'opérer et faites le contraire, de la même façon pour une tonte. Vous ne signalez pas les difficultés respiratoires d'un animal lors d'une anesthésie provoquant la mort de celui-ci par arrêt respiratoire. Vous voulez vous entretenir de problèmes personnels, juste au moment de l'intubation d'un chien en chirurgie, ce qui met immédiatement en danger l'animal. Vous n'acceptez pas les décisions de votre employeur -le Docteur [A]- et vous ne respectez aucune directive de sa part, liée au bon fonctionnement de l'entreprise. Vous vous manifestez par des gestes de mécontentement ou des mots de colère en refusant tout dialogue. Le résultat est la mise en danger de la santé des animaux qui, là encore, nuit gravement au résultat et à l'image de la Clinique. Gestes de colère et de mauvaise humeur à l'égard du Docteur [A] ; Ces gestes sont répétitifs. Vous jetez violemment les instruments sur le plateau de chirurgie. Vous ne fournissez pas le matériel demandé au bon moment. Il est nécessaire alors d'avoir recours à une autre assistante. Vous n'hésitez pas, d'un ton moqueur et sans respect, à indiquer au Docteur [A] «parce que maintenant c'est vous qui allez recevoir les clients sans rendez-vous ' ». Vous jetez avec brutalité le carnet de santé de l'animal sur le bureau du Docteur [A] en consultation en criant «tenez, le voilà votre carnet ! ». Vous n'acceptez et n'admettez aucune remarque du Docteur [A], pourtant formulée calmement et distinctement, lorsque vous vous trompez sur des questions techniques. Vous outrepassez vos fonctions, sans autorisation. Vous répondez à la place de l'employeur, sans vous informer sur des conseils d'ordre médical spécialisé (choix d'un traitement pour les yeux par exemple) et qui dépasse vos compétences (vous répondez aussi bien au client qu'au pharmacien). Vous retirez des dents lors de nettoyages dentaires sans autorisation de la part du Docteur, gestes de la seule compétence du vétérinaire. Bonne marche de l'entreprise : Vous ne vous souciez pas de la bonne marche de l'entreprise. Chargée de l'entretien du matériel, vous décidez -sans informer l'employeur- de ne plus vous en occuper et vous le laissez se dégrader, ce qui est le cas d'une tondeuse laissée ans entretien). Vous ne transmettez pas les informations aux autres assistantes pour qu'elles puissent le faire. Vous quittez la clinique le plus tôt possible, même si des urgences arrivent, laissant régulièrement vos collègues dans l'embarras, créant des problèmes dans l'équipe. Vous faites régulièrement des remarques déplacées devant les clients dans la consultation du Docteur [A] ou à l'accueil. Ces insubordinations volontaires, provocatrices, permanentes et quotidiennes, nuisent gravement à la bonne marche d'une petite entreprise comme la nôtre et la déstabilisent. L'ambiance de l'équipe est dès lors tout à fait désastreuse, de votre seul fait. Cette ambiance est de plus perceptible de la part des clients. Enfin, il est clairement établi que vous recherchez un emploi depuis le mois d'avril -c'est ce que vous nous avez indiqué- et ce pour vous rapprocher du père de votre fille qui vit à [Adresse 3]. En réalité, vous cherchez volontairement des altercations pour provoquer une rupture. Pour l'ensemble de ces raisons, le licenciement vous est notifié pour fautes graves ».

Contestant ce licenciement, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Grasse, lequel statuant par jugement du 22 mars 2012 a dit que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, et condamné la SCP DES DOCTEURS VETERINAIRES [X] ' [A] à payer à Mme [O] [F] la somme de 2537,78 euros, à titre de rappel de salaire de mai à novembre 2010, la somme de 252,78 euros, au titre des congés payés afférents, la somme de 1727,13 euros au titre des salaires dus pour la période de mise à pied, la somme de 172,71 euros au titre de l'indemnité de congés payés, la somme de 397,77 euros au titre du salaire pour la période du 6 novembre au 21 novembre 2010, la somme de 3966 €, à titre d'indemnité de préavis, la somme de 396,60 euros, au titre des congés payés afférents, la somme de 2776,20 euros, à titre d'indemnité de licenciement, la somme de 500 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a ordonné la remise des documents sociaux rectifiés sous astreinte, rejeté les autres demandes et condamné l'employeur aux dépens.

Appelante, Mme [F] indique que M. [X], associé dans la société employeur et époux de Mme [A], lui a fait des avances qu'elle a refusées ; que, même en restant courtoise, sa situation était très inconfortable puisque de son côté, Madame [A] lui confiait ses difficultés conjugales  ; que lorsque Madame [A] a été exactement informée de la situation, elle s'est comportée en femme trahie et a exercé des représailles, lui interdisant par exemple de prendre ses congés en dehors des congés scolaires, alors qu'elle est mère d'une enfant de 11 ans ; que le statut de cadre et l'augmentation de salaire qui venaient de lui être accordés, sous le régime d'une période probatoire lui ont également été retirés ; que les tentatives de séduction et les relances pressantes de M. [X] sont démontrées par des e-mails (pièces 10 à 12 - 14 et 15) et par des lettres (pièce 13) ; qu'elle-même n'a jamais eu une attitude ambiguë laissant prévoir une évolution des rapports professionnels vers des rapports personnels ; qu'elle a dû être arrêtée pour syndrome anxio-dépressif entre le 6 novembre le 21 novembre 2010 ; que devant cette situation elle a proposé à son employeur, de rencontrer un coach, à la suite de quoi il lui a été proposé par e-mail du 22 novembre 2010 une rupture conventionnelle avec une indemnité de 12 mois de salaire, laquelle a été rapidement retirée pour faire place à une convocation à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire .

Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire que son licenciement est injustifié, de condamner la SCP des Docteurs vétérinaires BAILLE-PITON à lui payer les sommes de 2537,78 euros, à titre de rappel de salaire de mai 2010 à novembre 2010, de 252,78 euros, à titre d'indemnité de congés payés afférente, de 1723,13 euros , au titre du salaire du 26 novembre 2010 au 22 décembre 2010 (mise à pied), de 172,71 euros, au titre de l'indemnité de congés payées afférentes, de 397,77 euros, au titre du maintien du salaire du 6 au 21 novembre 2010, de 3966 €, au titre de l'indemnité de préavis, de 396,60 euros, au titre de l'indemnité de congés payées afférentes, de 2776,20 euros , au titre de l'indemnité de licenciement, de 47 592 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 20 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture vexatoire, de 18 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel, de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation de l'employeur aux dépens.

La SCP BAILLE-PITON conteste la présentation des faits par la salariée et fait valoir que la lettre de licenciement contient des griefs précis qui ne font pas l'objet d'une contestation sérieuse.

Elle fait valoir que la relation qu'a recherchée M. [X] avec Mme [F], n'a rien à voir avec un harcèlement ; qu'il s'est agi d'un « fait de la vie », qui peut arriver à tout instant ; que la perte, par Mme [F], de son statut provisoire de cadre est sans rapport avec un harcèlement ; que seule la prise en compte des capacités de Mme [F] a conduit au constat qu'elle ne pouvait conserver ce statut ; que du fait de son âge et de son expérience de la vie de couple, Mme [F] était suffisamment avisée pour ne pas garder le silence après les premiers messages de M. [U] ; qu'elle a préféré ne rien dire pour tirer un avantage maximum de la détérioration des rapports dans le couple de ses employeurs.

Elle demande à la cour d'infirmer le jugement, de la décharger de toute condamnation et de condamner la salariée à lui payer 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les dépens.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il est renvoyé au jugement entrepris, aux pièces et aux conclusions déposées et oralement reprises.

SUR CE, LA COUR,

1. À l'époque où les parties étaient liées par le contrat de travail, l'article L. 1153-1 du code du travail prohibait les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit.

Par ailleurs, l'article L 1152 ' 1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Au titre du harcèlement sexuel Mme [F] vise le comportement de Monsieur [X], affirmant qu'il a tenté de la séduire et produit différents courriels.

Au titre du harcèlement moral, elle affirme qu'elle a été victime de mesures de rétorsion, comme la décision pénalisante prise le 4 novembre 2010 en matière de congés, le retrait de sa qualité de cadre sans motif et la rupture du contrat organisée de manière à la rendre responsable d'une faute grave.

Elle produit différentes pièces, dont des échanges par lettre et des courriels, tous éléments qui font présumer d'un harcèlement.

Elle indique que ces faits de harcèlement ont répondu à son refus des avances de M. [X] , qu'ils ont altéré sa santé morale, puisqu'elle a été victime d'une dépression et qu'ils ont compromis son avenir professionnel, puisqu'il lui a été impossible d'expliquer la rupture de son contrat auprès d'un employeur éventuellement intéressé par ses services.

Elle indique aussi qu'elle est demeurée près de deux années sans emploi, alors qu'elle avait une expérience certaine dans le domaine vétérinaire.

Elle en appelle aux dispositions du code du travail mais aussi à la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne, à propos de la directive concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail et sur les définitions qu'elle donne des notions de « milieu de travail », de « sécurité » et de « santé » au sens de l'article 118A (du traité CE), ainsi qu'au préambule de la Constitution de l'Organisation mondiale de la santé, qui définit la santé comme un état complet de bien-être physique, mental et social.

L'employeur conteste tout fait de harcèlement sexuel.

Il indique que la première manifestation d'un intérêt de M. [X] pour Mme [F] a été un SMS envoyé fin 2009, qui faisait suite à une brève discussion à la clinique où Monsieur [X] avait laissé entrevoir à Mademoiselle [F] ses interrogations sur son avenir professionnel et conjugal ; que quelques dizaines de minutes plus tard Mme [F] lui a répondu par SMS : « Voulez-vous qu'on en parle ' » ; que Monsieur [X] lui a alors avoué qu'il pensait de plus en plus souvent à elle ; que Mme [F] lui a alors écrit : « Il faut vraiment qu'on parle » ; qu'ils se sont alors donné rendez-vous quelques jours plus tard, dans un café, en fin de matinée ; que Mme [F] entretenait aussi de bons rapports avec Mme [X], l'une et l'autre se faisant des confidences réciproques ; que ces relations ont brutalement cessé le 23 janvier 2010, date de la découverte des comptes e-mails « Mercantour et [Y] »; que cette découverte a été faite par Madame [X] en prenant connaissance des correspondances par e-mails de son mari et de Mademoiselle [F] ( pièce 15 adverse).

Mais, quoiqu'en dise Monsieur [X], il a pris l'initiative d'une correspondance avec Madame [F], suffisamment explicite quant à sa volonté d'avoir une liaison avec elle et il ne résulte d'aucune pièce qu'il a reçu le moindre encouragement de celle-ci.

Au contraire, Madame [F], qui était appréciée dans son milieu professionnel, apparaît avoir dû assumer dans une période de crise conjugale des époux [X]-[A], tout à la fois le rôle de salariée du couple, de confidente de Madame [E] [A] et de femme instamment sollicitée par Monsieur [X].

La société employeur dénature donc les éléments du débat pour brouiller l'image de Mme [F] en soutenant qu'à partir de début septembre 2010, celle-ci a « rapatrié les mails secrets » du compte Mercantour vers son compte mail ASV ; qu'elle a créé spécialement un compte e-mail pour correspondre secrètement avec Monsieur [X] et qu'elle a relevé régulièrement le courrier sur ce compte, ceci tout en continuant de recueillir les confidences de Madame [X].

Les seuls éléments tangibles témoignent, au contraire, de l'insistance de Monsieur [X] qui lui a écrit le 23 janvier 2010 : « je me doutais bien que votre sentiment à propos de « toi et moi » n'étais pas à l'unisson du mien. Mais je m'appliquais jour après jour à ne pas l'admettre (') Mais avec un minimum de lucidité, comment espérer faire embarquer qui que ce soit sur le bateau d'un indécis dépressif (') Dans ces conditions, effectivement « no futur» comment pourrais-je vous en vouloir '(...) »(pièce 14).

Le lendemain, 24 janvier, il lui a écrit : « [E] m'a sans doute vu hier soir lorsque je commençais d'écrire le message que je vous ai envoyé (') J'ai refermé la messagerie avant qu'elle n'arrive dans mon bureau. Elle s'est assise et m'a demandé ce qui se passait, elle était triste, inquiète voulait vraisemblablement parler mais comme d'habitude, je n'ai pu décocher un mot ('). Je suis rentré vers 23h30 je me suis couché. C'est quand elle m'a rejoint, qu'elle m'a dit qu'elle « avait vu mon message à Garance ». Je n'ai pas voulu en parler et lui ai simplement répondu que « ce n'était rien » et « qu'il n'y avait rien » (') ».

Une autre fois encore, il a écrit à Madame [F], qu'il souffrait de son absence et lui a dit : « j'ai été sincèrement épris de vous fin 2009. Toutefois la sincérité n'excuse pas tout et ma position d'employeur m'imposait certaines réserves que je n'ai hélas pas respecté en me déclarant. Il est vrai que vous m'avez dit dès le début que tout ceci était sans issue et qu'il fallait renoncer (') Je porte donc la responsabilité d'un énorme gâchis. [E] et vous souffrez quotidiennement, exposées à des contraintes contradictoires et anxiogènes » (e-mail du 17 novembre 2010 -pièce 11).

Incontestablement, les approches de Monsieur [X] envers Madame [F], dont s'est aperçue Madame [A] dès janvier 2010 , soumise à des contraintes « anxiogènes », selon les propres mots de son mari, ont provoqué la dégradation des rapports entre l'employeur et la salariée.

Au vu de ces éléments, l'employeur ne fait pas la preuve que les faits en cause sont étrangers à tout harcèlement sexuel.

2. En matière de planification des congés, Madame [F] a questionné son employeur par un e-mail du 8 novembre 2010, dans ces termes : « congés payés » (pièce numéro 7 ) : « je constate que cette année vous ne m'avez pas demandé, comme aux autres asv, mes choix, pourquoi ' Choix : 28/2 au 6/3 et 3/1 au 9/1 ».

La société employeur se défend de tout harcèlement et fait valoir que, pour respecter les contraintes de chacun, il a été décidé d'une organisation équitable ; que sur les quatre ASV, avec 7 ans d'ancienneté Mme [F], n'était pas prioritaire (pièces 17A et 18A) ; que cependant, grâce à ses liens d'amitié avec Madame [X], elle a bénéficié d'avantages dont étaient privés ses collègues ; qu'en été 2010 elle a obtenu la deuxième quinzaine d'août, période la plus prisée ; qu'elle a également obtenu la première semaine des vacances scolaires (25 octobre au 2 novembre 2010) ; que l'abandon progressif des dérogations dont a bénéficié Mme [F], pour établir une égalité entre tous et retrouver un climat d'apaisement au sein du groupe d'ASV n'a pas été du goût de Mme [F] qui a exercé de véritables représailles.

Mais, l'employeur, qui a fait connaître à la salariée par un courriel du 4 novembre 2010, que ses choix en matière de congé étaient restreints à certaines semaines seulement et qui a négligé de la consulter sur ses désidérata, contrairement aux autres salariés, ne fait pas la preuve que sa décision a été prise sur la base d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

3. La société employeur conteste que le retrait de la qualité de cadre à Madame [F] soit un agissement constitutif de harcèlement moral.

Elle fait valoir que la découverte des échanges entre M. [X] et la salariée n'a rien changé à la décision de Mme [X]-[A], prise le 11 janvier précédent, de conférer le statut de cadre à Mme [F], ce qui s'est concrétisé le 1er février 2010 ; que la rupture de la période probatoire du statut de cadre, le 1er mai 2010, n'est pas davantage en lien avec cette situation ; que, du 8 au 14 février 2010, Madame [X] a confié, comme elle en avait l'habitude, sa maison et les soins de ses propres animaux à Mme [F] ce qui prouve l'absence d'attitude hostile à son égard ; qu'en vérité, les récriminations des autres ASV , qui considéraient que cette promotion était injuste au regard de leur ancienneté et de leur expérience, ont mis l'expérience en échec et que c'est ainsi qu'usant de son droit discrétionnaire de rompre la période d'essai, celle-ci a été interrompue.

Mais, en l'absence de griefs tangibles concernant la manière dont Mme [F] s'est acquittée de la tâche qui lui était confiée, les allégations de l'employeur concernant les protestations des collègues de Madame [F] qui trouvaient sa promotion injuste, ne peuvent suffire à établir que la décision de lui retirer sa qualité de cadre était étrangère à tout harcèlement.

Par ailleurs, quant à l'établissement de la preuve en matière de harcèlement, sont inopérants les éléments produits par l'employeur sous forme de photographies du site FACEBOOK de la salariée en vue d'établir qu'elle présentait, à une certaine époque, une mine épanouie.

Le fait est que Madame [F] a été victime de harcèlement sexuel et moral, qui a eu un retentissement sur sa vie professionnelle et sur sa santé, comme elle en fait la preuve au moyen de certificats médicaux, l'employeur ayant manqué à son obligation de protection de sa santé mentale en la laissant exposée à un harcèlement sexuel par son supérieur hiérarchique.

En réparation, Mme [F] réclame 18 000 euros.

Mais son préjudice démontré n'excède pas la somme de 3000 €.

3. Madame [F], qui conteste le licenciement qui lui a été notifié, fait valoir à juste titre que ses collègues attestent que malgré les difficultés, elle est restée professionnelle et efficace (attestation de Madame [L] [G] - pièce 31 ; attestation de Madame [C] [V] - pièce 32) ; que ses qualités sont louées même dans les pièces produites par l'employeur (pièces adverses 28 et 29) ; qu'en septembre 2010, soit quelques semaines avant la rupture du contrat , l'employeur lui a même délivré une attestation vantant ses mérites (pièce 17).

Plus largement, les griefs contenus dans la lettre de licenciement ne sont justifiés par aucune pièce alors même que l'employeur soutient le contraire.

Mais, quoi qu'il en soit, le licenciement est nul par application des articles L 1152-1 et suivants et articles L 1153-1 et suivants du code du travail, puisque déterminé par le contexte du harcèlement.

4. Le retrait de la qualité de cadre s'inscrivant dans le cadre d'un harcèlement moral et constituant ainsi une décision nulle, Mme [F] est fondée à réclamer des rappels de salaire ainsi calculés :

a. rappel de salaires de mai 2010 à novembre 2010 de 2.537,78 € ( 1.982,99 - 1.620,45 € 362,54 x 7),

b. indemnité de congés payés sur rappel de salaires de 252,78 €,

c. salaire de la période de mise à pied conservatoire du 26 novembre 2010 au 22 décembre 2010, soit 1.727,13 € et indemnité de congés payés sur mise à pied, soit 172,71 €.

d. période d'arrêt-maladie du 6 au 21 novembre 2010, différence entre le perçu (350, 11 €) et le dû (747,88 €), soit 397,77 euros.

e. Indemnité de préavis : 3.966 €, plus congés payés afférents,

f. indemnité de licenciement : 2.776,20 euros.

5. Mme [F] fait valoir que, près de deux années après les faits, elle vient seulement de retrouver un emploi, à durée déterminée, qui l'a obligée à déménager et à accepter un salaire inférieur à celui qu'elle percevait ; qu'elle a connu un état dépressif ; qu'elle avait une ancienneté de 7 années au moment du licenciement ; que la Cour de Cassation a admis que des dommages-intérêts pour rupture vexatoire soient alloués en plus de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, lorsque les conditions de rupture du contrat sont particulièrement critiquables ; qu'en l'espèce, elle a subi les conséquences de la crise d'un couple composé de ses employeurs, après avoir dû résister à des avances répétées du mari et à des reproches de l'épouse, pour finir par subir un licenciement pour faute grave pour de multiples griefs, purement imaginaires.

Pour licenciement sans cause réelle et sérieuse elle réclame 24 mois de salaire, soit 47.592 euros.

Mais son dédommagement sera fixé à la moitié de cette somme, soit 23 796 €.

Indépendamment des circonstances qui ont été analysées ci-avant, au titre du harcèlement sexuel et moral, en elles-mêmes vexatoires, pour lesquelles une indemnisation a été accordée à Madame [F], celle-ci ne fait pas la preuve que d'autres circonstances vexatoires justifieraient l'octroi d'une indemnisation supplémentaire.

L'employeur sera également condamné à payer la somme de 1500 € à Madame [F] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamné aux dépens.

Ses demandes seront rejetées. Toutefois il n'y a pas lieu de maintenir l'astreinte assortissant la remise des documents sociaux.

PAR CES MOTIFS

statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCP DES DOCTEURS VETERINAIRES [X] ' [A] à payer à Madame [O] [F] les sommes de 2537,78 euros, de 252,78 euros, 2727,13 euros, 272,71 euros, de 397,77 euros, de 3966 €, de 396,60 euros, de 2776,20 euros, de 500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a ordonné la remise des documents sociaux rectifiés,

INFIRMANT quant au surplus,

DIT QUE le licenciement de Madame [O] [F] est nul pour avoir été prononcé après un harcèlement sexuel et moral,

EN CONSEQUENCE,

CONDAMNE la SCP DES DOCTEURS VETERINAIRES [X] ' [A] à lui payer à titre de dommages-intérêts, la somme de 23 796 €,

LA CONDAMNE également à payer à Madame [F] la somme de 3000 € à titre de dommages-intérêts, pour harcèlement sexuel et moral,

DIT N'Y avoir lieu à astreinte,

REJETTE toute autre demande,

CONDAMNE la SCP DES DOCTEURS VETERINAIRES [X] ' [A] à payer à Madame [F] la somme de 1500 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

LA CONDAMNE aux dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 12/06366
Date de la décision : 07/05/2013

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 17, arrêt n°12/06366 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-05-07;12.06366 ?
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