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07/02/2014 | FRANCE | N°12/09624

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 07 février 2014, 12/09624


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 07 FEVRIER 2014



N° 2014/226













Rôle N° 12/09624





CGEA - ILE DE FRANCE OUEST





C/



Selafa MJA

[U] [X]

































Grosse délivrée

le :

à :

Me Josette PIQUET



Me Arnaud CLERC



Me Julie ANDREU





Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section E - en date du 30 Mars 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1307.







APPELANTE



CGEA - ILE DE FRANCE OUEST, demeurant [Adresse 1]



représenté p...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 07 FEVRIER 2014

N° 2014/226

Rôle N° 12/09624

CGEA - ILE DE FRANCE OUEST

C/

Selafa MJA

[U] [X]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Josette PIQUET

Me Arnaud CLERC

Me Julie ANDREU

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section E - en date du 30 Mars 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1307.

APPELANTE

CGEA - ILE DE FRANCE OUEST, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Isabelle PIQUET-MAURIN, avocat au barreau de TOULON

INTIMES

Selafa MJA, prise en la personne de Me [Q] [N] madataire liquidateur de la SA CHANTIER DU NORD ET DE LA MEDITERRANEE, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pierre CAPPE DE BAILLON, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [U] [X], demeurant [Adresse 3]

comparant en personne, assisté de Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Jean Paul TEISSONNIERE, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 06 Décembre 2013 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Christine LORENZINI, Conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Février 2014.

Signé par Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président et Mme Priscille LAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :

Monsieur [U] [X] a été employé en qualité de technicien chef approvisionnement par la société CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES DE LA MÉDITERRANÉE (CNIM) - division navale - devenue SA CHANTIER DU NORD ET DE MÉDITERRANÉE (NORMED), sur le site de [Localité 3] du 1er octobre 1953 au 29 août 1992.

Anciennement dénommée Société de Participations et de Constructions Navales (SPCN), société constituée le 25 octobre 1982 en vue du regroupement des branches navales des trois sociétés suivantes : Chantiers de France [Localité 1] (FD), Chantiers Navals de [Localité 2] (CNC), Constructions navales industrielles de la Méditerranée (CNIM), la SA CHANTIER DU NORD ET DE MÉDITERRANÉE ( NORMED) a été créée le 24 décembre 1982 .Cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de PARIS en date du 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 février 1989, désignant successivement Maître [O] puis, à compter du 10 juin 2003, la SELAFA MJA, en la personne de Maître [N], en qualité de mandataire liquidateur.

Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ( ACAATA) par arrêté du 7 juillet 2000.

Le 25 novembre 2010, Monsieur [X] a saisi le Conseil de Prud'hommes de TOULON pour réclamer la réparation des préjudices subis du fait de son exposition à l'amiante.

Le CGEA - AGS de l'Ile de France Ouest a été appelé en la cause.

Par jugement en date du 31 juillet 2012 , le Conseil de Prud'hommes a :

- fixé la créance du salarié au passif de la liquidation de la SA NORMED à la somme de 9500€ de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété,

- l'a débouté du surplus de ses demandes,

- dit le jugement opposable à l'AGS dans les limites de sa garantie légale,

- dit que les dépens seraient fixés au passif de la procédure collective.

Le CGEA Ile de France Ouest a relevé appel de cette décision le 11 décembre 2012, le jugement ayant été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 6 décembre 2012.

Prétentions et moyens des parties :

Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes aux instances inscrites au rôle, Maître [N] ès qualités et le CGEA demandent à la cour, à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris et de :

- se déclarer incompétente au profit du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOULOGNE SUR MER en ce qui concerne les salariés ayant bénéficié de l'ACAATA ;

- déclarer irrecevables les actions des salariés ayant bénéficié de l'ACAATA sur le fondement de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;

- déclarer les actions irrecevables en raison de l'irrévocabilité de l'état des créances établi sous le régime de la loi de 1985, non contesté en temps utile ;

- déclarer irrecevables les actions des requérants dont les contrats de travail ont été rompus avant le 21 décembre 1982 ( date de l'Assemblée Générale de la SPCN approuvant le traité d'apport partiel d'actif du 3 novembre 1982), et qui n'ont donc jamais été salariés de la NORMED ;

- déclarer irrecevables les actions des salariés dont les contrats de travail ont été transférés à la société CNL ou à la société CNIM postérieurement à la NORMED ;

- déclarer prescrites les demandes concernant les contrats de travail rompus depuis plus de trente ans avant la saisine de la juridiction prud'homale.

Ils concluent subsidiairement :

- au débouté, faute pour les demandeurs de rapporter la preuve d'un préjudice d'anxiété personnel, direct, certain et légitime, d'un manquement de l'employeur aux règles alors applicables, et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice ;

- à l'absence d'opposabilité à l'AGS des créances nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, à la réduction des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et à l'application des dispositions du code du travail fixant les règles et limites de la garantie légale.

Par conclusions écrites déposées et plaidées à l'audience, communes à l'ensemble des affaires inscrites au rôle, soutenant pour l'essentiel que la NORMED a manqué à son obligation de sécurité de résultat, en omettant d'effectuer des prélèvements atmosphériques, de mettre en place des mesures de protection collective et individuelle efficaces et de l'informer des risques encourus, que le dommage ne lui a été révélé qu'avec la loi du 23 décembre 1998, qu'il est donc fondé, conformément à l'article 1147 du Code civil, à réclamer à la NORMED l'indemnisation de son préjudice d'anxiété qui correspond à l'inquiétude permanente face de la forte probabilité de développer à tout moment une maladie grave, incluant le bouleversement dans ses conditions d'existence qui en découle nécessairement, que l'AGS doit garantir sa créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, puisque que son fait générateur réside dans la faute de l'employeur au cours de l'exécution du contrat de travail, Monsieur [X], qui ne maintient pas en cause d'appel sa demande d'indemnisation d'un préjudice consécutif à sa perte d'espérance de vie ni sa demande distincte en réparation d'un préjudice lié au bouleversement de ses conditions d'existence, demande à la Cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a reconnu l'existence de son préjudice d'anxiété, mais de réévaluer sa créance à la somme de 30.000€ de titre de dommages et intérêts, comprenant à la fois l'inquiétude permanente et le bouleversement dans ses conditions d'existence, et de déclarer l'arrêt opposable au CGEA.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exception d'incompétence :

Aux termes de l'article L.1411-1 du Code du Travail, le Conseil de Prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

En l'espèce, que Monsieur [X] ait ou non bénéficié du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, ce qui ne résulte pas du dossier, dès lors que sa demande en réparation d'un préjudice d'anxiété lié à son exposition à l'amiante est fondée sur l'inexécution par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail et que ni son droit au bénéfice du dispositif susvisé, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, ne sont contestés, le jugement sera confirmé sur la compétence de la juridiction prud'homale.

Sur les fins de non recevoir :

Sur l'irrecevabilité tirée de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 :

L'article 41 de la loi n° 98 - 1194 du 23 décembre 1998 créant un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante, prévoit le versement aux salariés ou anciens salariés d'une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent certaines conditions .

Il résulte de ces dispositions que le salarié qui a demandé le bénéfice de cette allocation n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenus résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal.

Monsieur [X], dont il n'est pas établi qu'il ait été bénéficiaire de ce dispositif, est toutefois recevable à réclamer réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété, lequel n'est pas de nature économique mais résulte d'un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et n'est donc pas indemnisé au titre de l'ACAATA.

La décision sera confirmée en ce sens .

Sur l'irrecevabilité tirée du caractère irrévocable de l'état des créances :

Il résulte de l'article L.625-125 al.2 ancien du Code de Commerce que le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur le relevé établi par le représentant des créanciers peut saisir à peine de forclusion le Conseil de Prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement de la mesure de publicité prévue à l'alinéa précédent .

Toutefois, l'action du salarié, qui saisit la juridiction prud'homale d'une demande en réparation d'un préjudice d'anxiété résultant de son exposition au risque de l'amiante créé par son affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté pris en exécution de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et révélé postérieurement à l'établissement du relevé des créances salariales, est distincte de celle ouverte par ces dispositions, de sorte que le caractère irrévocable de l'état des créances ne peut lui être opposé.

Cette fin de non recevoir, nouvelle en cause d'appel, sera rejetée.

Sur la prescription :

En application des dispositions de l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir .

En l'espèce, quelle que soit la date de rupture de son contrat de travail, faute d'un quelconque élément permettant de considérer qu'il a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer, le salarié est fondé à soutenir que le fait générateur de son préjudice, à supposer celui-ci établi, ne lui a été révélé qu'à compter de la loi du 23 décembre 1998 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant les CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES DE LA MÉDITERRANÉE (CNIM) et la NORMED parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.

Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le fond :

Sur le préjudice d'anxiété :

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du Code du Travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.

Contrairement à l'argumentation soutenue par le liquidateur et l'AGS, cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L.230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail.

Du reste, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.

Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers.'.

En l'espèce, il résulte des pièces produites que Monsieur [X] a travaillé sur le site de la NORMED à [Localité 3] du 1er octobre 1953 au 29 août 1992 et qu'au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de technicien chef des approvisionnements.

Si cette société a été classée, avec la société CNIM, par arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante (de 1946 à 1989),le métier exercé par Monsieur [X] ne figure pas sur la liste annexe.

Par ailleurs, ni les conclusions écrites du salarié, ni l'attestation de Monsieur [K], indiquant que le salarié était amené à se rendre à bord des navires ou en atelier, ne suffisant à faire la preuve que Monsieur [X] a été exposé habituellement à l'inhalation de poussières d'amiante, ni qu'il se trouve de par le fait de l'employeur dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, le salarié sera débouté et le jugement sera infirmé .

Sur les dépens :

Ils seront supportés par Monsieur [X], en ce compris ceux de première instance .

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au Greffe le sept février deux mille quatorze,

REÇOIT l'appel,

INFIRME partiellement le jugement déféré,

Statuant de nouveau sur le tout et y ajoutant,

REJETTE l'exception d'incompétence et DÉCLARE l'action recevable,

DÉBOUTE Monsieur [U] [X] de l'ensemble de ses demandes,

LE CONDAMNE aux entiers dépens de l'instance.

LE GREFFIER.LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 12/09624
Date de la décision : 07/02/2014

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence B8, arrêt n°12/09624 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-02-07;12.09624 ?
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