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20/05/2022 | FRANCE | N°18/18257

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-1, 20 mai 2022, 18/18257


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1



ARRÊT AU FOND

DU 20 MAI 2022



N° 2022/199



Rôle N° RG 18/18257 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDLR2







[S] [I]





C/





SA POMONA













Copie exécutoire délivrée le :



20 MAI 2022



à :



Me Emilie MILLION-ROUSSEAU de la SELARL RACINE, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Katell MADEC, avocat au barreau de MARSEILLE

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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 16 Octobre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/00319.





APPELANT



Monsieur [S] [I], deme...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 20 MAI 2022

N° 2022/199

Rôle N° RG 18/18257 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDLR2

[S] [I]

C/

SA POMONA

Copie exécutoire délivrée le :

20 MAI 2022

à :

Me Emilie MILLION-ROUSSEAU de la SELARL RACINE, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Katell MADEC, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 16 Octobre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/00319.

APPELANT

Monsieur [S] [I], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Emilie MILLION-ROUSSEAU de la SELARL RACINE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

SA POMONA, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Sandrine MATHIEU-BEGNIS, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Katell MADEC, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Mai 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Mai 2022

Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Le 12 juillet 1993, Monsieur [I] a été embauché dans le cadre d'un contrat à durée déterminée en tant que Préparateur de commandes au sein de l'agence POMONA d'[Localité 3]. Le 9 septembre 1993, son contrat de travail à durée déterminée a été prolongé jusqu'au retour d'un salarié absent pour maladie.

La relation de travail s'est ensuite poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

Le 4 octobre 1995, il a été victime d'un accident du travail.

Le 12 décembre 1995, il a dû subir une première opération de hernie discale L5/S. Le 17 mars 1998, il a subi une seconde opération en raison d'une récidive de hernie discale L5/S1.

En 1995, suite à cet accident de travail, il a été contraint de s'arrêter durant trois ans et a passé une visite de pré-reprise le 31 août 1998 auprès du Médecin du travail qui a conclu qu'un aménagement de poste était à prévoir.

Le 5 octobre 1998, Monsieur [I] a été déclaré apte au poste de réassort avec transpalette électrique.

Le 8 octobre 1998, Monsieur [I] s'est vu attribuer un taux d'incapacité permanente partielle de 8% et le 25 novembre 1998, la COTOREP a reconnu à Monsieur [I] la qualité de travailleur handicapé.

À compter du 1er juin 2001, Monsieur [I] a été affecté au poste de Cariste.

À compter du 2 juin 2010, il a été affecté au poste de Préparateur de commandes.

À compter du 1er janvier 2011, Monsieur [I] a été affecté au poste de Chef d'équipe Réapprovisionnement.

Le 1er mars 2015, il a été victime d'une rechute de son accident de travail de 1995 et contraint d'être de nouveau placé en arrêt de travail.

Le 26 mars 2015, Monsieur [I] a subi une troisième opération de hernie discale L5/S1.

Le 21 octobre 2015, a de nouveau été reconnue à Monsieur [I] la qualité de travailleur handicapé du 24 septembre 2015 au 24 septembre 2020.

Le dernier arrêt de travail de Monsieur [I] est arrivé à terme le 30 juin 2016.

Lors de sa visite de reprise du 4 juillet 2016, Monsieur [I] a été déclaré « Inapte temporaire ».

Lors de sa seconde visite de reprise du 20 juillet 2016, Monsieur [I] a été déclaré « Inapte au poste de Chef d'équipe/Cariste/Nacelliste ».

Le 5 septembre 2016, la société POMONA a convoqué Monsieur [I] à un entretien préalable le 7 octobre 2016 en vue d'un éventuel licenciement pour inaptitude.

Par courrier du 24 octobre 2016, la société défenderesse a sollicité l'autorisation de l'inspection du travail en vue de licencier Monsieur [I] et par une décision du 18 novembre 2016, l'inspectrice du travail a autorisé la société POMONA à procéder au licenciement pour inaptitude de Monsieur [I].

Le 22 novembre 2016, la société défenderesse a notifié à Monsieur [I] son licenciement pour inaptitude.

Monsieur [I] a saisi le conseil de prud'hommes afin de faire reconnaître la violation par la société POMONA de son obligation de sécurité et de contester la validité de son licenciement.

Par jugement du 16 octobre 2018, le conseil de prud'hommes a débouté Monsieur [I] de l'intégralité de ses demandes.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 février 2019, Monsieur [S] [I] demande à la Cour de :

INFIRMER le jugement du 16 octobre 2018

Et, statuant à nouveau,

FIXER le salaire moyen de Monsieur [I] à la somme de 2 533 euros bruts (moyenne des trois derniers mois effectivement et intégralement travaillés : novembre 2014 à janvier 2015)

CONDAMNER la société POMONA à payer à Monsieur [I] les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat : 40 000 € nets de CSG-CRDS

- Dommage et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 60 000 € nets de CSG-CRDS

- Indemnité compensatrice de préavis : 566,16 € et congés payés afférents : 56,61 €

CONDAMNER la société POMONA à rectifier l'Attestation d'Employeur destinée à Pôle emploi afin d'y retranscrire les salaires correspondant aux 12 mois civils précédant le dernier jour travaillé et payé, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement;

SE RESERVER le droit de liquider l'astreinte ;

CONDAMNER la société POMONA à payer à Monsieur [S] [I] la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

DIRE ET JUGER que les sommes porteront intérêts à compter du jour de la demande en justice et que les intérêts de ces sommes seront capitalisées.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 mai 2919, la société POMONA demande à la cour d'appel de :

A TITRE PRINCIPAL :

-SE DECLARER incompétent pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et sur la demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-A TITRE SUBSIDIAIRE :

DIRE que la société POMONA n'a pas failli à son obligation de sécurité,

DIRE que le licenciement de Monsieur [I] repose sur une cause réelle et sérieuse,

DEBOUTER l'appelant de ses demandes de dommages et intérêts,

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE : réduire les demandes indemnitaires de l'appelant à de plus justes proportions,

DIRE que Monsieur [I] a été rempli de ses droits concernant la demande de préavis, de congés payés et celle relative à la rectification de l'attestation Pôle Emploi,

CONDAMNER Monsieur [I] à lui verser une indemnité de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Sur l'obligation de sécurité

Monsieur [S] [I] fait valoir que la société POMONA a manqué à son obligation de sécurité de résultat en le maintenant pendant de nombreuses années à des postes non adaptés à son état de santé nécessitant des manipulations physiques, alors qu'à la suite de son accident du travail subi le 4 octobre 1995 le blessant au dos, il aurait dû reprendre sur un poste aménagé. Il soutient en premier lieu que le médecin du travail l'avait autorisé à reprendre sur son poste de réassort, suivant avis du 5 octobre 1998, à condition qu'il puisse utiliser un transpalette électrique, ce qui n'a pas été mis en place par la société POMONA, l'employeur ne lui attribuant un poste adapté de cariste qu'en 2001. Il ajoute, en second lieu, qu'il a été réaffecté le 2 janvier 2010 à un poste inadapté de 'préparateur de commandes service surgelés', puis de chef d'équipement réapprovisionnement le 1er janvier 2011, avec une équipe restreinte, pour lequel il continuait à effectuer un effort manuel en tirant sur des palettes, source de tension pour la partie supérieure de son corps. Il précise que la société POMONA disposait de transpalettes électriques en nombre insuffisant à la disposition de l'ensemble des salariés, lui imposant d'effectuer des efforts manuels ayant conduit à l'aggravation de son état de santé, puisqu'il été victime d'une rechute de son accident du travail le 1er mars 2015.

La société POMONA soulève l'incompétence de la juridiction prud'homale, estimant que la demande d'indemnisation formulée au titre du manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur relève en réalité du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, ce dernier ayant une compétence spéciale en matière d'indemnisation d'un préjudice résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. A titre subsidiaire, elle indique que la rechute n'est survenue que 20 ans après l'accident du travail initial, ce qui démontre qu'elle a veillé à préserver la santé de son salarié ; que Monsieur [I] a pu bénéficier d'un suivi médical régulier durant l'exécution du contrat de travail et que le médecin du travail a validé chaque nouvelle affectation du salarié sans y apporter aucune restriction particulière ; qu'elle établit que les salariés avaient à disposition de nombreuses transpalettes électriques, les attestations produites par le salarié à cet égard étant sujettes à caution ; qu'il s'ensuit qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité.

Sur l'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Monsieur [I] sollicite la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 60.000 euros en réparation du licenciement qu'il estime sans cause réelle et sérieuse. Il soutient que le manquement à l'obligation de sécurité par la société POMONA a été la cause de la rechute de son accident du travail, laquelle a entraîné son inaptitude.

La société POMONA soulève à titre principal l'irrecevabilité de la demande indemnitaire, faisant valoir que Monsieur [I], bénéficiant du statut de salarié protégé, a été licencié le 22 novembre 2018 après avoir obtenu l'autorisation de l'autorité administrative et que le juge judiciaire est désormais incompétent pour examiner le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement. A titre subsidaire, elle rappelle que le salarié n'a pas contesté la décision de l'inspecteur du travail et n'a pas fait valoir de manquement à l'obligation de reclassement ; que sa demande doit être rejetée, le licenciement pour inaptitude reposant sur une cause réelle et sérieuse. A titre infiniment subsidiaire, elle considère que le montant réclamé est disproportionné, qu'il convient de le réduire, le salaire mensuel moyen mentionné par le salarié étant en outre erroné.

Sur l'indemnité de préavis et la rectification de l'attestation Pôle Emploi

Monsieur [I], qui estime que l'indemnité compensatrice de deux mois de préavis doit être fixée à la somme de 5.066 euros en application des articles L1226-4 et L 1234-5 du code du travail, sollicite, après versement reçu de l'employeur, un complément d'indemnité de préavis d'un montant de 566,16 euros bruts, outre 56,61 euros de congés payés y afférents.

La société POMONA soutient que l'appelant a d'ores et déjà été rempli de ses droits, ayant régularisé la situation en lui versant la somme de 4.499,84 euros bruts et en lui adressant l'attestation Pôle emploi rectifiée, suite à l'audience de conciliation devant le conseil de prud'hommes en juin 2017.

La clôture de la procédure a été prononcée suivant ordonnance du 3 février 2022.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la compétence de la juridiction prud'homale

Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et sérieuse et justifie son licenciement, mais il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, serait la nullité de la rupture du contrat de travail; que ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude, lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.

En l'espèce, Monsieur [I] est salarié protégé pour avoir été élu secrétaire titulaire du Comité d'Etablissement de l'entreprise.

Il résulte des moyens réciproques des parties que l'origine de l'inaptitude ayant conduit à son licenciement est questionnée, l'appelant soutenant qu'elle provient d'un manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur, ce que conteste ce dernier.

En conséquence, nonobstant la décision d'autorisation du licenciement prononcée par l'inspectrice du travail le 18 novembre 2016, la juridiction prud'homale est compétente pour statuer tant sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité que sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse formée par le salarié, dans la mesure où il impute son inaptitude aux manquements de l'employeur.

Il convient en conséquence de dire que les demandes ainsi formées devant la juridiction prud'homale dont appel, sont bien recevables.

Sur le bien fondé du manquement à l'obligation de sécurité

Il appartient à l'employeur de démontrer avoir respecté l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en prenant toutes les mesures prévues par les articles L. 4 121-1 et L. 4121-2 du Code du travail, propres à assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés au changement des circonstances et tendant à l'amélioration des situations existantes.

Les mesures mises en oeuvre par l'employeur visent notamment à planifier la prévention des risques en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel tels que définis aux articles L 1152-1 et L1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L1142-2-1 du code du travail. Il doit notamment donner des instructions appropriées aux travailleurs.

Ainsi l'employeur doit démontrer qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés.

En l'espèce, il est constant que Monsieur [I] a été victime d'un accident du travail le 4 octobre 1995 le blessant au dos, affectant durablement son état de santé dans la mesure où il a dû subir deux interventions chirurgicales en 1995 puis en 1998 pour tenter de traiter sa pathologie de hernie discale L5/S1.

Suivant avis de reprise du 5 octobre 1998, le médecin du travail l'a déclaré apte à la reprise sur un poste aménagé, précisant qu'il était 'apte au réassort à la condition qu'il soit en charge de la conduite d'un transpalette électrique'.

Monsieur [I] a pourtant été réaffecté à son poste de préparateur de commandes, nécessitant des manipulations physiques, et ce jusqu'en 2001 où il s'est vu proposer un poste amnénagé de cariste, tel qu'en témoigne l'avenant à son contrat de travail en date du 20 juillet 2001, versé aux débats.

La société POMONA, qui prétend que l'appelant a été affecté à un poste aménagé de cariste dès sa reprise en octobre 2018, ne le démontre pas, dans la mesure où la fiche de visite du médecin du travail qu'il produit en date du 30 août 1999 décrit le poste occupé comme 'Cariste préparateur de commande réassort' et que la fiche de visite du médecin du travail en date du 14 septembre 2000 mentionne encore 'cariste réassort', alors que le bulletin de salaire de Monsieur [I] du mois de septembre 2000 mentionne toujours la fonction de 'préparateur de commande'.

S'agissant de la seconde période 'non aménagée' invoquée par l'appelant, il ressort des avenants au contrat de travail signés par Monsieur [I] et versés aux débats que la société POMONA l'a à nouveau affecté à compter du 1er juin 2010 sur un poste de préparateur de commandes et, le 1er janvier 2011, sur un poste de Chef d'équipe réapprovisionnement nécessitant, selon ses dires, des efforts physiques incompatibles avec son état de santé.

Si le médecin du travail a donné un avis d'aptitude à ces postes, c'est toujours sous la réserve de l'utilisation de charriots électriques élévateurs, le médecin ayant pris la peine de préciser à plusieurs reprises, dans ses fiches de visite annuelle du salarié, que Monsieur [I] était 'apte à la conduite de transpalettes électriques à conducteur porté et du charriot élévateur à mat rétractable'.

Or il ressort des attestations convergentes de Messieurs [V], [U], [X], [R] et [J], anciens salariés du groupe POMONA durant la période litigieuse (1998 à 2016) que Monsieur [S] [I] était souvent amené dans l'exercice de ses fonctions à porter des charges lourdes, manipulant des palettes de plusieurs centaines de kilos et tirant manuellement des transpalettes ; que celui-ci s'en plaignait en raison de ses problèmes de dos mais ne disait rien de peur de perdre son emploi.

Monsieur [M] [R], ancien préparateur de commande de 1993 à 2016, précise que Monsieur [I] était sollicité pour porter des charges lourdes, même après sa nomination en tant que chef d'équipe.

L'employeur soutient que ces témoignages ne pourraient être pris en compte, au vu du licenciement de certains de ces salariés et du ressentiment potentiel de ceux-ci à l'égard de la société POMONA.

La cour considère au contraire que la crédibilité de ces témoignages ne peut être mise en doute car les salariés ayant attesté ont quitté la société et ne sont pas donc plus soumis à la subordination de l'employeur et que leurs attestations ont été établies dans les formes prévues à l'article 202 du code de procédure civile.

Monsieur [I] verse en outre à la procédure un échange de mails entre les salariés du 'Service Réception Frais' et le 'responsable Service frais' de la société POMONA en date du mois de décembre 2011, qui corrobore le fait que, alors qu'il était chef d'équipe réapprovisionnement, il était appelé en renfort pour effectuer les préparations de commande : le responsable du Service Frais, Monsieur [D] [P] précisant : 'en résumé, si vous avez 150 palettes en déstockage, [S] doit en réaliser 70 et un cariste 80 (soit environ 3h/3h30 de son temps)'.

Alors que l'appelant soutient que la société POMONA disposait de transpalettes électriques en nombre insuffisant, devant être utilisés par l'ensemble des salariés, l'employeur qui soutient avoir mis à la disposition de Monsieur [I] des charriots électriques autoportés de marque BT et Fenwich n'en justifie pas et ne produit devant la cour que des contrats de location concernant deux transpalettes électriques 'Mat triplex' en 2009 et 2013.

Il est ainsi établi que, alors que la société POMONA était informée de la nécessité d'aménager le poste de Monsieur [I] au regard de ses pathologies dorsales et des recommandations du médecin du travail, elle n'a pas mis en oeuvre son obligation d'adapter le poste de son salarié au moyen de matériel mécanisé, le laissant effectuer un effort manuel en tirant sur des palettes, source de tension pour la partie supérieure de son corps.

Ce manquement à son obligation de sécurité de la part de l'employeur a conduit à l'aggravation de l'état de santé de Monsieur [I] puisqu'il été victime d'une rechute de son accident du travail le 1er mars 2015, l'assurance maladie précisant dans un courrier du 23 avril 2015, que la 'rechute du 1er mars 2015 était imputable à l'accident du travail du 4 octobre 2015'.

Or les séquelles de la rechute ont été très importantes, le docteur [N], neurochirurgien, attestant que Monsieur [I], après avoir été opéré de sa troisième récidive de hernie discale L5/S1 le 26 mars 2015, nécessite une restriction du port de charge à 15 kilos et une limitation des efforts répétés d'antéflexion du tronc.

Ces restrictions ont eu une répercussion directe sur l'exercice de la profession de Monsieur [I], puisqu'il a été déclaré inapte définitivement à son poste de Chef d'équipe/cariste/nacelliste' par le médecin du travail le 20 juillet 2016.

Au vu du préjudice important subi par Monsieur [I] du fait du manquement persistant par son employeur à son obligation de sécurité, la cour lui alloue une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

La décision du conseil de prud'hommes sera infirmée de ce chef.

Sur le bien fondé des dommages et intérêts pour 'perte d'emploi'

Il a été démontré par le salarié, que le manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur a été la cause de son inaptitude et à entrainé son licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement.

Monsieur [I] est par conséquent en droit de solliciter des dommages et intérêts pour la perte de son emploi en raison de l'attitude fautive de la société POMONA.

Compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (44 ans), de son ancienneté (23 ans), de sa qualification, de sa rémunération brute mensuelle sur les trois derniers mois travaillés de novembre 2014 à janvier 2015 (2.533 euros), des circonstances de la rupture (inaptitude d'origine professionnelle) mais également de l'absence de justification d'une situation de chômage ou de ses recherches d'emploi, il convient d'accorder à M. [S] [I] une somme de 16.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de son emploi.

La décision du conseil de prud'hommes sera infirmée de ce chef.

Sur l'indemnité de préavis et la rectification de l'attestation Pôle Emploi

Pour estimer l'indemnité de préavis à 5.066 euros (soit 2533 euros x 2) Monsieur [I] calcule l'indemnité compensatrice de préavis en prenant comme référence la moyenne brute des trois derniers mois de la période travaillée (novembre, décembre 2014 et janvier 2015), en lissant la prime du 13ème mois reçue en décembre 2014. Ce calcul, par ailleurs justifié, est similaire à celui proposé par la société POMONA dans ses dernières conclusions (p14).

Dans la mesure où la société POMONA justifie avoir versé à Monsieur [I] une somme de 4.499,84 euros au titre de l'indemnité compensatrice de deux mois de préavis conformément au licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle en application des dispositions de l'article L1234-5 du code du travail, il reste dû au salarié une somme de 566,16 euros bruts (soit 5.066 euros - 4.499,84 euros) à titre de complément, outre 56,61 euros au titre des congés payés y afférents.

Il convient d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes sur ce point et de condamner la société POMONA à payer ces sommes à l'appelant, ainsi qu'à rectifier l'attestation employeur destinée à Pôle emploi, pour y ajouter ce complément sans toutefois que le prononcé d'une astreinte ne soit nécessaire.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, et de condamner la société POMONA à verser à Monsieur [S] [I] une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et en matière prud'homale,

Infirme le jugement du Conseil des Prud'hommes de Marseille en date du 16 octobre 2018 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

Déclare recevables l'ensemble des demandes formées par Monsieur [S] [I],

Condamne la société POMONA à verser à Monsieur [S] [I] les sommes suivantes :

-la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité

-la somme de 16.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de sa perte d'emploi,

-la somme de 566,16 euros bruts à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis, outre 56,61 au titre des congés payés y afférents,

Ordonne à la société POMONA de rectifier l'attestation employeur destinée à Pôle Emploi, conformément au présent arrêt,

Rejette la demande d'astreinte,

Condamne la société POMONA à payer à Monsieur [I] une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société POMONA aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Ghislaine POIRINE faisant fonction


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-1
Numéro d'arrêt : 18/18257
Date de la décision : 20/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-20;18.18257 ?
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