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25/03/2016 | FRANCE | N°15/08073

France | France, Cour d'appel d'aix-en-provence, 18e chambre b, 25 mars 2016, 15/08073


ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION DU 25 MARS 2016

No 2016/ 661

Rôle No 15/ 08073

Daniel D'X...

C/

Maître D..., Liquidateur judiciaire de la Société NORMED AGS-CGEA-I. D. F. OUEST

Grosse délivrée le : 30 MARS 2016 à :

Me Julie ANDREU
Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le : 30 MARS 2016

Décision déférée à la Cour :
Arrêt de la Cour de Cassation du 08 Avril 2015, enregistré au répertoire général sous le no 622 F-D prononcé sur saisine de la Cour suite

à l'arrêt de la 9ème Chambre C de la Cour d'Appel d'Aix en Provence du 7 juin 2013 enregistré au répertoire général sous le no12/ 17...

ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION DU 25 MARS 2016

No 2016/ 661

Rôle No 15/ 08073

Daniel D'X...

C/

Maître D..., Liquidateur judiciaire de la Société NORMED AGS-CGEA-I. D. F. OUEST

Grosse délivrée le : 30 MARS 2016 à :

Me Julie ANDREU
Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le : 30 MARS 2016

Décision déférée à la Cour :
Arrêt de la Cour de Cassation du 08 Avril 2015, enregistré au répertoire général sous le no 622 F-D prononcé sur saisine de la Cour suite à l'arrêt de la 9ème Chambre C de la Cour d'Appel d'Aix en Provence du 7 juin 2013 enregistré au répertoire général sous le no12/ 17250 prononcé sur appel interjeté à l'encontre du Jugement au fond du Conseil de Prud'hommes-formation paritaire de MARSEILLE du 10 septembre 2012 enregistré au répertoire général sous le no11/ 3077
APPELANT
Monsieur Daniel D'X..., demeurant ...-13400 AUBAGNE
représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Maître D..., Liquidateur judiciaire de la Société NORMED, demeurant ...-75479 PARIS CEDEX 10
représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Olivia ROGER-VASSELIN, avocat au barreau de PARIS
AGS-CGEA-I. D. F. OUEST, demeurant 130 rue Victor Hugo-92309 LEVALLOIS-PERRET CEDEX
représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE,
représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Olivia ROGER-VASSELIN, avocat au barreau de PARIS
*- *- *- *- *
COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 29 Janvier 2016 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre Mme Marina ALBERTI, Conseiller Monsieur Yann CATTIN, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2016.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2016.

Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure

Monsieur Daniel D'X... a été employé par la société Chantiers Navals de La Ciotat (CNC) devenue SA Chantiers du Nord et de la Méditerranée (ci-après Normed), sur le site de La Ciotat, en qualité de soudeur du 6 février 1967 au 22 mars 1971.
Anciennement dénommée Société de Participations et de Constructions Navales (SPCN), société constituée le 25 octobre 1982 en vue du regroupement des branches navales des trois sociétés suivantes : Chantiers de France Dunkerque (FD), Chantiers Navals de La Ciotat (CNC), Constructions navales industrielles de la Méditerranée (CNIM), la Normed a été créée le 24 décembre 1982. Cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 février 1989, désignant successivement Maître E...puis, à compter du 10 juin 2003, la Selafa MJA, en la personne de Maître D..., en qualité de mandataire liquidateur.
Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata) par arrêté du 7 juillet 2000.
Le 22 juin 2011, Monsieur Daniel D'X... a saisi le conseil des prud'hommes de Marseille pour réclamer la réparation des préjudices résultant de son exposition à l'amiante.
Par jugement du 10 septembre 2012, le conseil de prud'hommes de Marseille l'a débouté de toutes ses demandes.
Sur appel de celui-ci, par arrêt du 7 juin 2013, cette cour, réformant le jugement déféré, a :- rejeté l'exception d'incompétence,- déclaré Monsieur Daniel D'X... irrecevable en ses demandes comme étant prescrites,- dit que les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de Monsieur Daniel D'X....

Sur pourvoi formé par ce dernier avec d'autres salariés, cet arrêt a été cassé partiellement par un arrêt de la Cour de cassation en date du 8 avril 2015, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence.
Sur la prescription, cette juridiction a retenu que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, qu'en l'espèce, les salariés concernés avaient eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété à compter de l'arrêté ministériel du 7 juin 2000 ayant inscrit l'activité de réparation et de construction navale de la Normed sur la liste des établissements permettant l'accès au régime de l'ACAATA et qu'en estimant néanmoins que les demandes étaient prescrites, la cour d'appel a violé l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, l'article 26- II de cette même loi (permettant le cumul de prescriptions antérieure et postérieure à la loi du 17 juin 2008 jusqu'à trente ans) et l'article 2224 du code civil.
Le 23 avril 2015, Monsieur Daniel D'X... a saisi cette même cour, désignée comme cour de renvoi.

Prétentions et moyens des parties

Par conclusions écrites, déposées et plaidées à la barre, communes à plusieurs des affaires inscrites au rôle, Monsieur Daniel D'X... demande à la cour, au visa des articles 41 de la loi du 23 décembre 1998, 1147 du code civil et L. 4121 du code du travail, infirmant la décision rendue par le conseil des prud'hommes de Marseille le 10 septembre 2012, de :- déclarer son action recevable et non prescrite,- dire que les demandeurs ont été exposés à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la Normed dans des conditions constitutives d'un manquement à l'obligation contractuelle de sécurité de résultat de leur employeur et qu'ils subissent des préjudice qu'il convient de réparer,- fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Normed et l'indemniser de la manière suivante : ¿ 8 000 euros en réparation du préjudice lié au manquement à l'obligation de sécurité de résultat, ¿ 20 000 euros en réparation du préjudice d'anxiété.- déclarer la décision de plein droit opposable au CGEA-Ags dans les conditions prévues à l'article L. 3253-6 et suivants du code du travail et de dire que celui-ci garantira les créances dans les conditions de l'article L. 3253-15 du même code et qu'il devra avancer les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire.

Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, Maître D..., ès qualités, et le CGEA demandent à la cour : * sur la demande au titre du préjudice d'anxiété,- dire et juger que l'indemnisation du préjudice d'anxiété est réservée aux salariés remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel et, par conséquent, débouter ceux, dont Monsieur Daniel D'X..., n'apportant pas la preuve qu'ils bénéficient ou peuvent bénéficier du dispositif Acaata de leur demande relative à leur exposition à l'amiante,- dire et juger, au visa de l'article L. 3253-8 du code du travail, que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté Acaata, qu'en l'espèce l'arrêté Acaata est postérieur à l'ouverture de la procédure collective, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'Ags, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie, * sur les nouveaux fondements invoqués,- dire et juger que le dispositif Acaata couvre déjà les préjudices nécessairement causés par l'exposition à l'amiante, que le préjudice d'anxiété a pour objet d'indemniser le préjudice moral non couvert par ce dispositif sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat, que le défaut de prévention fait partie des obligations de sécurité de résultat prévues par l'article L. 4121-1 du code du travail, que le préjudice découlant d'un tel manquement n'est autre que le préjudice d'anxiété, que le préjudice invoqué n'est pas distinct de l'anxiété et, en tout état de cause, que même à considérer que les salariés apportent la preuve d'un préjudice instantané lors de l'exécution du contrat de travail, leurs demandes seraient, dès lors, prescrites, à titre subsidiaire,- réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et dire que les intérêts ont été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L 622 28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant une mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil,- dire que la garantie de l'Ags est limitée par application des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail et ne couvre pas les frais de procédure,- en toutes hypothèses, statuer ce que de droit quant aux frais de l'instance et condamner les demandeurs aux dépens.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il sera référé à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription
En application des dispositions de l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi no2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir.

En l'espèce, quelle que soit la date de rupture de son contrat de travail, faute d'un quelconque élément permettant de considérer qu'il a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer, le salarié est fondé à soutenir que le fait générateur de son préjudice, à supposer celui-ci établi, ne lui a été révélé qu'à compter de la loi du 23 décembre 1998 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant les sociétés CNIM et Normed parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.
Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite et la demande relative au préjudice d'anxiété est donc recevable.
Sur la demande nouvelle au titre du préjudice découlant du manquement à l'obligation de sécurité, il sera rappelé que toutes les demandes dérivant du même contrat de travail, entre les mêmes parties, doivent faire l'objet d'une même instance et les demandes nouvelles relatives à ce contrat sont recevables en tout état de cause et même en appel.
Par ailleurs, il convient de considérer que le salarié, bien qu'ayant eu son contrat de travail rompu plus de trente ans avant la saisine du conseil des prud'hommes, n'a pu avoir connaissance du manquement qu'il allègue à l'encontre de son employeur, également lié à la conscience d'une possible exposition à l'amiante qu'à compter de la publication de la loi du 23 décembre 1998 et de l'arrêté du 7 juillet 2000 susvisés. Son action ayant bien été diligentée dans les cinq ans de la publication de la loi du 17 juin 2008, cette demande n'est donc pas prescrite.

Sur l'irrecevabilité tirée de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998

L'article 41 de la loi no 98-1194 du 23 décembre 1998 créant un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante, prévoit le versement aux salariés ou anciens salariés d'une allocation de cessation anticipée d'activité (Acaata) sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent certaines conditions.
Il résulte de ces dispositions que le salarié qui a demandé le bénéfice de cette allocation n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenus résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal.
Monsieur Daniel D'X..., dont il n'est pas établi par les pièces figurant au dossier de la cour, qu'il ait été bénéficiaire de ce dispositif, est toutefois recevable à réclamer réparation d'un préjudice extra-patrimonial qui résulterait de la violation par l'employeur de l'obligation de sécurité de résultat qui pesait sur lui, lequel n'est pas indemnisé au titre de l'Acaata.

Sur les demandes de Monsieur Daniel D'X...

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.
D'ailleurs, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.
Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que " les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers. ".
En l'espèce, il résulte du certificat de travail établi le 8 avril 2013 que Monsieur Daniel D'X... a travaillé pour le compte de cette société sur le site de La Ciotat du 6 février 1967 au 22 mars 1971 et qu'au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de soudeur.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat

Monsieur Daniel D'X... sollicite l'allocation de la somme de 8 000 euros à ce titre, faisant valoir qu'il a été exposé à l'amiante du fait d'un manquement de son employeur à l'obligation de sécurité de résultat. Il soutient que, postérieurement à 1977 et jusqu'à sa liquidation judiciaire, le chantier naval a poursuivi son activité de construction et de réparation navale, secteur utilisant massivement de l'amiante, notamment en raison de son fort pouvoir isolant, et produit notamment aux débats :- l'attestation de Monsieur Pierre A...ancien collègue de travail, indiquant qu'il a travaillé avec Monsieur Daniel D'X... et ce sans que des mesures d'information ou de protection aient été prises par l'employeur,- un compte rendu du CHSCT du 31 janvier 1973 dont il ressort que les soudeurs utilisaient de la toile d'amiante,- diverses attestations de salariés précisant qu'ils ignoraient le caractère dangereux de l'amiante, faute d'information, alors qu'ils travaillaient en permanence dans les poussières d'amiante,- le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise de la CNC en date du 11 avril 1978 rapportant les interrogations des salariés sur les conséquences de la diffusion des poussières d'amiante sur le site de La Ciotat, ainsi que la réponse de l'employeur : " il y a tout de même des nécessités techniques qui nous amènent à utiliser certains produits, par exemple l'amiante, qui ne peuvent être remplacés par d'autres, moins nocifs ", dont il conclut qu'elle ne permet pas de considérer que celui-ci avait pris les mesures propres à faire cesser le dommage alors même que les membres du comité insistaient pour qu'une information sur le sujet soit donnée à l'ensemble du personnel et affirmaient que le stockage de ces matériaux n'était pas hermétique.

Dans leur dossier commun soumis à la cour, pour démontrer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat, et soutenant que toutes les mesures de protection nécessaires ont été prises, que l'amiante n'était plus utilisé sur le site de La Ciotat depuis 1977 et se prévalant de l'absence d'alerte de la part des diverses administrations ou organismes extérieurs à l'entreprise ainsi que des instances représentatives du personnel, du fait qu'aucun procès-verbal n'a été dressé par l'inspection du travail ni par la CRAM ou la médecine du travail et que la loi du 12 juin 1893 ne fait pas reposer sur l'employeur une règle quelconque dont l'irrespect entraînerait une faute, d'autant que l'Etat a fait preuve de carence dans la prévention des risques liés à l'exposition aux poussières d'amiante, ce pour quoi il a été condamné en 2004 par le Conseil d'Etat, le liquidateur et l'Ags se fondent principalement sur :- l'autorité de la chose jugée d'un arrêt du 15 novembre 2005 de la chambre criminelle de la Cour de cassation faisant état, selon eux, du respect des règles de sécurité sur le site de Dunkerque de la Normed, laquelle appliquerait les mêmes règles sur l'ensemble de ses sites ; cependant, cet arrêt ne concerne pas la Normed, mais une autre société, Sollac Dunkerque, en sorte que l'autorité de la chose jugée ne peut être retenue, étant observé que cet arrêt rapporte les déclarations du médecin salarié des chantiers de France Dunkerque selon lesquelles, entre 1977 et 1984, la direction était tout à fait disposée à faire le maximum en matière de sécurité et utilisait les dernières innovations permettant de limiter les dangers de l'amiante ; en outre, dans son communiqué relatif à cet arrêt, la Cour de cassation indique que la chambre criminelle n'a porté aucune appréciation sur la valeur des charges réunies contre les mis en examen, son contrôle, dans la présente affaire, se limitant à rechercher si les parties civiles se trouvaient dans l'un des cas énumérées à l'article 575 du code de procédure pénale permettant aux parties civiles de se pourvoir seules contre un arrêt de la chambre de l'instruction, en l'absence de recours du ministère public,

- des extraits de bilans des chantiers navals de La Seyne sur Mer de 1980, 1981 et 1982, mentionnant tant les investissement de l'employeur dans différents équipements destinés à l'élimination et à l'évacuation de poussières diverses, que les investissements immobiliers réalisés afin d'améliorer les conditions de travail, l'hygiène et la sécurité, en particulier dans le domaine de la ventilation des locaux,- le fait qu'au cours des réunions des comités d'hygiène et de sécurité, aucun membre ne mentionne une absence de ventilation ou de prélèvements atmosphériques, bien que parfaitement informé de la législation de 1977, ce dont il n'est pas non plus rapporté la preuve,- un document de lecture de la CGT de septembre 1982, destiné à l'ensemble de ses adhérents permettant selon l'employeur et l'Ags de retenir que les membres du personnel au CHSCT et à la commission des conditions de travail étaient avertis et formés et qu'aucune difficulté n'a jamais été évoquée du fait des poussières d'amiante, ce qui laisserait présumer du caractère efficace des protections mises en oeuvre par l'employeur ; cependant ce document formule plusieurs recommandations en matière de conditions de travail et invite ses adhérents à veiller notamment à l'hygiène atmosphérique (toxicité des produits, nature des poussières, situations de confinement...),- un document manuscrit sous forme de " question-réponse " du CHS en date du 23 février 1982, dans lequel les représentants du personnel indiquent que l'aspiration (soudeurs) marche en permanence, ce qui démontrerait-selon l'employeur et l'Ags-que la Normed avait acquis du matériel d'aspiration et de ventilation et en avait assuré l'effectivité et le bon fonctionnement constant, en outre, la lecture de ces deux documents ne permet pas de savoir quel établissement de la Normed est concerné,- un compte-rendu d'analyses établi par la Cram du Sud-Est le 28 juillet 1981, indiquant que la navinite utilisée sur les chantiers de la CNIM à La Seyne-sur-Mer contenait un taux d'amiante inférieur à 2 % et préconisant les mesures de prévention à respecter (aspiration des poussières, protection des voies respiratoires des salariés par la fourniture de masques),- la lettre adressée par le directeur du personnel de la CNIM à la commission d'amélioration des conditions de travail dépendant du comité d'entreprise, datée du 22 octobre 1981, dans lequel il est indiqué que " ce résultat ne signifie pas que de l'amiante entre dans la composition de la navinite ", mais " seulement que le dosage précis n'a pas été effectué ", " qu'en tout état de cause, la présence éventuelle d'amiante est inférieure à la proportion limite au-delà de laquelle des conditions particulières d'utilisation sont imposées ", qu'une nouvelle analyse effectuée par un autre laboratoire a révélé que les panneaux utilisés ne contenaient pas d'amiante, mais de la silice cristalline nécessitant le port de masques anti-poussières et rappelant sa décision de ne plus utiliser d'amiante ainsi que le port obligatoire du masque anti-poussières, courrier qui ne concerne en rien le site de La Ciotat,- un courrier de la CPAM du Var, daté du17 janvier 1985, indiquant que les mesures de prévention ne s'imposaient plus puisque l'amiante n'était plus utilisé sur ce site, mais que les salariés qui avaient été antérieurement exposés au risque et qui étaient encore présents dans l'entreprise pouvaient bénéficier d'une surveillance complémentaire par le Médecin du travail,- le fait qu'en mars 1977, le service en charge des travaux de calorifugeage précise que celui des tuyaux vapeur ne " se fait plus par de l'isolamiante depuis le (navire) 1414 mais avec du silicate de calcium " et que le 11 octobre 1978, le procès-verbal du CHS mentionne que le bureau d'étude doit se prononcer pour le remplacement de l'amiante " au niveau de l'isolation des colliers de fixation des tuyaux ",- des extraits des procès-verbaux des réunions du CHS de la CNIM établissement de La Seyne sur Mer, tenues le 30 mars 1977 et le 11 octobre 1978, évoquant la possibilité de remplacer l'amiante par d'autres produits et les études réalisées à cette fin, étant précisé que, lors de la première réunion, le Dr B..., qui avait préconisé de mouiller la toile d'amiante avant de la découper dans le but d'éviter la projection de fibres d'amiante, en sus du port du masque, s'est entendu répondre : " les gens emploient la laine d'amiante, ils ne peuvent donc pas la mouiller ",- le rapport 1977 de ce CHS, daté du 29 mars 1978, énumérant les diverses actions entreprises en matière de protection individuelle et collective (port de masques filtrants, amélioration de la ventilation et de l'aspiration des poussières...), et mentionnant au titre des risques de maladies professionnelles : " usinage en atelier et découpage à bord de panneaux incombustibles à base d'amiante (marinite). Les personnes effectuant de tels travaux sont placées sous la surveillance du Médecin d'Usine, qui pratique les examens prescrits par le Décret du 13 juin 1969 ",- le rapport 1978 indiquant que l'activité du CHS au cours de l'année avait porté notamment sur la ventilation et l'aspiration des poussières et fumées, que de nombreux équipements de protection individuelle avaient été distribués et que des actions collectives de prévention avaient été entreprises, mais ne comportant aucune précision en matière de protection spécifique contre l'amiante et ne faisant aucunement référence au risque d'inhalation de poussières ou de fibres d'amiante mais uniquement de poussières de fer ou de bois,- un extrait d'un document de travail d'avril 2005, intitulé : " les entrepreneurs héroïques de l'économie dunkerquoise ", rédigé par Madame C..., concernant les entreprises de Dunkerque, n'apportant aucun élément utile à la présente instance, s'agissant de considérations générales et historiques.

La plupart de ces arguments sont d'autant moins probants que jusqu'en fin 1982, les sites de Dunkerque, La Seyne sur Mer et La Ciotat appartenaient à des entreprises différentes, chacune appliquant sa propre politique de sécurité et de prévention des risques, la gestion unique n'étant intervenue qu'à la date de prise d'effet du traité d'apport et la création de la Normed.
En tout état de cause, les éléments produits par le liquidateur et l'Ags, qui sont sérieusement contredits par ceux du salarié, ne démontrent pas que l'employeur a pris toutes les mesures nécessaires sur le site de La Ciotat pendant l'ensemble de la période contractuelle, notamment celles prévues par le décret du 17 août 1977 (prélèvements atmosphériques périodiques, port des équipements individuels de protection, vérification des installations et des appareils de protection collective, information personnelle du salarié, absence de contre-indication et surveillance médicale), ni ne révèlent l'existence d'une cause étrangère non imputable à l'employeur et ne sont donc pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité.
Il en résulte que l'employeur a manqué aux dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail en ce qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et en ce qu'il s'est abstenu de mettre en place des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation ainsi que d'une organisation et de moyens adaptés. Le manquement à l'obligation de sécurité de résultat est donc avéré et le préjudice qui en découle directement est l'inquiétude que le salarié peut manifester face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et qui n'a pu naître qu'au moment où il a été informé de son exposition à l'amiante du fait de l'absence de prévention par l'employeur. Ce préjudice qui comprend l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance par celui-ci de ce risque correspond au préjudice spécifique d'anxiété.
Monsieur Daniel D'X... qui ne peut se prévaloir d'un préjudice distinct de ce préjudice d'anxiété sera donc débouté de sa demande, nouvelle en cause d'appel, en réparation du préjudice qui résulterait du seul manquement de l'employeur à son obligation de prévention laquelle est l'une des composantes de l'obligation de sécurité de résultat.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété

Le droit à indemnisation du préjudice d'anxiété, qui repose sur l'exposition des salariés au risque créé par leur affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité.
Les sociétés Chantiers navals de La Ciotat (CNC)/ Chantiers du Nord et de la Méditerranée (Normed) ont été classées parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000. Cet arrêté précise en son annexe I la liste des métiers susceptibles d'ouvrir droit, au profit de ceux les ayant exercés, à l'allocation de cessation anticipée d'activité.
Le poste occupé par Monsieur Daniel D'X... est l'un de ceux visés sur cette liste des métiers.
Il résulte de ces éléments qu'il a travaillé pour le compte de la Normed en exerçant un métier figurant sur la liste annexée à l'arrêté du 7 juillet 2000 durant la période d'exposition au risque visée par cet arrêté et remplit les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998. Il a donc été exposé à l'amiante et se trouve-de par le fait de l'employeur-dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante qu'il ait bénéficié ou non du dispositif Acaata.
Le préjudice d'anxiété est par nature unique et indivisible. Compte tenu des éléments de la cause, à savoir les fonctions occupées, les attestations de Madame Audrey D'X...et Monsieur Daniel D'X... qui relatent l'inquiétude manifestée par Monsieur Daniel D'X... quant à son état de santé et la durée d'exposition au risque, ce préjudice spécifique, incluant le bouleversement dans les conditions d'existence, sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Normed.

Le jugement sera donc infirmé en ce sens.
Sur la garantie de l'Ags
En application des dispositions des articles L. 3253-6 et L. 3253-8 du code du travail, l'Ags couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par le salarié ; aucun des éléments versés aux débats ne peut permettre de retenir que ce préjudice aurait pu naître à une date antérieure à celle de publication de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité de réparation et de construction navale de la Normed sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'Acaata, soit au plus tôt le 7 juillet 2000, à une date nécessairement postérieure à l'ouverture de la procédure collective, la société ayant été placée en redressement judiciaire le 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire le 27 février 1989.
Dès lors, l'Ags ne peut être tenue à garantie.
Sur les dépens
Les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la liquidation judiciaire,

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, et après cassation,
Infirme le jugement déféré,
et statuant à nouveau,
Déclare les demandes de Monsieur Daniel D'X... à l'encontre de la Normed recevables,
Dit que celles-ci ne sont pas prescrites,
Déboute Monsieur Daniel D'X... de sa demande nouvelle formée au titre de la réparation du préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat,
Fixe la créance de Monsieur Daniel D'X... au passif de la liquidation judiciaire de la société SA Chantiers du Nord et de la Méditerranée dite Normed à la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété incluant le bouleversement dans ses conditions d'existence,
Dit que la créance ainsi fixée au bénéfice du salarié au titre de l'indemnisation de son préjudice d'anxiété n'est pas garantie par le CGEA-Ags de Ile de France Ouest,
Dit que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'aix-en-provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 15/08073
Date de la décision : 25/03/2016
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.aix-en-provence;arret;2016-03-25;15.08073 ?
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