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06/06/2013 | FRANCE | N°11/01178

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9e chambre b, 06 juin 2013, 11/01178


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 06 JUIN 2013



N°2013/





Rôle N° 11/01178







LE GRAND PORT MARITIME DE [Localité 1]





C/



[L] [P]





















Grosse délivrée le :



à :



Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE







Copie certifi

ée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARTIGUES en date du 27 Décembre 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 09/836.





APPELANTE



LE GRAND PORT MARITIME DE [Localité 1], d...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 06 JUIN 2013

N°2013/

Rôle N° 11/01178

LE GRAND PORT MARITIME DE [Localité 1]

C/

[L] [P]

Grosse délivrée le :

à :

Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARTIGUES en date du 27 Décembre 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 09/836.

APPELANTE

LE GRAND PORT MARITIME DE [Localité 1], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [L] [P], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 10 Avril 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre

Monsieur Philippe ASNARD, Conseiller

Madame Nathalie VAUCHERET, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2013

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2013

Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Monsieur [L] [P] a travaillé pour le compte du PORT AUTONOME DE [Localité 1] (PAM) devenu LE GRAND PORT MARITIME DE [Localité 1], (GPMM) Etablissement Public de l'Etat, du 27 juin 1974 au 31 janvier 2005 en qualité d'ouvrier professionnel. Il a démissionné afin de bénéficier du dispositif ACAATA (allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante) prévu par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998).

Le GPMM a été inscrit par arrêté du 7 juillet 2000 sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à ce dispositif .

Invoquant une exposition à l'amiante dans l'exécution de son travail et, par ce fait, avoir subi un préjudice d'anxiété et un préjudice économique , il a saisi, le 7 octobre 2009, le conseil de prud'hommes de MARTIGUES aux fins d'obtenir des dommages-intérêts.

Par jugement de départage du 27 décembre 2O1O, le conseil de prud'hommes de MARTIGUES, après avoir constaté que le dispositif ACAATA n'interdisait pas au salarié de solliciter une indemnisation en application du droit commun, que le salarié rapportait la preuve d'une faute commise par l'employeur et constaté que l'accord d'entreprise du 24 octobre 2002 n'avait pas un caractère ou un objet indemnitaire, a condamné le GPMM à payer au salarié les sommes suivantes:

-40.000€ de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique.

-10.000€ de dommages-intérêts an réparation du préjudice d'anxiété

-12OO€ au titre de l'article 700 du code procédure civile

C'est le jugement dont appel a été régulièrement interjeté par le GPMM.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

LE GRAND PORT MARITIME DE [Localité 1] demande à la cour de réformer le jugement, débouter le demandeur de toutes ses prétentions et le condamner chacun à lui payer la somme de 500€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.

.

A titre subsidiaire, il demande de dire et juger que les sommes allouées en application de l'accord d'entreprise du 24 octobre 2002 ont pour objet d'indemniser les conséquences d'une exposition au risque et le préjudice d'anxiété qui aurait pu en résulter, constater qu'elles sont supérieures aux sommes allouées au titre du préjudice d'anxiété, débouter en conséquence les demandeurs de toute prétention complémentaire

Il expose que le demandeur ne peut pas obtenir l'indemnisation réclamée puisqu'il n'a contracté aucune maladie professionnelle, que le dispositif ACAATA, dont il a sollicité le bénéfice, a justement pour objet de prévenir le risque de déclenchement éventuel d'une maladie en permettent une cessation anticipée d'activité, que le bénéfice de ce dispositif ne les privera pas, en cas de déclenchement d'une pathologie, du droit d'être indemnisé au titre de la législation sur la maladie professionnelle, ni du droit de saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale sur le fondement de la faute inexcusable de l'employeur, que le risque n'est donc pas réalisé et qu'au demeurant, cette indemnisation ne relèverait pas de la compétence du conseil de prud'hommes.

Il invoque, ensuite, la signature d'un accord d'entreprise, le 24 octobre 2002, qui a amélioré le dispositif légal de départ quant au montant de l'indemnité de départ, deux à quatre fois supérieur au montant légal. Cet accord, qui court jusqu'en 2037, a pour objet l'amélioration des conditions de départ et les sommes versées en application de celui-ci ont une nature indemnitaire.

Sur les préjudices invoqués par le salarié, le GPMM considère que le demandeur fait un raccourci critiquable en affirmant que le seul classement de l'employeur par l' arrêté du 7 juillet 2000 suffirait à démontrer une exposition possible aux poussières d'amiante et, partant, caractériserait une violation de l'employeur de son obligation de sécurité de résultat de sorte que tout bénéficiaire de l'ACAATA devrait être indemnisé par l'employeur. Or, pour le GPMM, s'il est constant que chaque demandeur a travaillé dans un métier à risque pendant une durée déterminée fixée par arrêté, il reste que le résultat (la maladie) ne s'est pas produit et que dès lors l'employeur ne peut se voir reprocher un manquement à l'obligation de sécurité de résultat.

Il ajoute qu'il a été jugé que le salarié qui avait démissionné pour percevoir l'allocation dite ACAATA ne pouvait pas ensuite solliciter une réparation au titre d'une perte de revenus. Il considère que la demande au titre du bouleversement dans les conditions d'existence constitue en réalité une formulation nouvelle mais identique sur le fond à la demande au titre du préjudice économique. Elle ne saurait davantage être accueillie puisqu'elle est la conséquence du choix fait par le salarié de démissionner et d'adhérer au dispositif légal..

Sur le préjudice d'anxiété, il insiste sur l'absence de preuve d'un quelconque manquement fautif de sa part. Certes, il a été classé comme établissement à risque mais n'est pas concerné directement par la fabrication ou même la manutention de l'amiante, les principales victimes étant les ouvriers dockers employés par d'autres entreprises. Au contraire, il a mis en place, sans obligation légale compte tenu de son statut d'établissement public, une représentation du personnel en charge des questions de sécurité puis un CHSCT doté de tous les pouvoirs reconnus par le code de travail à une telle instance, ce qui démontre que la sécurité au travail a été sa priorité absolue.

Toutefois et au cas où la cour estimerait qu'il avait bien commis une faute, il conviendrait alors, selon le GPMM, de comparer la situation des salariés ayant travaillé dans un établissement fabriquant ou manipulant de l'amiante, auxquels des juges du fond ont alloué une somme variant de 4000€ à 7000€ à titre de dommages-intérêts pour préjudice d'anxiété, et la situation particulière des salariés du GPMM. En effet, ces derniers ont perçu dans le cadre de l'accord d'entreprise du 24 octobre 2002 plus que ce que prévoyait le dispositif légal de départ en ACAATA de sorte qu'il peut être soutenu que les agents du Port sont partis avec des indemnités, toutes causes de préjudices confondues, pouvant multiplier par quatre le montant des indemnités légales. Cette différence est substantielle et peut représenter plusieurs dizaine de milliers d'euros, ces sommes de nature indemnitaire étant de surcroît nettes d'impôts et de charges sociales. Le GPMM affirme donc qu'avec la signature de cet accord, il avait très largement anticipé les évolutions jurisprudentielles en versant des sommes très supérieures à l'évaluation actuelle par les juges du fond du préjudice d'anxiété. Dans ces conditions, à supposer que la cour retienne l'existence d'un préjudice d'anxiété, il conclut qu'elle juge que le demandeur a déjà été indemnisé de ce préjudice par l'employeur.

M onsieur [L] [P] demande à la cour de:

-confirmer le jugement;

-condamner LE GPMM à lui payer la somme de 500€ au titre de l'article 700 du code procédure civile .

Ils soutient, tout d'abord, que le fondement juridique de ses prétentions est contractuel, que le litige porte exclusivement sur les conditions de travail puisque l'inhalation de poussières d'amiante a eu lieu pendant l'exécution du contrat de travail, que l' employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat, que le risque lié à l'amiante était identifié depuis très longtemps, que la faute de l'employeur résulte tant de cette connaissance des dangers auxquels il avait exposé ses salariés que de l'absence d'initiative pour y remédier.

Ainsi, selon le salarié, les pièces qu'il verse aux débats attestent que les conditions de travail imposées par l'employeur n'avaient pas respecté les règles élémentaires de sécurité et que tous les salariés avaient été exposés sans protection individuelle.

Il considère, en conséquence, que la cessation anticipée d'activité à laquelle il a dû se résoudre est exclusivement consécutive à l'exposition à l'amiante et lui a occasionné un préjudice professionnel et économique caractérisant une perte de chance indiscutable.Compte tenu de sa situation individuelle, il explique le calcul effectué au titre de son préjudice économique. Il ajoute, quoiqu'il ne soit pas atteint de l'une des maladies liées à l'amiante, que la possibilité de voir la maladie se déclarer un jour, le retentissement médiatique de ces maladies touchant des milliers de personnes sans possibilité de guérison et la longueur des durées d'incubation ont provoqué chez lui un syndrome d'anxiété puissant et permanent dont il sollicite réparation.

MOTIFS DE LA DECISION

EN LA FORME

Interjeté dans les formes et délais de la loi, l'appel est régulier et recevable

AU FOND

Sur la compétence et la fin de non recevoir

Il convient d'abord de répondre au moyen soulevé par le GPMM lequel considère que le salarié, ayant sollicité le bénéfice du dispositif ACAATA et n'ayant développé aucune maladie professionnelle, ne peut prétendre à aucune indemnisation laquelle ne relèverait pas, au demeurant, de la compétence du conseil de prud'hommes.

Ce moyen est inopérant s'agissant du préjudice d'anxiété.

En effet, le fondement invoqué au soutien de la demande au titre du préjudice d'anxiété est l'existence d'un contrat de travail ayant lié les parties au cours duquel le salarié aurait, selon lui, été exposé aux poussières d'amiante sans que l'employeur ait pris les mesures suffisantes de protection contre ces poussières ce qui caractériserait le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat. Les demandes sont donc fondées sur l'exécution entre les parties du contrat de travail . Or, il résulte de l'article L1411-1 du code du travail que les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu'ils emploient relèvent de la compétence du conseil de prud'hommes .

Les circonstances tirées de l'adhésion au dispositif ACAATA et de l'absence d'une pathologie ayant été reconnue comme une maladie professionnelle provoquée par l'amiante ou d'une pathologie n'ayant pas été reconnue comme une maladie professionnelle provoquée par l'amiante mais dont le constat vaut justification de l'exposition à l'amiante dans le cadre du FIVA conformément à l'arrêté du 5 mai 2002, sont inopérantes à rendre irrecevable la demande d'indemnisation au titre du préjudice d'anxiété

En effet, cette demande indemnitaire porte sur la période exclusivement antérieure à la reconnaissance de la maladie provoquée par l'amiante puisque le salarié invoque son état d'anxiété à l'idée de voir la maladie se déclarer un jour ce qui suppose nécessairement et à l'évidence que la période concernée par la demande soit la période au cours de laquelle la pathologie n' était pas déclarée. Cette demande est donc indépendante et distincte de la reconnaissance de la maladie provoquée par l'amiante ainsi que de l'allocation compensant la cessation anticipée d'activité professionnelle.

De même, la circonstance tirée de la faculté de saisir le FIVA et (ou) le TASS en cas de pathologie ayant été reconnue comme une maladie professionnelle provoquée par l'amiante ou d'une pathologie n'ayant pas été reconnue comme une maladie professionnelle provoquée par l'amiante mais dont le constat vaut justification de l'exposition à l'amiante dans le cadre du FIVA conformément à l'arrêté du 5 mai 2002, n'est pas davantage de nature à rendre irrecevable la demande au titre du préjudice d'anxiété.

Dans un tel cas de reconnaissance d'une maladie liée à l'amiante ou d'une exposition à l'amiante, l'offre indemnitaire qui pourrait être faite par le FIVA et (ou) l'indemnisation qui pourrat être fixée par le TASS. n'engloberaient que les seuls préjudices découlant de la maladie reconnue. Ainsi, le préjudice moral pour lequel le salarié pourrait être effectivement indemnisé, ne concernerait que l'impact psychologique résultant de la maladie, une fois celle-ci déclarée puis reconnue, sans qu'une telle indemnisation ne puisse prendre en compte les préjudices pour la période antérieure à la reconnaissance de la maladie.

En revanche, le salarié qui a demandé à bénéficier du dispositif spécifique instauré par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 afin de compenser la perte d'espérance de vie pouvant résulter de son exposition à l'amiante et qui a perçu l'allocation dite ACAATA après avoir démissionné de son emploi, ne peut pas obtenir ensuite de son employeur, sur le fondement de la responsabilité civile contractuelle , la réparation de la perte de revnus résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal.

Le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande au titre du préjudice économique est fondé. Le jugement qui a accueilli cette demande et a condamné le GPMM, de ce chef, doit dès lors être réformé.

Sur la responsabilité

Le principe de la responsabilité civile implique la démonstration d'une faute , d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux pour justifier le droit à réparation de l'intégralité des dommages subis.

Il y a lieu de constater que par arrêté du 7 juillet 2000, le Port Maritime de [Localité 1] a été inscrit sur la liste des ports susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA en faveur des salariés dockers professionnels ayant travaillé pendant la période relative aux années 1957 à 1993, que l'article 44 de la loi de financement de la sécurité sociale du 21 décembre 2001 pour 2002 a étendu le dispositif de l'ACAATA aux personnels portuaires assurant la manutention et que l'arrêté du 11 décembre 2001 modifiant la liste des établissements de la construction et de la réparation navale susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA a inclus dans ce dispositif le service technique de l'outillage, des ateliers et centre d'activité de la réparation navale et du dragage du Port Autonome de [Localité 1].

En outre, un accord d'entreprise dans le Port Autonome de [Localité 1], en date du 24 octobre 2002, a stipulé que ' les parties signataires ont convenu d'aménager les conditions de départ définies dans les textes en vigueur pour les personnels du Port Autonome de [Localité 1] pouvant prétendre au bénéfice d'une cessation anticipée d'activité dans le cadre du dispositif amiante' et que ' peuvent prétendre au bénéfice d'une cessation d'activité anticipée amiante, les agents ayant travaillé dans les services techniques de l'outillage, des ateliers et centres d'activité de la réparation navale et du dragage,ainsi que le personnel de manutention portuaire du Port Autonome de [Localité 1] dans les périodes visées par les textes en vigueur.'

Par ailleurs, il ressort du compte rendu du comité paritaire d'hygiène et de sécurité relatif à la manutention portuaire du Port de [Localité 1] du 22 décembre 1999 produit aux débats que, sur la période susvisée, une grande dispersion du risque d'amiante avait été constatée tant sur les navires, les quais et les locaux du fait d'une protection rare et inefficace en raison notamment du trafic commercial de l'amiante sur le site. Ce document, qui décrit précisément la manutention et le conditionnement de l'amiante sur l'ensemble du site, lesquels y ont favorisé la diffusion libre des poussières d'amiante, ajoute qu' 'aucun poste de travail ne peut être certain d'avoir échappé au risque: dockers de bord, de terre, chauffeurs, grutiers, pointeurs, chefs d'équipe, contremaîtres, chefs de service, personnel d'entretien et mécaniciens. Tout le personnel travaillant sur le port ou à proximité a pu être exposé au risque amiante et la liste n'est pas ehaustiveSans oublier le le personnel occasionnel ou complémentaire utilisé par les sociétés de manutention pour compléter les effectifs dockers sur les navires ou les exploitations'.

Ces constatations de la présence d'amiante et de la diffusion des poussières d'amiante du Port Maritime concernent tous les employeurs qui, pendant cette période, y avaient affecté, à un titre ou à un autre, leurs salariés lesquels dès lors avaient pu être exposés, du fait de leur employeur et compte tenu de l'emploi exercé comme il sera examiné plus loin, aux poussières d'amiante. Il sera d'ailleurs ajouté qu'il est acquis aujourd'hui et n'est sérieusement plus remis en question le fait que l'amiante, en raison de ses qualités d'isolant, avait été aussi utilisée dans les matériaux des bâtiments du port où les saalriés du GPMM avaient travaillé, dans les systèmes de freins équipant les divers engins mis à leur disposition sur le port ainsi que dans tous les calorifugeages des tuyaux des terminaux pétroliers installés sur le port sur lesquels ils avaient pu intervenir. L'exposition à l'amiante a donc concerné tous les salariés qui étaient affectés par leur employeur, en ce compris le GPMM, sur le site portuaire peu important en définitive que les ouvriers dockers, dont le GPMM n'était pas l'employeur ,aient été les plus exposés.

Or, il est admis par la communauté scientifique que les poussières d'amiante avaient été identifiées comme vecteur potentiel de maladies professionnelles, dès 1945 et 1950, par l'inscription de pathologies liées à l'amiante au tableau des maladies professionnelles, que de nombreux documents, études et rapports publiés depuis le début du XX° siècle avaient apporté la preuve d'une connaissance bien antérieure à 1977 des dangers de l'amiante et qu'une pathologie liée à l'inhalation de poussières pouvait se révéler de nombreuses années plus tard.

Si l'obligation de sécurité mise à la charge de l'employeur a été codifiée par l'article L.230-2 ancien du code du travail, devenu L. 4121-1, dont la rédaction est issue de la loi du 31 décembre 1991, il n'en demeure pas moins que sur le fondement de la responsabilité contractuelle résultant de l'article 1147 du code civil, ainsi qu'au visa des dispositions règlementaires prises antérieurement en matière de sécurité (loi du 12 juin 1893, décret d'application du 11 mars 1894, décret du 13 décembre 1948 visant de manière générale la protection contre les poussières et le décret du 17 août 1977 visant de manière spécifique la protection contre les poussières d'amiante), la carence d'un employeur dans la mise en oeuvre des mesures de prévention des risques auxquels un salarié est exposé pendant l'exercice de son emploi, en l'espèce le fait de ne pas avoir pris les précautions suffisantes pour éviter une exposition potentiellement nocive aux poussières d'amiante, est constitutive d'un manquement à ses obligations contractuelles de nature à engager sa responsabilité et à justifier la réparation intégrale des préjudices subis.

Alors que l'exposition à l'amiante est établie, notamment par l'arrêté de classement du Port Maritime de [Localité 1] du 7 juillet 2000, il n'est aucunement justifié par les pièces versées aux débats que le PAM devenu le GPMM avait pris de façon effective, sur le site où il avait décidé d' affecter ses salariés pendant la période considérée, les mesures nécessaires, notamment les mesures particulières visées par le décret du 17 août 1977, pour assurer la sécurité et protéger leur santé contre les poussières d'amiante alors que la nature de l'emploi exercé par cet ancien salarié, l'avait mis en contact direct avec des matériaux contenant de l'amiante et donc l'avait exposé à de telles inhalations nocives comme cela résulte de son inscription au dispositif ACAATA.

Le fait invoqué par l'appelant d'avoir mis en place un mode de représentation des salariés concernant leur sécurité, puis un CHSCT sur la prévention des risques professionnels et l'amélioration des conditions de travail (protocoles d'accord des 20 avril 1978, 22 février 1985 et 18 décembre 2001), initiatives qui ne portent pas directement sur des mesures spécifiques à la protection contre l'amiante, ne permet pas d'écarter la responsabilité de l'employeur qui ne démontre pas davantage avoir mis en oeuvre, au-delà de ces instances, un dispositif effectif de protection des salariés aux expositions nocives de nature à exclure tout risque de pathologie.

L'accord d'entreprise du 24 octobre 2002, dont se prévaut l'appelant, ne saurait l'exonérer de sa responsabilité au regard des règles relatives à la santé et la sécurité des salariés, cet accord n'ayant eu pour seul objet que de définir les modalités financières des départs anticipés comme il sera développé plus loin.

Il s'ensuit que l'employeur qui figurait sur la liste des établissements mentionés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et qui, pour la période considérée, avait exposé ses salariés à des poussières d'amiante sans avoir mis en place des mesures de protection, quand bien même le demandeur ne serait pas atteint à ce jour d'une pathologie résultant de cette exposition, avait bien commis une faute.

Sur le préjudice d'anxiété

A titre liminaire, il y lieu de constater que l'accord d'entreprise du 24 octobre 2002 ne saurait être considéré, contrairement à ce que prétend le GPMM, comme ayant indemnisé les salariés au titre de leurs préjudices 'toutes causes confondues'. En effet, cet accord n'a pour seul objet, après avoir visé les salariés concernés, que de leur accorder un régime indemnitaire plus favorable sur le quantum que le régime légal indemnisant la cessation anticipée d'activité mais cet accord n'inclut pas l'indemnisation des préjudice extrapatrimoniaux indépendants du dispositif légal et qui d'ailleurs ne sont aucunement mentionnés dans l' accord. C'est donc à tort qu'il est opposé par l'intimé le caractère satisfactoire des sommes perçues au titre de cet accord.

Le salarié, invoque un préjudice d'anxiété subi lors de l'exercice de son emploi du fait de son exposition à l'amiante sur le site du Grand Port, lequel aurait entraîné le risque de développer l'une des maladies liées à l'amiante et une situation de stress et d'angoisse permanente de voir sa santé se dégrader à tout moment. Or, eu égard à ce qui précède, il est effectivement compréhensible, quand bien même aucune maladie n'a été constatée à ce jour en lien avec une exposition à l'amiante, compte tenu du délai de déclaration de la maladie, du grand nombre de salariés concernés par l'une des pathologies liées à l'amiante et de l'absence de chance de guérison, une fois la maladie déclarée que le demandeur ait été confronté à une anxiété permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie, qu'il fasse l'objet d'une surveillance médicale ou non.

La cour, en l'état des éléments produits aux débats, estime devoir réparer le préjudice d'anxiété du demandeur à hauteur de la somme de 8.000€. Le jugement dont appel doit être réformé

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Il convient d'allouer au demandeur une indemnité de 200€ au titre de ses frais irrépétibles, première instance et appel confondus.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,

-Déclare l'appel recevable en la forme.

-Réforme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de MARTIGUES du 27 décembre 2010.

-Statuant à nouveau.

-Déclare Monsieur [L] [P] irrecevable en sa demande au titre du préjudice économique.

-Le déclare recevable pour le surplus de ses demandes.

-Condamne l'Etablissement Public le GPMM (Grand Port Maritime de [Localité 1]) à payer à Monsieur [L] [P] les sommes de

-8.000 euros, en réparation du préjudice d'anxiété,

-200 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile pour la première instance et l'appel.

-Condamne l'établissement public le GPMM (Grand Port Maritime de [Localité 1]) aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 9e chambre b
Numéro d'arrêt : 11/01178
Date de la décision : 06/06/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-06-06;11.01178 ?
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