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31/03/2016 | FRANCE | N°15/01148

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 31 mars 2016, 15/01148


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 31/03/2016



***



N° de MINUTE : 16/

N° RG : 15/01148



Jugement (N° 2013/20424)

rendu le 14 Janvier 2015

par le Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE



REF : PF/KH



APPELANTES



Société GALLOO NV Société de droit belge

[Adresse 1]

[Adresse 1]N (BELGIQUE)



Représentée par Me François DELEFORGE, avocat

au barreau de DOUAI

Assistée de Me François GERY, du Cabinet ORIA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS



SA GALLOO FRANCE

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me François DELEFORGE, av...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 31/03/2016

***

N° de MINUTE : 16/

N° RG : 15/01148

Jugement (N° 2013/20424)

rendu le 14 Janvier 2015

par le Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE

REF : PF/KH

APPELANTES

Société GALLOO NV Société de droit belge

[Adresse 1]

[Adresse 1]N (BELGIQUE)

Représentée par Me François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me François GERY, du Cabinet ORIA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

SA GALLOO FRANCE

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me François GERY, du Cabinet ORIA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

SAS ETABLISSEMENTS STROH

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me François GERY, du Cabinet ORIA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES

SAS SOCIETE DE DEVELOPPEMENT FLANDRES INVESTISSEMENTS

ayant son siège social [Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Arnaud DRAGON, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me Pascal COBERT de la SCP COBERT & DEGARDIN, avocat au barreau de LILLE

SARL GOSSELIN DURIEZ

ayant son siège social [Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Arnaud DRAGON, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me Pascal COBERT de la SCP COBERT & DEGARDIN, avocat au barreau de LILLE

SAS RECUPERATION DU NORD

ayant son siège social [Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Arnaud DRAGON, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me Pascal COBERT de la SCP COBERT & DEGARDIN, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Pascale FONTAINE, Président de chambre

Stéphanie ANDRE, Conseiller

Nadia CORDIER, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maryse ZANDECKI

DÉBATS à l'audience publique du 28 Janvier 2016 après rapport oral de l'affaire par Pascale FONTAINE

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 31 Mars 2016 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Pascale FONTAINE, Président, et Maryse ZANDECKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 21 janvier 2016

***

FAITS ET PROCEDURE

Face à l'importance des vols et trafics de métaux, la loi n°2011 - 900 du 29 juillet 2011, entrée en vigueur le 1er août 2011, a interdit le paiement en numéraires des métaux et l'article L. 112-6 du code monétaire et financier a été modifié en ce sens. Leur paiement ne pouvait plus se faire désormais que par chèque barré, virement bancaire ou postal ou carte de paiement.

Les sociétés 'société de développement Flandres investissements' (SDFI), Gosselin-Duriez (GD), Récupération du Nord (RDN) ont investi dans un dispositif de paiement par carte, en vue d'éviter le maniement d'espèces et de permettre la traçabilité des opérations.

Estimant que ce dispositif ne respectait pas la législation et leur causait un préjudice, les sociétés Galloo NV, Galloo France, établissements Strohh (les demanderesses), spécialisées elles aussi dans la récupération et le négoce de métaux, ont mis en demeure les sociétés SDFI, RDN et GD (les défenderesses) d'y mettre fin, avant de saisir un juge des référés.

Par un arrêt rendu le 17 janvier 2013, la cour d'appel de Douai a infirmé l'ordonnance de référé du 28 octobre 2011 et a enjoint aux défenderesses de cesser d'utiliser leur dispositif.

Par acte du 25 novembre 2013, les demanderesses ont assigné les défenderesses devant le tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins, notamment, de dire que celles-ci ont commis une faute en violant sciemment les dispositions de la loi du 29 juillet 2011 modifiant l'article L. 112-6 du code monétaire et financier, de dire que cette faute leur a causé un préjudice, de condamner les trois défenderesses à leur payer, à titre de dommages et intérêts, les sommes de 3 326 250 euros pour Galloo France, 4 764 750 euros pour Galloo NV, 469 250 euros pour les Etablissements Stroh.

Par un jugement du 14 janvier 2015, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

' débouté les sociétés Galloo France, Galloo NV et Etablissements Stroh de leurs demandes,

' condamné solidairement ces trois sociétés à payer aux sociétés Développement Flandres investissements, [K] - [A], Récupération du Nord la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés Galloo France, Galloo NV et Etablissements Stroh ont interjeté appel par déclaration d'appel du 23 février 2015.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs conclusions signifiées par voie électronique le 21 mai 2015, les sociétés Galloo NV, Galloo France, établissements Strohh demandent à la cour de :

' infirmer le jugement,

' déclarer recevables leurs demandes,

' dire que les sociétés Développement Flandres investissements, [K] - [A], Récupération du Nord ont commis une faute en violant sciemment les dispositions de la loi du 29 juillet 2011 modifiant l'article L. 112-6 du code monétaire et financier,

' dire que cette faute leur a causé un préjudice,

' en conséquence,

' condamner solidairement les trois défenderesses à leur payer, à titre de dommages et intérêts, les sommes de 3 326 250 euros pour Galloo France, 4 764 750 euros pour Galloo NV, 469 250 euros pour les Etablissements Stroh,

' condamner chacune des défenderesses à verser à chacune des demanderesses la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs conclusions récapitulatives signifiées par voie électronique le 18 janvier 2016, les sociétés Développement Flandres investissements, [K] - [A], Récupération du Nord demandent à la cour de confirmer le jugement et, y ajoutant, de condamner les sociétés demanderesses au paiement d'une indemnité procédurale de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

1 - Selon l'article 488 du code de procédure civile, l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée.

En conséquence, est totalement inopérant le raisonnement des premiers juges consistant, d'une part, à dire que les intimées n'auraient pas commis de faute en persistant (jusqu'au 17 janvier 2013) dans le comportement qui leur est reproché, dès lors que l'ordonnance de référé du 28 octobre 2011 ayant débouté leurs adversaires était exécutoire de plein droit à titre provisoire, d'autre part, à priver ainsi le juge du fond de son pouvoir d'appréciation de la faute prétendue.

2 - Jusqu'à la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, l'article L. 112-6 du code monétaire et financier était ainsi rédigé :

'I.-Ne peut être effectué en espèces le paiement d'une dette supérieure à un montant fixé par décret, tenant compte du lieu du domicile fiscal du débiteur et de la finalité professionnelle ou non de l'opération.

Au-delà d'un montant mensuel fixé par décret, le paiement des traitements et salaires est soumis à l'interdiction mentionnée à l'alinéa précédent et doit être effectué par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal ou à un compte tenu par un établissement de paiement.

Toute transaction relative à l'achat au détail de métaux ferreux et non ferreux est effectuée par chèque barré, virement bancaire ou postal ou par carte de paiement au-delà d'un montant fixé par décret, sans que le montant total de cette transaction puisse excéder un plafond fixé par décret. Le non-respect de cette obligation est puni par une contravention de cinquième classe.

II.-Nonobstant les dispositions du I, les dépenses des services concédés qui excèdent la somme de 450 euros doivent être payées par virement.

III.-Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables :

a) Aux paiements réalisés par des personnes qui sont incapables de s'obliger par chèque ou par un autre moyen de paiement, ainsi que par celles qui n'ont pas de compte de dépôt ;

b) Aux paiements effectués entre personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels ;

c) Au paiement des dépenses de l'Etat et des autres personnes publiques.'

¿ Cette loi du 29 juillet 2011 (publiée au JORF du 30 juillet 2011) dispose, en son article 51, III, que :

I ' Après l'article 88 du code général des impôts, il est inséré un article 88 A ainsi rédigé : « Art. 88 A.-Toute personne physique ou morale se livrant à titre habituel à l'achat au détail de métaux ferreux et non ferreux est tenue de remettre, avant le 31 janvier de chaque année, à la direction des services fiscaux du lieu de son domicile ou du siège de l'établissement une déclaration, dont le contenu est fixé par décret, qui fait notamment apparaître l'identité et l'adresse des vendeurs et le cumul annuel des achats effectués auprès de chacun de ces derniers.»
II. ' A l'article 89 A du même code, les références : « 88 et 240 » sont remplacées par les références : « 88,88 A et 240 ».
III. ' A la première phrase du dernier alinéa du I de l'article L. 112-6 du code monétaire et financier, les mots : « au-delà d'un montant fixé par décret » sont supprimés.
IV. ' Les I et II entrent en vigueur le 1er janvier 2012.

¿ Ainsi, depuis le 31 juillet 2011 (aucune disposition de la loi ne venant retarder l'entrée en vigueur de cette modification), le texte de l'article L. 112-6 du code monétaire et financier (en sa partie intéressant le litige) est devenu le suivant :

'Toute transaction relative à l'achat au détail de métaux ferreux et non ferreux est effectuée par chèque barré, virement bancaire ou postal ou par carte de paiement, sans que le montant total de cette transaction puisse excéder un plafond fixé par décret. Le non-respect de cette obligation est puni par une contravention de cinquième classe.'

Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables :

a) Aux paiements réalisés par des personnes qui sont incapables de s'obliger par chèque ou par un autre moyen de paiement, ainsi que par celles qui n'ont pas de compte de dépôt ;

b) Aux paiements effectués entre personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels ;

c) Au paiement des dépenses de l'Etat et des autres personnes publiques.'

¿ Cet article était alors situé dans une section 3 du chapitre II, 'règles d'usage de la monnaie', du livre 1er du code monétaire et financier, 'La monnaie', intitulée 'interdiction du paiement en espèces de certaines créances'.

¿ Il est constant que cette nouvelle disposition, interdisant tout paiement en espèces des achats de métaux ferreux et non ferreux aux particuliers, visait à renforcer la lutte contre le trafic de métaux volés, à combattre les fraudes fiscales et sociales générées par la vente de ces produits et à garantir la traçabilité des paiements intervenant en ce domaine.

La pièce n°1 des sociétés appelantes (extrait du rapport fait le 1er juin 2011 devant l'Assemblée nationale et relatif à l'adoption d'un amendement visant à 'améliorer la transparence sur les marchés des métaux'), rappelle ainsi que 'plus de 500 sites étaient concernés ; que 80% des transactions y sont effectuées en liquide, pour des montants pouvant représenter jusqu'à 15 000 euros par jour, soit plus d'un milliard par an ; que, si ces transactions doivent être enregistrées par le ferrailleur sur son registre de police - obligation renforcée par la loi LOPPSI 2 du 14 mars 2011 - et limitée à 500 euros l'unité, les recoupements et les contrôles des forces de l'ordre sont difficiles'.

Sous l'intitulé 'contrôle de l'achat au détail de métaux', il est (seulement) indiqué que 'le paiement en numéraires pour l'achat en détail est actuellement autorisé jusqu'à 500 euros ; cette possibilité donne toutefois lieu à de nombreux contournements, notamment à travers la multiplication des transactions ; que seules les transactions par chèque barré, virement bancaire ou postal ou par carte de paiement seraient désormais autorisées'.

¿ Depuis le 19 mars 2014, en application de la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 (article 24), le paragraphe ci-dessus reproduit en caractères gras a été remplacé par le suivant :

'Lorsqu'un professionnel achète des métaux à un particulier ou à un autre professionnel, le paiement est effectué par chèque barré ou par virement à un compte ouvert au nom du vendeur. Le non-respect de cette obligation est puni par une contravention de cinquième classe.'

La mention 'par carte de paiement' a ainsi disparu.

3 - C'est à tort que les intimées soutiennent que cet article L. 112-6 (dans sa rédaction litigieuse) n'était pas applicable, faute de décret d'application, durant la période en cause (du 31 juillet 2011 au 17 janvier 2013), aux motifs que 'le texte prévoyait que 'toute transaction relative à l'achat de métaux ferreux et non ferreux est effectuée (...), sans que le montant total de cette transaction puisse excéder un plafond fixé par décret' et que ce décret n'a jamais été publié ; que la publication du décret annoncé dans la loi est une condition de son application'.

En effet, comme le relèvent de manière pertinente les appelantes, le plafond à fixer ainsi était celui qu'une transaction ne pouvait dépasser, et l'interdiction du paiement en numéraires n'y était pas subordonnée.

Par ailleurs, l'article 51, en son alinéa IV, mentionnait expressément que 'les I et II entrent en vigueur le 1er janvier 2012", sans prévoir de tel report pour le III.

4 - Aux termes des conclusions des intimées, le système mis en place durant la période litigieuse, pour, selon elles, répondre aux exigences du législateur, était le suivant :

- lors de la transaction, l'achat était enregistré et le vendeur se voyait remettre une carte de paiement, établie sous forme de code barre, immédiatement utilisable au sein de l'entreprise, auprès d'un distributeur de billets et de monnaie,

- cette carte unique était établie à l'identité du vendeur, pour la transaction, et devenait donc sa totale propriété puisqu'il la conservait lors de son départ du site, même après paiement,

- cette carte ne pouvait être réutilisée,

- les entreprises ne géraient pas de caisse et ne remettaient pas d'espèces aux clients (les vendeurs de produits ferreux et non ferreux),

- le logiciel 'livre de police' qu'elles utilisaient permettait la traçabilité de toutes les écritures et donc était conforme à la réglementation (inscription sur un registre de police de toutes les transactions en liquide, depuis la loi LOPPSI 2 du 14 mars 2011, et remise aux services fiscaux d'une déclaration faisant apparaître l'identité des clients et le montant des transactions),

- la vente conclue, le vendeur se voyait remettre un bordereau nominatif contenant toutes les informations utiles et une carte de paiement informatique,

- grâce à son code barre, chaque carte retraçait la date, le numéro du bordereau d'achat, le montant et les coordonnées (adresse et identité complète) du fournisseur,

- ces informations étaient intégralement retranscrites et mémorisées sur le logiciel interne du distributeur (ATM),

- les données étaient tous les soirs automatiquement retranscrites dans le logiciel comptable (Sage), et consultables ou transmissibles aux autorités (police, gendarmerie, douanes, trésor public) pouvant en faire la demande,

- les mêmes données étaient régulièrement transmises aux services fiscaux,

- l'entreprise ne gérait pas de caisse et ne maniait aucune espèce, n'avait pas accès au distributeur,

- elle passait ordre à la Banque de France de fournir une certaine somme en espèces puis à une société (Loomis) pour en assurer le transport et l'alimentation du distributeur.

Le procédé ainsi décrit est - au moins partiellement - confirmé par les mesures d'investigations diligentées par les appelantes, (rapport de détective privé, pièce n°8, et attestations de MM. [B], [I], [C], pièces n°9 à 11), desquelles il ressort que le vendeur de ferraille se voyait remettre une 'carte de paiement' et, sortant dans la cour de l'entreprise, l'introduisait dans un distributeur pour y retirer les fonds correspondant à la transaction ; les bordereaux d'achat qui leur étaient remis mentionnaient leur identité, leur adresse, la nature, le poids et le prix des marchandises vendues, avec la mention 'règlement par carte de paiement' (étant observé que, si le bordereau de M. '[I]' mentionne 'règlement en espèces', le processus décrit par lui inclut bien la remise d'un 'ticket' mis dans 'la machine dans la cour' pour récupérer les espèces).

De surcroît, les intimées produisent un procès-verbal de constat, dressé le 19 octobre 2011 par M. [F], huissier de justice à [Localité 2], qui, sur le site de l'entreprise GD, a procédé à diverses constatations, dont il ressort que la carte d'identité est obligatoire à chaque livraison ; que pour tout nouveau 'fournisseur' la société ouvre dans un livre de police informatisé un compte avec les nom, prénoms, adresse, indication et numéro de la pièce d'identité ; que le numéro de la plaque d'immatriculation du véhicule est relevé ; que le process de facturation permet un paiement par chèque, virement ou carte de paiement ; que le logiciel 'carte de paiement' permet d'indiquer le montant du retrait à effectuer, avec la ventilation selon les billets et pièces de monnaie ; que, lorsque la carte est ensuite validée dans la borne, apparaissent le numéro de clé de la transaction, l'identité du fournisseur, le numéro du bordereau d'achat ; qu'au sein de la société trois personnes sont susceptibles de faire ces transactions, avec chacune leur identifiant et leur code personnel, pour assurer une parfaite traçabilité ; que l'huissier s'est vu expliquer la manière d'éditer l'encours de la journée ou de consulter le journal des opérations (par date, identifiant, montant ou fournisseur) ; qu'il a lui-même constaté que diverses vérifications permettaient d'assurer une parfaite traçabilité des opérations ; qu'il s'est fait remettre divers justificatifs significatifs (fiche fournisseur et bordereau d'achat).

La cour relève que l'exemplaire de bordereau d'achat annexé à ce procès-verbal est similaire à celui obtenu par les sociétés appelantes à l'occasion de leurs propres investigations ; que la 'fiche fournisseur' reprend les renseignements indiqués dans le procès-verbal ; que sont également jointes des captures d'écran relatives à la'situation transaction' et au 'journal fournisseur'.

Il est d'ailleurs intéressant de souligner que tous ces justificatifs de traçabilité sont produits pour M. [C] (qui avait fourni aux sociétés appelantes une attestation, précédemment évoquée).

Enfin, les pièces 20 à 23 des intimées ('livre de police V2", 'bordereau d'achat dossier test' et 'carte de paiement dossier test') décrivent de manière convaincante (et non critiquée par les appelantes) la configuration informatique et notamment le lien automatique par clé de transaction entre le DAB et le livre de police.

Les pièces produites devant la cour établissent, d'abord, que le processus décrit par les intimées est bien conforme à celui qui était mis en place, ensuite, qu'il permettait d'assurer la 'traçabilité' recherchée par le législateur.

5- Sur les demandes en paiement et la notion de carte de paiement au sens de l'article L. 112-6 du code monétaire et financier :

¿ Les appelantes soutiennent que la loi du 29 juillet 2011 a définitivement prohibé tout paiement en numéraire des achats de métaux ferreux et non ferreux ; que, dès le mois de septembre 2011, la Fédération des entreprises du recyclage avait mentionné dans son bulletin d'information que les paiements en espèces étaient interdits, même par l'utilisation de cartes de retrait ; que la carte de paiement prévue par le législateur était 'une carte bancaire, émise par un établissement de crédit ou par une institution et permettant à son titulaire de retirer ou de transférer des fonds' ; que, aux termes d' un courriel de cet organisme du 30 août 2011, selon 'le Ministère, la carte de paiement que l'on crédite et qui permet de retirer de l'espèce sur un distributeur serait considérée comme une forme détournée de paiement en espèces' ; que les défenderesses elles-mêmes admettent que l'utilisation de leur carte de retrait à usage unique n'était pas conforme à la nouvelle réglementation, puisque le groupe Covanord et le GIE Cartes bancaires qu'elles avaient contactés pour mettre en place un partenariat compatible avec ces modifications législatives avaient refusé ; que rien ne les empêchait de payer leurs vendeurs par chèques ou par virement bancaire ou postal ; que les intimées font une lecture erronée de la disposition de l'article L. 122-6 relative à l'exception relative aux personnes démunies de compte bancaire ou de chéquiers.

¿ Les intimées font valoir que les professionnels divergeaient quant à l'interprétation du nouveau texte, certains estimant que par 'carte de paiement' il fallait entendre 'carte bancaire', d'autres considérant que l'expression devait se comprendre au sens large et validant le système sécurisé qu'elles avaient mis en place ; que la première acception ne peut pas être la seule acceptable, puisque les entreprises de recyclage - qui ne sont pas des organismes financiers ou bancaires - ne peuvent accéder à ce type de paiement ; que, dans leur activité, c'est le professionnel qui est le client et le particulier qui est le fournisseur ; que celui-ci ne peut être en possession d'un terminal de paiement électronique pour recevoir paiement du commerçant par le biais d'une carte bancaire ou de crédit ; que, pourtant, le législateur avait prévu un paiement par carte de paiement, ce qui doit nécessairement correspondre à une réalité ; que, depuis la modification en 2009 de la rédaction de l'article L. 132-1 du code monétaire et financier, il n'y a plus de définition de la 'carte de paiement' dans ce code.

Elles soulignent qu'il existe plusieurs cartes de paiement qui ne sont pas des cartes bancaires ; que se sont développées en France de cartes de type 'porte-monnaie électronique' n'impliquant aucune relation avec une banque ou une société de crédit ; qu'il en est ainsi de la carte Monéo qui permet de régler des achats de faible montant ou le certains services (bibliothèque, stationnement...) ; que ces cartes sont rechargeables sur les terminaux de paiement électroniques, des cabines téléphoniques, des horodateurs ou sur internet ; qu'il existe également des cartes de paiement spécifiques, par exemple, pour régler le stationnement (comme la carte Isla à [Localité 3]) ou au sein de réseaux de commerçants (blanchisserie, etc) ; que la généralisation de ce type de cartes répond au double objectif de limiter le maniement d'espèces ou l'usage de chèques.

Elles expliquent que, dans le négoce de métaux avec les particuliers, les transactions se limitent généralement à quelques euros ; qu'une grande partie de la clientèle est dépourvue de compte bancaire ou interdite bancaire ; qu'il est d'ailleurs spécifié par cet article L. 112-6 que ses dispositions ne s'appliquent pas 'aux paiements par des personnes qui sont incapables de s'obliger par chèque ou par un autre moyen de paiement ainsi que pour celles qui n'ont pas de compte de dépôt' ; que, lorsque leur client leur vend des métaux, il se voit remettre un bordereau d'chat nominatif contenant toutes les informations utiles et une carte de paiement informatique lui permettant de recevoir des espèces auprès d'un distributeur ; que toutes les données sont automatiquement transmises sur le livre de police et la déclaration à transmettre aux services fiscaux.

Elles indiquent que, depuis le 1er août 2011 et jusqu'au 11 mai 2012, les services de police ont effectué divers contrôles et vérifié le système de paiement mis en place ; qu'aucun procès-verbal d'infraction n'a été établi ; que le 8 octobre 2011 le contrôle regroupait même une dizaine d'intervenants (police, gendarmerie, Urssaf, administration fiscale, SNCF, Telecom, douanes ...); que les demanderesses n'ont pas déposé plainte et ne se sont pas constitué partie civile ; que leur système a permis la délivrance de la certification ISO 9001, ce qui démontre que les normes de traçabilité étaient remplies.

* * * * *

¿ L'article L. 132-1 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2001 au 1er novembre 2009, était le suivant :

'Constitue une carte de paiement toute carte émise par un établissement de crédit ou par une institution ou un service mentionné à l'article L. 518-1 et permettant à son titulaire de retirer ou de transférer des fonds.

Constitue une carte de retrait toute carte émise par un établissement, une institution ou un service mentionné au premier alinéa et permettant, à son titulaire, exclusivement de retirer des fonds.'

Depuis le 1er novembre 2009, en application de l'ordonnance n°2009-866 du 15 juillet 2009, son texte est celui-ci :

'La lettre de change est régie par les articles L. 11-1 à 511-58 du code de commerce.'

C'est de manière pertinente que les intimées relèvent la disparition de ces définitions et la difficulté de déterminer le sens de la mention 'carte de paiement' de l'article L. 112- 6 du code monétaire et financier.

La cour observe en effet qu'aucune disposition du code monétaire et financier, ni même des code civil et code de commerce, ne s'y réfère - autrement qu'à l'occasion des dispositions concernant directement les établissements bancaires ou de crédit. Et il ne résulte pas des extraits des débats parlementaires fournis par les parties que le législateur ait entendu donner un sens précis à ce mode de paiement.

¿ Le courriel de la Federec du 30 août 2011 indiquait que ' le représentant du 'ministère' (des Finances) avait considéré oralement que la carte de paiement que l'on crédite et qui permet de retirer des espèces sur un distributeur serait considérée comme une forme détournée de paiement en espèces, contraire à l'esprit de la loi votée puisque son objectif est de tracer les sommes perçues par les particuliers'.

Toutefois, alors que ce courriel annonçait une 'prochaine réponse écrite du ministère', il ne résulte pas des dossiers des parties que, malgré l'attente des professionnels, le gouvernement se soit officiellement prononcé sur le sujet.

En définitive, la seule réaction étatique visant à lever l'incertitude fut la suppression de la mention 'carte de paiement' par la loi Hamon du 13 février 2014, précitée.

Par ailleurs, au vu des mails échangés le 4 août 2011 (pièce n°19), le fait que les organismes bancaires contactés par les sociétés intimées n'aient pas été en mesure de 'leur fournir un moyen de paiement permettant de créditer une carte de crédit pour leurs fournisseurs' signifie, non pas que cela était interdit, mais simplement que 'rien n'était prévu en France' et que le conseiller de clientèle Entreprises allait se renseigner afin de savoir si des évolutions étaient ou non prévues.

Quant à la pièce 17 des intimées (lettre du groupement des cartes bancaires du 20 janvier 2012, adressée à la Federec), elle ne vient aucunement attester de l'illégalité du système mis en place par elles, mais de l'impossibilité d'utiliser certaines fonctions des cartes bancaires délivrées par le groupement, eu égard à ses conditions contractuelles, dès lors que son auteur relève que cette 'évolution législative introduit une obligation nouvelle impactant directement les conditions de l'acceptation 'CB3 et consacre la possibilité pour la possibilité faite au commerçant accepteur 'CB' de régler des achats par carte de paiement' ; 'souhaite préciser à l'ensemble des 'membres accepteurs de CB' les conséquences de ce texte dans leur acceptation quotidienne des cartes de paiement 'CB', notamment lors d'achats de métaux précieux auprès d'une clientèle de particuliers non-professionnels' ; 'tient à rappeler que l'utilisation de la fonction dite 'transaction crédit' (ou encore 'facture-crédit') proposée aux commerçants est encadrée par le contrat d'acceptation 'CB' ; qu'en tout état de cause aucun règlement pour l'achat de métaux ferreux ne peut s'effectuer par une opération 'transaction crédit', que cela constituerait une pratique détournée et contraire aux règles contractuelles d'acceptation 'CB' ; que le contrat prévoit clairement son utilisation exclusive pour permettre le remboursement du titulaire de la carte après une opération de paiement effectuée par la même carte et ce même titulaire'.

En conséquence, la cour est en mesure de constater que :

' l'article L. 112-6 du code monétaire et financier prévoyait 'la carte de paiement' pour les transactions afférentes aux vente de métaux ferreux et non ferreux ;

' malgré l'imprécision du texte parlementaire et le 'flou législatif' mis ci-dessus en exergue, il est inconcevable de considérer que c'est par erreur que le législateur a autorisé cette faculté et que ce mode de paiement n'aurait en réalité eu aucune signification ;

' les sociétés intimées ont de manière astucieuse mais légale mis en place un système qui utilisait une 'carte de paiement' - 'rudimentaire' et à usage unique mais correspondant au sens générique du terme - et qui en outre - et surtout - mettait en place tous les paramètres de traçabilité correspondant aux objectifs parlementaires.

Dès lors (et dans la mesure où il n'est pas contesté que le système était identique chez toutes les sociétés intimées), les appelantes, qui n'établissent pas l'existence de la prétendue violation de l'article L. 112-6 du code monétaire et financier (dans sa rédaction alors applicable), seront déboutées de leurs demandes (le jugement étant, par ces seuls motifs, confirmé).

6 - Succombant en leurs prétentions, les sociétés appelantes seront condamnées aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

Il est équitable de les condamner en outre à payer aux trois intimées une somme globale de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et débouter les appelantes à ce titre.

PAR CES SEULS MOTIFS,

LA COUR,

CONFIRME le jugement,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE les sociétés Galloo France, Galloo NV et Etablissements Stroh à payer aux sociétés Développement Flandres investissements, Gosselin-Duriez, Récupération du Nord une somme globale de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les sociétés Galloo France, Galloo NV et Etablissements Stroh au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE les sociétés Galloo France, Galloo NV et Etablissements Stroh aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

M. ZANDECKIP. FONTAINE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 15/01148
Date de la décision : 31/03/2016

Références :

Cour d'appel de Douai 22, arrêt n°15/01148 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-31;15.01148 ?
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