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31/03/2023 | FRANCE | N°21/00007

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 1, 31 mars 2023, 21/00007


ARRÊT DU

31 Mars 2023







N° 487/23



N° RG 21/00007 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TLQB



SHF/AS

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CALAIS

en date du

08 Décembre 2020

(RG F 20/00017 -section )






































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GROSSE :



aux avocats



le 31 Mars 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [K], [O], [G] [N]

[Adresse 1]

[Localité 6]

représenté par Me Nathalie LEROY, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Agathe SAUVAGE, avocat au barreau de LILLE...

ARRÊT DU

31 Mars 2023

N° 487/23

N° RG 21/00007 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TLQB

SHF/AS

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CALAIS

en date du

08 Décembre 2020

(RG F 20/00017 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 31 Mars 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [K], [O], [G] [N]

[Adresse 1]

[Localité 6]

représenté par Me Nathalie LEROY, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Agathe SAUVAGE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

SAS DB CARGO FRANCE anciennement dénomée S.A.S. EURO CARGO RAIL

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Virginie LEVASSEUR, avocat au barreau de DOUAI, assistée de Me Lorelei GANNAT, avocat au barreau de PARIS,

DÉBATS : à l'audience publique du 01 Février 2023

Tenue par Soleine HUNTER-FALCK

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaetan DELETTREZ

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 11 janvier 2023

La SAS Euro Cargo Rail devenue la SAS DB Cargo France, qui a une activité de fret ferroviaire qui s'exerce sur le réseau ferré national, est soumise à la convention collective du transport ferroviaire de fret ; elle comprend plus de 10 salariés.

M. [K] [N], né en 1985, a été engagé par contrat à durée indéterminée par la SAS Euro Cargo Rail le 04.11.2008 pour occuper la fonction de AFR stagiaire dans un premier temps durant une formation dispensée à compter du 12.11.2008 et pendant une durée de 12 mois qui était destinée à l'acquisition des compétences professionnelles requises pour exercer la fonction d'Agent formation / Reconnaisseur / Chef de la man'uvre / Agent de desserte (AFR) et à acquérir une habilitation spécifique, avant d'exercer dans un second temps les fonctions d'AFR sur le réseau ferré national statut employé.

Un avenant a été signé entre les parties le 10.11.2009, le salarié étant muté à l'agence de [Localité 5] rattachée à l'unité opérationnelle de [Localité 6].

Dans un autre avenant en date du 03.01.2011, M. [K] [N] a été autorisé à exercer les missions de visiteur technique à l'issue d'une formation s'étant déroulée du 11 au 15.10.2010.

M. [K] [N] a été déclaré apte au poste d'AFR lors de l'examen médical d'information et de prévention périodique du 19.10.2017 réalisé par le médecin de prévention.

Cependant le 24.05.2018, le salarié a été déclaré inapte à l'exercice de tâches essentielles de sécurité autres que pour la conduite de trains par le médecin du Centre ferroviaire aptitude sécurité (CFAS), le Dr [D] , jusqu'au 24.06.2018 ; un nouvel avis était requis et il lui était demandé de faire pratiquer des examens complémentaires nécessaires à l'aptitude, ces examens étant déjà réalisés, un avis pouvant être donné sur envoi de ces pièces médicales. Un compte rendu de ces examens a été rédigé par le Dr [M] le 26.05.2018 en mentionnant notamment : 'pas de KC diagnostiqué'.

Lors du second examen pratiqué par le médecin du Centre ferroviaire aptitude sécurité le 08.06.2018, M. [K] [N] a été déclaré inapte à l'exécution de tâches essentielles de sécurité.

Le 11.06.2018, la SAS DB Cargo France a formé un recours devant la commission ferroviaire d'aptitudes qui, le 25.09.2018, a fait savoir au salarié que l'avis d'inaptitude physique du 24.06.2018 était maintenu conformément aux exigences médicales fixées par l'article 1-6° section 1 et annexe V de l'arrêté du 13.07.2017 ; il était joint à ce courrier les éléments ayant motivé ette décision soit une 'pathologie évolutive de l'oeil gauche (keratocône) (Annexe V a) de l'arrêté du 13.07.2017)'.

Le médecin du travail a reçu le salarié à sa demande le 11.04.2019 et a délivré une attestation de suivi tout en fixant un nouvelle visite au plus tard en avril 2021.

Lors de la réunion du CSE les 24 et 25.04.2019 celui ci a estimé à l'unanimité ne pas être compétent pour rendre un avis sur le projet de reclassement de M. [K] [N], faute d'éléments précis et clairs sur sa situation de santé ; la société a néanmoins déclaré poursuivre la procédure de licenciement en raison de la perte d'habilitation du salarié après proposition d'un reclassement et le CSE a déclaré que la société ne respectait pas le droit à consultation.

Le diagnostic du Dr [M] du 26.05.2018 a été confirmé par le Dr [B] ophtalmologue qui a indiqué le 30.04.2019 : 'aucun argument pour un keratone'.

Dans un avis du 02.05.2019, le médecin du travail a délivré une attestation de suivi accompagnée d'une proposition de mesures individuelles ; en l'espèce, le praticien a reconnu être en possession des bilans de plusieurs spécialistes différents vis à vis de la pathologie alléguée de ce salarié et en a conclu que ce dernier était tout à fait apte à tenir son poste de jour et de nuit sans aucune restriction, et qu'il était dans les normes de l'arrêté de 2003.

Dans un courrier du 22.08.2019, la société a proposé à Monsieur [N] trois autres postes de : opérateur de performance sécurité, documentaliste, assistant du département production ETAM, que ce dernier a refusées par un courrier en date du 30.08.2019.

Dans un nouvel avis du 04.09.2019, le médecin du travail a maintenu les termes de l'attestation de suivi du 02.05.2019.

Le 31.10.2019, la société a fait savoir au salarié qu'elle était dans l'impossibilité de procéder à son reclassement. M. [K] [N] a été convoqué par lettre du 06.11.2019 à un entretien préalable fixé le 20.11.2019 puis licencié par son employeur le 09.12.2019 pour perte de l'habilitation nécessaire à l'exercice de ses fonctions.

Le 02.03.2020, le conseil des prud'hommes de [Localité 6] a été saisi par M. [K] [N] en nullité du licenciement et harcèlement moral, indemnisation des préjudices subis.

Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d'appel de Douai le 29.12.2020 par M. [K] [N] à l'encontre du jugement rendu le 08.12.2020 par le conseil de prud'hommes de Calais section Commerce, notifié le 09.12.2020, qui a :

Dit que M. [K] [N] n'avait pas fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de la SAS DB Cargo France

Dit que licenciement de M. [K] [N] reposait sur une cause réelle et sérieuse

Débouté M. [K] [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

Débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Laissé aux parties la charge de leurs propres dépens d'instance.

Vu les conclusions transmises par RPVA le 12.04.2022 par M. [K] [N] qui demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et la réformant :

*JUGER l'appel recevable et bien fondé,

*CONSTATER que Monsieur [N] a été victime de harcelement moral, imputable à la SAS DB Cargo France,

*JUGER que le licenciement pour inaptitude de Monsieur [N] est nul, car consécutif au harcèlement moral qu'il a subi,

En conséquence,

* CONDAMNER la société D13 Cargo France à verser à Monsieur [N] les sommes suivantes:

* 15.305,00 euros à titre de dommages et intérêts du fait de l'absence de mesures de prévention en matiere de harcèlement moral ;

* 33.990,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul (12 mois) ;

* 15.305,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du travail ;

* A titre subsidiaire, 25.500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (10 mois),

En tout état de cause

* Le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis dont a été privé Monsieur [N], a savoir, 5.101,68 euros ;

* Outre 510,16 euros au titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;

* 600 euros au titre de rappel de salaire du mois de décembre, outre 60 euros de congés payés ;

* 4.000,00 emos au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de la procédure de première instance et 4.000 euros au titre de la procédure d'appel,

ORDONNER la production des bulletins de salaire pour les mois de novembre et décembre 2019, conformes au jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à compter du jugement à intervenir,

ORDONNER la rectification de l'attestation pôle emploi, sous astreinte de 2.00 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

ORDONNER les intérêts légaux sur les indemnités de rupture à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation,

ORDONNER la capitalisation des intérêts,

ORDONNER les intérêts légaux pour les autres indemnités à compter du prononcé du jugement à intervenir,

CONDAMNER la société DB Cargo France au paiement des dépens éventuels ;

Vu les conclusions transmises par RPVA le 26.04.2022 par la SAS Euro Cargo Rail qui demande de :

Recevoir la Société en ses demandes, fins et conclusions ;

Et y faisant droit, de :

A titre principal

' Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Calais en date du 8 décembre 2020 en toutes ses dispositions ;

' Débouter Monsieur [N] de l'intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire

' Juger que le salaire moyen de Monsieur [N] s'élève à 2.428,57 euros ;

' Limiter les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum prévu par les dispositions légales ;

En tout état de cause

' Condamner Monsieur [N] à verser à la Société la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Condamner Monsieur [N] aux entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 11.01.2023 prise au visa de l'article 907 du code de procédure civile ;

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

A l'issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le bien fondé et les conséquences du licenciement :

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral. Le juge ne doit pas seulement examiner chaque fait invoqué par le salarié de façon isolée mais également les analyser dans leur ensemble, c'est-à-dire les apprécier dans leur globalité, puisque des éléments, qui isolément paraissent insignifiants, peuvent une fois réunis, constituer une situation de harcèlement.

Si la preuve est libre en matière prud'homale, le salarié qui s'estime victime de harcèlement moral est tenu d'établir la matérialité des éléments de faits précis et concordants qu'il présente au soutien de ses allégations afin de mettre en mesure la partie défenderesse de s'expliquer sur les agissements qui lui sont reprochés.

M. [K] [N] invoque un harcèlement moral sous forme de 'bore out' (syndrome d'épuisement professionnel par ennui) en faisant état à compter du 08.06.2018 du manque d'information de son employeur qui l'a affecté à des missions de saisie avant de lui retirer toute mission et de lui demander de ne plus venir travailler ; il lui a été indiqué qu'à partir du mois d'avril 2019 il ne recevrait pas de rémunération pendant un mois. Il relève que l'avis d'inaptitude du Dr [D] a été totalement contredit par les certificats des médecins spécialistes et l'avis du médecin du travail ; un reclassement lui a été proposé sur un poste temporaire éloigné, non conforme à ses qualifications et non soumis à l'avis du médecin du travail ; il déclare avoir été placé sans raison en retrait, et sans que son emploi soit préservé. La société a attendu plus d'un an pour lui proposer un poste en reclassement et a manqué de loyauté, elle lui a donné de fausses informations avant même l'avis du CSE ; il a reçu deux convocations à une visite EMAP par erreur les 26.04 et 06.06.2019. Elle s'est placée sur le terrain de l'inaptitude et ne pouvait pas se rapporter à l'avis d'inaptitude EMAP, ni se fonder sur cet avis pour le licencier un an après, alors que la société ne possédait aucun avis médical contemporain de ce licenciement.

M. [K] [N] estime avoir été laissé dans un grand désoeuvrement à compter du 08.06.2018 et sans information utile sur sa situation, sans reclassement effectif, sans tenir compte des avis d'aptitude du médecin du travail ; après une année dans cette situation, trois postes lui ont été proposés sans consultation du médecin du travail.

Ces éléments précis et concordants sont pour l'essentiel matériellement établis et peuvent laisser présumer, pris dans leur ensemble, l'existence d'un harcèlement moral.

La SAS DB Cargo France conteste ces prétentions en opposant le fait que le licenciement de M. [K] [N] est fondé sur la perte de son habilitation qui résulte de l'avis délivré par le médecin ferroviaire le 08.06.2018.

Sur l'épuisement professionnel par ennui, la société rappelle avoir été dans l'impossibilité de lui confier des tâches relevant de la sécurité ferroviaire après la perte de son habilitation, et avoir cherché à le maintenir dans les effectifs en le repositionnant sur un poste administratif, ce qui a été fait sur un poste situé à [Localité 6] que le salarié a occupé jusqu'en avril 2019 sans observations de sa part ; une autre mission située à [Localité 4] lui a été proposée temporairement à cette date, puis trois autres postes en août 2019, qui ont été tous refusés, cependant la rémunération de M. [K] [N] a été maintenue jusqu'au licenciement.

Elle conteste la désinformation alléguée alors que l'entreprise a commis une simple erreur le 19.04.2019 sur la date de la réunion du CSE, cette consultation étant purement facultative et l'erreur étant rectifiée dès le 23.04.2019.

Elle conteste enfin l'absence de communication de sa part en rappelant son affectation à [Localité 6], puis les divers courriers échangés en vue de son reclassement.

Ses conditions de travail n'ont pas été dégradées puisque des missions lui ont été proposées qui tenaient compte de ses aptitudes.

Sur ce, en application de l'article L. 2221-7-1 du code des transports, les personnels exerçant, sur le système ferroviaire sur lequel s'exerce la mission d'autorité nationale de sécurité de l'Etablissement public de sécurité ferroviaire mentionnée à l'article L. 2221-1, lorsqu'il est offert une capacité d'infrastructure, les tâches essentielles pour la sécurité ferroviaire énumérées par un arrêté du ministre chargé des transports sont soumis à une vérification de leur aptitude dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat.

Le recours à l'encontre des décisions d'inaptitude s'effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 2221-8 de ce code.

Selon l'article 3-I du Décret n°2017-527 du 12.04.2017, relatif aux conditions d'aptitude physique et psychologique des personnels habilités aux tâches essentielles de sécurité, l'aptitude physique des personnels mentionnés à l'article L. 2221-7-1 du code des transports est constatée, après un examen, par un médecin agréé, le cas échéant au vu des examens complémentaires qu'il a prescrits.

Cet examen donne lieu à la délivrance d'un certificat d'aptitude physique.

Ces dispositions spécifiques doivent se cumuler avec les dispositions de l'article L 1226-2 du code du travail selon lesquelles :

Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article

L. 233-16 du code de commerce.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

En l'espèce il ressort des éléments du dossier que le médecin du Centre ferroviaire aptitude sécurité (CFAS) a déclaré le 08.06.2018 M. [K] [N] inapte à l'exécution de tâches essentielles de sécurité, décision qui a été confirmée, sur recours formé par l'employeur, par la commission ferroviaire d'aptitudes le 25.09.2018 ; cette décision mentionnait la possibilité d'un recours contentieux devant le tribunal administratif formé dans un délai de deux mois après la notification, recours qui n'a pas été intenté par le salarié alors que la décision s'appuyait sur un diagnostic de 'pathologie évolutive de l'oeil gauche (keratocône) (Annexe V a) de l'arrêté du 13.07.2017)' qui n'apparaît pas établi au vu des certificats médicaux émanant des Dr [M] le 26.05.2018 et [B] le 30.04.2019. Cette décision était par suite devenue définitive, et l'employeur était tenu, en application des dispositions de l'arrêté du 07.05.2015, de retirer au salarié son habilitation.

Il est constant que le médecin du travail a pour sa part délivré un avis d'aptitude le 02.05.2019 ainsi que le 04.09.2019, cependant l'employeur était lié par l'avis du médecin du Centre ferroviaire aptitude sécurité pour l'emploi occupé par le salarié qui exigeait une habilitation spécifique qui lui avait été retirée au terme des deux avis émanant de ce médecin, en application des dispositions de l'article 21 de l'arreté du 07.05.2015.

La procédure de licenciement pour inaptitude non professionnelle a été suivie par l'employeur qui a consulté le CSE lors des séances des 24 et 25.04.2019 ; ce dernier a refusé de donner un avis ; cet avis n'avait néanmoins qu'une valeur indicative.

La société devait par la suite engager une procédure de reclassement.

Elle a commencé le 19.04.2019 par le repositionner sur un poste administratif de nature temporaire situé à [Localité 6], que le salarié a occupé de juin 2018 jusqu'en avril 2019, avant de lui proposer une mission temporaire de saisie dans SAP pendant deux mois maximum située à [Localité 4] ; la liste des postes vacants dans l'entreprise lui a été transmise.

La société l'a dispensé de venir à l'agence tout au long de la procédure d'inaptitude par un courriel du 23.04.2019. Sur intervention de M. [W], élu du CSE, M. [K] [N] a continué à percevoir sa rémunération, ce qui est confirmé par les bulletins de paie, sous la forme d'une absence autorisée payée ainsi que l'a exposé Mme [U] dans son courriel du 24 avril.

Par la suite, et après la consultation du CSE, des postes ont été proposés en reclassement par la société au salarié le 22.08.2019, elle lui a adressé les fiches de postes correspondantes, étant précisé que le salarié n'était plus à même d'exécuter des tâches essentielles de sécurité.

Cependant ces postes relevaient de la catégorie professionnelle 'agents de maîtrise' alors que M. [K] [N] était classé 'employé'. Le courrier précisait que la rémunération serait définie par référence aux repères salariaux prenant en compte l'expérience sur le poste et non pas l'ancienneté dans l'entreprise, ce qui représentait pour le salarié une diminution de près d'un tiers de ses revenus. Enfin il convient de constater que ces propositions de reclassement sont intervenues plus d'une année après l'avis d'inaptitude du 08.06.2018, peu important que le salarié ait occupé temporairement un poste et que son salaire ait été maintenu dans l'intervalle.

La société ayant informé le salarié le 31.10.2019 soit encore deux mois plus tard de son impossibilité de procéder à son reclassement, M. [K] [N] a été convoqué par lettre du 06.11.2019 à un entretien préalable.

Il s'ensuit que M. [K] [N] ne démontre pas la réalité du harcèlement moral allégué qui au surplus n'avait pas d'incidence sur la procédure de licenciement dès lors que le motif de la rupture était le retrait d'habilitation, motif objectivement démontré. Au surplus, la société a été légalement contrainte de le retirer de son poste eu égard à la décision définitive d'inaptitude médecin du Centre ferroviaire aptitude sécurité tout en le positionnant sur un poste à [Localité 6] de juin 2018 jusqu'en avril 2019 avant de lui proposer une mission temporaire de saisie dans SAP à [Localité 4] que le salarié a refusé ; il a continué à percevoir son salaire en dépit du courrier de la société lui indiquant que son salaire lui serait supprimé pendant un mois ; des avis d'aptitude contradictoires ont certes été délivrés par la médecine CFAS et la médecine du travail mais M. [K] [N] n'a pas tiré les conséquences des certificats des médecins spécialistes pour contester judiciairement l'avis d'inaptitude du CFAS qui liait l'employeur ; il ne pouvait dès lors plus être reclassé sur un poste similaire à son poste initial ; le désoeuvrement opposé par le salarié résulte de cette situation paradoxale mais aussi de son refus d'accepter le poste situé à [Localité 4] ; la société a certes fait une simple erreur en lui indiquant un avis du CSE qui ne s'était pas réuni ; le salarié n'a pas justifié de convocations à l'EMAP en juin 2019 ; la société dans ces circonstances n'avait pas à solliciter des avis contemporains de la décision de licenciement ; l'absence de prévention n'est pas démontrée.

Il ne sera pas fait droit à la nullité demandé ni à la demande de dommages intérêts.

En ce qui concerne en revanche le licenciement pour inaptitude, il convient de le déclarer sans cause réelle et sérieuse eu égard au temps pris par la société pour enclencher la procédure de licenciement en recherchant un reclassement, avec des erreurs et des atermoiements qui ont laissé le salarié dans une grande incertitude sur une longue période, situation résultant certes du conflit d'appréciations de sa situation par le corps médical, la société tardant à prendre une position claire. Au surplus, il n'est pas davantage justifié de ce que la SAS DB Cargo France ait proposé en reclassement des emplois est aussi comparables que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail, dès lors que leurs classifications étaient différentes, et qu'il n'était pas proposé de formation alors qu'il s'agissait pour le salarié d'opérer une reconversion.

En conséquence, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée, de l'âge de M. [K] [N], de son ancienneté dans l'entreprise, de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces communiquées et des explications fournies à la cour, mais également compte tenu des nouvelles dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail, la SAS Euro Cargo Rail sera condamnée à verser au salarié à titre de dommages intérêts la somme de 25.000 € ; cette somme à caractère indemnitaire est nette de tous prélèvements sociaux ; elle tient compte d'une moyenne mensuelle de salaires de 2.550,81 euros bruts. Le jugement sera infirmé.

Il ne sera pas fait droit à la demande de rappel de préavis dès lors que le salarié n'était plus à même d'exercer ses fonctions du fait de la perte de son habilitation.

Dans les cas de nullité du licenciement prévus aux articles L. 1132-4 (discrimination), L. 1134-4 (action du salarié fondée sur les dispositions du principe de non discrimination), L. 1144-3 (égalité professionnelle hommes/femmes), L. 1152-3 (hacèlement moral), L. 1153-4 (harèlement sexuel), et lorsque le licenciement illégitime est indemnisé en application L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Sur les autres demandes :

M. [K] [N] forme une demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail en se fondant sur les articles 17 et 21 de l'arrêté du 07.05.2015 relatif aux tâches essentielles pour la sécurité ferroviaire autre que la conduite de trains.

Or ainsi que le relève la société, l'article 6-I de l'arrêté du 07.05.2015 indique que les employeurs vérifient que les personnels mentionnés à l'article L. 2221-7-1 du code des transports qu'ils emploient, soit les personnels exerçant sur le réseau ferré national les tâches essentielles pour la sécurité ferroviaire et soumis à une vérification de leur aptitude, sont titulaires d'un certificat d'aptitude physique et d'un certificat d'aptitude psychologique en cours de validité ; et l'article 21-II de ce même arrêté précise que en cas d'inaptitude physique ou psychologique, ou si la date de validité du certificat d'aptitude physique est dépassée, l'employeur retire l'habilitation. De fait l'habilitation du salarié lui a été retirée en raison de son inaptitude physique constatée par le médecin du Centre ferroviaire aptitude sécurité, décision qui liait l'employeur, et le salarié ne démontre pas l'exécution déloyale du contrat de travail. La demande sera rejetée et le jugement confirmé.

M. [K] [N] réclame le paiement d'un rappel de salaire de 600 € outre les congés payés, alors que la société démontre qu'il lui a été retenu 423,65 € sur le bulletin de paie de novembre 2019 au titre d'une opposition ; cependant en décembre 2019, la somme de 600 € lui a été débitée au titre de la reprise d'un accompte qui n'est pas justifiée par la société. Il sera fait droit à cette demande, le jugement sera complété sur ce point.

La capitalisation des intérêts est de droit conformément à l'article 1343-2 nouveau du code civil (ancien 1154 du code civil).

Il est fait droit à la demande de remise des documents sociaux conformes sans que l'astreinte soit nécessaire.

Il serait inéquitable que M. [K] [N] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SAS Euro Cargo Rail qui succombe doit en être déboutée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Confirme le jugement rendu le 08.12.2020 par le conseil de prud'hommes de Calais section Commerce en ce qu'il a rejeté les demandes fondées sur un harcèlement moral, sur un rappel de préavis, sur la production du bulletin de paie de novembre 2019, sur l'exécution déloyale du contrat de travail ;

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne en conséquence la SAS Euro Cargo Rail à payer à M. [K] [N] :

- la somme de 25.000 € en réparation du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- celle de 600 € en rappel de salaire ;

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et la somme à caractère indemnitaire, à compter du présent arrêt ;

Dit que la SAS Euro Cargo Rail devra transmettre à M. [K] [N] dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision une attestation Assedic/Pôle emploi conformes ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif, sans que l'astreinte soit nécessaire;

Rejette les autres demandes ;

Ordonne, dans les limites de l'article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la SAS Euro Cargo Rail à l'organisme social concerné des indemnités de chômage payées à M. [K] [N] à concurrence de un mois de salaire ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Euro Cargo Rail à payer à M. [K] [N] la somme de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel;

Condamne M. [K] [N] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER

Séverine STIEVENARD

LE PRESIDENT

Soleine HUNTER-FALCK


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 1
Numéro d'arrêt : 21/00007
Date de la décision : 31/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-31;21.00007 ?
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