La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/10/2022 | FRANCE | N°19/03513

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 05 octobre 2022, 19/03513


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE



N° RG 19/03513 - N° Portalis DBVX-V-B7D-ML7D



Société GERARD PERRIER INDUSTRIE

C/

[K]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 02 Mai 2019

RG : 17/01436



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 05 OCTOBRE 2022







APPELANTE :



Société GERARD PERRIER INDUSTRIE

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentée par Me Laurent L

IGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Flore PATRIAT de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON







INTIMÉ :



...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 19/03513 - N° Portalis DBVX-V-B7D-ML7D

Société GERARD PERRIER INDUSTRIE

C/

[K]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 02 Mai 2019

RG : 17/01436

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 05 OCTOBRE 2022

APPELANTE :

Société GERARD PERRIER INDUSTRIE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Flore PATRIAT de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[X] [K]

né le 20 Juillet 1958 à PERONNE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Carole GOUTAUDIER, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Juin 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Joëlle DOAT, Présidente

Nathalie ROCCI, Conseiller

Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller

Assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [X] [K] a été embauché par la société Gérard Perrier Industrie (GPI), société holding, suivant lettre d'engagement du 26 avril 1999, en qualité de responsable juridique, de statut cadre, qualification III A, coefficient 135 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 étendue par arrêté du 27 avril 1973.

En dernier lieu, le salarié occupait le poste de directeur du service juridique.

Par courriel du 7 avril 2016, il a signalé à son employeur que sa rémunération n'avait quasiment pas évolué entre 2011 et 2015, si l'on tenait compte de l'inflation, alors qu'il s'était considérablement investi et impliqué dans son travail, et qu'il constatait à la lecture de son dernier bulletin de paie qu'encore une fois, il lui était fait application de l'augmentation générale.

L'employeur n'a pas répondu à ce courriel, ni à celui du 22 septembre 2016 reprenant la même doléance.

Par lettre recommandée en date du 7 février 2017, le salarié a demandé à l'employeur de régulariser sa situation et de lui verser un rappel de salaire sur trois ans d'un montant de 46 420 euros.

L'employeur a répondu le 14 février 2017 en rejetant cette réclamation.

Le 2 mars 2017, le salarié a sollicité de son employeur la communication des bulletins de salaire des autres directeurs de service. A la suite du refus de la société, il a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Lyon, le 3 avril 2017.

Par lettre du 12 avril 2017, la société a communiqué les bulletins de salaire des années 2010 à 2016 de MM. [H], [T] et [P] et le bulletin de décembre 2016 de M. [W], nouveau directeur des affaires Groupe.

Par requête du 15 mai 2017, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de LYON en lui demandant de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et de condamner ce dernier à lui verser diverses sommes consécutives à la rupture du contrat de travail et à titre de rappel de primes, sur le fondement de l'inégalité de traitement.

Le salarié avait été convoqué par lettre du 10 mai 2017 à un entretien préalable à son éventuel licenciement, fixé au 23 mai 2017, puis, le 29 mai 2017, la société a procédé à son licenciement pour faute grave.

Par une nouvelle requête en date du 13 juin 2017, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes d'une contestation de cette mesure.

Par jugement du 2 mai 2019, le conseil de prud'hommes a :

- ordonné la jonction des deux procédures

- dit que la société GERARD PERRIER INDUSTRIE a manqué à ses obligations en matière d'égalité de traitement,

- débouté Monsieur [X] [K] de sa demande au titre de rappel de prime [5] de 7 200 euros bruts et de 750 euros au titre des indemnités de congés payés y afférents,

- débouté Monsieur [X] [K] de sa demande au titre de rappel de prime exceptionnelle de 25 000 euros bruts et 2 500 euros au titre des indemnités de congés payés y afférents,

- condamné la société GERARD PERRIER INDUSTRIE à verser à Monsieur [X] [K] la somme de 34 550 euros bruts à titre de rappel de la prime de fin d'année et de 3 455 euros bruts au titre des indemnités de congés payés y afférents

- débouté Monsieur [K] de ses demandes relatives à la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur emportant les conséquences d'un licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse

- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse

en conséquence,

- retenu un salaire mensuel moyen brut de 11 078,50 euros bruts,

- condamné la société GERARD PERRIER INDUSTRIE à verser à Monsieur [X] [K] la somme de 11 078,50 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné la société GERARD PERRIER INDUSTRIE à verser à Monsieur [X] [K] la somme de 132 942 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement et de 13 294 euros bruts au titre des indemnités de congés payés y afférents,

- condamné la société GERARD PERRIER INDUSTRIE à verser à Monsieur [X] [K] la somme de 66 471 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis et 6 647,10 euros au titre des indemnités de congés payés y afférents,

- ordonné la remise des documents de fin de contrat et des bulletins de paie conformes,

- condamné la société GERARD PERRIER INDUSTRIE à régler à Monsieur [X] [K] au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 1 600 euros,

- condamné la société GERARD PERRIER INDUSTRIE au remboursement des allocations chômage qui ont été versées au salarié du jour de son licenciement à la date du prononcé du jugement,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire autre que celle de droit,

- condamné la société GERARD PERRIER INDUSTRIE aux entiers dépens.

La société Gérard Perrier Industrie a interjeté appel de ce jugement, le 21 mai 2019.

M. [X] [K] a interjeté appel de ce jugement, le 28 mai 2019.

Les deux appels ont été joints par ordonnance du 4 juillet 2019, la procédure se poursuivant sous le numéro 19/03513.

La société Gérard Perrier Industrie demande à la cour :

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il :

- a dit qu'elle avait manqué à ses obligations en matière d'égalité de traitement ;

- l'a condamnée à verser à Monsieur [K] la somme de 34.550 euros bruts à titre de rappel de la prime de fin d'année outre 3.455 euros bruts au titre des indemnités de congés payés y afférents ;

- a dit que le licenciement de Monsieur [K] est sans cause réelle et sérieuse ;

- en conséquence, l'a condamnée à verser à Monsieur [K] les sommes de :

- 11 078,50 euros bruts à titre de dommages et intérêts ;

- 132 942 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement outre 13 294 euros bruts au titre des indemnités de congés payés y afférents ;

- 66 471 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis outre 6 647,10 euros au titre des indemnités de congés payés y afférents ;

- 1 600 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.

- a ordonné la remise des documents de fin de contrat et des bulletins de paie conformes ;

- l'a condamnée au remboursement des allocations de chômage qui ont été versées au salarié du jour de son licenciement à la date du prononcé du jugement.

Pour le surplus,

- de confirmer le jugement

en conséquence,

- de débouter Monsieur [K] de l'ensemble de ses demandes ;

- de le condamner au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

- de le condamner aux entiers dépens d'instance.

M. [K] demande à la cour :

sur les rappels de primes

- de confirmer la condamnation de la Société GPI à lui verser un rappel de salaire au titre de la prime de fin d'année, mais statuant à nouveau sur le montant, de la condamner à lui payer la somme de 35 000 euros bruts à titre de rappel de la prime de fin d'année, et la somme de 3 500 euros bruts au titre des indemnités de congés payés y afférents (au lieu de 34 550 euros et 3 455 euros)

- de réformer le jugement en ce qu'il :

- l'a débouté de sa demande de rappel de prime COPIL d'un montant de

7 200 euros bruts et de 720 euros bruts au titre des indemnités de congés payés y afférents,

- l'a débouté de sa demande de rappel de prime de 25 000 euros bruts et 2 500 euros bruts au titre des indemnités de congés payés y afférents,

- l'a débouté de sa demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur,

Et statuant à nouveau :

- de condamner la Société GPI à lui verser la somme de 7 200 euros bruts au titre de rappel de la prime COPIL,

- de condamner la Société GPI à lui verser la somme de 720 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés y afférent,

- de condamner la Société GPI à lui verser la somme de 25 000 euros bruts à titre de rappel de prime,

- de condamner la Société GPI à lui verser la somme de 2 500 euros bruts au titre des indemnités de congés payés y afférents,

sur la rupture

- de réformer le jugement du 2 mai 2019 en ce qu'il l'a débouté de sa demande de résiliation judiciaire,

en conséquence, statuant à nouveau,

- à titre principal, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur emportant les conséquences d'un licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

- à titre subsidiaire, de dire que le licenciement est nul ;

- à titre très subsidiaire, de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

En tout état de cause

- de retenir un salaire mensuel moyen brut de 12 743 euros bruts,

- de condamner la Société GPI à lui verser la somme de 305 832 euros à titre de dommages et intérêts,

- de condamner la Société GPI à lui verser la somme de 137 496,97 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- de condamner la Société GPI à lui verser la somme de 76 458 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis,

- de condamner la Société GPI à lui verser la somme de 7 645,80 euros bruts au titre des indemnités de congés payés y afférents,

- d'ordonner la remise des documents de fin de contrat et des bulletins de paie conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- de débouter la Société GERARD PERRIER INDUSTRIE de l'ensemble de ses demandes,

- de confirmer la condamnation de la Société GERARD PERRIER INDUSTRIE à l'article 700 en première instance,

- de condamner la Société GERARD PERRIER INDUSTRIE à lui régler au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 4 000 euros au titre de l'instance en appel

- de condamner de la Société GERARD PERRIER INDUSTRIE aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 mai 2022.

SUR CE :

Sur la demande en paiement de rappel de primes

L'employeur fait valoir que :

- au cours de la relation contractuelle, le salarié a connu une évolution de salaire très conséquente (son salaire a augmenté de 220 % entre 1999 et 2016), de 2011 à 2015, il a perçu le troisième, puis le deuxième salaire le plus élevé de l'entreprise et en 2016, il était le salarié le mieux rémunéré de l'entreprise, il a bénéficié des moyens adéquats pour accomplir ses fonctions, il a perçu une prime exceptionnelle de 3000 euros en avril 2016, acquis 4000 actions gratuites le 7 juin 2016 librement cessibles (valorisation au 31 mars 2018 : 213 600 euros) et reçu une prime de fin d'année de 15 150 euros en décembre 2016

- le salarié ne démontre pas en quoi il se trouvait dans une situation identique ou similaire aux trois autres directeurs auxquels il se compare en se prévalant d'une inégalité de traitement.

Le salarié fait valoir que :

- il avait le même rang hiérarchique que les trois autres directeurs de service de la société, le même coefficient, le même poste de directeur, siégeait comme eux au comité de direction et avait une charge de travail et mentale au moins équivalente

- depuis son embauche l'augmentation de sa charge de travail a été significative et ses fonctions ont largement évolué, puisqu'il cumulait celles de directeur du service juridique, de secrétaire général, de directeur des ressources humaines et de responsable des assurances du Groupe, son périmètre étant très étendu et bien plus large que celui de M. [H] notamment.

**** 

L'application du principe d'égalité de traitement nécessite une comparaison de la situation du salarié avec celle d'au moins un autre salarié de la même entreprise se trouvant dans une situation identique.

Lorsque le salarié soumet au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence.

M. [K], directeur juridique et des ressources humaines, et M. [H], directeur de gestion, avaient tous les deux le même statut de cadre, le même niveau de classification et des responsabilités identiques de directeur de service.

la prime COPIL

M. [K] et M. [H] participaient tous les deux aux réunions mensuelles du comité de pilotage (Copil), avec les deux (puis trois) autres directeurs de service et les neuf directeurs des filiales de la holding.

M. [K] démontre ainsi qu'il se trouvait dans une situation identique ou similaire à celle de M. [H] auquel il se compare.

Or, la prime Copil versée mensuellement aux deux salariés était d'un montant de 500 euros en ce qui concerne M. [H] et de 300 euros en ce qui concerne M. [K].

La société Gérard Perrier justifie cette différence par le fait que M. [H] était plus investi dans le fonctionnement des filiales, s'impliquait au quotidien dans les stratégies opérationnelles et exerçait en outre des missions spécifiques, tandis que M. [K] comme les deux autres directeurs placés au même niveau que lui et percevant comme lui une prime [5] mensuelle de 300 euros, MM. [T], directeur des systèmes informatiques, et M. [P], directeur des comptabilités, n'assistaient à ces réunions qu'en qualité d'observateurs.

Elle ne produit cependant aucun élément permettant de vérifier que cette différence de traitement reposait bien sur des éléments objectifs.

En effet, les deux attestations rédigées :

- par M. [H] lui-même, selon lesquelles il est régulièrement chargé par la direction générale de missions spécifiques en plus de sa fonction de directeur de gestion, contrairement à M. [K] dont l'action est limitée à son périmètre, et c'est faussement que M. [K] prétend avoir repris les fonctions de deux salariés ayant quitté l'entreprise (MM. [E] et [O])

- par M. [T], directeur des systèmes informatiques, qui estime normal qu'un chef de service qui a des sujétions importantes pour son travail tout au long de l'année perçoive une prime supérieure à la sienne et à celle de M. [K]

ne permettent pas d'établir que la différence de 200 euros par mois constatée entre le montant des primes Copil versées à M. [H] et M. [K] était justifiée par des éléments objectifs.

M. [K] est en conséquence fondé à revendiquer le paiement de la somme de 7 200 euros bruts correspondant au rappel de cette différence sur les trois dernières années (200 euros x 36 mois) et l'indemnité de congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé sur point et la société Gérard Perrier condamnée à verser au salarié lesdites sommes.

les primes exceptionnelles

M. [H] a perçu quatre primes 'exceptionnelles' en juin 2013, juin 2014 et septembre 2015 à hauteur de 10 000 euros chacune et en décembre 2015, à hauteur de 5 000 euros.

Le salarié fait valoir que ces primes ne peuvent être qualifiées d'exceptionnelles puisqu'elle sont versées chaque année pour le même montant, que les fonctions de M. [O], qui était directeur administratif et financier et non pas directeur administratif et de gestion, ont été réparties entre différents intervenants, dont lui-même, et non pas uniquement attribuées à M. [H] qui a pourtant été le seul à bénéficier d'une telle prime, qu'il a personnellement repris l'assistance à la paie auprès de l'ensemble des assistantes comptables du groupe, ainsi qu'une grande partie des fonctions de M. [E] qui était également chargé de formation et de recrutement et que, ces deux salariés ayant quitté l'entreprise en 2012 et 2014, l'employeur n'explique pas les raisons pour lesquelles le versement de la prime exceptionnelle a été poursuivi chaque année et en 2015.

L'employeur soutient que ces quatre primes exceptionnelles ont été versées à M. [H] car il avait repris une partie des prérogatives de certains salariés ayant quitté l'entreprise sans être remplacés, M. [E], directeur qualité du groupe, et M. [O], directeur de gestion d'Artadem, principale filiale du groupe, et a dû faire face à un surcroît de responsabilités et à une charge de travail plus conséquente. Il considère qu'il s'agit d'éléments objectifs justifiant la différence de traitement.

Le caractère discrétionnaire de la décision de l'employeur d'octroyer une prime n'exonère pas celui-ci de respecter l'égalité de traitement dans l'octroi de la prime.

En l'espèce, pour appuyer ses affirmations relatives aux tâches et responsabilités supplémentaires exercées par M. [H], de nature à justifier l'octroi de quatre primes exceptionnelles pendant trois années consécutives pour un montant total de 35 000 euros, l'employeur se fonde sur les attestations ci-dessus mentionnées émanant de M. [H] lui-même et d'un autre directeur de service, M. [T], et sur le fait que M. [K] a lui-même reçu une prime exceptionnelle de 3 000 euros en avril 2016, au motif d'une surcharge de travail du service juridique liée à l'absence de '[C]' (membre de son équipe placée sous sa hiérarchie).

La preuve des éléments objectifs justifiant la différence de traitement entre M. [H] et M. [K] en ce qui concerne l'attribution d'une prime exceptionnelle ne saurait toutefois résulter de ces deux attestations à caractère subjectif, non corroborées par des documents de l'employeur (instructions, organigramme, fiche de poste). L'employeur ne démontre pas en conséquence que M. [H] a été le seul directeur à assumer des tâches supplémentaires liées au départ des deux salariés.

Il convient dès lors de faire droit à la demande du salarié, infirmant le jugement sur ce point, et de condamner la société Gérard Perrier à payer à M. [K] la somme de 25 000 euros sollicitée à titre de rappel de prime exceptionnelle, outre l'indemnité de congés payés afférents.

les primes de fin d'année

M. [H] a perçu une prime dite de fin d'année d'un montant de 25 000 euros de 2012 à 2016 (outre une prime de Noël de 150 euros en 2014, 2015 et 2016).

M. [K] a perçu une prime de fin d'année d'un montant de 12 650 euros de 2012 à 2015 et d'un montant de 15 150 euros en 2016.

M. [T] a perçu une prime de fin d'année d'un montant de 15 150 euros de 2012 à 2014 et de 17 650 euros en 2015 et 2016.

M. [P] a perçu une prime de fin d'année d'un montant de 12 650 euros en 2012 et 2013 et de 15 150 euros de 2014 à 2016.

M. [K] a donc perçu sur les cinq années litigieuses une prime totale de fin d'année inférieure à celle des trois autres directeurs placés dans une situation identique à la sienne.

Selon l'employeur, cette différence s'explique d'une part par le fait que les autres directeurs, notamment M. [H], avaient un salaire moins élevé que celui de M. [K], d'autre part par la différence de sujétion des intéressés.

Au mois de décembre 2016, le salaire de base des quatre directeurs était le suivant :

- M. [H] : 8 410 euros (8 225 euros en décembre 2014)

- M. [K] : 8 616 euros (8 445 euros en décembre 2014)

- M. [T] : 8 080 euros

- M. [P] : 7 141 euros.

Cependant, la différence de 200 euros entre le salaire de base de M. [K] et celui de M. [H] (soit 2 400 euros au total sur l'année) ne constitue pas un élément objectif justifiant que la prime de fin d'année de M. [H] ait été supérieure de 10 000 euros en 2016 (et de 12 500 euros en 2014 et 2015) à celle de M. [K], les critères de versement d'une prime, au demeurant non définis en l'espèce, étant sans rapport avec les règles de fixation de la rémunération de base.

Quant aux compétences et domaines d'intervention multiples de M. [H] tels qu'allégués par la société Gérard Perrier pour justifier l'allocation à ce salarié d'une prime de fin d'année supérieure à celle versée à M. [K], il ne résulte pas de la description des fonctions successivement exercées par M. [H] dans l'entreprise et des deux attestations émanant de M. [H] et de M. [T] que ce salarié était soumis à des sujétions plus importantes que celles de M. [K], de nature à justifier la différence de traitement.

Du reste, M. [K] établit de son côté qu'outre ses attributions de directeur juridique et des ressources humaines, il exerçait la fonction de secrétaire général et qu'il avait trois personnes sous sa hiérarchie, ce qui n'était pas le cas de M. [H].

Il convient dès lors de confirmer le jugement qui a condamné l'employeur à payer au salarié un rappel de prime de fin d'année, sauf à porter la condamnation à la somme de 35 000 euros (12 500 + 12 500 + 10 000), outre l'indemnité de congés payés afférents.

Sur la demande aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail

Le salarié fait valoir que ce n'est qu'à la suite de l'engagement de la procédure prud'homale en référé qu'il a pu constater l'ampleur des inégalités salariales et qu'il est bien fondé à solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail, ne pouvant accepter ces différences de traitement de salaire et se heurtant à un refus de l'employeur de régulariser la situation.

Il ajoute qu'il a constaté dans le même temps une dégradation de ses conditions de travail.

La société Gérard Perrier Industrie conteste les griefs d'inégalité de traitement et de harcèlement moral invoqués par le salarié à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire. Elle affirme que le salarié a artificiellement créé une polémique sur le montant de son salaire et une prétendue inégalité de traitement aux fins de justifier d'une relation de travail dégradée et de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

****

Le conseil de prud'hommes a estimé que les manquements de la société GPI concernant l'inégalité de traitement de salaire n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier 'la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur' et que les faits invoqués par M. [K] ne laissaient pas présumer un harcèlement moral.

Il a rejeté en conséquence la demande aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail présentée par le salarié.

****

Il appartient au salarié qui sollicite la résiliation judiciaire de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations contractuelles pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi justifier la rupture à ses torts.

Le salarié se plaint d'avoir été victime d'agissements répétés de la part de l'employeur, constitutifs de harcèlement moral, dès lors qu'il a tenté de faire valoir ses droits.

En vertu de l'article L1152-1du code du travail, 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

L'article L1154-1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 applicable énonce que, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, enfin que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Le salarié invoque les faits suivants :

- la différence de traitement et le refus de régularisation

- des ordres et contre-ordres

- la remise en cause de ses qualités de directeur et des menaces reçues de son président.

L'inégalité de traitement en ce qui concerne le versement des primes est démontrée.

Il ressort par ailleurs de la correspondance adressée par l'employeur à M. [K] le 15 février 2017 en réponse à sa lettre du 7 février 2017 que celui-ci a opposé une fin de non-recevoir à ses revendications salariales, en lui expliquant qu'un seul directeur de service, M. [H], avait reçu une prime de fin d'année supérieure à la sienne, parce qu'il déployait depuis quelque temps une importante activité de terrain qui générait de fortes sujétions, que le montant de la prime Copil de M. [H] était justifié par le fait que son activité avait une forte connotation opérationnelle, que sa propre rémunération avait été normalement et régulièrement revalorisée, qu'il bénéficiait d'un certain nombre d'avantages 'sur lesquels nous ne jugeons pas nécessaire de nous appesantir', et qu'il avait bénéficié de l'appui d'un collaborateur supplémentaire, ce qui lui permettait de faire face sans difficulté à sa charge de travail 'suivant des horaires réguliers dont vous ne vous êtes jamais plaint'.

Mais la réalité des 'ordres et contre-ordres' ne saurait être établie par le seul échange de courriels entre M. [K] et le président, M. [D], daté de février et mars 2017, à propos des règles relatives au paiement des heures supplémentaires, la remise en cause des qualités de directeur de M. [K] par l'employeur n'est fondée que sur les propres affirmations du salarié, tandis que le courriel du président, M. [D], en date du 18 avril 2017, et la réponse de M. [K] du 19 avril 2017 ne permettent pas de prouver que ce dernier a reçu des menaces de son président à son retour d'arrêt-maladie, le 18 avril 2017.

M.[K] n'établit donc pas la matérialité de faits qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Néanmoins, l'inégalité salariale dont il a été victime et le refus de l'employeur de faire droit aux revendications fondées sur la disparité de traitement, sans motif légitime, affirmant faussement que seul M. [H] avait perçu des primes de fin d'année supérieures à celles de M. [K], alors que les bulletins de salaire communiqués ont révélé que MM. [T] et [P] avaient également bénéficié d'une prime de fin d'année plus élevée que celle perçue par M. [K], constituent un manquement de l'employeur à l'égard de M. [K] suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite de la relation de travail.

Il convient d'infirmer le jugement et de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, emportant les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec effet à la date du licenciement prononcé le 29 mai 2017.

En application de l'article L1234-5 du code du travail, sur la base du salaire brut et des avantages qu'il aurait perçus s'il avait effectué son préavis de six mois conforme à l'article 27 de la convention collective, d'un montant de 10 404 euros, tenant compte d'un rappel de prime Copil de 200 euros (8616 + 500 +1000 + 258), il convient de condamner la société Gérard Perrier à payer à M. [K] à ce titre la somme de 62 424 euros, outre l'indemnité de congés payés afférents.

L'article 29 de la convention collective prévoit qu'il est alloué à l'ingénieur ou cadre, licencié sans avoir commis une faute grave, une indemnité de licenciement distincte du préavis.

Le taux de cette indemnité de licenciement est fixé comme suit, en fonction de la durée de l'ancienneté de l'intéressé dans l'entreprise :

' pour la tranche de 1 à 7 ans d'ancienneté : 1/5 de mois par année d'ancienneté ;

' pour la tranche au-delà de 7 ans : 3/5 de mois par année d'ancienneté.

Pour le calcul de l'indemnité de licenciement, l'ancienneté et, le cas échéant, les conditions d'âge de l'ingénieur ou cadre sont appréciées à la date de fin du préavis, exécuté ou non. Toutefois, la première année d'ancienneté, qui ouvre le droit à l'indemnité de licenciement, est appréciée à la date d'envoi de la lettre de notification du licenciement.

(...)

En ce qui concerne l'ingénieur ou cadre âgé d'au moins 55 ans et de moins de 60 ans et ayant 2 ans d'ancienneté dans l'entreprise, l'indemnité de licenciement ne pourra être inférieure à 2 mois.S'il a 5 ans d'ancienneté dans l'entreprise, le montant de l'indemnité de licenciement résultant du barème prévu au deuxième alinéa sera majoré de 30 % sans que le montant total de l'indemnité puisse être inférieur à 6 mois.

L'indemnité de licenciement résultant des alinéas précédents ne peut pas dépasser la valeur de 18 mois de traitement.

Sur la base d'un salaire mensuel brut moyen des douze derniers mois d'un montant de 12 743 euros tenant compte d'une prime mensuelle Copil et d'une prime de fin d'année de même montant que celles perçues par M. [H], et d'une ancienneté de 18 ans et 6 mois comme il est dit à la convention collective, il y a lieu de condamner la société Gérard Perrier à payer à M. [K] la somme de 137 496,97 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

Compte-tenu de son ancienneté dans l'entreprise et de son âge à la date de la rupture (58 ans), des difficultés rencontrées pour retrouver du travail et des conséquences de la perte de l'emploi sur les droits futurs à la retraite, le préjudice subi par M. [K] en raison de cette rupture aux torts de l'employeur doit être évalué à la somme de 135 000 euros.

La société Gérard Perrier sera condamnée à payer à M. [K] ladite somme, à titre de dommages et intérêts, sur le fondement de l'article L 1235-3 ancien du code du travail.

Il y a lieu d'ordonner à la société Gérard Perrier de remettre à M. [K] les documents de fin de contrat et un bulletin de paie récapitulatif conformes aux dispositions du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation du prononcé d'une astreinte.

En application de l'article L 1235-4 du code du travail, il convient de condamner d'office la société Gérard Perrier, dont l'effectif est supérieur à dix salariés, à rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage qui ont été versées au salarié, dans la limite de quatre mois d'indemnités.

Il convient de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.

La société Gérard Perrier, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel et à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Gérard Perrier Industrie à payer à M. [K] un rappel de primes de fin d'année, une indemnité de procédure et les dépens

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Gérard Perrier Industrie à payer à M. [K] les sommes suivantes :

- 7 200 euros bruts à titre de rappel de prime Copil et 720 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents

- 25 000 euros à titre de rappel de prime exceptionnelle et 2 500 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents

PORTE la condamnation de la société Gérard Perrier Industrie à payer à M. [K] un rappel de primes de fin d'année et l'indemnité de congés payés afférente aux sommes de 35 000 euros bruts et 350 euros bruts

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [K] aux torts de l'employeur, avec effet au 29 mai 2017

CONDAMNE la société Gérard Perrier Industrie à payer à M. [K] les sommes suivantes :

- 62 424 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 6 242,40 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents

- 137 496,97 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 135 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail

ORDONNE à la société Gérard Perrier Industrie de remettre à M. [K] les documents de fin de contrat et un bulletin de paie récapitulatif conformes aux dispositions du présent arrêt

REJETTE la demande en fixation d'une astreinte

CONDAMNE d'office la société Gérard Perrier Industrie à rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage qui ont été versées au salarié, dans la limite de quatre mois d'indemnités

CONDAMNE la société Gérard Perrier Industrie aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par Maître Laffly, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

CONDAMNE la société Gérard Perrier Industrie à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/03513
Date de la décision : 05/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-05;19.03513 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award