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07/07/2022 | FRANCE | N°21/05193

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 07 juillet 2022, 21/05193


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 07/07/2022





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N° de MINUTE : 22/

N° RG 21/05193 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T4EI



Jugement (N°2018/1386) rendu le 17 septembre 2021 par le tribunal de commerce d'Arras



APPELANTES



Société Helvetia Assurances, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social 25 quai

Lamandé 76600 Le Havre



Société Coopérative Artisanale de Transport, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Le Technoparc - 17 rue Char...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 07/07/2022

****

N° de MINUTE : 22/

N° RG 21/05193 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T4EI

Jugement (N°2018/1386) rendu le 17 septembre 2021 par le tribunal de commerce d'Arras

APPELANTES

Société Helvetia Assurances, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social 25 quai Lamandé 76600 Le Havre

Société Coopérative Artisanale de Transport, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Le Technoparc - 17 rue Charles Edouard Jeanneret 78300 Poissy

représentés par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai

assistés par Me Henri Jeannin, avocat au barreau de Paris

INTIMÉE

Voies Navigables de France, établissement public de l'état à caractère administratif, réprésenté par son Directeur Général Monsieur [D] [N], domicilié en cette qualité audit siège agissant en vertu d'une délibération portant délégation de pouvoir du conseil d'administration n°01/2014 du 20 mars 2014 modifiée

ayant son siège social 175 rue Ludovic Boutleux 62408 Béthune

représentée par Me Alexandra Bodereau, avocat au barreau d'Arras

assistée de Me Hervé Cassel, substitué par Maître Vincent Dubois, avocats au barreau de Paris

DÉBATS à l'audience publique du 26 avril 2022 tenue par Nadia Cordier magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Laurent Bedouet, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 07 juillet 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Laurent Bedouet, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 05 avril 2022

****

La société coopérative artisanale de transport (ci-après « SCAT ») a pour activité l'affrètement et l'organisation des transports sur le bassin de la Seine. Elle possède et exploite notamment un chaland de 1973 baptisé « Cyclone » lequel mesure 104,75 mètres de long sur 9,50 mètres de large, assuré auprès de la compagnie Groupama transport, aux droits de laquelle est venue la compagnie Gan eurocourtage et dernièrement la compagnie Helvetia Assurances.

Voies Navigables de France est un établissement public, placé sous la tutelle de l'État, et est en charge de la gestion du réseau des voies Navigables françaises. Il assure 1'ensemble des missions de service public liées à l'entretien, à l'exploitation, à la modernisation et au développement des activités fluviales liées au transport et au tourisme.

Un sinistre est survenu le 31 août 2011 à 12h00 en sortie de l'écluse de Melz-sur-Seine au niveau du point kilométrique 27,171.

Lors de sa sortie, le Cyclone a heurté le fond du radier aval de l'écluse, occasionnant un arrêt du moteur.

Un constat a été dressé le même jour par un agent des Voies Navigables de France à l'écluse suivante et relaté les données du sinistre.

À la demande d'Helvetia Assurances, une expertise amiable a été conduite sous la houlette du cabinet d'expertise BMT Techmar.

Une première réunion d'expertise a été réalisée le 14 octobre 2011 au Havre où le Cyclone était entré en cale sèche, la société BMT Techmar retenant, au terme de son rapport en date du 23 février 2012, des frais de réparation en lien avec le sinistre à hauteur de 29 632,04 €, ainsi qu'une perte d'exploitation à hauteur de 12 833,18 €.

Une deuxième réunion réalisée à la demande du courrier d'assurance de la société SCAT le 16 avril 2012 à Poissy a conduit à une réévaluation par la société BMT Techmar des frais de réparation à hauteur de 33 393,58 € (addendum établi 1e 7 mai 2012).

Au vu de ce rapport et suivant quittance subrogative en date du 31 mai 2012, Helvetia Assurances a indemnisé la SCAT à hauteur de 31 893,58 €, la franchise et la perte d'exploitation alléguée par la SCAT, soit 14 333,18 € étant demeurées à la charge de cette dernière.

Helvetia Assurances a sollicité, pour elle-même et pour la SCAT, la prise en charge de ces préjudices par Voies Navigables de France, qui, ne partageant pas les conclusions de BMT Techmar, a sollicité son assureur, lequel a missionné le Comité d'études et de services des assureurs maritimes et transports (ci-après « Cesam») afin de déterminer les circonstances exactes du sinistre.

Aux termes de son rapport du 4 novembre 2013, le Cesam a conclu à l'absence de responsabilité de Voies Navigables de France dans la survenance du sinistre et a par ailleurs estimé que les frais de réparation strictement liés au sinistre ne sauraient excéder 4 050 € et que la perte d'exploitation n'était pas justifiée en l'état des éléments fournis par la SCAT, précisant que, à supposer qu'ils soient fournis, la perte d'exploitation ne saurait excéder 9 981,30 €.

Connaissance prise du rapport du Cesam et par courrier du 25 novembre 2013, Voies Navigables de France a refusé de faire droit à la demande d'Helvetia Assurances.

BMT Techmar a organisé une troisième réunion d'expertise le 23 août 2016 à Conflans-Sainte-Honorine pour commenter le rapport du Cesam, établissant un nouvel addendum le 8 décembre 2016 aux termes duquel il conteste les conclusions sur la cause du sinistre.

Par requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Melun 1e 28 juin 2016, Helvetia Assurances et la SCAT ont demandé au tribunal de :

- Condamner Voies Navigables de France à payer à Helvetia Assurances la somme de 31 893,58 € ;

- Condamner Voies Navigables de France à payer à la SCAT la somme de 14 333,18 € ;

- Mettre à charge de Voies Navigables de France la somme de 3 500 € au titre des dispositions de l'article L.76l-1 du Code de la justice administrative.

Par jugement du 28 juillet 2017, le tribunal administratif de Melun a rejeté la requête des sociétés Helvetia Assurances et SCAT, comme portée devant une juridiction incompétente pour la connaître.

Par requête et mémoire enregistrés au greffe de la cour administrative d'appel de Paris, le 29 août 2017, les sociétés Helvetia Assurances et SCAT ont sollicité 1'annulation du jugement précité et ont repris leurs demandes présentées devant le tribunal administratif de Melun.

Par arrêt du 7 juin 2018, la Cour administrative d'appe1 de Paris a rejeté la requête des sociétés Helvetia Assurances et SCAT.

Par exploit en date du 11 juillet 2018, les sociétés Helvetia Assurances et SCAT ont assigné Voies Navigables de France par-devant le tribunal de commerce d'Arras aux fins de voir leurs demandes déclarées recevables et bien fondées et d'obtenir les sommes de 31 893,58 € et 14 333,18 € en principal.

Par jugement contradictoire et en dernier ressort en date du 17 septembre 2021, le tribunal de commerce d'Arras a :

- débouté la SA Helvetia Assurances et la SA SCAT de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- condamné in solidum la SA Helvetia Assurances et la SA SCAT à payer à l'établissement public Voies Navigables de France la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rappelé que la décision rendue est de droit exécutoire ;

- condamné la société SA Helvetia Assurances et la SA SCAT aux entiers frais et dépens.

Par déclaration en date du 8 octobre 2021, la société Helvetia Assurances SA et la société SCAT ont interjeté appel, reprenant dans leur acte l'ensemble des chefs de la décision.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 26 mars 2022, les sociétés Helvetia Assurances et SCAT demandent à la cour, de :

Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Arras le 17 septembre 2021 en ce qu'il a :

Débouté la SA Helvetia Assurances et la SA SCAT de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

Condamné in solidum la SA Helvetia Assurances et la SA SCAT à payer à l'établissement public Voies Navigables de France la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Rappelé que la décision rendue est de droit exécutoire ;

Condamné la SA Helvetia Assurances et la SA SCAT aux entiers frais et dépens de l'instance, incluant les frais et débours de greffe taxés et liquidés à la somme de 84,48 Euros.

Statuant à nouveau

Vu les articles 1340 et 1342 du Code civil,

- Juger la compagnie Helvetia et la SA SCAT bien fondées en leurs demandes dirigées contre l'établissement public Voies Navigables de France,

- Condamner l'établissement public Voies Navigables de France à payer à Helvetia Assurances :

' la somme de 31 893,58 €, outre intérêts légaux à compter du 28 juin 2016, qui devront être capitalisés en application de l'article 1343-2 du Code civil

' la somme de 6 000 € en application des dispositions de l'article 700 du CPC.

- Condamner l'établissement public Voies Navigables de France à payer à la société SCAT :

' la somme de 14 333,18 €, outre intérêts légaux à compter du 28 juin 2016, qui devront être capitalisés en application de l'article 1343-2 du Code civil

' la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du CPC.

- Débouter l'établissement public Voies Navigables de France de toutes ses demandes, fins et conclusions

- Condamner l'établissement public Voies Navigables de France aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

Elles font valoir que :

- la prétention d'absence de lien entre les dommages au bateau et le heurt du radier est sans fondement ;

- les éléments techniques établissent qu'à l'occasion de la sortie du sas de l'écluse, le bateau s'est trouvé coincé sur le radier par son arrière du fait du manque d'eau ;

- il a fallu une demande expresse du capitaine à l'éclusier pour remettre de l'eau dans l'écluse et permettre à l'arrière du bateau de flotter ;

- l'expert a parfaitement fait le départage entre ce qui est dû à l'accident dans l'écluse et au changement des pièces relevant de la vétusté et non attribuable à l'incident ;

- au vu de la taille du bateau, seuls deux chantiers pouvaient l'accueillir, le batelier ayant alors été contraint d'attendre 44 jours pour réparer son bateau ;

- les allégations de VNF sur le niveau d'eau sont fausses, lequel n'était nullement de 1, 80 m mais de 2 m, le bateau de la SCAT étant donc parfaitement en droit de naviguer ;

- comme l'éclusière refusait d'attester le manque de 20 cm d'eau, le batelier a pris des photos attestant que le niveau d'eau était plus bas que d'habitude, la ligne de niveau d'eau habituel étant visible ;

- les calculs de l'expert du Cesam sont manifestement purement théoriques et aucun « effet piston » n'est intervenu, à l'origine de l'accident ;

- la vitesse du bateau en sortie ne pouvait être que très faible, au vu de son chargement ;

- s'agissant des portes aval, elles peuvent parfaitement s'ouvrir si le niveau de l'eau dans le sas est inférieur à celui du niveau de l'eau dans le bief, ce qui explique que le bateau trop bas ait touché le radier par son arrière ;

- l'établissement VNF se trouve seul responsable des avaries occasionnées au bateau par suite de l'insuffisance du clair sous quille nécessaire à la sécurité du bateau dans l'écluse qui caractérise un défaut d'entretien de l'ouvrage public, notamment du maintien de la hauteur de la voie navigable ;

- l'éclusier est maître du positionnement des bateaux dans l'écluse et de toutes les man'uvres au sein de cette dernière, et donc le seul responsable de la manipulation des portes et de l'insuffisance du niveau d'eau dans le sas, à l'origine de l'accident.

Au titre des préjudices, elle mentionne que :

- l'expert BMT a fait une appréciation claire de ce qui était la conséquence de l'accident et ce qui relevait de la vétusté, l'expert ayant réduit la facture ;

- les commentaires de l'expert du Cesam sont dépourvus de sérieux ;

- s'agissant des pertes d'exploitation, elles sont calculées sur une période de 9 jours à partir d'une période de 14 jours d'immobilisation, soulignant que le bateau fait des frets réguliers chaque mois, par le biais des même transports de conteneurs sur la Seine ;

- s'agissant des frais d'occupation de la cale, ils ont été ventilés suivant la méthode du temps masqué.

Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 1er avril 2022, l'établissement public Voies Navigables de France demande à la cour de :

Vu l'article L. 4311-1 du Code des transports,

Vu l'article 6.28 du Règlement de Police de la Navigation Intérieure,

Vu les moyens sus développés et les pièces produites aux débats,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce d'Arras du 17 septembre 2021 (RG n° 2018/1386) ;

Et, y ajoutant,

- condamner in solidum les sociétés Helvetia Assurances et SCAT, à payer à Voies Navigables de France la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner in solidum les sociétés Helvetia Assurances et SCAT, aux entiers dépens de l'instance d'appel ;

A titre infiniment subsidiaire et dans l'hypothèse où la Cour devrait retenir une quelconque part de responsabilité de Voies Navigables de France dans la survenance du sinistre,

- limiter toute condamnation à l'encontre de Voies Navigables de France au titre des frais de réparation des dommages en lien direct avec le sinistre du 31 août 2011 à une somme qui ne saurait excéder 12 023,98 € ;

- rejeter toute demande de condamnation de VNF au profit de la société SCAT relative à une prétendue perte d'exploitation comme étant non fondée ;

- rejeter toutes autres demandes, fins, et prétentions plus amples ou contraires.

Il soutient que :

- nombre de réparations effectuées sur le « Cyclone » ne sont pas en lien manifestement avec le sinistre et relèvent de l'entretien courant de l'unité, ce que ne conteste pas BMT Techmar ;

- la réalité de certains dommages a été discutée par le Cesam, les traces de ragages résultant probablement d'une prise d'encombrant sans lien direct avec le sinistre, tout comme les fissures sur le tube de jaumière ;

- l'hélice étant démontée lors des constatations on ne peut exclure que des dommages aient été réalisés à cette occasion ;

- le BMT Techmar est loin d'être formel sur l'existence d'un lien de causalité certain entre le sinistre et les dommages constatés ;

- le niveau d'eau était suffisant lorsque le Cyclone a débuté sa man'uvre de sortie du sas de l'écluse ;

- la société Helvetia et la société SCAT ne rapportent pas la preuve d'un lien de cause à effet entre l'ouvrage public et le dommage invoqué.

À titre subsidiaire, il plaide l'absence de défaut d'entretien normal de l'écluse et la faute de la victime responsable de « l'effet piston » à l'origine du sinistre, précisant que :

- l'éclusier n'est nullement au vu de la réglementation seul responsable des man'uvres des bateaux dans l'écluse, comme le soutiennent les appelantes ;

- il ne peut être reproché à l'éclusier un défaut de contrôle de la vitesse de sortie de sassée du bateau, seul le marinier ayant la maîtrise de cette dernière ;

- aucun contrôle a priori n'aurait pu écarter un accident dû à la vitesse excessive en sortie eu égard au gabarit de l'unité par rapport à celui de l'écluse ;

- toute vitesse excessive, même inférieur à 4 km/h, peut engendrer un effet piston ;

- le niveau d'eau dans ladite écluse était largement suffisant pour y accueillir le Cyclone eu égard aux cotes relevées en amont et en aval de l'écluse ;

- VNF a parfaitement respecté ses obligations d'entretien, en particulier de niveau d'eau garanti pour la navigation ;

- la seule présence du bateau au sein de l'écluse suffit à expulser une partie de l'eau en son sein par transmission de l'onde de pression exercée par l'inertie du navire, cet effet piston étant noté par le Cesam ;

- les déclarations de M. [H] établissent la vitesse excessive lorsqu'il a initié la man'uvre l'obligeant à la réduire, de sorte que l'effet piston a joué à plein ;

- l'ouverture de l'éclusière pour amener de l'eau n'a été faite que pour contrebalancer cet effet piston et permettre au bateau de sortir ;

- les déclarations de M. [H] ont fait l'objet de deux versions distinctes, qui diffèrent en leur forme et leur contenu ;

- le manque d'eau dans un sas de l'écluse, avec l'amorce de la sortie de sassée est impossible dans le sens avalant, les portes du sas de l'écluse ne pouvant s'ouvrir qu'une fois cette égalité de niveau atteinte entre celui à l'intérieur du sas et celui du bief avalant ;

- VNF rapporte la preuve de l'absence d'un défaut d'entretien normal de l'ouvrage au jour du sinistre, car les niveaux d'eau présents dans les biefs amont, aval, ainsi que dans le sas de l'écluse étaient conformes à la retenue normale garantie par ses services, et même supérieurs en présence d'une surcote, de sorte que le tirant d'eau dans le bief, de 2,37 mètres, était suffisant pour permettre le passage du « Cyclone », qui naviguait avec un enfoncement de 1,95 m. 

Elle conteste à titre très subsidiaire les quantums demandés par les appelantes :

- s'agissant des frais de réparation du Cyclone, en raison de l'absence de lien avec le dommage, notamment pour les travaux effectués sur l'hélice de propulsion, sur le propulseur d'étrave et au titre de l'arbre porte-hélice ;

- s'agissant des frais de mise en cale, une réduction s'imposant au regard du fait que pendant cette période d'autres travaux, sans lien avec l'incident, ont été réalisés ;

- s'agissant des pertes d'exploitation alléguées, faute de production de justificatifs probants .

***

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2022.

À l'audience du 26 avril 2022, le dossier a été mis en délibéré au 7 juillet 2022.

MOTIVATION

Le sinistre ayant eu lieu le 31 août 2011, période à laquelle les Voies Navigables de France était un établissement public industriel et commercial, jusqu'à sa constitution le 1er janvier 2013 en établissement public administratif, les juridictions civiles, suite au jugement d'incompétence du tribunal administratif de Melun en date du 28 juillet 2017 et l'arrêt rejetant la demande d'annulation du jugement de la cour d'appel administrative de Paris en date du 7 juin 2018, et le droit commun de la responsabilité, dans sa version antérieure à la réforme du droit des obligations, ont vocation à régir le présent litige.

En vertu des dispositions de l'article 1382 ancien du Code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Aux termes de l'article 1384 ancien du Code civil, on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.

Selon les dispositions de l'article L 4311-1 du code des transports, dans sa rédaction applicable du 1er décembre 2010 au 1er janvier 2013, l'établissement public de l'État à caractère industriel et commercial dénommé Voies Navigables de France est chargé de l'exploitation, de l'entretien, de l'amélioration, de l'extension et de la promotion des voies Navigables et de leurs dépendances, ainsi que de l'étude de toute question relative à la navigation intérieure et à l'utilisation des cours d'eau et plans d'eau.

Des dispositions de l'article 6. 28 du règlement général de police de la navigation intérieure, publié par décret n° 73-912 du 21 septembre 1973, dans sa version applicable au fait du litige et antérieur à la codification sous l'article A 4241-53-30 du Code des transports, il s'extrait, pour la résolution du présent litige que :

- 1. Sans préjudice des autres dispositions du présent règlement, les conducteurs doivent se conformer, dans les écluses et dans les garages des écluses, aux ordres qui leur sont donnés par le personnel des écluses en vue de la sécurité et du bon ordre de la navigation ou en vue de la rapidité du passage des écluses et de la pleine utilisation de celles-ci.

- 2. À l'approche des garages de l'écluse, les bâtiments doivent ralentir leur marche.

- 4. Dans les écluses, les ancres doivent être complètement relevées ; il en est de même dans les garages, pour autant qu'elles ne sont pas utilisées.

Pour éviter tout choc contre la porte ou le dispositif de protection, les conducteurs doivent réduire la vitesse de façon à garantir en toute circonstance un arrêt total au moyen de câbles ou de cordages.

- 5. dans les écluses, f) Dès que le bâtiment est amarré et jusqu'au moment où il est prêt à sortir de l'écluse, il est interdit de faire usage des moyens mécaniques de propulsion.

- 9. Le personnel des écluses a seul le droit de man'uvrer les ventelles, les portes et les autres organes des écluses dont il a la garde. Toutefois, il peut être aidé par les intéressés. Ceux-ci doivent, dans ce cas, se conformer à ses ordres.

- 10. Les règlements particuliers définissent, s'il y a lieu, les conditions de man'uvre des ouvrages non gardés.

En vertu des dispositions des articles 6 et 9 du Code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

En l'espèce, la société SCAT et la société Helvetia Assurances SA soutiennent que par manque d'eau dans l'écluse, le Cyclone, conduit par M. [H], lequel avait demandé à l'éclusière de rajouter 20 cm d'eau, a heurté le radier et n'a pu sortir de l'écluse qu'après remise en eau, ce qui constitue un manquement à l'entretien de l'ouvrage.

Si l'administration est tenue d'assurer un entretien des voies publiques permettant un usage de ces voies conforme à leur destination, et ainsi d'assurer un niveau d'eau suffisant pour permettre la circulation et le passage des écluses aux différents bâtiments sans incident, Voie Navigables de France n'est aucunement « seule responsable des man'uvres des bateaux », comme le soutiennent les sociétés Helvetia Assurances et SCAT, dans l'écluse.

Au contraire, la réglementation très stricte et détaillée, prévue à l'article 6.28 du règlement général de police de navigation intérieure, dont sont extraites les dispositions sus-citées plus particulièrement en jeu dans la résolution du présent litige, dispose que l'usager de l'ouvrage doit se conformer à toutes les prescriptions imposées, notamment en termes de vitesse, d'amarrage, de respect de la signalisation.

Des pièces du dossier, on peut retenir que :

- l'écluse de Melz-sur-Seine mesure 120 m de long sur 10,50 m de large avec un mouillage de 2,30 m ;

- le Cyclone mesure quant à lui 104,75 m de long sur 9,5 m de large avec un enfoncement au jour du sinistre de 1,95 m de tirant d'eau, selon les déclarations du batelier ;

- une autorisation spéciale de transport avait été délivrée le 9 juin 2011 pour une période du 13 juin 2011 au 12 septembre 2011 qui précisait la vitesse maximale autorisée de 4 km/h, le tirant d'eau de 2 m au maximum entre les ports de Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine, des règles spécifiques pour les croisements, passages des écluses, traversées du canal de Beaulieu, le point 12 soulignant que « le conducteur doit assurer une surveillance accrue des berges et supprimer tout phénomène de piston afin d'éviter le détachement des enrochements ».

- les mentions, non contestées, du constat réalisé par le contrôleur le 31 août 2011 précisent que « la RN du bief de Villiers est de 59,10. la cote d'eau à 8 h00 le 31 août est de 59,21 à l'échelle aval de Melz et 55,22 à l'échelle amont de Villiers. La côte d'eau à 11 h 45 est de 59,18 à l'amont de Villiers et de 59,21 aval de Melz.. L'enfoncement maximum autorisé est de 2 m à la côte de 59,10 » ;

- sur la pièce 8 produite par VNF, à savoir l'extrait du cahier de l'éclusier, dont ni les mentions ni la validité ne sont contestées par les appelantes, figure à la date du 31 août, au recto le passage du Cyclone à 12 h, avec une côte amont à 60,66, soit 6 cm de plus que la RN 60,60 et une côte d'eau aval à 59,22, soit 12 cm de plus que la RN 59,10, puis au verso le passage du Cyclone à 14 h45, avec une côte d'eau amont de 59,21 et une côte d'eau aval de 56,44 ;

- de la confrontation de ces mentions, au vu des initiales des éclusiers apposées en face mais également des heures, avec les indications non contestées du constat du contrôleur, faisant état ce 31 août de la présence de deux agents, M. [O] [I] (LD) et Mme [X] [F] (EC) en poste et de la nécessité au regard de la présence simultanée d'un bateau aux écluses de Villiers et de Melz de la « présence des deux agents d'exploitation sur chaque ouvrage », le recto correspond au passage de l'écluse de Melz par le Cyclone, tandis que le verso correspond au passage de l'écluse de Villiers par le Cyclone, le contrôleur étant présent lors de l'entrée dans le sas de cette dernière à 13 h30.

Ainsi, les niveaux d'eau présents dans les biefs amont, aval étaient conformes à la retenue normale garantie par les services d'eau.

Par ailleurs, le fonctionnement d'une écluse à portes busquées, telle que celle de Melz-sur-Seine, nécessite pour permettre un passage sans encombre un équilibre de niveau entre le sas et celui du bief de destination pour ouvrir les portes, selon les dires des différents experts intervenus dans le présent dossier.

La société Helvetia Assurances et la société SCAT se prévalent d'un manque d'eau dans le sas de l'écluse, le batelier ayant pris des photographies attestant de ce que le niveau était inférieur à celui habituel, au vu de la ligne d'eau visible, Voies Navigables de France lui opposant l'impossibilité d'ouvrir les portes en cas de déséquilibre des niveaux et la possibilité d'un effet piston.

Or, s'il ne peut être tiré aucune conséquence de la mention par le contrôleur d'un effet piston constaté le 31 août 2011 lors de l'entrée dans l'écluse de Villiers, s'agissant de l'écluse suivante et s'agissant d'un effet noté lors de l'entrée, et non de la sortie comme envisagé par VNF en l'espèce, il n'en demeure pas moins que lors de ce constat, alors même qu'étaient discutées les conditions de survenance de l'accident et la prise de photographies par le contrôleur de l'effet piston à l'entrée de l'écluse suivante, il n'est pas noté que le batelier ait fait part à ce dernier de ce manque d'eau et de la réalisation de photographies par ses soins pour en attester, ou offert de remettre lesdites photographies, lesquelles ne sont pas transmises à Voies Navigables de France lors des premiers échanges entre les parties, aboutissant au courrier du 25 novembre 2013 relatif au refus de prise en charge, mais seulement à la fin de l'année 2014 et au début de l'année 2015, lors de la demande de réévaluation de la situation par mails.

Il n'est d'ailleurs pas plus fait état de l'existence desdites photographies prises le jour même pour établir de la difficulté selon M. [H], le marinier, dans son attestation effectuée à la même date à destination de l'assureur de la société SCAT.

Or, à supposer que du seul examen des photographies transmises il puisse être constaté un niveau d'eau inférieur à un niveau normal, au vu de la trace, et en être déduit un manque d'eau de 20 cm, les photographies ne sont ni datées, ni datables et ne sont pas plus géolocalisables, rien ne permettant d'affirmer qu'il s'agisse de l'écluse de Melz-sur-Seine et du jour du passage litigieux.

À supposer que ces photographies soient celles de l'écluse, ce qui n'est pas établi, il ne saurait être déduit aucune conséquence des remous sur la dernière photographie, puisque des dires même de M. [H], l'éclusière a dû faire entrer de l'eau pour permettre la sortie de la sassée et pour débloquer le chaland.

Il n'est ni allégué ni établi que les instruments de mesure et les niveaux relevés dans le bief ne soient pas exacts, pas plus que n'est contredite l'affirmation selon laquelle le système de ventelles ne permet pas de baisser le niveau de l'écluse à un niveau moindre que celui du bief, la société Helvetia Assurances et la société SCAT se contentant d'alléguer que l'ouverture des portes est possible avec un niveau moindre dans le sas que celui dans le bief aval.

Ainsi, la faute dans l'entretien normal de l'ouvrage public, et notamment l'insuffisance du niveau d'eau dans l'écluse, n'est-elle pas établie.

Par contre, les éléments du dossier viennent conforter et établir l'hypothèse d'une vitesse inadaptée du Cyclone lors de la sortie de sas, la société Helvetia Assurances et la société SCAT n'apportant aucun élément permettant de justifier de la vitesse du bâtiment lors de l'opération, laquelle ne pouvait s'avérer que délicate au vu du gabarit du navire et de la taille de l'écluse, ce qui justifiait d'ailleurs une autorisation spéciale de navigation avec des mesures particulières.

Il n'est pas nécessaire de s'appesantir sur l'attestation produite et celle reprise dans les différents rapports d'expertise comme le font les parties, puisque leur forme et leur contenu différent indéniablement et permettent d'affirmer qu'il s'agit d'attestations distinctes, de la même date, ce qui n'est pas suffisant pour leur dénier toute valeur.

De ces différentes attestations, néanmoins, il s'extrait qu' « avant de sortir de l'écluse, j'ai fait signe à l'éclusière qu'il manquait de l'eau mais elle m'a répondu non. En sortant de l'écluse... le bateau « cyclone » a sur sauté et a stoppé nette sur le radié... Alors l'éclusière a ouvert les vannes pour remettre de l'eau pour que l'on puisse sortir car on était bloqué. Il manquait au moins 20 cm ».

Dans le cadre de la première réunion d'expertise, le 23 février 2012, devant l'expert amiable de la BMT Techmar, M. [H] a déclaré ce qui suit : « l'arrière du bateau était plus enfoncé que l'avant. En sortant de l'écluse, j'ai commencé à toucher le radier avec le fond arrière. J'avais déjà réduit la vitesse. Ensuite j'ai rebondi et le moteur s'est arrêté. Pour libérer l'hélice j'ai fait plusieurs man'uvres avant et arrière. J'ai aussi actionné mon propulseur avant pour tenir le bateau ».

Il en résulte que lors de la sortie de la sassée, alors que le bateau a repris de la vitesse pour sortir et s'est déjà enfoncé à l'arrière, le batelier a éprouvé le besoin de « réduire sa vitesse », ce qui démontre une vitesse inadaptée au regard du gabarit du navire, ce qui corrobore et justifie les conclusions du Cesam faisant état d'un effet piston générant un important retrait d'eau du sas après ouverture sur le bief avalant, engendré par une vitesse excessive.

L'entrée d'eau mentionnée par le batelier n'a été effectuée par l'éclusière, par le côté amont, que pour permettre de dégager le bâtiment, qui s'était enfoncé par la poupe et se trouvait, après avoir raclé sur le radier, bloqué.

En conséquence, c'est par une juste appréciation des faits et du droit applicable que les premiers juges ont débouté la société Helvetia Assurances et la société SCAT de leurs demandes, aucun manquement à l'entretien normal de l'ouvrage public ne pouvant être reproché à Voies Navigables de France.

Le jugement dont appel est confirmé.

- Sur les dépens et accessoires

En application des dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile, la société Helvetia Assurances et la société SCAT succombant en leurs prétentions, il convient de les condamner in solidum aux dépens.

La confirmation des chefs de la décision relatifs aux dépens et à l'indemnité procédurale s'impose.

Le sens du présent arrêt commande de condamner in solidum la société SCAT et la société Helvetia à payer à Voies Navigables de France la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La demande d'indemnité procédurale de la société Helvetia Assurances et de la société SCAT ne peut qu'être rejetée.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement du tribunal de commerce d'Arras en date du 17 septembre 2021 en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

CONDAMNE in solidum la société SCAT et la société Helvetia Assurances SA à payer à Voies Navigables de France la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

LES DÉBOUTE de leur demande d'indemnité procédurale ;

CONDAMNE in solidum les mêmes aux dépens d'appel.

Le greffierLe président

Marlène ToccoLaurent Bedouet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 21/05193
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;21.05193 ?
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