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28/01/2021 | FRANCE | N°17/00924

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 28 janvier 2021, 17/00924


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE


1ère CHAMBRE CIVILE


ARRÊT No 70 DU 28 JANVIER 2021




R.G : No RG 17/00924 - VMG/EK
No Portalis DBV7-V-B7B-C22F


Décision déférée à la Cour : jugement au fond, origine tribunal de grande instance de BASSE-TERRE, décision attaquée en date du 27 avril 2017, enregistrée sous le no 15/00360




APPELANTS :


Monsieur [Y] [E]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Compagnie d'assurance GARANTIE MUTUELLE
DES FONCTIONNAIRES
[Adresse 2]
[Adresse 2]


Représentés tous deux pa

r Me Têtê ezolété KOUASSIGAN de la SELARL SELARL KOUASSIGAN, (TOQUE 102) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART




Madame [L] [R] [S] épouse [Y...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

1ère CHAMBRE CIVILE

ARRÊT No 70 DU 28 JANVIER 2021

R.G : No RG 17/00924 - VMG/EK
No Portalis DBV7-V-B7B-C22F

Décision déférée à la Cour : jugement au fond, origine tribunal de grande instance de BASSE-TERRE, décision attaquée en date du 27 avril 2017, enregistrée sous le no 15/00360

APPELANTS :

Monsieur [Y] [E]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Compagnie d'assurance GARANTIE MUTUELLE
DES FONCTIONNAIRES
[Adresse 2]
[Adresse 2]

Représentés tous deux par Me Têtê ezolété KOUASSIGAN de la SELARL SELARL KOUASSIGAN, (TOQUE 102) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

Madame [L] [R] [S] épouse [Y]
[Adresse 3]
[Adresse 3]

Représentée par Me Charles-henri COPPET, (TOQUE 14) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMÉS :

Madame [L] [R] [S] épouse [Y]
[Adresse 3]
[Adresse 3]

Représentée par Me Charles-henri COPPET, (TOQUE 14) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

Monsieur [Y] [E]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Compagnie d'assurance GMF ASSURANCES (GMF)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]

Représentés tous deux par Me Têtê ezolété KOUASSIGAN de la SELARL SELARL KOUASSIGAN, (TOQUE 102) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMÉE NON REPRÉSENTÉE :

CAISSE GÉNÉRALE DE SÉCURITÉ SOCIALE DE GUADELOUPE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
signification de la déclaration d'appel et des conclusions le 28 août 2017 à personne morale habilitée.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 décembre 2020, en audience publique, devant la cour composée en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile de Mme Claudine FOURCADE, présidente de chambre, magistrate chargée du rapport, en présence de Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés. Elles en ont rendu compte à la cour dans son délibéré composé de :

Madame Claudine FOURCADE, présidente de chambre,
Mme Valérie MARIE GABRIELLE, conseillère,
Madame Christine DEFOY, conseillère,
qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 28 janvier 2021.

GREFFIER :

Lors des débats : Mme Esther KLOCK, greffière

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Signé par Madame Claudine FOURCADE, présidente de chambre, et par Mme Esther KLOCK, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Saisi par Mme [L] [R] [S] épouse [Y] de l'aggravation du dommage résultant d'un accident de la circulation à elle survenu le 27 avril 1991, le président du tribunal de grande de Basse-Terre a par ordonnance de référé rendue le 13 décembre 2011, commis le docteur [P] aux fins d'expertise.

Au vu du rapport d'expertise du 26 août 2014, par acte d'huissier de justice délivré le 26 mars 2015, Mme [S] a assigné M. [Y] [E] et la société Garantie mutuelle des fonctionnaires, (la société GMF) assureur de ce dernier, en nullité de ce rapport, organisation d'une nouvelle expertise selon les dispositions de la nomenclature Dintilhac, paiement d'une provision.

Par jugement rendu le 16 avril 2016, le tribunal de grande instance de Basse-Terre l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et renvoyé l'affaire à la mise en état pour conclusions des parties sur la liquidation définitive des préjudices.

Par jugement rendu le 27 avril 2017, le tribunal de grande instance de Basse-Terre a fixé à la somme de 129 519,40 euros le montant total de l'indemnisation des préjudices subis par Mme [S] suite à l'accident dont elle a été victime le 27 avril 1991, condamné solidairement, aprés déduction des indemnités provisionnelles, M. [E] et la société GMF à payer à Mme [S] la somme de 95 258,78 euros, déclaré le jugement commun et opposable à la Caisse générale de sécurité sociale de Guadeloupe (la CGSS), ordonné l'exécution provisoire de sa décision à concurrence des 2/3 des sommes allouées, rejeté la demande de Mme [S] fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la société GMF au paiement des dépens comprenant les frais d'expertise.

Selon déclaration reçue au greffe de la cour le 27 juin 2017, M. [E] et la société GMF ont relevé appel de cette décision.

Par acte d'huissier de justice délivré le 28 août 2017, à personne habilitée, ils ont signifié leur déclaration d'appel et leurs conclusions à la CGSS laquelle n'a pas constitué avocat. L'instance a été instruite sous le no17/924.

Selon déclaration reçue au greffe de la cour le 17 juillet 2017, Mme [S] a relevé appel du jugement rendu le 27 avril 2017.

Par actes d'huissier de justice délivrés les 29 août et 12 septembre 2017, elle a signifié sa déclaration d'appel et ses conclusions (à personne habilitée) à la CGSS demeurée défaillante. L'instance a été instruite sous le no17/1033.

Ces deux instances ont été jointes suivant ordonnance du 18 juin 2018 rendue par le conseiller de la mise en état.

Par ordonnance rendue le 26 février 2018, le conseiller de la mise en état a ordonné un complément d'expertise médicale de Mme [S] et désigné à cette fin le docteur [W] [P]-[X], laquelle a déposé son rapport définitif en date du 03 décembre 2019.

Les parties ont conclu et l'ordonnance de clôture est intervenue le 23 novembre 2020.

L'affaire a été retenue à l'audience de plaidoiries du 07 décembre 2020 puis mise en délibéré au 28 janvier 2021, date de son prononcé par mise à disposition au greffe.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Les dernières conclusions, remises les 18 octobre 2020 par M. [E] et la GMF, 13 novembre 2020 par Mme [S] (laquelle les a fait signifier par acte du 17 novembre 2020 à la CGSS), auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.

M. [E] et la compagnie GMF demandent à la cour, de :
-infirmer le jugement du 27 avril 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Basse-Terre s'agissant des postes de souffrances endurées, perte de chance et préjudice esthétique,
-confirmer le jugement en ce qu'il a fixé l'indemnisation de Mme [S] comme suit :
.au titre de l'incidence professionnelle : rejet
.au titre du préjudice moral : Rejet
.au titre du DFT temporaire : 43 269,40 €
.au titre du DFP : 11 250,00 €
*en conséquence,
-fixer les sommes à allouer à Mme [S] comme suit :
.au titre des frais divers : mémoire
.au titre du PSFU : rejet
.au titre de PGPF : rejet
.au titre de la perte de chance : 15 000,00 €
.au titre de l'IP : rejet
.au titre du véhicule adapté : mémoire
.au titre du DFT temporaire : 43 269,40 €
.au titre des souffrances endurées : 3 000,00 €
.au titre de l'ATP : mémoire
.au titre du DFP : 11 250,00 €
.au titre du Préjudice esthétique : 4 500,00 €
.au titre du préjudice d'établissement : rejet
-déduire les 34.160, 62 € versés à titre d'indemnisation provisionnelle,
-dire la décision à intervenir opposable à la CGSS,
-réduire à de plus justes proportions la demande de 5 000 euros faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [S] demande à la cour de :
-débouter M. [E] et la société GMF de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu le droit à indemnisation intégral de Mme [S],
-réformer le jugement sur le montant des sommes allouées,
*statuant à nouveau,
-condamner solidairement M. [E] et la société GMF à payer à Mme [S] en deniers ou quittances la somme de 1 554 596,02 euros en réparation de son préjudice corporel,
-condamner solidairement M. [E] et la société GMF à payer à Mme [S] une indemnité de procédure de 5 000 euros outre les dépens parmi lesquels le coût des expertises judiciaires.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le montant de l'indemnisation

Mme [S], née le [Date naissance 1] 1974 a été victime le 26 avril 1991 d'un accident de la voie publique à l'origine d'une fracture transversale ouverte type I du tiers des 2 os de la jambe droite, d'une fracture bimalléolaire de la cheville droite, d'un impact basi-postérieur droit, d'une contusion de la branche horizontale droite de la mandibule et d'une fracture non déplacée du plateau tibial droit.

L'état séquellaire de Mme [S] dont l'imputabilité est directe et certaine décrit dans le rapport d'expertise médicale du 26 août 2014 diligenté par Docteur [P]-[X] consiste sur le plan somatique en des douleurs dorso-lombaires invalidantes avec difficultés à la station debout prolongée et des gonalgies droites et sur le plan psychique à une labilité émotionnelle (pleurs), des troubles du sommeil avec cauchemars, une anxiété généralisée et la réduction des activités.

La date de consolidation a été fixée au 29 avril 2013 par l'expert.

Afin de procéder à la réparation intégrale des préjudices subis par Mme [S], la cour tiendra compte des conclusions des deux rapports d'expertises en date des 26 août 2014 et 03 décembre 2019 diligentés par Mme [P]-[X], expert médical.

I - Les préjudices patrimoniaux

A - Les préjudices patrimoniaux temporaires

- les dépenses de santés actuelles

Aucune demande n'est faite à ce titre, la CGSS ayant indiqué que le montant définitif de ses débours s'élevant à la somme de 84 292,02 francs a été soldé le 09 septembre 1999 par la société d'assurance.

- les frais divers

Il s'agit des dépenses liées à la réduction d'autonomie, qui peuvent être temporaires entre le dommage et la consolidation. L'évaluation doit se faire au regard de l'expertise médicale et de la justification des besoins et non au regard de la justification de la dépense.

.la tierce personne temporaire

Sur la base de l'estimation expertale et d'un coût horaire à 18 euros, Mme [S] demande à ce titre la somme de 142 830 euros outre la somme de 3 255 euros pour les frais d'assistance médicale du Dr [W] à expertise.

M. [E] et la société GMF demandent de réserver ce poste de préjudice aux motifs que les calculs proposés sont inexacts et que Mme [S] a bénéficié de l'assistance du cercle familial.

L'expert considère qu'une tierce personne (aide humaine) a été nécessaire à Mme [S] :
-du 01er juin 1991 au 21 septembre 1991 pendant 3 heures par jour - taux DFTP 50%
-du 27 septembre 1991 au 08 novembre 1998 pendant 01h30 par jour - taux DFTP 30%
-du 09 novembre 1998 au 23 avril 2013 pendant 5 heures par semaine - taux DFTP 20%

Il est admis que l'évaluation de la tierce personne doit se faire au regard des conclusions de l'expertise médicale et de la justification des besoins de la victime, non de la dépense, précisément pour indemniser s'il y a lieu les solutions familiales, les juges du fond étant souverains pour fixer de façon concrète les frais en assistance avant consolidation de la victime.

Aussi, la rémunération de la tierce personne est généralement calculée sur la base d'un taux horaire moyen compris entre 16 et 25 euros, selon le besoin, la gravité du handicap, la spécialisation de la tierce personne et le lieu de domicile de la victime.

Vu les éléments de l'espèce notamment la nature de l'aide dont Mme [S] bénéficie, son lieu de résidence, les taux de déficit retenus par l'expert, il est de juste appréciation de retenir un taux horaire de 16 euros au titre de la tierce personne (03hx113jx16€=5424€+ 1,5x2600jx16€=62400€ + 0,7x5280jx16€=59136€) soit la somme totale de 126 960 euros allouée en indemnisation de la tierce personne temporaire.

.les frais d'assistance à expertise

Mme [S] justifie des frais occasionnés par l'assistance du Dr [W] aux opérations d'expertise.

Aussi, il sera attribué à Mme [S] la somme totale de 130 215 euros au titre des frais divers.

-Sur le préjudice scolaire et de formation

Mme [S] demande à ce titre la somme de 50 000 euros expliquant que l'obtention de son baccalauréat a été retardée, qu'elle n'a pas pu réaliser son service militaire puis devenir inspecteur de police comme elle le souhaitait, ayant même été déclarée par la suite, inapte professionnellement.

M. [E] et la société GMF concluent au rejet de cette demande injustifiée, Mme [S] ayant pu obtenir son baccalauréat.

Il n'est pas contesté que Mme [S], âgée de 16 ans lors de l'accident dont elle a été victime le 27 avril 1991, était scolarisée en classe de 1ère G selon les conclusions du rapport d'expertise du 26 août 2014. Du fait de celui-ci, cette scolarité a été émaillée de plusieurs absences mais Mme [S] a pu tout de même obtenir son baccalauréat et suivre diverses formations (ambulancier, maître-chien, agent de sécurité) bien que reconnue travailleur handicapé selon courrier du 02 mai 2016 de la MDPH (taux d'incapacité entre 50 et 79%) et ayant obtenu l'allocation adulte handicapée.

Si Mme [S], lycéenne en 1ère G au moment de l'accident, ne justifie pas que son cursus lui aurait permis de devenir inspecteur de police, il est constant que l'accident subi a eu des répercussions sur sa scolarité et sa formation.

Vu les éléments de la cause, il est de juste appréciation de lui allouer à ce titre la somme de 15 000 euros.

B - les préjudices patrimoniaux permanents

- les dépenses de santé future

Il s'agit des frais médicaux et pharmaceutiques, non seulement des frais restés à la charge effective de la victime, mais aussi les frais payés par des tiers (sécurité sociale, mutuelle...), les frais d'hospitalisation, et tous les frais paramédicaux (infirmiers, kinésithérapie etc.),même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l'état pathologique de la victime après la consolidation.

Aucune demande n'a été faite à ce titre, étant précisé qu'il est indiqué que Mme [S] bénéficie de la couverture médicale universelle selon les conclusions du rapport d'expertise du 03 décembre 2019.

- l'assistance par tierce personne permanente

Mme [S] réclame pour ce poste de préjudice la somme totale de 151 994,21 euros en capital (25424 euros soit 18€x3hx412j/7x8ans) pour les arrérages échus du 29 avril 2013 date de la consolidation au 29 avril 2021 date prévisionnelle de la décision à intervenir), plus les arrérages à échoir 126 570,21€ (3178€ x39,827prix de l'euro de rente viager pour une femme de 46 ans au 29 avril 2021), l'expert ayant retenu la nécessité d'une tierce personne à hauteur de 3 heures par semaine.

M. [E] et la société GMF demande que ce poste soit réservé au motif que la victime ne justifie pas de l'évaluation du montant horaire réclamé.

La tierce personne étant destinée à suppléer la perte d'autonomie de la victime, il est admis une indemnisation à ce titre, en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée.

Pour chiffrer ce poste de préjudice, ainsi que rappelé supra, il convient de fixer le coût horaire, en fonction du besoin, de la gravité du handicap, de la spécialisation de la tierce personne et du lieu du domicile de la victime. L'indemnisation s'effectue selon le nombre d'heures d'assistance et le type d'aide nécessaires.

A partir de ces éléments, il convient de déterminer le coût annuel de la tierce personne, d'allouer à la victime les arrérages échus en capital correspondant aux dépenses déjà engagées entre la consolidation et la date de la décision, et les arrérages à échoir après la décision sous forme de rente ou en capitalisant le coût annuel.

Il est admis que l'application du barème de capitalisation est le plus adapté à assurer les modalités de la réparation pour le futur et il est opportun en l'espèce de retenir la barème 2020 de la Gazette du palais, outil d'usage d'indemnisation.

En l'espèce, la cour dispose des éléments suffisants pour apprécier l'évaluation du préjudice de Mme [S]. Ainsi, au titre des arrérages échus en capital entre le 29 avril 2013 et la date de la présente décision, il est de juste appréciation sur la base d'un taux horaire de 16€ pour 03 heures par semaine d'une aide non spécialisée qualifiée par l'expert (l'aide humaine estimée de façon hebdomadaire justifiant de calculer ce poste sur une durée de 52 semaines ou 365 jours) d'allouer à Mme [S], la somme de 19 368,96 euros (16€x3hx52s=2496€/anx7,76ans) pour les frais de tierce personne pour cette période.

Au titre des frais de tierce personne postérieurs à la présente décision, le capital de la rente viagère s'élèvera à la somme de 99 408,19 euros (2496x39,827euros point de rente viager pour une femme de 46 ans selon barème GP 2020).

Au total, il sera alloué à Mme [S] au titre de la tierce personne permanente la somme de 118 777,15 euros en capital.

- la perte de gains professionnels futurs

Il s'agit d'indemniser la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à son incapacité permanente à laquelle elle est confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage. Quand la victime est étudiante, la perte de gains professionnels futurs est évaluée en prenant en compte le salaire moyen auquel elle pouvait raisonnablement prétendre.

Soutenant avoir perdu toute chance de trouver un emploi du fait des douleurs chroniques nées de l'accident subi, Mme [S] demande à ce titre, sur la base du SMIC mensuel évalué à 1219 euros, la somme de 745 102,75 euros (soit au titre des arrérages échus 162 513,40 euros pour la période calculée du 29 avril 2013 au 29 avril 2021 outre au titre des arrérages à échoir 582 589,35 euros (1219€x39.827prix de l'euro de rente pour une femme de 46 ans)

La société GMF et M. [E] sollicitent que ce poste de préjudice soit rejeté à défaut de justificatif ou subsidiairement réservé.

S'il ressort des pièces du dossier que Mme [S] a obtenu le statut de travailleur handicapé avec un taux d'incapacité compris entre 50 et 80% attribué par la MDPH selon notification du 02 mai 2016, son incapacité actuelle et future à occuper un emploi salarié, rémunéré au salaire minimum, fût il adapté, n'est pas suffisamment rapportée.

A ce titre, il convient de souligner que Mme [S] laquelle ne verse au dossier aucun avis d'imposition récent et ne conteste pas avoir eu une activité professionnelle dans la période comprise entre le 09 novembre 1998 et le 30 juin 2009, ce en qualité de conductrice de véhicule sanitaire, d'opératrice de télésurveillance ou de chauffeur selon les termes du rapport d'expertise du 26 août 2014.

Par ailleurs, si elle produit un certificat médical du 30 août 2016 de Mme [O] [Z], médecin généraliste, indiquant qu'elle est inapte au travail du fait de son état de santé actuel et des soins dont elle bénéficie, il ne s'agit pas d'une appréciation de la médecine du travail, l'expert judiciaire ayant retenu uniquement une dévalorisation sur le marché du travail en raison de douleurs dorso-lombaires invalidantes et fixé le déficit fonctionnel permanent à 10%.

Aussi, Mme [S] ne rapportant pas la preuve d'un préjudice certain au titre de la perte de ses gains professionnels futurs, elle sera déboutée de cette demande.

- l'incidence professionnelle

Même en l'absence de perte immédiate de revenu, la victime peut subir une dévalorisation sur le marché du travail, une perte de chance professionnelle ou une augmentation de la pénibilité de l'emploi.

Pour évaluer ce poste de préjudice destiné à indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle de la victime, il convient de prendre en compte la catégorie d'emploi exercée (manuel, sédentaire, fonctionnaire, etc.), la nature et l'ampleur de l'incidence (interdiction de port de charge, station debout prohibée, difficultés de déplacement, pénibilité, fatigabilité etc.), les perspectives professionnelles et l'âge de la victime (durée de l'incidence professionnelle).

Mme [S] demande à ce titre la somme de 262 599 euros au regard de sa dévalorisation sur le marché du travail (100 000 euros) et la perte de chance professionnelle (162 599 euros - 3/5 de 14 628€x18,526 prix de l'euro de rente pour une femme de 46 ans jusqu'à 65 ans).

La société GMF et M. [E] proposent la confirmation du jugement lequel a rejeté la prétention au titre de l'incidence professionnelle et la fixation de la réparation de la perte de chance professionnelle à la somme de 15 000 euros.

Il est constant que les séquelles subies par Mme [S] du fait de l'accident dont elle a été victime le 27 avril 1991, limitent ses possibilités professionnelles en raison d'une station debout et assise pénible de sorte qu'elle subit une dévalorisation sur le marché du travail et une perte de chance de réaliser une vie professionnelle satisfaisante.

Dés lors, vu les séquelles subies, le type d'emploi auquel elle peut prétendre et l'âge de Mme [S], retenant une appréciation in abstracto, il sera de juste appréciation de lui allouer au titre de l'incidence professionnelle la somme de 60 000 euros et de cette perte de chance celle de 50 000 euros soit au total la somme de 110 000 euros.

En conséquence, infirmant le jugement du chef de l'incidence professionnelle et le confirmant sur le poste stricto-sensu de la perte de chance, l'indemnisation de ce poste de préjudice sera fixée à 110 000 euros.

- les frais de véhicule adapté

Ces frais correspondent aux dépenses nécessaires pour permettre l'aménagement du véhicule lorsque le déficit fonctionnel de la victime ne lui permet pas d'utiliser un véhicule ordinaire.
Pour ce poste préjudice, Mme [S] sollicite la somme de 76 429,66 euros (11 260/7 x 47,514), les séquelles subies nécessitant un véhicule aménagé (boîte automatique et commande au volant).

Soutenant que ce poste de préjudice ne peut être indemnisé qu'en fonction du surcoût de dépenses lié à l'ajout d'une mini-commande au volant, Mme [S] disposant déjà d'un véhicule automatique, la société GMF et M. [E] sollicitent la mise en mémoire de ce poste de préjudice dans l'attente de devis appropriés.

Le rapport d'expertise judiciaire établi par le docteur [P]-[X] conclut à la nécessité de l'adaptation du véhicule de la victime avec boîte automatique avec commande au volant pour gonalgie droite et douleurs avec blocage de la cheville droite invalidantes.

L'indemnisation de ce dommage ne consiste pas dans la valeur totale du véhicule automatique dont Mme [S] reconnaît déjà être propriétaire, mais seulement dans la différence de prix entre le prix du véhicule adapté nécessaire et le prix du véhicule dont se satisfaisait la victime, la réparation devant se faire sans perte, ni profit.

Vu la documentation et le devis produits sur le coût de ces aménagements préconisés par l'expert médical, il y a lieu de retenir un différentiel de coût à hauteur de 11 260 euros pour le choix d'une boîte automatique dans un véhicule de moyenne gamme et d'une commande au volant.

Aussi, la somme de 64 064,57 euros sera attribuée à Mme [S] pour les frais d'adaptation de son automobile (selon le calcul suivant : 11 260/7=1608.57x39,827 (prix de l'euro de rente pour une femme de 46 ans GP 2020).

Au total, l'évaluation du préjudice patrimonial de Mme [S] s'élève à la somme de 438 056,72 euros sauf à déduire les provisions déjà versées.

II - Les préjudices extra patrimoniaux

A - les préjudices extra patrimoniaux temporaires

- le déficit fonctionnel temporaire

Il s'agit ici d'indemniser l'aspect non économique de l'incapacité temporaire. C'est l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu'à sa consolidation. Cela correspond au préjudice résultant de la gêne dans les actes de la vie courante que rencontre la victime pendant la maladie traumatique (séparation familiale pendant l'hospitalisation et privation temporaire de qualité de vie).

Pour tenir compte de l'ampleur de ce déficit, Mme [S] demande la somme de 52 385,40 euros à ce titre sur la base d'une indemnisation à hauteur de 27 euros par jour pendant les différentes périodes visées par l'expertise.

La société GMF et M. [E] proposent la confirmation du jugement dont appel lequel a retenu une indemnisation de ce poste de préjudice à hauteur de 23 euros par jour soit la somme allouée de 43 269,40 euros.

Le rapport d'expertise a retenu plusieurs périodes d'immobilisation totale ou partielle du 27 avril 1991 au 28 avril 2013 (cf pages 21 et 22 du rapport d'expertise médicale du 26 août 2014).

L'évaluation faite en l'espèce par les premiers juges pour ce déficit fonctionnel temporaire à hauteur de 43 269,40 euros répare justement la perte de qualité de vie de la victime pendant cette période .

Dés lors, le jugement querellé sera confirmé de ce chef.

- les souffrances endurées

Il s'agit d'indemniser ici toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime pendant la maladie traumatique et jusqu'à la consolidation. Il est admis de tenir compte notamment des circonstances du dommage, des hospitalisations, des interventions chirurgicales ou de l'âge de la victime.

Mme [S] demande la confirmation du jugement pour ce poste de préjudice, soit la somme de 10 000 euros.

La société GMF et M. [E] offrent celle de 3 000 euros.

Le rapport d'expertise a estimé à 2,5/7 les souffrances endurées par Mme [S] pour des douleurs dorso-lombaires invalidantes, des gonalgies, des nombreuses séances de kinésithérapie, un vécu psychologique douloureux.

Compte-tenu de la nature des lésions subies et des conclusions expertales, il y a lieu de considérer que ce poste de préjudice sera justement indemnisé à hauteur de la somme de 5 000 euros de sorte que la décision sera infirmée de ce chef.

B - les préjudices extra patrimoniaux permanents

- le déficit fonctionnel permanent

Il s'agit du préjudice non économique lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel.

Mme [S] réclame à ce titre la somme de 25 000 euros tenant compte du taux de déficit fonctionnel permanent de 10% retenu par l'expert et proposant un point fixé à 2 500 euros compte tenu de l'âge de la victime à la consolidation.

La société GMF et M. [E] proposent la confirmation du jugement entrepris qui a évalué ce poste de préjudice à la somme de 11 250 euros tenant compte d'un taux de déficit ramené à 7,5% tenant compte de l'évaluation faite par le docteur [T], médecin mandaté par leurs soins, à hauteur de 5%.

A hauteur de cour, les conclusions documentées du rapport d'expertise médicale judiciaire du docteur [P]-[X] du 26 août 2014 précisant que les séquelles de Mme [S] correspondent à un taux de déficit fonctionnel permanent de 10% seront retenues.

Selon les tableaux de référence d'usage et en vertu du principe de la réparation intégrale, il sera donc de juste appréciation d'allouer à ce titre à Mme [S] compte tenu de son jeune âge, la somme de 20 350 euros (10% x 2035).

En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

- le préjudice esthétique permanent

Il s'agit de réparer l'altération physique liée à l'accident ou à l'agression subie.

Mme [S] réclame la somme de 15 000 euros à ce titre, l'expert ayant estimé à 3/7 ce préjudice esthétique incluant le dommage temporaire.

La société GMF et M. [E] offrent l'allocation de la somme de 4 500 euros à ce titre.

L'expert (incluant les cicatrices, les deux plâtres et le gonflement segmentaire en regard du péroné avant la consolidation outre la marche avec légère boiterie et le placard cicatriciel disgracieux de la face antérieure du 1/3 moyen de la jambe droite aprés cette consolidation) a estimé ce préjudice à 3/7.

Vu les conclusions expertales, il est de juste appréciation d'allouer à Mme [S] la somme de 6 000 euros.

- le préjudice d'établissement

Le préjudice d'établissement consiste en la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap.

Mme [S] réclame la somme de 20 000 euros à ce titre arguant de ce qu'elle a dû confier son fils à son père en raison des difficultés rencontrées par elle dans l'éducation de ce dernier du fait des séquelles subies par l'accident en cause.

La société GMF et M. [E] concluent au rejet de cette prétention injustifiée.

Il n'est pas contesté qu'en dépit de cet accident, Mme [S] s'est mariée et a eu un enfant. Elle ne produit aucune pièce justifiant des raisons de la résidence habituelle de ce dernier au domicile de son père, ni même de l'état des relations entretenues avec son fils.

Aussi, en l'absence de production de justificatifs au soutien de cette prétention au titre du préjudice d'établissement, il y aura lieu de la rejeter.

Au total, le préjudice extra patrimonial de Mme [S] est donc d'un montant de 74 619,40 euros, duquel il conviendra de déduire les éventuelles provisions déjà versées, les parties indiquant d'ores et déjà avoir versé à la victime la somme de 34 160,62 euros à titre d'indemnité provisionnelle.

Sur les mesures accessoires

Il est équitable de prévoir une indemnité de 2000 euros en faveur de Mme [S], ce en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens resteront à la charge de M. [E] et de la société GMF.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe ;

Infirme le jugement déféré rendu le 27 avril 2017 en ce qu'il a fixé à la somme de 129 519, 40 euros le montant total de l'indemnisation des préjudices subis par Mme [L] [S] épouse [Y] et condamné solidairement M. [Y] [E] et la société Garantie Mutuelle des Fonctionnaires (la GMF) à lui payer la somme de 95 258 euros aprés déduction des indemnités provisionnelles déjà versées ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;

Condamne solidairement la société Garantie Mutuelle des Fonctionnaires (la GMF) et M. [Y] [E] à payer à Mme [L] [S], les indemnités suivantes :

-au titre de son préjudice patrimonial, la somme de 438 056,72 euros sous réserve des provisions déjà versées (les postes de préjudices suivants ayant été évalués par la cour aux sommes de FD 130 215€ - PS 15 000€ - TPP 118 777,15€ - FVA 64 064,57€ - IP et PDC 100 000 euros ) ;

-au titre de son préjudice extra-patrimonial, la somme totale de 74 619,40 euros en deniers ou quittances (dont la réparation au titre des SE 5 000€ - déficit fonctionnel permanent 20 350€ - PEP 6000 euros - le montant de l'indemnisation du DFT étant confirmé 43 269,40€) ;

Rejette les demandes faites au titre de la perte de gains professionnels futurs et au titre du préjudice d'établissement ;

Ecarte les demandes contraires de la société Garantie Mutuelle des Fonctionnaires (la GMF) et de M. [Y] [E] ;

Constate que la créance de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe s'élève à la somme de 84 292,02 francs (16 843,62 euros) et dit le présent jugement opposable à cette dernière ;

Condamne solidairement M. [Y] [E] et la GMF à verser à Mme [L] [S], la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne solidairement la société GMF et M. [Y] [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel;

Signé par Claudine FOURCADE, président et par Esther KLOCK, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Numéro d'arrêt : 17/00924
Date de la décision : 28/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-28;17.00924 ?
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