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20/11/2014 | FRANCE | N°12/24103

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 2e chambre, 20 novembre 2014, 12/24103


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

2e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 20 NOVEMBRE 2014



N° 2014/ 479













Rôle N° 12/24103







SAS DEGREANE HORIZON





C/



[W] [I]

[O] [N]

[L] [C]

[Z] [T]

SA MADE





















Grosse délivrée

le :

à :

Me MAGNAN

Scp ERMENEUX LEVAIQUE












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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 22 Novembre 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 07/03951.





APPELANTE





SAS DEGREANE HORIZON

inscrite au RCS de TOULON,

demeurant [Adresse 4]



représentée par Me Joseph-paul MAGNAN, avocat postulant au barreau d'AIX-EN-P...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

2e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 20 NOVEMBRE 2014

N° 2014/ 479

Rôle N° 12/24103

SAS DEGREANE HORIZON

C/

[W] [I]

[O] [N]

[L] [C]

[Z] [T]

SA MADE

Grosse délivrée

le :

à :

Me MAGNAN

Scp ERMENEUX LEVAIQUE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 22 Novembre 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 07/03951.

APPELANTE

SAS DEGREANE HORIZON

inscrite au RCS de TOULON,

demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Joseph-paul MAGNAN, avocat postulant au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

plaidant par Me Jérôme NOVEL, avocat au barreau de LYON,

INTIMES

Monsieur [W] [I],

demeurant [Adresse 6]

Monsieur [O] [N],

demeurant [Adresse 3]

Monsieur [L] [C],

demeurant [Adresse 2]

Monsieur [Z] [T],

demeurant [Adresse 5]

SA MADE,

demeurant [Adresse 1]

tous intimés représentés par Me Laurence LEVAIQUE de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE-ARNAUD & ASSOCIES, avocat postulant au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

plaidant par Me Jean-marie LAFRAN, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 22 Septembre 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, madame AUBRY CAMOIN, président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président

Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller

Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Octobre 2014

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Novembre 2014, après prorogation du délibéré,

Signé par Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société ETABLISSEMENTS DEGREANE créé en 1927 et immatriculée au registre du commerce de Toulon, exploitait un fonds de commerce possédant plusieurs branches d'activité.

La société DEGREANE HORIZON, filiale du groupe Vinci, immatriculée au registre du commerce de Toulon, a été créée en 2001.

Par acte sous seing privé du 23 janvier 2002, la société ETABLISSEMENTS DEGREANE a cédé à la société DEGREANE HORIZON la branche d'activité 'Météo' dépendant de son fonds de commerce avec transfert du personnel attaché dont monsieur [X] [T].

Par acte sous seing privé du 24 avril 2001, la société ETABLISSEMENTS DEGREANE a cédé à la société DEGREANE SITELI la branche d'activité 'Télécommunications' avec transfert du personnel attaché dont messieurs [I], [N] et [C].

Par acte sous seing privé du 7 juillet 2006, la société DEGREANE SITELI a cédé à la société DEGREANE HORIZON cette même branche d'activité avec transfert des mêmes salariés.

Depuis 2006, la société DEGREANE HORIZON intervient sur trois segments d'activité : la météorologie, la défense et l'énergie.

La société MADE, immatriculée au registre du commerce de Toulon, a été créée en 1991 avec pour activité principale le câblage de circuits imprimés pour des clients industriels.

Elle a évolué et a actuellement une activité de bureau d'études et de conception en électronique, informatique et télécommunication.

Les sociétés DEGREANE HORIZON et MADE dont les sièges sociaux sont situés respectivement à [Localité 2] et à [Localité 1] dans le Var, ont notamment pour client commun la société EDF et sa filiale RTE.

Considérant être victime du débauchage massif de ses salariés courant 2006 - début 2007, notamment de messieurs [I], [N], [C] et [T], d'un démarchage déloyal de ses clients et d'une copie de certains de ses produits, la société DEGREANE HORIZON a initié une action en concurrence déloyale à l'encontre de la société MADE dont elle est concurrente.

Par ordonnance du 10 avril 2007 rendue sur requête de la société DEGREANE HORIZON, le Président du Tribunal de grande instance de Toulon a désigné un huissier de justice avec mission de se rendre au siège de la société MADE aux fins notamment de constater la présence de Messieurs [I], [N], [C] et [T], se faire remettre tous documents concernant leur embauche, leurs contrats de travail et leurs fiches de salaire, se faire remettre tous documents concernant les clients et les projets de développement de ces derniers, se faire remettre tous documents relatifs à la gamme de produits Helios.

Par acte du 3 juillet 2007, la société DEGREANE HORIZON a fait assigner la société MADE et Messieurs [I], [N], [C] et [T] devant le Tribunal de Grande Instance de Toulon aux fins de voir :

- prononcer leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

- ordonner la cessation de la commercialisation et de la vente de l'ensemble des produits de la gamme HELIOS sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée,

- prononcer leur condamnation solidaire au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- prononcer leur condamnation solidaire aux dépens de l'instance.

Par ordonnance du 13 février 2008, le juge de la mise en état saisi par la société DEGREANE HORIZON, a ordonné une expertise comparative entre les produits BHRD AA (produit DEGREANE) et HELIOS C (produit MADE) dont le rapport a été déposé le 28 janvier 2010.

Par conclusions d'incident du 30 juillet 2010, la société MADE a saisi le juge de la mise en état d'une demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire pour non-respect par l'expert judiciaire de l'ordre de mission énoncé dans l'ordonnance du 13 février 2008 et violation du contradictoire.

Par ordonnance d'incident du 8 février 2011, confirmée par arrêt de cette Cour du 7 décembre 2011, le juge de la mise en état s'est déclaré incompétent au profit du juge du fond.

Par jugement du 22 novembre 2012, le Tribunal de Grande Instance de Toulon a :

- débouté la société DEGREANE HORIZON de ses demandes,

- débouté la société MADE et messieurs [I], [N], [C] et [T] en leurs demandes reconventionnelles ;

- condamné la société DEGREANE HORIZON à payer la somme de 6.000 euros à la société MADE et à messieurs [I], [N], [C] et [T] pris ensemble sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société DEGRANE HORIZON aux dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Par déclaration au greffe de la cour du 21 décembre 2012, la société DEGREANE HORIZON a régulièrement relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions du 17 juillet 2013, la société DEGREANE HORIZON demande à la Cour au visa de l'article 1382 du code civil, de :

- Réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

A titre principal

- condamner in solidum la société MADE, messieurs [I], [C], [N] et [T] à verser à la société DEGREANE HORIZON une somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- ordonner la cessation de la commercialisation et de la vente de l'ensemble des produits de la gamme HELIOS sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée,

- condamner la société MADE à verser à la société DEGREANE HORIZON une provision de 15.000 euros à valoir sur le préjudice résultant de la copie de l'appareil BHRD AA,

- enjoindre la société MADE de verser aux débats un état détaillé des ventes réalisées par cette dernière sur son produit HELIOS C depuis sa commercialisation et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

A titre très subsidiaire

- faire application des dispositions de l'article 245 du Code de procédure civile et solliciter de monsieur [E] de compléter son rapport d'expertise par une réponse au dire de l'expert mandaté par la société MADE ;

En tout état de cause

- condamner in solidum la société MADE, et messieurs [I], [C], [N] et [T] à verser à la société DEGREANE HORIZON une somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner in solidum la société MADE et Messieurs [I], [C], [N] et [T] aux entiers dépens en ce compris les frais de constat, avec distraction par application de l'article 699 du code de procédure civile.

La société DEGREANE HORIZON soutient :

- que l'activité de la société MADE est devenue concurrente du segment énergie de la concluante et est implantée à [Localité 2] à proximité de la concluante,

- qu'elle est victime d'actes de concurrence déloyale tenant au débauchage massif de salariés en 2006 et 2007, au démarchage de sa clientèle et à la copie servile de son produit BHRD.

- que la société MADE a débauché, en trois mois, quatre salariés, messieurs [I], [N], [T] et [C] qui ont tous démissionné pour être recrutés immédiatement par la société MADE.

- que la désorganisation de l'entreprise est caractérisée du fait que ces salariés étaient primordiaux pour elle, eu égard à leur ancienneté, à leur qualité technique, à leur positionnement stratégique et à leur complémentarité.

- que certains de ses clients, et notamment la société RTE, filiale de la société EDF et la société EDF elle même, lui ont indiqué avoir été démarchés par Monsieur [I] au nom et pour le compte de la société MADE et que ces agissements ont eu pour effet de troubler sa clientèle.

- que la société MADE, à travers sa gamme de produit HELIOS, a copié une gamme de produits commercialisée par la concluante depuis de nombreuses années sous la dénomination BHRD.

- que l'expert judiciaire désigné par le juge de la mise en état, a parfaitement respecté sa mission et le principe du contradictoire et que si la société MADE n'a pu participer à certains débats, c'est de son propre fait.

- que c'est à tort que le tribunal n'a pas suivi les conclusions de l'expert judiciaire et a retenu les conclusions de l'avis technique non contradictoire déposé plus de six mois après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire,

- que ce rapport non contradictoire est dépourvu de forme probante,

- que ces agissements ont entraîné la désorganisation de l'entreprise de la concluante qui est fondée à demander l'indemnisation de son préjudice ainsi que l'interdiction de la commercialisation du produit Helios C.

Dans leurs dernières conclusions du 13 septembre 2013, la société MADE, et messieurs [I], [N], [C] et [T] demandent à la Cour au visa de l'article 1382 du code civil, de :

SUR LA PRETENDUE COPIE DES PRODUITS DE LA SOCIETE DEGREANE HORIZON PAR LA SOCIETE MADE

A titre liminaire

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas constaté le non-respect par l'expert judiciaire de l'ordre de mission énoncé dans l'ordonnance du 13 février 2008 et le non-respect du principe du contradictoire lors de l'expertise,

- déclarer nulle et de nul effet l'expertise diligentée par Monsieur [E], en ce compris la totalité du rapport d'expertise définitif déposé le 28 janvier 2010,

- rejeter la demande d'expertise complémentaire telle que sollicitée par la société appelante, cette demande s'analysant en une demande nouvelle,

En tout état de cause, à titre principal

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société DEGREANE HORIZON ne rapporte pas la preuve de l'existence de la copie par la société MADE du produit BHRD AA,

- dire et juger qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la cessation par la société MADE de toute vente et commercialisation de son produit HELIOS C, la commercialisation du dispositif HELIOS C dit de 1ère génération, ayant fait l'objet des mesures d'expertise, s'étant interrompue fin 2008,

A titre subsidiaire

- si par extraordinaire la Cour d'appel devait faire droit même partiellement à la demande de la société DEGREANE HORIZON, limiter alors l'interdiction de vente et de commercialisation au seul produit de 1ère génération faisant partie de la gamme HELIOS C objet de l'expertise judiciaire,

- dire et juger qu'il n'y a pas lieu de condamner la société MADE à communiquer, sous astreinte d'une somme de 500 euros par jour de retard, un état validé par un expert comptable ou un commissaire aux comptes de l'ensemble des ventes des produits HELIOS C depuis sa création, ledit état ayant d'ores et déjà été communiqué à la société DEGREANE HORIZON,

SUR LE PRETENDU DEBAUCHAGE MASSIF DES SALARIES DE LA SOCIETE HORIZON PAR LA SOCIETE MADE

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'absence de départ massif de salariés allégué par la société DEGREANE HORIZON,

- constater en outre la carence de la société DEGREANE HORIZON dans l'administration de la preuve de la désorganisation de l'entreprise,

SUR L'ABSENCE DE DEMARCHAGE DE CLIENTELE

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé qu'aucun démarchage fautif de clientèle ne peut être imputé à la société MADE,

SUR L'ABSENCE DE PREJUDICE SUBI PAR LA SOCIETE DEGREANE HORIZON

- constater qu'en tout état de cause la société DEGREANE HORIZON ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un quelconque préjudice, ni même d'un lien de causalité entre ce prétendu préjudice et les fautes alléguées,

- débouter la société DEGREANE HORIZON de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

A TITRE RECONVENTIONNEL

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que les agissements de la société DEGREANE HORIZON n'étaient pas fautifs,

- condamner la société DEGREANE HORIZON à verser à chacun des intimés à titre de dommages et intérêts une somme qui ne saurait être inférieure suivant sa propre évaluation à 200.000 euros, soit une somme totale de 1.000.000,00 euros,

- condamner la société DEGREANE HORIZON à verser à chacune des parties requises une somme qui ne saurait être inférieure à 5.000,00 euros soit une somme totale de 25.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société DEGREANE HORIZON à supporter les entiers dépens.

La société MADE, et messieurs [I], [N], [C] et [T] font valoir

- que la mission confiée par le Tribunal de grande instance de Toulon à l'expert était purement technique, consistant à procéder à une étude comparative détaillée des produits, si besoin en les démontant et en répertoriant les points de ressemblance comme les différences.

- que l'expertise a été exécutée dans le mépris le plus total de l'ordre de mission, du principe du contradictoire et de l'équité.

- que le rapport d'expertise ne s'appuie sur aucune analyse technique contradictoire des deux appareils.

- que suivant jurisprudence de la Cour de cassation, l'expert qui procède à des investigations techniques hors la présence des parties, doit leur soumettre le résultat, éventuellement dans son pré-rapport ou dans lors d'une réunion, afin de leur permettre d'être éventuellement à même d'en débattre contradictoirement avant le dépôt de son rapport,

- que si les produits des sociétés DEGREANE HORIZON et MADE présentent quelques similitudes, ils présentent également de nombreuses différences que l'expert n'a pas examinées,

- sur le fond, qu'il n'existe aucun élément permettant de démontrer la copie du produit de la société DEGREANE HORIZON par la société MADE.

- que la première génération du produit de la gamme HELIOS C, objet de l'expertise judiciaire, n'est plus commercialisée et distribuée depuis la fin de l'année 2008.

- s'agissant du débauchage massif des salariés, que seules quatre personnes sont concernées, et que la désorganisation de l'entreprise DEGREANE HORIZON n'est pas démontrée,

- que les concluants n'ont pas effectué le moindre démarchage de clientèle, dès lors que la société MADE travaillait déjà depuis plus de 16 ans avec EDF et ses filiales.

- que la procédure engagée par la société DEGREANE HORIZON à l'encontre des concluants a pour seul objet de nuire aux intérêts économiques d'un concurrent et de faire porter aux concluants la responsabilité des difficultés qu'elle rencontre dans son entreprise,

- que la procédure est abusive en ce qu'elle est utilisée tant en première instance qu'en appel pour exercer une pression constante sur les salariés mis en cause et pour déstabiliser le fonctionnement social et économique de la société MADE, et que ces agissement s'apparentent à des actes de concurrence déloyale.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le débauchage des salariés

L'embauche, dans des conditions régulières, de salariés d'une entreprise concurrente n'est pas en elle même fautive, en l'absence d'actes déloyaux.

Selon les pièces produites, la société MADE a connu une forte expansion au cours du premier semestre de l'année 2006, est entrée en bourse à cette époque et a procédé à des recrutements par voie de presse.

Les salariés de la société DEGREANE HORIZON concernés par le litige sont messieurs [I], [N], [C] et [T].

Monsieur [I] a été embauché le 13 février 1981 par la société ETABLISSEMENTS DEGREANE en qualité d'agent technique 2° échelon et a accédé au statut de cadre selon avenant du 10 février 1993.

Monsieur [N] a été embauché le 1° août 1995 par la société ETABLISSEMENTS DEGREANE en qualité d'agent technique 2° échelon par contrat à durée déterminée puis le 2 juillet 2006 par contrat à durée indéterminée.

Monsieur [C] a été embauché le 8 janvier 1985 par la société ETABLISSEMENTS DEGREANE en qualité d'agent technique 2° échelon par contrat à durée déterminé renouvelé le 15 mars 1985 puis le 3 juillet 1985 par contrat à durée indéterminée.

Ils étaient attachés tous trois à la branche d'activité 'télécommunications' de la société DEGREANE SITELLI lors de la cession de celle-ci à la société DEGREANE HORIZON par acte du 7 juillet 2006.

Après un congé maladie du 27 juin 2006 au 18 septembre 2006 pour une fracture de la cheville,

monsieur [I] a démissionné de son emploi le 31 octobre 2006.

Messieurs [N] et [C] ont démissionné de leurs emplois respectivement le 8 décembre 2006 et le 7 janvier 2007.

A la date de leur démission, ces trois salariés appartenaient tous trois à l'activité 'énergie' de la société DEGREANE HORIZON et n'étaient pas tenus par une clause de non concurrence.

Monsieur [I] a été embauché par la société MADE le 28 octobre 2006 en qualité de responsable d'affaires technico-commercial, monsieur [N] a été embauché le 15 janvier 2007 en qualité de responsable d'affaires et monsieur [C] a été embauché le 12 février 2007 en qualité de responsable SAV.

Aucune pièce ne démontre que la société MADE aurait démarché spécifiquement ces trois salariés dont les salaires sont restés similaires à ce qu'ils étaient dans leur emploi précédent, que ces trois salariés auraient eu une importance stratégique pour le secteur énergie de la société DEGREANE HORIZON qui a accepté d'écourter leur préavis, ni que leur départ aurait désorganisé l'entreprise dont le secteur énergie ne représentait en 2006 que 4,34% de l'activité de la société selon pièce produite par les intimés non contestée par l'appelante.

Monsieur [T] a été embauché par la société ETABLISSEMENTS DEGREANE le 16 décembre 1992 en qualité de technicien du service achat 1° échelon-département électronique par contrat à durée indéterminée, et était attaché à l'activité 'météo' de l'entreprise lors de la cession de cette branche d'activité le 23 janvier 2002 à la société DEGREANE HORIZON.

Il occupait au sein de la société DEGREANE HORIZON la fonction de responsable des achats lorsqu'il a démissionné le 29 septembre 2006.

Il a été embauché par la société MADE le 28 septembre 2006 en qualité de responsable achats.

Aucune pièce ne démontre qu'il aurait été spécifiquement démarché par la société MADE ni que cette démission aurait désorganisé d'une quelconque façon la société DEGREANE HORIZON.

L'utilisation par un salarié dans son nouvel emploi des connaissances et du savoir faire acquis dans un emploi précédent ne sont pas de nature à caractériser un acte de concurrence déloyale.

Ni le caractère massif du débauchage de salariés au regard de l'effectif total de la société DEGREANE HORIZON, ni l'utilisation de procédés déloyaux pour inciter les salariés concernés à démissionner, ni la désorganisation de la société DEGREANE HORIZON n'étant établis, l'embauche de ces quatre salariés par la société MADE ne saurait en conséquence être considérée comme fautive.

Sur le démarchage de la clientèle

Le démarchage de la clientèle d'une société concurrente est licite sauf utilisation de procédés déloyaux qui doivent être caractérisés et prouvés.

En l'espèce, la société DEGREANE HORIZON ne produit aucune pièce démontrant que la société MADE aurait démarché la société EDF et/ou ses filiales en utilisant des procédés déloyaux.

Aucun acte de concurrence déloyale n'est en conséquence caractérisé de ce chef.

Sur la nullité du rapport d'expertise judiciaire soulevée par la société MADE

Le principe du contradictoire, qui est le corollaire du principe général des droits de la défense et un élément du procès équitable, s'applique au déroulement de l'expertise judiciaire, le caractère technique des opérations d'expertise ne pouvant justifier une entorse à ce principe.

Selon les pièces produites au débat, le litige porte sur les appareils BHRD AA conçu et commercialisé par la société DEGREANE HORIZON et HELIOS C conçu et commercialisé par la société MADE, et non sur l'ensemble des appareils des deux gammes.

Le BHRD AA et l'HELIOS C ont comme principale fonctionnalité d'assurer l'isolement galvanique entre les installations de télécommunications du réseau téléphonique public et les matériels raccordés, et le réseau téléphonique commuté (RTC), afin d'assurer leur protection contre une éventuelle élévation anormale du potentiel consécutif à un incident électrique.

Ces produits sont destinés à assurer la protection des lignes RTC analogiques.

Par ordonnance du 12 mars 2008, le juge de la mise en état statuant sur demande formée par la société DEGREANE HORIZON, a ordonné une expertise judiciaire et désigné monsieur [E] en qualité d'expert avec notamment pour mission de :

- se faire remettre par les parties tous documents techniques, réglementaires et commerciaux des gammes BHRD ( DEGREANE HORIZON ) et HELIOS (MADE)

- se faire remettre un exemplaire des appareils BHRD et HELIOS C, et le cas échéant de tout appareil ayant une finalité comparable,

- procéder à une étude comparative détaillée des produits, si besoin est en les démontant, en répertoriant les points de ressemblance et de différence,

- préciser les dates de création et commercialisation des différents produits.

Le jugement déféré a débouté la société MADE en toutes ses demandes reconventionnelles en ce compris sa demande de nullité de l'expertise judiciaire.

Selon le rapport d'expertise et les pièces annexées, l'expert a tenu une réunion d'expertise le 10 juillet 2008 pour recueillir les observations des parties et une réunion d'expertise le 15 décembre 2009 aux fins de remise par les parties des pièces ou de certaines pièces, qui faisait difficulté en raison notamment de la demande de confidentialité formulée par la société MADE concernant le dossier technique.

La réunion du 15 décembre 2009 s'est détériorée et la société MADE et son conseil l'ont quitté avant son terme.

Par courriers des 11 et 25 janvier 2010, le conseil de la société MADE a demandé à l'expert judiciaire d'organiser une réunion d'expertise afin de rendre compte aux parties de ses investigations techniques et de leur faire part de ses pré-conclusions.

Par courrier du 27 janvier 2010 adressé à l'expert judiciaire, le conseil de la société DEGREANE HORIZON s'est opposé à cette demande.

Le 28 janvier 2010, l'expert judiciaire a déposé son rapport sans autre réunion ni dépôt d'un pré-rapport, et sans solliciter de prorogation du délai auprès du juge chargé du contrôle des expertises.

Quelles que soient les circonstances ayant conduit l'expert à procéder à ses opérations expertales hors la présence des parties, notamment en raison de la technicité des dites opérations, celui-ci doit leur soumettre ses travaux afin qu'elles puissent en débattre contradictoirement avant le dépôt du rapport d'expertise, en les convoquant à une réunion d'expertise et en leur soumettant ses pré-conclusions le cas échéant sous la forme d'un pré-rapport, et leur laisser un temps suffisant pour y répondre par un dire.

En l'espèce, la société MADE qui était assistée d'un conseil technique en la personne de monsieur [D], n'a été en mesure ni de débattre contradictoirement des opérations expertales et des pré-conclusions de l'expert ni d'établir un dire technique en réponse aux pré-conclusions de l'expert.

Le débat contradictoire devant le tribunal n'est pas susceptible de pallier le non respect du contradictoire au cours de l'expertise.

Il convient en conséquence de prononcer la nullité du rapport d'expertise judiciaire pour non respect du contradictoire sur le fondement de l'article 16 du code de procédure civile et de l'article 6§1 de la CEDH sans qu'il y ait lieu de constater l'existence d'un grief.

Sur la copie servile du produit BHRD AA conçu et commercialisé par la société DEGREANE HORIZON par le produit HELIOS C conçu et commercialisé par la société MADE

La copie servile d'un produit est susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale si elle est de nature à entraîner une confusion dans l'esprit de la clientèle et à désorganiser l'entreprise concurrente.

La société DEGREANE HORIZON ne démontre ni la copie servile de l'appareil BHRD AA par l'appareil HELIOS C, ni la confusion entre ces deux appareils dans l'esprit de la clientèle et notamment de la société EDF et/ou de ses filiales, ni la désorganisation de son entreprise.

Aucun acte de concurrence déloyale n'est en conséquence caractérisé.

Sur les demandes de dommages et intérêts, de cessation de commercialisation des produits de la gamme HELIOS C et de production de l'état des ventes de ces derniers sous astreinte formée par la société DEGREANE HORIZON

Les faits de concurrence déloyale n'étant pas caractérisés, c'est à juste titre que le jugement déféré a débouté la société DEGREANE HORIZON de ses demandes de dommages et intérêts et de cessation de commercialisation des produits de la gamme HELIOS C sous astreinte.

Ajoutant, la demande de production par la société MADE de l'état des vente des produits de cette gamme sera rejetée.

Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société MADE et messieurs [I], [N], [C] et [T]

L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus que dans les cas de mauvaise foi, d'intention de nuire ou d'erreur grossière équipollente au dol.

La mauvaise foi ou l'intention de nuire de la société DEGREANE HORIZON n'étant pas démontrées, la demande de dommages et intérêts sera rejetée.

Sur l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société DEGREANE HORIZON qui succombe n'est pas fondée en sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et supportera les entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris le coût des deux constats d'huissier réalisés les 23 mars 2007 et 18 avril 2007 sur ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance et le coût de l'expertise judiciaire.

Il convient en équité de faire droit à la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile par les intimés pour les frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme partiellement le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société MADE et messieurs [I], [N], [C] et [T] de leur demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire,

Et statuant à nouveau,

Prononce la nullité du rapport d'expertise judiciaire pour non respect du contradictoire,

Confirme en ses autres dispositions le jugement déféré en ce compris les dépens qui comprennent le coût des deux constats d'huissier réalisés sur ordonnances du Président du Tribunal de Grande Instance rendues à la requête de la société DEGREANE HORIZON et de l'expertise judiciaire ordonnée par le juge de la mise en état sur demande de la société DEGREANE HORIZON,

Ajoutant,

Déboute la société DEGREANE HORIZON de sa demande aux fins de production sous astreinte par la société MADE d'un état détaillé des ventes du produit HELIOS depuis sa commercialisation,

Dit n'y avoir lieu de demander à l'expert judiciaire de compléter son rapport d'expertise par une réponse au dire du conseil technique de la société MADE par application de l'article 245 du code de procédure civile,

Déboute la société DEGREANE HORIZON de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société DEGREANE HORIZON à payer par application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés en cause d'appel :

- à la société MADE la somme de 5 000 euros

- à monsieur [I] la somme de 5 000 euros

- à monsieur [N] la somme de 5 000 euros

- à monsieur [C] la somme de 5 000 euros

- à monsieur [T] la somme de 5 000 euros

Condamne la société DEGREANE HORIZON aux dépens d'appel avec distraction par application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 2e chambre
Numéro d'arrêt : 12/24103
Date de la décision : 20/11/2014

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 02, arrêt n°12/24103 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-11-20;12.24103 ?
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