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19/01/2023 | FRANCE | N°20/06770

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 19 janvier 2023, 20/06770


N° RG 20/06770 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NIST















Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond du 17 novembre 2020





RG : 2020j00420











S.A.R.L. RITMO EVENTO



C/



S.C.I. SEVLOR





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 19 Janvier 2023







APPELANTE :


r>S.A.R.L. RITMO EVENTO

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1547

Et ayant pour avocat plaidant la SELARL BERTHELON GALLONE & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 435











INTIMEE :



S...

N° RG 20/06770 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NIST

Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond du 17 novembre 2020

RG : 2020j00420

S.A.R.L. RITMO EVENTO

C/

S.C.I. SEVLOR

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 19 Janvier 2023

APPELANTE :

S.A.R.L. RITMO EVENTO

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1547

Et ayant pour avocat plaidant la SELARL BERTHELON GALLONE & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 435

INTIMEE :

S.C.I. SEVLOR

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1102

Et ayant pour avocat plaidant la SELARL LACOSTE CHEBROUX BUREAU D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1207

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 08 Février 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 01 Décembre 2022

Date de mise à disposition : 19 Janvier 2023

Audience présidée par Françoise CLEMENT, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Anne WYON, président

- Françoise CLEMENT, conseiller

- Dominique DEFRASNE, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Par acte sous seing privé du 25 juin 2013, la société Sevlor a donné en location à la société Ritmo Evento un bateau de type chaland, amarré [Adresse 1]. Cette location a été consentie pour une durée de neuf ans, à compter du 1er août 2013, moyennant un loyer annuel de 252 000 euros HT, outre une provision mensuelle de 1 000 euros HT en paiement des charges.

Par acte du 24 octobre 2017, la société Ritmo Evento a assigné la société Sevlor devant le tribunal de grande instance de Lyon en remboursement des taxes foncières indûment réglées et paiement de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de délivrance conforme aux caractéristiques contractuelles.

Par jugement du 21 novembre 2017, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Ritmo Evento. Un plan de redressement par apurement du passif a été adopté le 20 novembre 2018 pour une durée de huit ans.

Par ordonnance du 14 mai 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon, retenant l'existence de contestations sérieuses concernant les créances réclamées par la société Ritmo Evento au titre des taxes et de manquements du bailleur à ses obligations, a notamment ordonné la suspension du paiement de la moitié du loyer jusqu'à ce qu'une décision exécutoire soit rendue sur le fond dans le cadre de la procédure pendante devant le tribunal judiciaire de Lyon.

Par arrêt du 26 février 2019, devenu irrévocable le 10 septembre 2020 suite au rejet du pourvoi en cassation formé par la société Sevlor, la cour d'appel de Lyon a confirmé cette décision.

Par jugement du 3 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Lyon a ordonné l'ouverture d'une procédure de sauvegarde de la société Sevlor et un plan de sauvegarde a été adopté par décision du 17 décembre 2019 pour une durée de 9 années.

Par jugement du 3 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Lyon a retenu l'existence de manquements de la société Sevlor à ses obligations de délivrance et d'entretien, dit que cette dernière devra indemniser la société Ritmo Evento des pertes de marge subies et des frais engagés, réservé la fixation de la créance en dommages-intérêts de cette dernière et la demande en compensation avec les loyers et charges ou autres sommes dues au titre du bail ou toute condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dit que les taxes foncières et taxes VNF sont à la charge de la SCI Sevlor qui doit les rembourser et qui seront fixées au passif de la procédure de sauvegarde, rejeté la demande au titre des frais de mise en cale sèche et les réparations nécessaires, rejeté la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive dirigée contre la société Ritmo Evento, ordonné la communication par la société Sevlor de divers documents sous astreinte et avant-dire-droit, désigné un expert judiciaire pour chiffrer le préjudice consécutif aux manquements de la bailleresse, causé à la société Ritmo Evento.

Par acte du 29 avril 2020, la société Sevlor a assigné la société Ritmo Evento en paiement des loyers et charges devant le tribunal de commerce de Lyon qui par jugement contradictoire du 17 novembre 2020, rappelant que la décision est exécutoire de plein droit, a notamment :

- jugé recevable et mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Ritmo Evento et s'est déclaré compétent,

- jugé recevable l'exception de litispendance soulevée par la société Ritmo Evento et s'est dessaisi du litige relatif aux charges de taxes foncières et VNF impayées au profit du tribunal judiciaire de Lyon où une instance oppose la société Ritmo Evento et la société Sevlor,

- jugé que la société Ritmo Evento ne justifie pas d'un cas de force majeure pour se soustraire au paiement des loyers et qu'elle ne peut bénéficier des textes légaux applicables en la matière,

- jugé que la société Ritmo Evento ne peut se prévaloir d'une exception d'inexécution, et rejeté en conséquence les demandes de suspension totale ou partielle de loyers de la société Ritmo Evento,

- condamné la société Ritmo Evento à payer à la SCI Sevlor la somme de 53 349,83 euros, à parfaire,

- rejeté la demande de délais de la société Ritmo Evento comme non justifiée,

- condamné la société Ritmo Evento à payer à la société Sevlor la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La société Ritmo Evento a interjeté appel de ce jugement selon déclaration du 2 décembre 2020 et le présent arrêt est rendu dans le cadre de cette instance RG 20/6770 ; les chefs de jugement critiqués énoncés dans la déclaration d'appel ont été limités aux dispositions suivantes du dispositif du jugement rendu le 17 novembre 2020 :

« - jugé que la société Ritmo Evento ne peut se prévaloir d'une exception d'inexécution, et rejeté en conséquence les demandes de suspension totale ou partielle de loyers de la société Ritmo Evento,

- condamné la société Ritmo Evento à payer à la SCI Sevlor la somme de 53 349,83 euros, à parfaire,

- rejeté la demande de délais de la société Ritmo Evento comme non justifiée,

- condamné la société Ritmo Evento à payer à la société Sevlor la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens. »

Par assignation en référé délivrée le 8 décembre 2020 à la société Sevlor, la société Ritmo Evento a saisi la juridiction du premier président afin d'obtenir l'arrêt de l'exécution provisoire attachée à ce jugement, ainsi que la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 22 février 2021, la juridiction du premier président a fait droit à sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire, aucune indemnité de procédure n'étant allouée aux parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 1er février 2022 par la société Ritmo Evento qui demande à la cour de :

A titre principal :

Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon en date du 17 novembre 2020 en ce qu'il a :

- jugé que la société Ritmo Evento ne peut pas se prévaloir d'une exception d'inexécution;

- rejeté en conséquence les demandes de suspension totale ou partielle de loyer de la société Ritmo Evento ;

- fait droit aux demandes de la société Sevlor en paiement des loyers et a condamné la société Ritmo Evento à lui payer une somme de 53 349,83 euros,

Statuant à nouveau :

Dire et juger que les décrets d'interdiction d'ouverture du local commercial de la société Ritmo engendrent un défaut de délivrance et un manquement à l'obligation de garantir une jouissance paisible justifiant une suspension du paiement des loyers conformément au principe de l'exception d'inexécution,

Débouter la société SCI Sevlor de ses entières demandes de paiement de loyers,

Ordonner la suspension du paiement des loyers jusqu'au 1er juin 2021,

A titre infiniment subsidiaire :

Ordonner une suspension totale du paiement des loyers des mois de mars, à compter du 17 mars, date du confinement, avril et mai 2020,

Ordonner à partir du mois de juin 2020 une suspension des 2/3 du montant du loyer après déduction de la suspension de 50 % judiciairement ordonnée,

Ordonner à partir du 29 octobre 2020, une suspension totale des loyers,

Ordonner à partir du 19 mai 2021, jusqu'au 1er juin 2021, une suspension des 2/3 du

montant du loyer après déduction de la suspension de 50 % judiciairement ordonnée,

Dans l'hypothèse où la cour n'entendrait pas faire droit à ces demandes sur le fondement de l'exception d'inexécution, ordonner les mesures de suspension susvisées sur le fondement de l'article 1722 du code civil relatif à la perte partielle ou totale de la chose louée,

A titre encore plus subsidiaire :

Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon en date du 17 novembre 2020 en ce qu'il a rejeté la demande de délais de la société Ritmo Evento comme non justifiée,

Statuant à nouveau :

Octroyer à la société Ritmo Evento des délais de paiement pour le règlement des sommes qui seront mises à sa charge en 24 mensualités et par conséquent, échelonner sur 24 mensualités le paiement des sommes,

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 21 janvier 2022 par la société Sevlor qui demande en substance à la cour de :

A titre liminaire :

1. Ecarter l'ensemble des moyens et arguments soutenus par la société Ritmo Evento dans son dispositif qui ne saisissent pas la cour d'appel,

2. Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon, en date du 17 novembre 2020, en ce qu'il s'est dessaisi du litige relatif aux charges de taxes foncières et VNF impayées au profit du tribunal judiciaire de Lyon,

3. Confirmer pour le surplus le jugement rendu par le tribunal de commerce de LYON en date du 17 novembre 2020 en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau :

A titre principal :

Condamner la société Ritmo Evento à régler à la SCI Sevlor la somme de 279 562,90 euros TTC, au titre des loyers impayés, se décomposant de la manière suivante :

- 26 041,02 euros TTC au titre des loyers dus au 31 mai 2020,

- 49 210,44 euros TTC au titre des loyers dus entre juin 2020 et octobre 2020,

- 94 719,01 euros TTC au titre des loyers dus entre novembre 2020 et mai 2021,

- 109 592,43 euros TTC au titre des loyers dus de juin 2021 jusqu'au 31 janvier 2022,

et à tout le moins, si par extraordinaire la cour d'appel venait à faire droit aux arguments adverses :

Condamner la société Ritmo Evento à régler à la SCI Sevlor la somme non contestée de 109 590,42 euros TTC au titre des loyers dus à compter du 1er juin 2021 jusqu'au 31 janvier 2022 (à parfaire),

Condamner la société Ritmo Evento à régler à la SCI Sevlor la somme de 62 356,99 euros TTC, au titre des taxes VNF et foncières impayées, se décomposant de la manière suivante:

- 16.748,37 euros TTC au titre des taxes VNF et foncières dues au 31 mai 2020,

- 11.402,15 euros TTC au titre des taxes VNF et foncières dues entre juin 2020 et octobre 2020,

- 15.963,03 euros TTC au titre des taxes VNF et foncières dues entre novembre 2020 et mai 2021,

- 9.121,72 euros TTC au titre des taxes VNF et foncières dues de juin 2021 jusqu'à septembre 2021,

- 9.121,72 euros TTC au titre des taxes VNF et foncières dues jusqu'au 31 janvier 2022,

Condamner la société Ritmo Evento à régler à la SCI Sevlor la somme de 17 020,87 euros TTC, au titre de l'assurance, se décomposant de la manière suivante :

- 1 526,40 euros TTC au titre de l'assurance due au 31 mai 2020,

- 3 859,66 euros TTC au titre de l'assurance due entre juin 2020 et octobre 2020,

- 5 432,17 euros TTC au titre de l'assurance due entre novembre 2020 et mai 2021,

- 3 101,31 euros TTC au titre de l'assurance due de juin 2021 jusqu'à septembre 2021,

- 3 101,32 euros TTC au titre de l'assurance due jusqu'au 31 janvier 2022,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour d'appel entendait appliquer une compensation:

Condamner la société Ritmo Evento à régler à la SCI Sevlor la somme de :

- 300 025,42 euros TTC (358.940,82 - 58.915,40), au titre des loyers et charges

(assurance, charges VNF et foncières) dus après compensation,

- à tout le moins, 237 668,37 euros TTC (296.583,77- 58.915,40), au titre des loyers et primes d'assurance dus après compensation,

- a minima, 220 647,50 euros TTC (279.562,90 ' 58.915,40), au titre des loyers dus après compensation,

En toute hypothèse, et peu importe l'hypothèse choisie par la cour d'appel :

Autoriser la SCI Sevlor à actualiser sa créance au titre des loyers et/ou des charges impayés non intégrés dans le dernier décompte arrêté au 31 janvier 2022, selon la formule « à parfaire » suivante, à appliquer pour chaque mois entamé, depuis le 31 janvier 2022 : 13 723,90 euros TTC (correspondant au loyer mensuel) + 2 280,44 euros TTC (correspondant aux charges VNF et taxes foncières mensuelles) + 775,31 euros TTC (correspondant aux frais d'assurance mensuels),

Condamner la société Ritmo Evento à régler à la SCI Sevlor la somme de 50 000 euros au titre de sa résistance abusive,

En tout état de cause :

Débouter la société Ritmo Evento de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

Condamner la société Ritmo Evento à régler à la SCI Sevlor la somme de 9 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, laquelle s'ajoutera à la condamnation de 3 000 euros prononcée par le tribunal de commerce,

Condamner la même aux entiers dépens,

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure en date du 8 février 2022.

Il convient de se référer aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS ET DECISION

A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

La cour n'est donc saisie ni des moyens développés par la société Ritmo Evento aux termes du dispositif de ses conclusions ainsi que le relève la société Sevlor qui demande cependant à tort qu'ils soient « écartés », ni de ceux développés également par cette dernière dans le dispositif de ses propres conclusions.

En récapitulant les chefs de jugement faisant l'objet d'une demande d'infirmation par les parties, tant aux termes de l'appel principal que de l'appel incident, la cour constate par ailleurs que les dispositions du dispositif du jugement aux termes desquelles le tribunal de commerce a :

« - jugé recevable et mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Ritmo Evento et s'est déclaré compétent,

- jugé recevable l'exception de litispendance soulevée par la société Ritmo Evento,

- jugé que la société Ritmo Evento ne justifie pas d'un cas de force majeure pour se soustraire au paiement des loyers et qu'elle ne peut bénéficier des textes légaux applicables en la matière »

n'ont pas été critiquées par les parties, ni aux termes de la déclaration d'appel, ni aux termes de leurs écritures ; ces chefs de jugement sont donc devenus irrévocables.

La cour procédera à l'examen des demandes des parties, dans l'ordre principal puis subsidiaire ou encore plus subsidiaire dans lequel elle les ont présentées.

I Sur l'exception de litispendance :

La société Sevlor soutient qu'il ne peut y avoir de litispendance avec un litige qui a d'ores et déjà été tranché tel le cas en l'espèce s'agissant des demandes en remboursement afférentes aux taxes foncières et taxes VNF dans la mesure où le juge commissaire de la société Ritmo Evento a, par ordonnance du 10 décembre 2018 devenue définitive, admis l'intégralité de la créance déclarée par la société Sevlor et dit que les taxes susvisées étaient à la charge de la société Ritmo Evento, peu important qu'aucune condamnation à paiement ne figure à ce titre aux termes du dispositif de l'ordonnance.

La société Ritmo Evento soutient que le tribunal judiciaire avait déjà été saisi d'une demande sur la question de la refacturation des taxes foncières et VNF au preneur lorsque cette demande a été soumise au juge commercial ; elle ajoute que le tribunal judiciaire a d'ailleurs statué en faisant droit à sa demande et en jugeant que la bailleresse avait indûment facturé des sommes au titre de ces taxes ; que sur appel de la société Sevlor, la cour d'appel de Lyon est donc parallèlement saisie de cette question dans le cadre de l'instance RG 20/6720.

Elle conteste enfin que l'ordonnance rendue par le juge commissaire le 10 décembre 2018 puisse avoir autorité de chose jugée sur la question du sort des taxes susvisées dans la mesure où d'une part aucune mention en ce sens n'est portée au dispositif de sa décision qui seul, est le siège de l'autorité de chose jugée et s'est borné en l'espèce, à constater la créance de la société Sevlor, et où d'autre part la triple identité de parties, d'objet et de cause fait défaut dans la mesure où la procédure devant le juge-commissaire n'avait pas le même objet que celle de l'espèce qui consiste en une action en paiement.

Sur ce :

L'article 100 du code de procédure civile dispose que « Si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande. A défaut elle peut le faire d'office. »

Le jugement rendu le 3 novembre 2020 a statué sur la demande présentée par la société Ritmo Evento en répétition des taxes foncières et taxes VNF, s'agissant plus exactement, pour ces dernières, de redevances ; le tribunal de commerce a donc à très juste titre, fait droit à l'exception de litispendance qui lui était soumise, la question de l'autorité de chose jugée attachée à la décision du juge commissaire de la procédure collective de la société Ritmo Evento étant indifférente pour apprécier le bien fondé de l'exception de litispendance, la cour observant qu'aucune fin de non-recevoir qui sanctionnerait une éventuelle autorité de chose jugée n'est d'ailleurs présentée aux termes du dispositif des conclusions de la société Sevlor qui seul saisit la cour.

Le jugement critiqué doit en conséquence être confirmé de ce chef et la demande en répétition de ces dernières sera donc tranchée par la cour dans le cadre de l'instance ouverte sur l'appel formé contre le jugement du tribunal judiciaire de Lyon en date du 3 novembre 2020.

II Sur la demande en paiement des loyers présentée par la société Sevlor et la demande tendant à la suspension de l'obligation de payer les loyers présentée par la société Ritmo Evento :

La société Ritmo Evento conclut à titre principal au rejet de la demande en paiement des loyers et charges formée par la bailleresse sur le fondement de l'exception d'inexécution qu'elle considère caractérisée par la publication des décrets d'interdiction d'ouverture du local commercial liés aux périodes de confinement en raison de la pandémie de covid 19 ou sur le fondement de la perte de la chose louée prévue à l'article 1722 du code civil ; elle demande ainsi à titre principal que la suspension totale du paiement des loyers soit ordonnée jusqu'au 1er juin 2021, date de réouverture de son établissement au public ; à titre subsidiaire, elle décline ses demandes de suspension selon les périodes à compter du 17 mars 2020, en prenant en compte la suspension judiciaire ordonnée à hauteur de 50 % ; à titre encore plus subsidiaire, elle réclame des délais pour s'acquitter de sa dette.

La société Sevlor indique que sa locataire est de très mauvaise foi puisqu'elle a cessé de régler ses loyers bien avant la pandémie de covid 19 et les décrets pris en la matière ; elle ajoute que sa motivation ne tient pas dans son impossibilité de régler les loyers mais dans le souci de nuire à sa bailleresse qui a refusé de lui vendre le bateau.

Elle considère qu'aucune suspension de son obligation de régler les loyers n'est justifiée dans la mesure où elle ne remplit pas les critères fixés par le gouvernement pour l'obtenir, elle ne peut invoquer le moyen tiré de l'exception d'inexécution ou celui de la perte de la chose, elle a repris son activité depuis le 1er juin 2021 et a de fait obtenu de larges délais de paiement en ne réglant plus à sa bailleresse un quelconque loyer depuis septembre 2019.

Sur ce :

En application de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, l'état d'urgence sanitaire a été déclaré sur l'ensemble du territoire national.

En application de l'article 3, I, 2°, du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid 19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité.

Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public, sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets précités, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l'absence de première nécessité des biens ou des services fournis.

Par suite, cette interdiction et les interdictions ultérieures, ont été décidées, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.

L'effet de ces mesures générales et temporaires, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut donc être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.

La société Ritmo Evento ne conteste pas que les locaux loués ont bien été mis à sa disposition pendant les périodes d'interdiction d'ouverture au public ; la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n'était donc pas constitutive d'une inexécution de l'obligation de délivrance.

La cour rappelle par ailleurs que le créancier qui n'a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure ; elle constate d'ailleurs qu'en cause d'appel la société Ritmo Evento a abandonné le moyen tenant dans l'existence d'un cas de force majeure qu'elle avait soulevé devant le premier juge.

La demande de cette dernière en suspension, totale ou partielle, de son obligation de payer les loyers et charges à la bailleresse doit en conséquence être rejetée, étant relevé par la cour qu'en tout état de cause, depuis le 1er juin 2021, aucune interdiction ou restriction d'ouverture n'a plus été prise à son égard.

Le montant des loyers dus par la société Rimo Evento ne fait pas l'objet de discussions entre les parties ; il ressort ainsi du décompte produit par la bailleresse (pièce 42), sur lequel figurent en déduction, les dix versements réalisés par sa locataire depuis le mois de septembre 2019 à hauteur de 102 543,71 euros, que cette dernière qui n'allègue aucun paiement supplémentaire qui viendrait en déduction, était redevable d'une somme de 279 562,90 euros, arrêtée au 31 janvier 2022, au titre des loyers TTC.

Le contrat de location convenu entre les parties, prévoyait aux termes d'un chapitre spécifique intitulé « Assurances », la souscription d'assurances au titre de diverses garanties, à la fois par le bailleur et par le preneur ; il était précisé au paragraphe « paiement des primes », que « le preneur devra supporter le montant des primes afférentes aux polices souscrites ou à souscrire par le bailleur, majoré de la TVA ajoutée au taux en vigueur et également en totalité, les primes de polices qu'il est tenu de souscrire lui-même en vertu des dispositions ci-dessus ».

Les primes d'assurances figuraient ainsi au titre des provisions sur charges s'ajoutant au loyer mensuel.

Elles ne peuvent donc être assimilées comme le fait à tort la société Sevlor au sort des taxes foncières et taxes VNF qui ont fait l'objet de la demande en répétition présentée par la société Ritmo Evento devant le tribunal judiciaire ; en l'absence de toute litispendance en la matière, il appartient à la cour de statuer sur cette demande en paiement, présentée pour la première fois en justice.

La cour constate que la société Ritmo Evento ne fait valoir aucune observation sur le bien ou mal fondé de cette demande.

Le décompte produit au dossier de la bailleresse pour justifier le montant de sa demande à ce titre fait apparaître une somme de 17 020,87 euros TTC arrêtée au 31 janvier 2022, quantum non discuté ne serait-ce même qu'à titre subsidiaire.

Il convient dès lors de condamner la société Ritmo Evento à payer à la société Sevlor les sommes susvisées et de dire que s'y ajouteront les échéances de loyer et des charges constituées par les primes d'assurances, pour la période allant de février 2022 au jour du présent arrêt, à hauteur de la somme mensuelle de 13 723,90 euros TTC au titre du loyer et 775,31 euros TTC au titre des charges d'assurances.

La société Ritmo Evento demande que soit ordonnée la compensation entre les sommes au paiement desquelles elle pourrait être condamnée et la somme de 58 915,40 euros retenue par le juge de l'exécution dans son jugement du 19 octobre 2021 pour justifier la mainlevée de la mesure de saisie-attribution pratiquée le 14 décembre 2020.

Par jugement rendu le 19 octobre 2021, devenu irrévocable en l'absence de tout recours des parties, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon a effectivement considéré, qu'en l'état de l'existence d'une créance certaine liquide et exigible détenue à hauteur de 58 915,40 euros par la société Ritmo Evento à l'égard de la société Sevlor au titre des taxes foncières et taxes (redevances) VNF dont le remboursement a été ordonné par le tribunal judiciaire de Lyon dans son jugement rendu le 3 novembre 2020, la mainlevée de la mesure d'exécution devait être ordonnée.

Le jugement du 3 novembre 2020 a ordonné l'exécution provisoire des mesures de condamnation qu'il a prononcées, notamment au titre de la répétition des sommes dues par la bailleresse au titre des taxes foncières et taxes (redevances) VNF ; il convient ainsi de prendre en compte cette créance certaine liquide et exigible à hauteur de 58 915,40 euros et d'ordonner sa compensation avec les sommes dues par la société Ritmo Evento au titre des loyers et charges, et au titre desquelles elle a été ci-avant, condamnée au paiement.

III Sur la demande de la société Ritmo Evento en délais de paiement :

La société Ritmo Evento sollicite l'octroi de délais pour s'acquitter de sa dette ; elle expose avoir subi une procédure de redressement judiciaire avec adoption d'un plan de redressement après avoir été fortement impactée par la crise de gilets jaunes en 2019 et la pandémie de covid 19 en 2020 et 2021.

La société Sevlor s'oppose à l'octroi de tout délai au bénéfice de sa locataire qui ne justifierait en rien de sa situation financière difficile par les seuls documents produits au dossier.

Sur ce :

La société Ritmo Evento produit au dossier plusieurs attestations établies par la société d'expertise-comptable AA conseils en mai et décembre 2020 et mai 2021 et par la société d'expertise-comptable A audigest en mai 2021, aux termes desquelles il est indiqué que le chiffre d'affaires enregistré par cette dernière a été :

- de 722 879 euros HT pour la période allant du 15 mars au 30 juin 2019 pour un chiffre d'affaires annuel de 1 616 288 euros HT,

- 1 354 478,09 euros HT pour la période du 1er mars au 31 décembre 2019,

- de 323 889,46 euros HT pour la période du 1er mars 2020 au 30 novembre 2020,

- nul pour la période du 15 mars 2020 au 25 mai 2020,

- nul pour la période de novembre 2020 à mai 2021,

- inférieur à 50 millions d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2020,

- en perte de plus de 50 % en novembre 2020 par rapport à novembre 2019.

S'il n'est pas contestable que la période marquée par la pandémie de covid 19 a nécessairement nui à la bonne santé financière de la société Ritmo Evento ainsi que le confirment les attestations de chiffres d'affaires susvisées, aucun élément (bilan, compte de résultats) n'est cependant produit par cette dernière qui permettrait à la cour de connaître la réalité de sa situation économique et financière actuelle.

Il convient en conséquence de rejeter la demande de délais qu'elle présente.

IV Sur la demande de la société Sevlor en dommages-intérêts pour résistance abusive :

La société Sevlor n'établit aucune faute ayant fait dégénérer en abus le droit de défendre en justice de la société Ritmo Evento, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement critiqué de ce chef et la débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive à hauteur d'appel.

IX : Sur les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile:

L'équité ne commande l'octroi d'aucune indemnité aux parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile, que ce soit en première instance ou en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Statuant dans les limites de l'appel interjeté,

Infirme le jugement rendu le 17 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a condamné la société Ritmo Evento à payer à la société Sevlor la somme de 53 349,83 euros, à parfaire, outre celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Confirmant pour le surplus, statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Ritmo Evento à payer à la société Sevlor les sommes de :

- 279 562,90 euros TTC au titre des loyers dus au 31 janvier 2022,

- 17 020,87 euros TTC au titre des charges d'assurances dues au 31 janvier 2022,

- 13 723,90 euros TTC par mois à compter du 1er février 2022 au titre des loyers jusqu'à la date du présent arrêt, soit la somme 159 654,70 euros,

- 775,31 euros TTC par mois à compter du 1er février 2022 au titre des charges d'assurances jusqu'à la date du présent arrêt, soit la somme de 9 019,44 euros,

Ordonne la compensation entre les condamnations susvisées et la somme de 58 915,40 euros due par la société Sevlor en remboursement des taxes foncières et taxes (redevances) Voies navigables de France arrêtées au 14 décembre 2020,

Condamne la société Ritmo Evento aux dépens,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 20/06770
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;20.06770 ?
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