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20/02/2018 | FRANCE | N°16/09179

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 1ère chambre a, 20 février 2018, 16/09179


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

1ère Chambre A



ARRÊT AU FOND

DU 20 FEVRIER 2018

D.D

N° 2018/













Rôle N° 16/09179







[R] [O]

Société BANK SAINT PETERSBURG





C/



[F] [W]

[J] [W]





















Grosse délivrée

le :

à :Me Bernie

Me Vigneron

















Décision défÃ

©rée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 15 Octobre 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 12/03914.





APPELANTS



Monsieur [R] [O]

né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 1] (REP. DU TATARSTAN)

de nationalité Russe, demeurant [Adresse 1] (RUSSIE)

représenté et assisté par Me Marc BER...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

1ère Chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 20 FEVRIER 2018

D.D

N° 2018/

Rôle N° 16/09179

[R] [O]

Société BANK SAINT PETERSBURG

C/

[F] [W]

[J] [W]

Grosse délivrée

le :

à :Me Bernie

Me Vigneron

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 15 Octobre 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 12/03914.

APPELANTS

Monsieur [R] [O]

né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 1] (REP. DU TATARSTAN)

de nationalité Russe, demeurant [Adresse 1] (RUSSIE)

représenté et assisté par Me Marc BERNIE de la SELARL BERNIE-MONTAGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE,plaidant

Société BANK SAINT PETERSBURG agissant poursuites et diligence de ses représentants légaux domiciliés audit siège, [Adresse 2]RSBURG(RUSSIE)

représentée et assistée par Me Marc BERNIE de la SELARL BERNIE-MONTAGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIMES

Madame [F] [W]

née le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 2] RUSSIE, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Bernard VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté par Me François AMELI, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [J] [W]

né le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 3] KAZAKHSTAN, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Bernard VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté par Me François AMELI, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame DEMONT, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Anne VIDAL, Présidente

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Février 2018

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Février 2018,

Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé du litige

Statuant sur une assignation du 31 juillet 2012, par jugement contradictoire en date du 15 octobre 2015, le tribunal de grande instance de Nice a rejeté la demande d'exequatur en France de la décision de justice en date des 2 février 2012 et 7 mai 2012 de la Haute Cour de justice des Iles vierges britanniques, dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile, et condamné la Bank Saint-Petersburg et M. [R] [O] aux dépens.

Le tribunal retient en ses motifs :

' qu'à défaut de convention bilatérale de coopération en matière judiciaire entre les Îles vierges britanniques et la République française, il y a lieu de faire application de l'article 509 du code de procédure civile français aux termes duquel les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi ; que le tribunal doit donc vérifier que sont remplies les trois conditions suivantes : la compétence du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international du fond et de la forme du jugement dont s'agit et l'absence de fraude à la loi ;

' que la décision du 2 février 2012 de la Haute Cour de justice des Iles vierges britanniques emporte condamnation des époux [W] à payer les frais engagés par la Bank Saint-Petersburg et M. [O] dans le cadre de la procédure de mainlevée de la mesure de gel des biens ayant fait l'objet d'une ordonnance du 11 janvier 2012, et que la décision du 7 mai 2012 correspond au jugement qui a liquidé les frais mis à charge des [W] ;

' que ces deux décisions ont été rendues dans le cadre d'une procédure d'exécution engagée à l'encontre de plusieurs sociétés, dont la Bank Saint-Petersburg et M. [R] [O], demandeurs à l'exequatur, par les époux [W] qui avaient obtenu par une simple ordonnance sur requête du 9 novembre 2011 le gel des biens de ces sociétés, ordonnance qui a été rétractée le 30 décembre 2011 ;

' que la condamnation des époux [W] est intervenue au motif que les requérants n'avaient pas fourni la contre-garantie du gel des avoirs de la banque et de son dirigeant, d'une part, et qu'ils n'avaient pas fait valoir leur argumentation devant le juge du fond, d'autre part ;

' que le premier critère de l'article 509 du code de procédure civile sur la compétence du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi étant remplie, sur le deuxième critère de la conformité à l'ordre public international, les époux [W] soutiennent que le montant exorbitant des frais de procédure mise à leur charge a été fixé de manière automatique faisant obstacle à leur libre accès à la justice ;

' que le principe de la constitution d'une contre-garantie à l'exécution d'une décision provisoire est un mécanisme qui n'est pas contraire à l'ordre public français ; que par décision du 9 novembre 2011 la Haute cour de justice des Îles vierges britanniques a fait droit à la demande de gel des avoirs des demandeurs et fixé à la somme de 3 millions de dollars américains (USD) le cautionnement bancaire destiné à couvrir les conséquences préjudiciables qui pourraient résulter du gel des biens de leurs adversaires, versement devant intervenir dans le délai d'un mois ;

' que la poursuite de l'instance devant la Haute cour a révélé les difficultés des requérants à consigner la somme fixée par la cour, compte tenu de la situation financière des époux [W] et du contexte particulier du litige les opposant à la Bank Saint-Petersburg et à M. [R] [O] ; que le défaut de consignation a eu pour effet d'empêcher les époux [W] de faire exécuter l'ordonnance rendue à leur bénéfice autorisant le gel des avoirs de la Bank Saint-Petersburg et de M. [R] [O] ;

' que par ordonnance du 7 mai 2012 la Haute Cour de justice des Îles vierges britanniques a liquidé les frais mis à la charge des époux [W] à la somme de 984'789,01 USD ;

' que la Bank Saint-Petersburg et M. [R] [O] arguent de ce que cette somme ne représente que 0,75 % du montant des demandes adverses, qui s'élevaient au total à 132 millions USD, ce qui n'est pas exorbitant au regard des pratiques et usages judiciaires ;

' que sans remettre en cause la décision étrangère rendue, il y a lieu de rechercher si les requérants ont de mauvaise foi refusé de verser le cautionnement fixé ou se seraient trouvés dans une situation indépendante de leur volonté pour respecter leurs engagements et si les frais mis à la charge des époux [W] seraient ou non disproportionnés à leurs capacités financières ;

' que compte tenu de leur situation personnelle en France, les époux étant titulaires d'une carte de séjour et bénéficiaires de la protection subsidiaire de la France, au regard des conditions de détention en Russie, l'asile politique leur ayant été refusé à deux reprises, mais deux arrêts de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de ce siège des 10 novembre 2011 et 24 mai 2012 ayant émis un avis défavorable à leur extradition vers la Fédération de Russie d'une part, et compte tenu de leur situation économique affaiblie par la saisie de leurs biens situés sur les territoires de la Fédération de Russie, d'autre part, ainsi que de leur impossibilité de respecter leur engagement de fournir une sûreté à hauteur du montant de 3 millions réclamés, les époux [W] ne peuvent faire face au paiement des frais de procédure dont le montant est manifestement disproportionné à leurs capacités financières ;

' et qu'il convient en conséquence de refuser d'accorder l'exequatur des deux décisions de justice des 2 février 2012 et 7 mai 2012 de la Haute Cour de justice des Îles vierges britanniques.

Le 19 mai 2016 la société de droit russe Bank Saint-Petersburg et M. [R] [O] ont relevé appel de cette décision.

Par conclusions du 1er janvier 2018, ils demandent à la cour :

' de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que les juridictions des Iles Vierges Britanniques avaient compétence pour rendre les décisions dont l'exequatur est sollicitée ;

l'infirmant pour le surplus,

' de prononcer l'exequatur des ordonnances de taxes rendues les 2 février et 7 mai 2012 par lesquelles la Haute Cour de Justice des Îles Vierges Britanniques a condamné Mme [F] [W] et M. [J] [K] [W] à payer à la Bank Saint Petersburg et à M. [R] [O] la somme de 984 789,01 USD ;

' de dire que cette décision pourra être exécutée sur l'ensemble du territoire français, y compris les départements et territoires d'outre-mer ;

' et de condamner les requis à verser 100'000 € à la Bank Saint-Pétersbourg au titre des frais irrépétibles de l'instance outre les entiers dépens de l'instance à distraire.

La Bank Saint-Petersburg et M. [R] [O] font valoir :

' que les époux [W] ont déposé une première requête aux fins de geler les biens des appelants qui a été rejetée le 11 juillet 2011 par le juge [N] qui s'était estimé incompétent pour ordonner une telle mesure en l'absence de lien de rattachement entre les juridictions des Îles vierges britanniques et les destinataires de la mesure ;

' que les époux [W] ont formé appel de cette décision et obtenu le 9 novembre 2011 une décision d'appel faisant droit à l'ensemble de leurs demandes, car une des sociétés défenderesses, la société Havana, avait son siège dans les Îles vierges britanniques ;

' que pour obtenir cette décision, ils se sont engagés devant la cour d'appel des Îles vierges britanniques à fournir dans le délai d'un mois une contre garantie prenant la forme d'un cautionnement bancaire de 3 millions de dollars afin de couvrir les conséquences préjudiciables qui pourraient résulter du gel des biens de leurs adversaires ;

' qu'ils ont soutenu que cette garantie était disponible et à aucun moment ils n'ont exposé qu'il leur serait difficile de la fournir ;

' qu'à l'audience du 5 décembre 2011 l'affaire est revenue et bien que les 3 millions ne fussent pas déposés, l'ordonnance de gel des biens des appelants a été maintenue ; que la cour a octroyé aux saisissants un délai expirant le 21 décembre 2011 pour consigner les 3 millions de dollars américains ;

' qu'à cette date du 21 décembre 2011 les époux [W] n'ont pas respecté l'engagement de cautionnement réciproque d'avoir à produire une contre garantie d'un montant de 3 millions de dollars et que le 11 janvier 2012 l'ordonnance de saisie a été levée ;

' qu'à l'audience du 28 mars 2012 dont le seul objet était de fixer le montant des dépens et des frais irrépétibles qui devaient être mis à la charge des époux [W] , les avocats de ces derniers et de la société Oslo marine Port LLC étaient bien présents ; qu'en revanche ils ont indiqué qu'ils ne comparaîtraient pas à l'audience de renvoi du 7 mai 2012 ;

' que chaque poste des frais de la procédure que les époux avaient engagée a été discuté devant le juge, ce dont les minutes des audiences rendent compte ; que les époux n'ont pas régularisé leur appel de sorte que les décisions sont définitives ;

' que par actes des 30 juin et 2 juillet 2008 l'épouse commune en biens a acquis un appartement sis à [Localité 4] sur la promenade des anglais au prix de 1'400'000€, le prix ayant été payé comptant ; que la valeur de cet appartement est largement supérieure au montant de la condamnation dont l'exequatur est poursuivie ;

' que M. [W], l'époux qui se prétend démuni, est l'unique associé d'une SARL coFrance générant une marge brute de plus de 200'000 € par an qui propose des services de courtage en mégayachts et en jets privés mais aussi en assurance et en optimisation fiscale ;

' que le tribunal s'est livré à une révision prohibée de la décision étrangère rendue « en abordant le fond du litige déjà tranché à l'étranger, en recherchant et le cas échéant en censurant un mal fondé de la décision étrangère » ; qu'il a excédé l'unique pouvoir qui lui appartenait de contrôler le jugement étranger au regard des seules conditions de régularité, en quelque sorte extrinsèque, de ce jugement conformément à la jurisprudence de l'arrêt Munzer (1ère ch. civile 7 janvier 1964) ; qu'il n'appartenait pas au juge français de se livrer à une révision de la décision du juge des Îles vierges britanniques en examinant en ses motifs la question de savoir si les requérants auraient ou non de mauvaise foi refusé de verser le cautionnement de 3 millions de dollars fixé ;

' que le juge niçois n'avait pas à prendre en considération la situation de fortune des époux [W] ni à statuer sur leur responsabilité ; que le fait que les époux se soient trouvés dans une situation financière dégradée ne justifiait pas qu'il ne respectassent pas leur engagement de déposer la somme de 3 millions de dollars américains offerte en contre garantie de la sûreté qu'ils sollicitaient ;

' qu'au demeurant ils n'ont connu aucun revirement de fortune entre la date à laquelle l'engagement de déposer 3 millions de dollars a été pris et le jour où ils ont obtenu l'ordonnance de gel des avoirs ;

' que les époux ont été entendus alors même qu'ils n'avaient pas consigné les 3 millions promis, y compris lorsque le juge a examiné la question des frais et dépens objet de la procédure ;

' que les appelants ont subi des préjudices, tant les frais de procédure que la baisse du cours de l'action de la banque résultant des communications faites par M. [W] dans les différents médias russes ;

' que par le jugement longuement motivé sur 18 pages en date du 12 février 2012 le juge [N] a retenu le principe de l'indemnisation et de la condamnation des demandeurs à l'action au frais et dépens ; qu'il a laissé le choix aux parties de s'entendre sur le quantum ;

' que par lettre du 3 mai 2012 l'avocat des époux [W], après avoir comparu le 28 mars 2012, a notifié au tribunal qu'il était dans l'intention de ses clients de ne pas être représentés à la seconde audience et s'est excusé par avance de son absence le 17 mai 2012, sans jamais invoquer aucune difficulté ni solliciter de renvoi, date à laquelle la seconde décision a été rendue ;

' qu'il n'y avait aucune raison de récuser le juge [N] ; que s'il avait déjà eu à connaître de l'affaire en première instance et avait refusé d'ordonner le gel des avoirs, c'est d'une part pour des raisons de compétence territoriale et non sur le bien-fondé de la mesure et d'autre part parce que le droit processuel des îles vierges britanniques est attaché au double degré de juridiction, même pour les frais et dépens, contrairement au droit français, et que l'opposition aux frais est soumise à l'appréciation du même premier juge, même s'il a déjà été réformé, pour pouvoir donner lieu le cas échéant à un nouveau recours et nouvel examen ;

' et pour répondre à un moyen qui semble être encore opposé par les époux  [W], que les mesures d'exécution forcée entreprises en Russie portent sur des dettes cautionnées par M. [W] de 2'544'066 524 roubles (RUB), soit 65'535'154 € et ne concernent pas le paiement des condamnations prononcées à leur encontre aux Îles vierges britanniques.

Par conclusions du 29 décembre 2017 M. [J] [M] [W] et Mme [F] [W] demandent à la cour, au visa de l'article 509 du code de procédure civile, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, y ajoutant, de débouter la Bank Saint-Petersburg et M. [R] [O] de toutes leurs demandes, et de les condamner à leur payer la somme de 20'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction.

Il soutiennent :

' que la demande d'exequatur s'inscrit dans un vaste ensemble de procédures diligentées par la banque Saint-Pétersbourg et son dirigeant, M. [O], en lien avec le pouvoir politique, contre les époux [W] en vue de les déposséder de la totalité de leurs actifs, M. [W] étant considéré comme un homme d'affaires dissident au régime présidentiel ; qu'ils se sont réfugiés en France ayant été dépossédés de tous leurs biens ; que le tribunal de grande instance de Nice a été saisi en 2010 d'une demande d'exequatur de trois jugements russes d'abus de confiance au préjudice de la banque de Saint-Pétersbourg ; que l'époux, M. [W], vient d'apprendre qu'il est visé par une nouvelle plainte des appelants pour blanchiment ;

' que dans le cadre d'investigations menées par M.[W] pour connaître le sort des biens du groupe OMG dont il a été spolié, il a découvert que certains biens avaient été logés dans des sociétés offshore appartenant directement ou indirectement à la banque Saint-Pétersbourg et ses dirigeant ou associés, lesquels sont situés à Chypre et aux Îles vierges britanniques ;

' qu'il a été autorisé à procéder à la saisie à hauteur de 4 milliards de roubles, soit plus de 132 milliards de dollars américains, des avoirs des sociétés au profit desquelles les avoirs de son groupe ont été détournés, ainsi que de ceux de M. [O], président de la banque, personnellement ;

' il s'agissait d'une ordonnance de gel mondial des avoirs à l'encontre de M. [O] et de 14 autres entités juridiques dépendant directement ou indirectement de la banque Saint-Pétersbourg, la mesure conservatoire interdisant de commettre tout acte de disposition et de gestion ou de diminuer la valeur de tout bien qui se trouve sur le territoire des îles vierges britanniques ou en dehors du territoire des îles vierges britanniques ;

' que pour exécuter une telle ordonnance, le juge avait inclus une exigence procédurale, habituelle en la matière, à savoir la production d'une garantie bancaire d'un montant minimum de 3 millions de dollars américains, garantie que les époux n'ont pas pu réunir dans les délais requis, ce qui a entraîné la caducité de l'ordonnance ;

' qu'il s'est avéré que la banque de Saint-Pétersbourg avait exercé des pressions politiques sur la banque Vozrojdenie, autre banque du groupe de M. [W] qui le soutenait encore ;

' que suite au retrait de la banque, les époux [W] sont tombés dans un état d'impécuniosité totale à compter de l'année 2012, ce qui leur a retiré toute possibilité de représentation devant les tribunaux anglais et devant ceux des Îles vierges britanniques ;

' que la cour d'appel de Londres a rendu une importante décision le 14 mai 2014 interdisant toute action en recouvrement, notamment en France ; que les époux [W] se sont défendus personnellement avec l'aide d'un ami russe juriste qui connaît le droit anglais ;

' que les parties par l'échange de lettres de leur conseil de décembre 2011 avaient admis la compétence exclusive des tribunaux de Londres, de sorte qu'aucun autre tribunal n'aura compétence sur le fond du litige ;

' que le seul bien qu'ils possèdent en France est leur résidence principale où ils habitent avec leurs enfants d'une valeur de 1 400'000 € et sur lequel la même banque de Saint-Pétersbourg a pris une hypothèque judiciaire d'un montant de plus de 20 millions d'euros ;

' que les appelants leur prêtent une situation financière qu'ils n'ont pas ;

' que la société de commercialisation de yachts et de jets privés a généré au cours de l'année 2017 des pertes à hauteur de 90'000 € ;

' que les décisions dont il est demande l'exequatur portent sur le paiement de diverses sommes en tant que frais de procédure et frais de la requête ;

' que le premier juge français a considéré justement que sa mission consiste, pour déterminer si la décision étrangère est conforme à l'ordre public, à s'interroger sur l'adéquation entre les frais de justice et les facultés contributives des plaideurs ;

' que le juge des Îles vierges a retenu sa propre compétence alors qu'il aurait dû, en raison de l'accord intervenu entre les parties, suspendre la procédure en cours devant les tribunaux de ce pays et ne se prononcer sur la question des frais que lorsque la cour de Londres qui a désormais seule compétence sur le fond de l'affaire se sera prononcée ;

' que les époux [W], dans la partie de la procédure où ils étaient encore représentés, n'ont cessé de réclamer son désistement en faveur du juge anglais ou au minimum le sursis à statuer ;

' que le juge étranger a mis à leur charge la somme faramineuse de plus de 980'000 dollars américains sur l'unique base de la non fourniture d'une caution bancaire d'un montant exorbitant de 3 millions de dollars américains ;

' qu'il a déjà été jugé par la Cour de cassation, 'qu'une cour d'appel ne peut accorder l'exequatur à des décisions étrangères taxant les frais des défendeurs dès lors qu'il apparaît, sans avoir pour autant à la réviser, que l'importance de ces frais mis à charge du demandeur, dont la prétention n'a même pas été examinée faute d'avoir déposé la caution judiciaire ordonnée, a été de nature à faire obstacle à libre accès à la justice' ; qu'il s'agissait d'une décision de la High Court de Londres qui avait ordonné la fourniture par le demandeur d'une caution judiciaire de 25'000 livres pour garantir le paiement éventuel des frais des intimés, caution qui n'avait pas pu être fournie, de sorte que la demande avait été rejetée ;

' qu'en l'espèce, en pratique, les époux [W] n'ont pas fait signifier l'ordonnance de saisie obtenue ; que les appelants n'ont subi aucun préjudice ; que les frais dont s'agit ne sont donc pas des préjudices subis par la banque du fait de la mise en place des sûretés mais uniquement des frais de procédure ;

' qu'en Angleterre la banque poursuit une tout autre stratégie, où, pour soigner son image, elle vient de proposer aux époux [W] d'acquérir la propriété qu'ils avaient en Bulgarie et que cette même banque avait déjà saisie, au prix de 1'200'000€ et de laisser cette somme à leur disposition pour qu'ils puissent payer les frais de justice, en limitant au territoire anglais cette possibilité de paiement des frais de justice ;

' que si la première décision du 2 février 2012 comporte 16 pages de motivation, la seconde décision dont l'exequatur est demandée n'est pas motivée ; que les époux qui n'étaient recherchés et qui n'avaient plus de concours financiers n'ont pas comparu à la seconde audience  ;

' que le juge [N] qui avait refusé de prendre les mesures conservatoires a siégé à nouveau dans le cadre de cette procédure et a lui-même prononcé les ordonnances litigieuses ; et que ce procédé rend sujette à caution l'impartialité du juge qui a rendu cette décision aux Îles vierges britanniques.

Motifs

Attendu que par décision du 9 novembre 2011 la Haute cour de justice des Îles vierges britanniques a fait droit à la demande de gel des avoirs des demandeurs et fixé à la somme de 3 millions de dollars américains (USD) le cautionnement bancaire destiné à couvrir les conséquences préjudiciables qui pourraient résulter du gel des biens de leurs adversaires, versement devant intervenir dans le délai d'un mois ;

Attendu que le cautionnement de 3 millions de dollars américains n'était pas une condition d'accès à la justice des Îles vierges britanniques, mais qu'il était une garantie que les époux offraient à la juridiction pour couvrir les dommages que pourrait occasionner la mise en 'uvre de l'ordonnance prononçant le gel des avoirs des appelants ; que le principe de la constitution d'une contre-garantie à l'exécution d'une décision provisoire est un mécanisme qui n'est pas contraire à l'ordre public français ;

Attendu ensuite que le juge de la Haute cour de Justice des Iles vierges britanniques, l'honorable juge [N], après avoir rendu une ordonnance avec le consentement des parties fixant les modalités de mainlevée de la décision de gel des avoirs, a arrêté par ordonnance du 2 février 2012 dont il est demandé l'exequatur, le principe selon lequel la charge des frais de procédure devait peser sur les demandeurs à l'action, les époux [W] ; qu'il énonce notamment dans cette décision, longuement motivée :

« Mr. [M] [le conseil des époux [W]] objecte qu'il existe un contrat entre les parties contenu dans un échange de correspondance stipulant que la procédure doit être suspendue. Il soutient que l'accord pour suspendre la procédure est muet sur la question des frais. Que selon lui les défendeurs à l'action ne sont pas libres de revenir devant le tribunal pour solliciter des mesures améliorant leur situation par rapport à ce qui était convenu dans la correspondance et qu'ils auraient dû prévoir le sort des frais et toute autre question accessoire dans les échanges des 12 et 14 décembre 2011.

Je ne saurais accepter cette argumentation. [Y] et [E] [ le conseil de la banque] avaient expressément réservé la question de la compétence, c'est-à-dire s'était réservé le droit de soutenir que les ordonnances n'auraient jamais dû être prononcées. Personne ne pouvait avoir l'illusion le 14 décembre 2011 que l'échange de correspondance mettait fin à l'intégralité de la procédure devant cette juridiction. J'estime que cette correspondance a eu pour seul effet de constater l'accord des parties pour porter l'affaire devant les tribunaux anglais, pour le cas où la procédure devrait se poursuivre. Elle n'a pas mis fin à la procédure inachevée dans les Iles vierges britanniques.

Autrement dit, les droits et obligations ayant déjà pris naissance n'ont pas été affectés par l'accord de suspension de la procédure. Les demandeurs ont accepté cela lorsqu'ils ont consenti à l'ordonnance du 11 janvier 2012 donnant mainlevée de l'ordonnance de gel des biens, qui réserve expressément les droits des défendeurs de réclamer des dommages intérêts et la condamnation aux dépens.

(')

32 - En conséquence, si la bonne approche à adopter pour statuer sur le sort des frais de cette procédure consiste à se demander si l'autorisation de signifier hors du ressort de compétence de ce tribunal et si l'ordonnance de gel des avoirs n'aurait jamais dû être sollicitée, ma réponse est qu'elle n'aurait jamais dû l'être, pour les motifs exposés à propos des 6 arguments [analysés longuement supra].

Si en outre la bonne approche consiste à poser la question supplémentaire de savoir si les conditions dans lesquelles elles ont été obtenues justifient leur mainlevée, j'estime que la réponse est affirmative pour les mêmes raisons. C'est pourquoi à titre subsidiaire ou complémentaire, sur la question de l'abandon de la mesure de gel des biens, j'estime juste et équitable que les demandeurs payent tous les frais de procédure des défendeurs représentés à l'instance, y compris les frais qu'ils ont encourus à l'occasion de l'audience du 5 décembre 2011 et de l'appel de l'ordonnance qui devront être taxés faute d'accord entre les parties.

(') J'estime en conséquence que la banque et M. [O], ainsi que le quatorzième défendeur, sont en mesure de demander au tribunal d'exercer son pouvoir d'appréciation souveraine et d'ordonner une enquête afin de déterminer le montant du préjudice qu'ils ont pu subir en conséquence du prononcé de l'injonction ('). Il est soutenu qu'il convient de refuser une enquête en l'espèce au motif que la banque aurait agi à tort en empêchant les demandeurs d'obtenir un financement d'autres sources. Cette allégation pourrait éventuellement fonder une demande à l'encontre de la banque mais je ne vois pas pourquoi cela l'empêcherait d'obtenir réparation du préjudice causé par le prononcé d'une injonction qui n'aurait jamais dû être sollicitée et qui a depuis, été levée d'un commun accord.» ;

Attendu que faute d'accord entre les parties, le juge [N] a ensuite présidé le 28 mars 2012 l'audience relative à la fixation du montant total des dépens ;

Attendu que le montant de ces frais a été évalué à l'issue d'un long débat contradictoire devant ce juge, fidèlement et entièrement retranscrit par des notes d'un greffier assermenté sténotypiste, en présence des avocats des deux parties ; que les époux [W] représentés par leur conseil ont discuté poste par poste les montants réclamés ; que chacun des honoraires, frais de transport, frais de traduction, etc. a été examiné ;

Attendu que l'audience s'étant prolongée, et alors que les derniers points restaient à examiner, après avoir confirmé sa disponibilité pour le 7 mai 2012, l'avocat des époux [W] a fait connaître ensuite qu'il ne comparaîtrait pas à cette date en s'excusant par avance de son absence, sans en préciser les motifs ;

Attendu que la discussion pied à pied a néanmoins continué à l'audience du 7 mai 2012 qui a conduit à la seconde décision dont il est demandé l'exequatur, entre le juge taxateur et l'avocat de la banque, toujours poste par poste ; que face aux remarques et critiques du juge, l'avocat de la banque et de M. [O] a dû justifier du coût d'une procédure en défense à conduire à l'étranger, en particulier aux Iles vierges britanniques ;

Attendu qu'il ressort d'une consultation sur la procédure suivie aux Îles vierges britanniques, auprès d'une avocate du barreau d'Angleterre et du pays de Galles et des Îles vierges britanniques, prenant la forme d'une déposition solennelle sous serment de cette dernière, que 'l'ordonnance de taxe' qui est rendue aux Îles vierges britanniques n'est pas une décision à caractère provisoire ; que la décision de taxe a été signifiée à la société d'avocats des époux [W] en mains propres le 9 mai 2012 ; que le 21 mai 2012 les époux [W] ont saisi la cour d'appel d'une demande de relevé de forclusion pour pouvoir former appel de la décision du 2 février 2012 et d'une demande d'autorisation de faire appel de la taxe des dépens du 7 mai 2012 ; que ces deux demandes ont été rejetées par le juge d'appel [N] le 6 juillet 2012 ; que les époux ont tenté de déposer deux demandes le 20 juillet 2012 tendant à l'infirmation des arrêts rendus par le juge d'appel [N] et tendant à obtenir la révision par la cour d'appel, siégeant en séance plénière, de la question de l'autorisation d'interjeter appel et de la réouverture des délais d'appel ; qu'elles sont restées longuement en suspens au rôle car les droits de greffe n'avaient pas été réglés ; qu'en effet selon les règles de procédure civile des Îles vierges britanniques, les documents ne peuvent pas être considérés comme ayant été déposés au greffe tant que les droits n'ont pas été acquittés, étant observé que les frais de dépôt des documents près la cour d'appel sont minimes, les droits applicables étant de 12 dollars américains pour une déclaration d'appel ;

Attendu qu'il n'y a actuellement aucun appel en cours car les demandes d'autorisation d'interjeter appel, dont l'une hors délai, n'ont pas pu être examinées ;

Attendu que par l'ordonnance du 7 mai 2012 le juge de la Haute Cour de justice des Îles vierges britanniques a liquidé les frais mis à la charge des époux [W] à la somme de 984'789,01 USD, laquelle somme n'est pas exorbitante au regard du montant de leur demande de gel des avoirs, qui s'élevait au total à 132 millions USD, et de la pratique et des usages de les pays de droit anglo-saxon ; que les parties qui sont à l'initiative d'actions en justice dans ces pays ne peuvent pas feindre de l'ignorer ;

Attendu que les époux [W] ont eu accès à la justice des îles vierges britanniques ; que les époux ont été entendus alors même qu'ils n'avaient pas consigné les 3 millions promis, y compris lorsque le juge a statué sur la question des frais et dépens objet de la procédure d'exequatur ; qu'aucun manquement au droit d'accès au juge ne peut être retenu ;

Attendu que si la situation financière personnelle des époux [W] les a mis dans l'impossibilité de respecter leur engagement de fournir une sûreté à hauteur du montant de 3 millions réclamés, et s'ils n'ont pas pu opérer la mesure de gel des avoirs des appelants, ils n'en demeurent pas moins tenus au paiement des frais de procédure ;

Attendu que la somme de 984'782,01 € n'est pas une condamnation prononcée aux motifs que la caution n'a pas été fournie, mais une condamnation aux frais que la banque et son actionnaire ont exposés pour défendre à l'action engagée par les époux [W] et pour que ces défendeurs obtiennent la mainlevée de l'ordonnance ayant indûment gelé leurs avoirs ;

qu'il s'agit de la réparation du préjudice causé à la partie adverse par l'obligation d'avoir à défendre en justice contre une action qui s'est révélée mal fondée ; qu'il est à souligner que les époux [W] ne sont pas défendeurs à une action engagée contre eux qui les auraient exposés à ces frais élevés, mais qu'ils ont engagé l'action et qu'ils ont choisi la juridiction des Îles vierges britanniques ;

Attendu que le moyen tiré de la disproportion alléguée du montant des frais mis à la charge des [W] avec leurs capacités financières doit être écarté, les appelants faisant valoir exactement que la mauvaise santé financière d'un débiteur ne saurait faire obstacle au prononcé de l'exequatur d'une décision d'indemniser, sauf à devoir considérer que les juges ne pourraient plus rendre de décisions qu'à la condition que les débiteurs soient solvables ;

Attendu que la procédure suivie et le montant des frais ne heurtent donc pas l'ordre public français ; qu'il convient en conséquence d'accorder l'exequatur des deux décisions de justice des 2 février 2012 et 7 mai 2012 de la Haute Cour de justice des Îles vierges britanniques.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau et y ajoutant,

Prononce l'exequatur des ordonnances de taxes rendues les 2 février 2012 et 7 mai 2012 par la Haute Cour de Justice des Îles Vierges Britanniques ayant condamné Mme [F] [W] et M. [J] [K] [W] à payer à la Bank Saint Petersburg et à M. [R] [O] la somme de 984 789,01 dollars américains (USD),

Dit que ces décisions pourront être exécutées sur l'ensemble du territoire français, y compris les départements et territoires d'outre-mer,

Condamne in solidum Mme [F] [W] et M. [J] [K] [W] à payer à la Bank Saint Petersburg et à M. [R] [O] ensemble, la somme de 5  000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 1ère chambre a
Numéro d'arrêt : 16/09179
Date de la décision : 20/02/2018

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 1A, arrêt n°16/09179 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-02-20;16.09179 ?
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