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20/11/2007 | FRANCE | N°06/6694

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0135, 20 novembre 2007, 06/6694


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

21ème Chambre C

ARRET DU 20 Novembre 2007

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/06694

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Janvier 2006 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL section encadrement RG no 04/02727

APPELANTE

1o - Madame Martine X...

...

94240 L'HAY LES ROSES

représentée par Me Déborah BENECH, avocat au barreau de PARIS, toque : D 641,

INTIMEE

2o - SAS BAPTIS

TE RESTAURATION

PLA 366

1 avenue des Savoies

94599 RUNGIS CEDEX

représentée par Me Rodolphe OLIVIER, avocat au barreau de NANTERRE, toque : NAN...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

21ème Chambre C

ARRET DU 20 Novembre 2007

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/06694

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Janvier 2006 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL section encadrement RG no 04/02727

APPELANTE

1o - Madame Martine X...

...

94240 L'HAY LES ROSES

représentée par Me Déborah BENECH, avocat au barreau de PARIS, toque : D 641,

INTIMEE

2o - SAS BAPTISTE RESTAURATION

PLA 366

1 avenue des Savoies

94599 RUNGIS CEDEX

représentée par Me Rodolphe OLIVIER, avocat au barreau de NANTERRE, toque : NAN701,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 Octobre 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente

Mme Irène LEBE, Conseillère

Mme Hélène IMERGLIK, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats,

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LES FAITS :

Mme Martine X... a été engagée par la Sarl BAPTISTE DELZOR, entreprise familiale, le 1er septembre 1972, par contrat verbal à durée indéterminée. L'entreprise prenant un essor important, les parents de Mme Martine X... ont cédé leur participation sociale à leurs enfants Luc et Martine.

Mme Martine X... a connu une évolution de carrière qui l'a amenée à exercer les fonctions de "responsable de poste", avec un horaire mensuel de 169 heures et une rémunération mensuelle brute de 6.249,02 euros, hors primes et hors commissions jusqu'en avril 2004.

La Sarl BAPTISTE DELZOR, qui avait son siège à Rungis avait deux activités : la vente dite au carreau et la vente à des professionnels restaurateurs.

Le 29 avril 2004 la Sarl BAPTISTE DELZOR s'associait avec le groupe PRF pour donner naissance à la SAS BAPTISTE RESTAURATION qui reprenait la seule activité de vente aux restaurateurs.

Le capital social de la nouvelle société était constitué ainsi :

- le groupe PRF pour 60% des actions ;

- M. Luc X... et Mme Martine X... pour 20% des actions chacun. Il était prévu que l'activité dite "au carreau" serait reprise le 1er septembre 2004.

Lors de la vente partielle du fonds de commerce le 18 juin 2004, les contrats de travail des salariés collaborant à l'activité cédée étaient repris par la SAS BAPTISTE RESTAURATION en vertu de l'article L.122-12 du code du travail. Le contrat de travail de Mme Martine X... était transféré dans ce cadre, l'acte de vente du fonds de commerce indiquant qu'elle était entrée au sein de la Sarl BAPTISTE DELZOR le 1er septembre 1972, en qualité de responsable de poste, moyennant une rémunération mensuelle brut hors primes et commissions de 6.249,02 euros.

Le 28 juin 2004 la SAS BAPTISTE RESTAURATION proposait à Mme Martine X... un contrat de travail écrit, précisant ses fonctions dans le cadre de la nouvelle société et portant augmentation de salaire, contrat, auquel il n'était toutefois pas donné suite.

Le 30 juillet 2004, une assemblée générale des actionnaires désignait M. Luc X... au poste de président-directeur général de la nouvelle société et nommait M. B... au poste de directeur général adjoint, l'article 4 de la délibération précisant «avec les mêmes pouvoirs que le président-directeur général».

Le même jour M. B... adressait à Mme Martine X... un courrier qui précisait que la qualification de responsable de poste et n'existait pas dans la nouvelle société et fixait provisoirement le salaire mensuel brut de cette dernière à un montant de 5.467,70 euros avec un horaire mensuel de 151,67 heures.

Le 26 août 2004 Mme Martine X... contestait par lettre recommandée l'ensemble du contenu de la lettre du 30 juillet 2004. Le 8 septembre 2004 la SAS BAPTISTE RESTAURATION, sous la signature de M. B..., maintenait ses propositions du 30 juillet 2004.

Mme Baptiste se trouvait en arrêt maladie depuis le 28 septembre 2004.

Le 14 octobre 2004, lors d'une assemblée générale de la SAS BAPTISTE RESTAURATION, à laquelle ne participait effectivement que M. Patrick D... représentant de la société PRF, qui était porteur de mandats pour 1200 parts, sur un total de 2000 parts, M. Luc X..., PDG de la société était démis de ses fonctions et remplacé par M. B..., la dénomination de la société étant par ailleurs changée comme devenant «Label bleu».

Par courrier du 28 octobre 2004, informée de la tenue prochaine d'une nouvelle assemblée générale qui devait se tenir le 4 novembre, Mme Martine X... contestait la nomination de M. B... comme PDG et la révocation de son frère.

Le 14 janvier 2005, elle saisissait le conseil de prud'hommes afin de voir son contrat de travail résilié au tort de l'employeur et d'obtenir la condamnation de la SAS BAPTISTE RESTAURATION, à lui verser diverses sommes à titre de harcèlement moral, rappel de primes d'ancienneté et de fin d'année, rappel de salaire depuis juin 2004 et congés payés afférents, indemnité conventionnelle de licenciement, indemnité de préavis et congés payés, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et dommage et intérêt en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, réclamant en outre la remise de documents sociaux rectifiés sous astreinte. Par décision du 26 janvier 2006, le conseil de prud'hommes de Créteil, section encadrement condamnait la SAS BAPTISTE RESTAURATION à régler à Mme Martine X... les sommes suivantes :

- 22.241,60 euros à titre de rappel de salaire et 2.224,16 euros pour congés payés afférents ;

- 7.641,45 euros, à titre de prime de fin d'année 2004 ;

- 1.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il déboutait la salariée du surplus de ses demandes et déboutait la SAS BAPTISTE RESTAURATION de ses demandes reconventionnelles.

Mme Martine X... a régulièrement fait appel de cette décision.

Demandant à la cour de confirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qui concerne le rappel de salaire, les congés payés afférents et la prime de fin d'année 2004 elle demande à la cour de confirmer également que son salaire brut de référence s'élevait à 6 857,80 euros par mois, mais d'infirmer la décision pour le surplus, soutenant que l'employeur, la SAS BAPTISTE RESTAURATION n'a pas exécuté son contrat de travail de bonne foi, la harcelait moralement, notamment en modifiant unilatéralement son contrat de travail et en diminuant son salaire.

Elle réclame en conséquence la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur et sa condamnation à lui payer les sommes suivantes :

- 41.146,20 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 20.573,10 euros correspondant à trois mois de préavis ;

- 2.057,31 euros pour congés payés sur préavis ;

- 164.585 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 4000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Mme Martine X... demande également à la cour de condamner son employeur à lui remettre sous astreinte de 100euros par jour de retard les documents suivants : attestations ASSEDIC, certificat de travail, fiches de paie rectifiées, reçu pour solde de tout compte.

La SAS BAPTISTE RESTAURATION a fait appel incident.

Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné au versement d'un rappel de salaire et congés payé afférents et rappel de primes ainsi qu'à des dommages et intérêts, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Et elle demande à la cour de condamner Mme Martine X... à lui restituer la somme de 27 211,04 euros, avec intérêts légaux, réglés en exécution du jugement entrepris et de confirmer pour le surplus ledit jugement. Reconventionnellement elle demande que Mme Martine X... soit condamnée à lui verser 2.500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'entreprise compte plus de 11 salariés.

La convention collective applicable est celle de la poissonnerie.

LES MOTIFS DE LA COUR :

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur les difficultés qui ont émaillé les relations entre les parties à la suite du transfert du contrat de travail de Mme Martine X... :

Mme Martine X... évoque un ensemble de difficultés à l'appui de ses demandes relatives à la résiliation de son contrat de travail, et de dommages et intérêts pour harcèlement moral, difficultés soumises à l'appréciation de la cour.

Il est constant que Mme Martine X... embauchée en 1972, l'a été à l'époque par contrat verbal. Mais il est également constant qu'elle jouait dans la Sarl BAPTISTE DELZOR un rôle important, qualifié de "responsable de poste", fonction que le nouvel employeur la SAS BAPTISTE RESTAURATION, prend en compte aussi bien dans l'acte de cession partielle du fonds de commerce, que dans la lettre du 30 juillet 2004 signée de M. B..., même si ces fonctions ne sont alors visées, que pour envisager leur modification à la suite du transfert de contrat de travail récemment opéré, suite à cette cession.

Dans la lettre datée du 30 juillet 2004 le directeur général adjoint écrit à la salariée : «... Il est devenu nécessaire de revoir les termes et conditions de votre mission, sachant d'une part que votre qualification de «responsable de poste» ne correspond plus à aucune réalité au sein de la nouvelle entité « Baptiste Restauration » et, d'autre part que vous continuez à utiliser une partie de votre temps aux activités résiduelles de la société R Baptiste Delzor.

Lors de votre entretien du 27 juillet 2004 avec un représentant de la direction du groupe, il vous a été demandé de réfléchir aux contours de votre nouvelle fonction au sein de la Sarl BAPTISTE DELZOR. En l'absence de précision de votre part sur le contenu exact de votre mission et dans l'attente d'un accord sur cette mission ainsi que sur la rémunération correspondante, il a été décidé, à titre provisoire, de fixer votre salaire mensuel brut au montant de 5 467,70 euros, soit à votre salaire de base ramené à 151,67h par mois".

Par cette lettre signée le jour même de sa prise de fonctions comme directeur général adjoint, M. B..., modifiait unilatéralement, même s'il disait ne le faire que provisoirement, mais de manière importante correspondant à environ 800 euros, le salaire mensuel de Mme Martine X..., justifiant cette baisse de salaire, par une modification de ses horaires de travail.

S'il est évident que la création de la nouvelle société et le transfert du contrat de travail de Mme Martine X... devaient nécessairement donner lieu à une nouvelle organisation pouvant déboucher sur d'éventuelles modifications de ce contrat de travail, il appartenait au repreneur, de rééquilibrer les fonctions de Mme Martine X... de bonne foi, dans le respect de ses droits acquis, en termes de salaires mais aussi de niveau de responsabilité, tâche qui aurait dû lui être facilitée du fait que précisément la SAS BAPTISTE RESTAURATION était une nouvelle société créée de toutes pièces.

Dès lors l'affirmation selon laquelle la qualification de responsable de poste ne correspond plus à aucune réalité au sein de la nouvelle entité, est dépourvue de sens, puisque précisément, et à ce moment-là, la nouvelle entité était en pleine phase de création et d'organisation. Cette affirmation procède d'une décision unilatérale, d'ailleurs peu expliquée au dossier, endossée par M. B..., et imposée à la salariée.

La cour ne peut par ailleurs que s'étonner de la méthode affichée par le nouveau directeur général adjoint, qui semble renvoyer à la réflexion personnelle de Mme Martine X... la définition de ses nouvelles missions, sans faire état d'une réflexion d'ensemble et partagée sur la structuration de la nouvelle société.

La cour relève en outre que Mme Martine X... affirme, sans être utilement contestée par son adversaire, que c'était à la demande de son employeur qu'elle continuait à ce moment-là à consacrer une partie de son activité à la branche "carreau", qui devait être repris en septembre par la SAS BAPTISTE RESTAURATION, reprise qui n'a pas eu lieu.

En l'absence de contrat de travail écrit, mais en présence de bulletins de salaire clairs, ceux-ci ont valeur contractuelle, du fait de l'accord tacite et durable dont ils apportent la preuve, sur les conditions de la collaboration et les éléments du contrat de travail verbal de Mme Martine X... au sein de la Sarl BAPTISTE DELZOR.

Il en résulte que la SAS BAPTISTE RESTAURATION, à qui a été transféré conformément à l'article L.122-12 du code du travail, le contrat de Mme Martine X... ne pouvait en aucun cas apporter, de manière unilatérale, des modifications substantielles à ce contrat de travail, tant en ce qui concerne le montant du salaire qu'en ce qui concerne l'horaire de 169 heures par mois qui correspond, de manière évidente en l'espèce, à une forfaitisation contractuelle attestée par les bulletins de salaire.

Ce seul motif est d'une gravité suffisante aux yeux de la cour pour justifier, contrairement à ce qu'a dit le conseil de prud'hommes, une résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, résiliation qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à ouvrir droit, pour Mme Martine X..., à des dommages et intérêts en application de l'article L.122-14-4 du code du travail.

Compte tenu des circonstances de l'espèce, de l'ancienneté dans son emploi de la salariée, de plus de 35 ans, de son âge et du préjudice qu'elle établit subir, la cour fixe à 160.000 euros la somme due en application de l'article L.122-14-4 du code du travail.

Sur les autres faits reprochés par la salariée à la SAS BAPTISTE RESTAURATION et constitutifs selon elle harcèlement moral :

Au-delà, de la modification substantielle immédiate de son contrat de travail par l'employeur, Mme Martine X... soutient avoir été victime d'une série d'agissements constitutifs, en tant que tels, de harcèlement moral, et qui ont mené à son arrêt de travail dès la fin du mois de septembre 2004 pour état dépressif.

- Le premier de ces incidents, et non le moindre, s'illustre dans le fait que le 28 juin 2004 la société Baptiste Restauration remettait à Mme Martine X... un projet de contrat de travail destiné à faciliter son intégration dans la nouvelle structure qui prévoyait qu'elle exercerait des fonctions de cadre d'exploitation/affaires générales, coefficient 350, avec un horaire conventionnellement fixé à 169 heures et une rémunération forfaitaire de 7.699,67 euros dont 6.737,39 euros de salaire de base. Il ressort qu'à ce moment-là le nouvel employeur de Mme Martine X... considérait bien qui lui appartenait de définir les nouvelles fonctions de la salariée et de reprendre en compte son horaire de 169 heures, tout en lui proposant une augmentation de salaire. Il est toutefois établi, et non utilement contesté par l'employeur qui pour autant n'apporte aucune explication satisfaisante à son revirement, que l'employeur n'a pas donné suite à cette proposition de contrat, mais a, au contraire choisi, dès l'assemblée générale du 30 juillet acquise, d'imposer à la salariée des conditions de travail substantiellement modifiées et nettement moins intéressantes.

La cour relève à ce sujet, que l'employeur, en qualifiant la réduction de salaire de "provisoire", sans se donner ni donner à la salariée les moyens réels de sortir de ce "provisoire", a exercé à partir de ce moment sur la salariée, à qui il tentait, par les termes de sa lettre du 30 juillet 2004, de faire porter la responsabilité de la non définition de ses fonctions, une pression évidente, et ce alors même que le frère de la salariée M. Luc X... subissait déjà, bien qu'encore PDG, une «mise sur la touche» évidente, M. B... ayant les mêmes pouvoirs que lui et apparaissant clairement, à travers les divers courriers produits, comme celui qui dirigeait effectivement la société.

La cour relève également, qu'en dépit de la décision du conseil de prud'hommes du 26 janvier 2006 qui a fixé le salaire de base de Mme Martine X... à la somme de 6 857,80 euros, après intégration de la prime d'ancienneté de 608,78 euros, l'employeur à ce jour, continue toujours à refuser de payer Mme Martine X..., toujours en arrêt maladie, sur les bases dudit salaire.

- Le second type de faits évoqué par la salariée consiste dans ce qu'elle appelle une «mise au placard».

Si la cour considère que le fait de l'affecter dans d'autres locaux, où était regroupé l'essentiel du personnel administratif, et proches du siège de la société, ne saurait être interprété comme participant à un harcèlement, et si elle considère de même, que le changement de société, et la reprise simplement partielle des activités de la Sarl BAPTISTE DELZOR, induisait nécessairement des modifications dans les fonctions de la salariée, la cour considère toutefois que la marginalisation de Mme Martine X... est patente.

Il ressort en effet des éléments produits au dossier et des débats, que l'intéressée, qui, jusqu'en juin 2004, jouait un rôle important de responsable, impliquant une grande diversité de fonctions qu'elle liste dans le courrier adressé le 16 septembre 2004 à Me Sportes, s'est trouvée très rapidement enfermée dans des tâches administratives qu'elle qualifie, sans être utilement contredite, de subalternes et ingrates, dont elle dit qu'elles se sont rapidement réduites à vérifier les factures, peu important le fait que dans la lettre du 26 août 2004 la salariée, manifestement dans un dernier effort pour tenter de consolider sa position, énonce un certain nombre de tâches comme étant les siennes depuis le 29 juin 2004.

L'employeur qui prétend qu'était envisagée pour Mme X... «la supervision de l'administration des ventes des achats... qui induisait une responsabilité plus importante...» n'en rapporte nullement la preuve.

Par ailleurs, deux anciennes salariées de la Sarl BAPTISTE DELZOR , Mesdames Monique F... et Annie G..., attestent que, si avant le démarrage de Baptiste Restauration, M. Patrick D..., qui était venu se présenter au personnel, avait expliqué que le mode de fonctionnement et les dirigeants resteraient les mêmes, elles avaient pu constater, dès le 29 juin 2004 au moment du démarrage de la nouvelle société, que l'"ordre avait été donné à tout le personnel administratif et livraison par M. Nicolas B... de prendre ses directives auprès de Renaud ou de Nathalie ou lui-même".

La cour note qu'en dépit d'un nouveau courrier adressé par M. B... à la salariée le 8 septembre 2004, courrier qui ne faisait que confirmer les termes de la lettre du 30 juillet 2004, courant septembre et avant que celle-ci ne soit placée en arrêt maladie, la nouvelle direction, n'avait pas réglé le problème des nouvelles fonctions de Mme Martine X..., la laissant dans un "entre-deux", nécessairement inquiétant et dévalorisant aux yeux de ses anciens collègues, qui après l'avoir considérée comme leur « patronne », la voyait désormais sans fonction bien précise ni gratifiante équivalente à son ancien statut de responsable de poste.

La cour considère que l'ensemble de ces incidents ne saurait être anéanti ni par le fait que le frère de la salariée M. Luc X... était, à tout le moins sur le papier, directeur général de la nouvelle société jusqu'au 14 octobre 2004, date à laquelle il a été démis, dans la mesure où il ressort de manière évidente de l'ensemble des éléments produits dans le cadre des débats qu'en réalité, M. Luc X..., dès le 30 juillet, n'a plus eu de pouvoir réel au sein de l'entreprise, M. B..., nommé ce jour-là directeur général adjoint, signant depuis lors l'ensemble des courriers produits au dossier.

Ces incidents ne sauraient pas davantage être amoindris dans leur gravité par le fait que Mme Martine X..., qui avait passé toute sa carrière dans l'entreprise familiale depuis plusieurs générations, aurait mal supporté, ce qui n'est pas exclu, mais ne constitue pas une explication suffisante, les changements apportés à la suite de la vente de cette entreprise, les dits incidents présentant un caractère matériel et vérifiable incontestable.

Si l'on ajoute à ces incidents successifs, le rappel que, dès l'assemblée générale du 30 juillet le frère de l'intéressée se voyait, de fait, également mis sur la touche par la nomination d'un directeur général adjoint qui avait tous les pouvoirs, avant d'être ni plus ni moins démis de ses fonctions, et donc obligé de céder ses parts sociales le 14 octobre 2004, force est de constater, que de juin à fin septembre 2004, Mme Martine X... a été soumise de la part de son employeur à une série d'agissements répétés et concentrés dans le temps, de nature à porter atteinte à sa dignité et dégrader ces conditions de travail.

La conjonction et la répétition de ces faits est constitutive de harcèlement moral, l'employeur n'apportant pas la preuve que lui impose l'article L.122-52 du code du travail, de ce que ces différents faits et décisions ne relevaient pas de harcèlement mais étaient justifiés par des éléments objectifs, nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise.

La cour relève enfin que Mme Martine X... rapporte clairement la preuve de ce que, à partir de septembre 2004, et jusqu'à ce jour, elle s'est trouvée placée en arrêt de travail de manière quasiment ininterrompue, à la suite d'une dépression grave et persistante, qui ne saurait au vu des certificats médicaux produits par différents médecins, être mise en doute, quand bien même il est évident que ces médecins, tout en constatant l'impact sur la santé de Mme Martine X..., ne peuvent bien évidemment, comme semble le reprocher l'intimé, témoigner, de la réalité, des explications que l'intéressé apporte à la cause de son mal-être.

Pour la cour il ressort donc avec évidence de l'ensemble de ces éléments que le contrat de travail de Mme Martine X... n'a pas été, en contradiction avec les exigences de l'article L.120-4 du code du travail, exécuté de bonne foi par l'employeur à qui ledit contrat avait été transféré, mais qu'au-delà, la SAS BAPTISTE RESTAURATION et ses responsables se sont rendus coupable à l'égard de Mme Martine X... de fait de harcèlement moral lui ouvrant droit à réparation.

Sur la prime d'ancienneté, la prime de fin d'année, les rappels de salaire et de congés payés qui en découlent :

La cour considère que c'est après une analyse exacte des faits et en fonction de motifs justes et pertinents qu'elle reprend à son compte, que le conseil de prud'hommes a jugé :

- que la prime d'ancienneté d'un montant de 608,78 euros, qui était versée régulièrement depuis décembre 1999 à Mme Martine X..., lui était due et devait être intégrée dans son salaire mensuel, ce qui portait celui-ci à la somme de 6.857,80 euros par mois. Elle ajoute toutefois qu'il importe peu qu'une telle prime ne soit pas prévue par la convention collective pour les cadres à partir du moment, où elle avait été instaurée de manière contractuelle, à tout le moins entre cette salariée et son ancien employeur comme en attestent les bulletins de salaire.

- que la prime de fin d'année, d'un montant de 7.641, 45 euros versée depuis 2002 à Mme Martine X..., ainsi qu'à certains autres salariés cadres de l'entreprise, institutionnalisée, pour Mme Martine X... par son inscription au bulletin de salaire, ayant un caractère d'usage, devait également lui être réglée par son nouvel employeur.

Par conséquent, la cour confirmant le conseil de prud'hommes dans le principe de ses condamnations à ce titre, fixe à 30.565,80 euros le rappel de primes de fin d'année pour les années 2004, 2005, 2006 et 2007 et à 24 959,84 euros le différentiel de salaire dû pour tenir compte de l'intégration des primes d'ancienneté.

Elle ordonne également la délivrance des documents sociaux relatifs à la rupture de contrat de travail ainsi que de bulletins de salaire rectifiés mais dit n'y avoir lieu cet égard à prononcer une astreinte.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par Mme Martine X... la totalité des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer. Il sera donc alloué une somme de 1.000 euros, à ce titre pour la procédure d'appel.

En revanche, la SAS BAPTISTE RESTAURATION, succombant, est déboutée de sa demande reconventionnelle à ce titre et devra supporter les dépens de la présente instance.

PAR CES MOTIFS,

En conséquence, la Cour,

Confirme la décision du Conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé que les primes d'ancienneté et de fin d'année devaient être réglées comme précédemment à Mme Martine X..., la prime d'ancienneté étant intégrée à son salaire de base, le portant ainsi à la somme de 6 857,80 euros, ainsi qu'en ce qui concerne les dommages et intérêts en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

L'infirme pour le surplus ;

Y ajoutant et statuant à nouveau,

Condamne la SAS BAPTISTE RESTAURATION à payer à Mme Martine X... la somme de 30.565,80 euros (TRENTE MILLE CINQ CENT SOIXANTE CINQ EUROS et QUATRE VINGT CENTIMES) à titre de prime de fin d'année pour les années 2005,2006 et 2007

Condamne la dite société à régler à Mme Martine X... la somme de 24.959,84 euros (VINGT QUATRE MILLE NEUF CENT CINQUANTE NEUF EUROS et QUATRE VINGT QUATRE CENTIMES) dans les limites de la demande formulée, pour rappel de prime d'ancienneté, qui aurait dû être intégrée au salaire, dû au 1er octobre 2007

Dit que l'employeur, la société Label Bleu, exerçant sous l'enseigne BAPTISTE RESTAURATION, s'est rendue coupable de harcèlement moral à l'encontre de Mme Martine X....

Le condamne en conséquence à payer à cette dernière la somme de 30.000 euros (TRENTE MILLE EUROS) à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de ce harcèlement moral,

Prononce la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, ladite résiliation entraînant dès lors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne en conséquence la SAS BAPTISTE RESTAURATION à régler à Mme Martine X..., les sommes suivantes :

- 160.000 euros (SEIZE MILLE EUROS) en application de l'article L.122-14-4 du code du travail

- 41.146,20 euros (QUARANTE ET UN MILLE CENT QUARANTE SIX EUROS et VINGT CENTIMES)à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 20.573,10 euros (VINGT MILLE CINQ CENT SOIXANTE TREIZE EUROS et DIX CENTIMES) à titre de préavis (trois mois) et 2.057,31 euros (DEUX MILLE CINQUANTE SEPT EUROS et TRENTE ET UN CENTIMES) pour congés payés afférents.

Lui ordonne de délivrer à Mme Martine X... une attestation ASSEDIC, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et des fiches de paie rectifiées, sans qu'il y ait lieu à prononcer une astreinte ;

Déboute Mme Martine X... du surplus de ses demandes ;

Déboute la SAS BAPTISTE RESTAURATION de ses demandes reconventionnelles ;

Condamne la SAS BAPTISTE RESTAURATION à régler à Mme Martine X... la somme de 1.000 euros (MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

La condamne aux entiers dépens de l'instance.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0135
Numéro d'arrêt : 06/6694
Date de la décision : 20/11/2007

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Créteil, 26 janvier 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2007-11-20;06.6694 ?
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