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07/02/2012 | FRANCE | N°10/16262

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 07 février 2012, 10/16262


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 7 FÉVRIER 2012
(no 36, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 16262
Décision déférée à la Cour : jugement du 12 Mai 2010- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 08/ 01778

APPELANTE

S. A. PINCHOU représentée par son Directeur Général Mr X......75017 PARIS représentée par la SCP MENARD SCELLE MILLET (avoués à la Cour) assistée de Me Jean LEGER de la SCPA MOLAS-LEGER-CUSIN et ASSO

CIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P 159

INTIMEE

SCP Z...prise en la personne de ses représ...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 7 FÉVRIER 2012
(no 36, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 16262
Décision déférée à la Cour : jugement du 12 Mai 2010- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 08/ 01778

APPELANTE

S. A. PINCHOU représentée par son Directeur Général Mr X......75017 PARIS représentée par la SCP MENARD SCELLE MILLET (avoués à la Cour) assistée de Me Jean LEGER de la SCPA MOLAS-LEGER-CUSIN et ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P 159

INTIMEE

SCP Z...prise en la personne de ses représentants légaux 5 avenue de l'Opéra 75001 PARIS représentée par la SCP BOMMART FORTSER FROMANTIN (avoués à la Cour) assistée de la SCP CORDELIER-RICHARD-JOURDAN (Me Jean-Pierre CORDELIER), avocats au barreau de PARIS, toque : P 399

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 7 décembre 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Dominique GUEGUEN, conseiller chargé du rapport, en présence de Madame Brigitte HORBETTE, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN

ARRET :

- contradictoire-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, président de chambre-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

**********
La société Pinchou, qui a pour activité le négoce international de produits alimentaires, a, au cours des années 2000/ 2001, conclu six contrats de vente avec des clients algériens, prévoyant comme modalité de paiement " une remise documentaire payable à vue ", dont un contrat avec M. Messaoud A..., lequel a acquis du thé vert pour la somme totale de 409 782, 96 €, la Banque de Développement Local, (la BDL) étant chargée de l'encaissement des factures à Alger et la société Sudcargos étant chargée du transport et de la délivrance des marchandises au client.
Pour l'un des contrats, celui avec M. Messaoud A..., la marchandise livrée n'a jamais été payée.
La société Sudcargos a confirmé à la société Pinchou, par une attestation du 3 septembre 2001 que les containers avaient bien été restitués vides à son agent du port d'Alger les 8 et 14 mars 2001 mais la BDL n'a pas fait connaître en temps utile à la société Pinchou le sort des paiements qu'elle devait recevoir tant de M. A...que de ses autres clients.
Aussi la société Pinchou s'est-elle adressée en août 2001 à la Scp d'avocats Z..., (la Scp BCW), lui a remis l'ensemble des pièces relatives aux six contrats litigieux, dont celui avec M. A..., mais sans porter à la connaissance de l'avocat ce qui avait été convenu spécifiquement pour ce contrat : en effet, s'agissant de marchandises périssables, la société Sudcargos avait été autorisée par la société Pinchou à délivrer les marchandises contre remise d'une garantie bancaire, dès lors qu'au moment de leur arrivée au port d'Alger, la BDL n'était pas encore en possession des documents.
Le 7 septembre 2001, la Scp BCW a déposé une requête à fin de saisie-conservatoire à l'encontre de la BDL pour garantir le paiement de la totalité des marchandises livrées par la société Pinchou en Algérie, puis le 19 septembre 2001, a assigné la banque au fond devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir sa condamnation à payer à la société Pinchou la somme de 1 459 904, 19 €, puis le 5 février 2002, a assigné en référé la BDL pour obtenir sa condamnation par provision à hauteur des sommes restant encore dues à la société Pinchou par deux clients, M. A...et M. B..., soit 951 282, 30 € au motif que la banque leur avait remis les " documents " devant permettre le retrait des marchandises et qu'en contrepartie, elle était tenue au paiement du prix ; toutefois la banque devait indiquer dans ses conclusions en réponse qu'elle n'avait jamais remis aux destinataires des marchandises les documents devant permettre leur retrait et que, pour le dossier de M. A..., elle n'avait reçu les documents que postérieurement à la délivrance des marchandises, ce qui a conduit la société Pinchou, par l'intermédiaire de la Scp BCW, à se désister de cette procédure.
Au mois d'avril 2002, la Scp BCW a transmis le dossier à son successeur qui a assigné le 5 juin 2002 devant le tribunal de commerce de Marseille, la société Sudcargos et la BDL, ainsi que M. A..., pour leur réclamer paiement, in solidum, de la somme de 409 782, 96 € : le 3 décembre 2002 un jugement a fait droit à cette demande, mais, sur appel de la BDL et de la société Sudcargos, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rendu le 22 novembre 2005 un arrêt infirmatif, seul M. A...étant condamné à payer, la BDL et la société Sudcargos étant libérées de toutes condamnations mises à leur charge, au motif, pour la BDL, que " l'absence d'avis de sort " concernant les ordres de paiement et le retard pris par la BDL à retourner les remises documentaires ne sont pas à l'origine du préjudice subi par Pinchou (que donc le préjudice ne peut lui être imputé directement) et pour la société Sudcargos, en lui faisant application du bénéfice de la prescription annale de l'article 16 alinéa 3 de la loi du 16 juin 1996, devenu l'article L 133-6 du code de commerce, prescription acquise au bénéfice du transporteur Sudcargos, le pourvoi contre ledit arrêt formé par Pinchou étant rejeté par la cour de cassation par un arrêt du 22 mai 2007.

C'est dans ces conditions que la société Pinchou a saisi le Tribunal de grande instance de Paris les 10 et 14 janvier 2008 pour obtenir, au visa des articles 1382 et 1383 du code civil, la condamnation de la Scp BCW à lui payer la somme de 409 782, 96 €, montant de ses factures à l'encontre de M. A..., avec intérêts au taux légal à compter du 1er Mars 2002 et celle de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour les frais et honoraires inutilement engagés outre celle de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Pinchou a fait état d'un manquement de l'avocat à son devoir de conseil, en lui reprochant d'avoir assigné en septembre 2001 seulement la BDL et non pas la société Sudcargos, ce en dépit de la faute commise par Sudcargos qui avait délivré la marchandise sans garantie bancaire du client M. A..., la société Pinchou estimant que la Scp BCW aurait dû et pu, dès le mois d'août 2001, date de sa saisine, s'interroger sur les conditions de livraison et intervenir dès cette époque auprès du transporteur Sudcargos dont la responsabilité pouvait être recherchée alors que la livraison était intervenue contre remise d'une garantie bancaire et qu'il appartenait au transporteur de justifier avoir obtenu la lettre de garantie exigée de la banque du destinataire, qu'ainsi la faute reprochée à l'avocat était d'avoir tardé à assigner la société Sudcargos, laquelle a pu, avec succès, opposer la prescription annale : selon la société Pinchou, l'avocat savait, dès l'ouverture du dossier, en septembre 2001, que les marchandises avaient été délivrées au client puisqu'il visait dans sa requête du 7 septembre 2001, l'attestation de la société Sudcargos adressée à la société Pinchou le 3 septembre 2001, confirmant les dates de délivrance les 8 et 15 Mars 2001, qu'ainsi, sachant que les documents visant le contrat n'avaient été finalement envoyés à la BDL que les 17 mai et 11 juillet 2001, soit plus de 2 mois après la délivrance des marchandises, cela montrait à l'évidence que la délivrance des marchandises n'avait pas été subordonnée à la remise des documents et l'avocat, s'il avait simplement vérifié les dates, pouvait s'interroger sur les conditions de livraison et rechercher la responsabilité du transporteur, soumise à une brève prescription.
Par jugement en date du 12 mai 2010, le tribunal, retenant un manquement de l'avocat à son devoir de conseil et de diligence engageant sa responsabilité contractuelle, mais retenant également la faute du client ayant contribué au préjudice invoqué, soit une responsabilité de l'avocat retenue à hauteur de la moitié du préjudice en lien de causalité avec le manquement retenu, a condamné la Scp Z... à payer à la société Pinchou la somme de 125 000 € à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a rejeté toute autre demande, a condamné la Scp Bernet Castagnet et Wamtz aux dépens.
CELA ETANT EXPOSE, la COUR :
Vu l'appel interjeté le 3 août 2010 par la SA Pinchou,
Vu les conclusions déposées par la Scp intimée le 7 septembre 2011 qui formant appel incident, demande, au constat de première part, qu'il n'est pas démontré par la société Pinchou, que sa demande dirigée contre la société Sudcargos, si elle avait été recevable, aurait été accueillie, au fond, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, sous divers autres constats, notamment que les circonstances étaient exclusives de toute responsabilité du transporteur, qu'est en cause un accord commercial conclu sans le concours de l'avocat, lequel en a été informé par la cliente par une lettre du 11 mars 2002, date à laquelle aucune action contre le transporteur n'était envisageable au regard de la prescription annale acquise et alors que l'avocat, ayant soumis ses écritures à la cliente qui n'a pas fait d'observations, n'avait aucun motif de soupçonner, qu'en l'absence des connaissements, il avait été exigé de l'acheteur une garantie bancaire, au constat que la société Pinchou dispose d'un titre contre le débiteur avec lequel elle a elle-même traité, que la société Pinchou doit assumer la perte de la somme à payer, serait-elle irrécouvrable, l'avocat n'ayant pas à en répondre, qu'il n'est pas justifié d'un préjudice né, actuel, certain et direct, le débouté de la société Pinchou de toutes ses prétentions, de dire que par le seul effet de l'arrêt à intervenir, la société Pinchou sera tenue de rembourser les sommes versées en exécution du jugement dont appel, avec condamnation de la société Pinchou à lui payer la somme de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer tous les dépens,

Vu les conclusions déposées le 24 octobre 2011 par la société Pinchou, appelante, qui demande, au visa des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu la responsabilité de la Scp Z..., avocats, son infirmation du chef du quantum des dommages et intérêts, statuant à nouveau, la condamnation de la Scp Z...à lui payer la somme de 500 000 €, la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer tous les dépens,
Vu l'ordonnance de clôture intervenue en date du 22 novembre 2011,
Vu les conclusions de procédure déposées le 29 novembre 2011 par la Scp Z...qui demande, au visa de l'article 784 du code de procédure civile et de la cause grave, la révocation de l'ordonnance de clôture aux fins d'admettre aux débats la pièce No 19 et ses dernières conclusions récapitulatives la commentant signifiées le 29 novembre 2011, en faisant valoir qu'elle a eu connaissance de cette pièce seulement après le prononcé de la clôture, qu'il s'agit des conclusions signifiées par la société CMA-CGM venant aux droits de la société Sudcargos dans une procédure pendante devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, apportant un éclairage important sur le préjudice allégué par la société Pinchou.
SUR CE :
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :
Considérant que la pièce communiquée sous le No 19, selon bordereau daté du 29 novembre, consiste dans les conclusions en réponse de la Sa CMA-CGM, venant aux droits de la société Sudcargos, devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence déposées et signifiées le 20 septembre 2011 pour l'audience du 22 novembre 2011, dans une instance opposant la concluante à M. Jacques C..., avocat et son assureur, la compagnie Covea Risks ; que la Scp Z...soutient que cette pièce constitue la cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture, en ce qu'il vient de lui être révélé dans ces conclusions que le plan n'avait pas été exécuté ainsi que déclaré par la Sa CMA-CGM, conclusions qui traitent du sort de la somme de 409 782, 97 € qu'elle n'a pas récupérée, qu'ainsi la cour ne peut pas considérer comme acquis que la somme reçue par la société Pinchou sera effectivement remboursée et que s'agirait-il d'indemniser une perte de chance, le préjudice correspondant n'est ni actuel, ni certain ;
Considérant que le fait que la société Pinchou doive restituer à la société Sudcargos qui a exécuté le jugement du tribunal de commerce, la somme de 409 782, 97 € en raison de l'arrêt infirmatif de la cour d'appel d'Aix-en-Provence figure déjà dans le jugement déféré, qui s'explique assez longuement sur les causes juridiques de ce remboursement et les conséquences qu'il en tire ; qu'en conséquence il n'existe aucun motif de nature à caractériser la cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture ;
Sur la faute de l'avocat :
Considérant que la société Pinchou, appelante, critique essentiellement le partage de responsabilité qui a été retenu par les premiers juges ainsi que la fixation du préjudice à laquelle ils ont procédé, ce qui la conduit à demander une réparation par l'octroi d'une somme à titre de dommages et intérêts de 409 782, 96 €, à laquelle s'ajoutent les frais de procédure soit la somme totale de 500 000 € demandée ; qu'elle soutient en effet qu'il appartenait à l'avocat de recueillir, de sa propre initiative, auprès de son client les éléments d'information lui permettant d'assurer au mieux la défense de ses intérêts, dès lors que la chronologie des faits dont il disposait, pour le contrat litigieux, lui permettait de douter de l'exactitude des informations fournies et l'obligeait à procéder à une analyse distincte ; Considérant que la Scp Z..., appelante incidente, fait valoir qu'elle n'a pas commis de faute dès lors qu'un accord particulier, propre à une pratique commerciale, lui a été dissimulé et qu'elle ne pouvait pas le soupçonner, si le client, qui n'ignorait rien de ses droits, ne lui a pas dit, alors que ledit client pouvait alerter son conseil lorsqu'il était temps d'agir contre le transporteur ; qu'elle soutient notamment que le client a pris connaissance des actes de procédure sur lesquels figuraient les informations qu'il aurait dû lui-même rectifier ;

Considérant qu'à cet égard, l'avocat fait valoir que l'opération qui sans doute a mal tourné, était placée sous l'entière maîtrise de la société Pinchou, laquelle l'a informé trop tard des conditions de livraison des marchandises, soulignant que les données fournies, pour tous les contrats, étaient rigoureusement identiques d'un contrat à l'autre et qu'il n'a été instruit par la cliente sur les particularités du dossier que par une lettre du 11 mars 2002, ce qui lui a permis, dans les conclusions établies le 14 mars 2002, de reprendre cette information avec la précision que les marchandises devaient être remises contre fourniture d'une garantie bancaire ; qu'il a été alors dessaisi du dossier dès le 8 avril 2002 et est resté dans l'ignorance des suites du contentieux, qui s'est terminé avec l'arrêt de la cour de cassation du 22 mai 2007 ; que c'est alors, durant ce procès, que seront révélées des informations dont la cliente n'avait rien dit ; que l'autorisation écrite de la société Pinchou au transporteur de remettre la marchandise aux destinataires sur simple fourniture d'une garantie bancaire ne figure pas dans les débats et ne sera jamais communiquée à l'avocat ; qu'il ne pouvait, à l'origine, la procédure étant fondée sur un manquement de la banque répondant d'un paiement à vue, soupçonner l'existence d'un engagement du transporteur, qu'il n'y avait pas lieu de mettre en cause, tous les autres dossiers étant traités de la même manière ; que les actes qu'il a rédigés, soumis à la cliente, n'ont pas soulevé d'objection de sa part, en particulier lors des envois qu'il a effectué par les lettres des 24 et 30 août 2001, ce qui ne lui permettait pas d'imaginer que l'un des dossiers faisait exception ;
Considérant que par des motifs pertinents que la cour ne peut qu'approuver, les premiers juges ont retenu la faute commise par l'avocat, qui aurait dû interroger la cliente et aurait ainsi appris les modalités d'un accord particulier conclu avec le transporteur, tenu de livrer la marchandise contre remise d'une lettre de garantie, qui n'a pas été fournie : que c'est en effet à l'avocat de prendre l'initiative de recueillir auprès du client toutes les informations nécessaires, qu'il doit d'autant plus l'interroger, lorsqu'il peut très aisément détecter comme en l'espèce, qu'il existait des spécificités relatives aux contrats de livraison en cause, à partir de la chronologie des faits, notamment en relevant la date à laquelle la BDL a reçu les mandats d'encaissement pour le contrat en question, c'est à dire en mai et juillet, bien postérieure à la livraison des marchandises à M. A..., ce qui lui permettait de déduire que la BDL n'était pas à l'origine du retrait litigieux ; qu'en effet, dans la requête afin de saisie-conservatoire, il reprend ces éléments et le fait que les documents devant permettre le paiement à vue sont parvenus à la banque en mai et juillet 2001, alors que la livraison des marchandises, attestée par la restitution des containers vides au port d'Alger, date du mois de Mars 2001 ;
Considérant que l'avocat est censé connaître les règles et usages du transport maritime, selon lesquelles le transporteur ne peut remettre la marchandise au client que contre remise de l'original du connaissement qui est le titre représentatif des marchandises et l'acquéreur est mis en possession par la seule détention du connaissement, les parties pouvant cependant convenir d'une garantie bancaire dans l'hypothèse où le réceptionnaire n'est pas encore en possession du connaissement ; qu'il ne peut être considéré comme fautif de la part du client, comme l'ont retenu à tort les premiers juges, de n'avoir pas lui-même attiré l'attention de son conseil sur l'accord dérogatoire passé avec le transporteur, dont le client ignore les conséquences juridiques ou procédurales, notamment en cas de prescription d'une action ; qu'en effet, il est établi que la société Pinchou n'informera son avocat sur les particularités de ce dossier que par une lettre du 11 Mars 2002, à une date à laquelle il n'était plus possible d'agir utilement contre le transporteur ; qu'il en résulte que la Scp BCW, par son manquement tel que ci-dessus caractérisé à son devoir de conseil et de diligence, a seule engagé sa responsabilité civile professionnelle à l'égard de la société Pinchou, son erreur d'appréciation juridique n'ayant pas permis à son successeur d'agir dans le délai à l'encontre du transporteur, ce dernier ayant pu opposer la prescription comme l'a constaté l'arrêt du 22 Novembre 2005 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Sur le préjudice :
Considérant que l'avocat appelant fait observer que, pour autant, le jugement querellé est critiquable en ce que les premiers juges ont considéré que le transporteur, assigné dans les délais, aurait été tenu pour responsable de la défaillance de l'acheteur des marchandises et condamné à en payer le prix et en ce que, à suivre leur raisonnement, l'avocat devrait répondre de la défaillance du transporteur, libéré par la prescription de l'action engagée contre lui et acquitter partie du prix des marchandises que l'acheteur, présenté par la société Pinchou comme insolvable, n'a pas payé ;
Considérant que la Scp BCW fait valoir qu'il serait vain d'invoquer le jugement du tribunal de commerce de Marseille qui a été infirmé et que la preuve n'est donc pas rapportée de la responsabilité du transporteur ni de ce que, si la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait statué sur le fond du litige, elle aurait effectivement condamné la société Sudcargos au paiement du prix des marchandises ; qu'elle soutient que la perte subie par la société Pinchou a pour cause un concours de circonstances auquel le transporteur est étranger, sa prestation de transport ayant été correctement assurée et le lot concerné étant composé de marchandises périssables, ce qui excluait un retour de la marchandise à la société Pinchou et obligeait le transporteur à la remettre à l'acheteur, que d'ailleurs en raison du retard dont n'était aucunement responsable le transporteur, la société Pinchou l'a autorisé à " relâcher " les marchandises contre présentation par M. A...d'une lettre de garantie bancaire ; qu'ainsi le transporteur n'a pris à l'égard de la société Pinchou aucun engagement de répondre pour l'acheteur du paiement des marchandises, que la fourniture d'une garantie bancaire relevait de la seule responsabilité de M. A..., dont l'insolvabilité, qui explique que la société Pinchou ne le poursuive pas, excluait qu'il puisse fournir une garantie bancaire ; qu'il rappelle en effet que c'est la société Pinchou qui a accepté de traiter avec un client, dont elle n'était pas assurée qu'il fournirait, en échange des marchandises, la lettre de garantie exigée de sa banque et qui a pris les risques d'une telle opération, dont le transporteur ne saurait être responsable d'autant qu'il n'avait pas d'autre alternative que de procéder ainsi qu'il a fait, car il était exclu que la marchandise, périssable, soit réexpédiée et il fallait la livrer ; qu'à la date de livraison, il ne pouvait être procédé à un paiement à vue, comme cela s'est fait pour les autres contrats, car la BDL n'était pas en possession des connaissements en provenance de la Banque Cantonale du Vaudois, laquelle ne les adressera que plus tard ; que l'avocat conteste encore, alors qu'il a fait valoir en première instance que la société Pinchou disposait d'un titre contre son débiteur, M. A..., que les premiers juges aient considéré que " ces possibilités de recouvrement à son égard sont très limitées ", ne tirant pas toutes les conséquences de leurs propres constatations ;
Considérant que l'avocat conteste que la société Pinchou, aurait-elle eu motif à agir contre le transporteur, le rende responsable de l'échec du procès qu'elle lui a fait, avec le concours d'un autre avocat ;
Considérant, sur le prétendu dommage, que l'avocat rappelle que seul est indemnisable le préjudice né, actuel, certain et direct et que le dommage dont se plaint la société Pinchou, non seulement est inexistant mais en outre sans lien de causalité avec les prestations assurées par lui ; que la société Pinchou dispose avec l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix en Provence d'un titre contre l'acheteur, qui est le débiteur des marchandises, qu'elle n'a toutefois engagé contre son acheteur aucune poursuite au motif qu'il serait insolvable, qu'ainsi, soit M. A...est définitivement insolvable et dans ce cas l'action en responsabilité contre le transporteur était vouée à l'échec, soit M. A...est en capacité de payer sa dette et dans ce cas, il appartient à la société Pinchou de le poursuivre, mais subirait-elle une perte, ni le transporteur, ni l'avocat ne sauraient en répondre ;
Considérant enfin que l'avocat fait observer que la société Pinchou a reçu de la société Sudcargos, du fait de l'exécution provisoire attachée au jugement du tribunal de commerce de Marseille du 3 décembre 2002 par la suite infirmé, le prix des marchandises, qu'elle est supposée rembourser en 10 années ; qu'elle bénéficie d'un plan de continuation mais qu'il n'est pas acquis que ladite somme sera effectivement remboursée ; qu'enfin la demande au titre des frais et honoraires exposés inutilement n'est pas fondée, la prestation de l'avocat devant le tribunal de commerce de Paris n'étant pas critiquable et n'ayant pas été sans résultat mais ayant abouti à une ordonnance du juge des référés du 21 mars 2002 ordonnant à la banque de remettre les documents qu'elle était censée détenir et les autres procédures ayant été imaginées et conduites par un autre avocat, avec succès devant le tribunal de commerce de Marseille et devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, laquelle a confirmé la condamnation de l'acheteur, seul ledit confrère devant informer la société Pinchou de ses droits et des risques ;
Considérant que la société Pinchou rétorque que la société Sudcargos n'a jamais contesté sa responsabilité, se contentant de soulever un fin de non-recevoir tirée de la prescription annale, que l'avocat s'étant interrogé trop tardivement sur la responsabilité du transporteur, cette erreur est devenue irréversible, qu'elle reproche à l'avocat non pas l'échec de la procédure contre le transporteur mais l'absence de mise en place de cette procédure, que ses recherches pour exécuter à l'encontre de M. A..., non comparant devant les juridictions, se sont avérées infructueuses, qu'elle ne saurait se voir reprocher de ne s'être préoccupée de la solvabilité de son acheteur, puisque l'opération était sous contrôle des banques et qu'aucune délivrance des marchandises ne pouvait avoir lieu sans paiement ou garantie bancaire de paiement, qu'elle n'a pas commis d'imprudence en acceptant que la société Sudcargos libère les marchandises, que le transporteur n'a pu lui justifier de la garantie bancaire obtenue, que la faute de l'avocat l'a privée de l'indemnisation de son préjudice ; qu'elle estime que l'erreur de l'avocat lui cause un préjudice égal à la valeur des marchandises enlevées mais impayées ; qu'elle conteste le raisonnement des premiers juges qui ont, avant application du partage de responsabilités, limité le quantum indemnisable du préjudice à 250 000 €, en tenant compte des délais de fait dont elle a bénéficié dans le cadre du plan de continuation pour rembourser ses créanciers, dont la société Sudcargos, et du caractère non acquis du respect des 8 échéances de remboursement à venir, alors que 5 échéances sont passées, qu'elle est toujours in bonis et que rien ne permet d'affirmer qu'elle ne respectera pas les échéances du plan jusqu'à son terme ;
Considérant sur la nature du préjudice en lien de causalité directe avec la faute de l'avocat, telle que ci-dessus caractérisée, que c'est seulement l'absence de mise en place dans le délai utile d'une procédure contre le transporteur Sudcargos qui constitue la conséquence directe de ladite faute et caractérise le préjudice indemnisable, constitué d'une perte de chance, ce dont il se déduit que l'avocat ne saurait en aucune manière, à supposer même que le transporteur aurait pu être reconnu défaillant, devoir acquitter le paiement du prix des marchandises ; que par ailleurs, les chances de succès de ladite procédure, si elle avait été examinée au fond par les juridictions, apparaissent, au vu des éléments fournis, très aléatoires ; que la ligne de défense qui aurait été celle, au fond, du transporteur n'est pas, au vu des pièces produites, connue ni déterminable ; qu'à cet égard, l'avocat intimé fait très justement observer que la responsabilité du transporteur, à supposer même qu'elle ait été tenue pour engagée, n'aurait pas pour autant automatiquement conduit à tenir ce dernier pour responsable du paiement du prix des marchandises ; que cet aléa est d'autant plus important que l'avocat intimé fait encore pertinemment observer que le transporteur, s'il a demandé sans l'obtenir la garantie bancaire ou a commis une quelconque autre faute mais a néanmoins livré la marchandise, a eu un comportement adapté en tout état à la nature périssable de ladite marchandise ; que le fait surtout que la société Pinchou fasse état de l'insolvabilité de son acheteur vient confirmer les difficultés et risques inhérents à l'obtention de la garantie bancaire et à l'opération ; qu'au vu de ces divers éléments, c'est inexactement que le jugement déféré a calculé le préjudice indemnisable à partir essentiellement des possibilités de recouvrement de la société Pinchou à l'encontre de M. A...et de l'obligation incombant à cette dernière de restituer la somme reçue de la société Sudcargos à la suite de l'arrêt infirmatif de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 22 novembre 2005 ; qu'en revanche, c'est par des motifs pertinents qui ne peuvent qu'être approuvés, que les premiers juges ont admis comme entrant dans le calcul du préjudice indemnisable, les frais d'avocat et d'avoués exposés par la société Pinchou, y compris dans le cadre de la procédure conduite par l'avocat successeur, dès lors que si l'action avait été engagée correctement dès l'origine par la Scp BCW, la société Pinchou n'aurait pas succombé en appel, procédure pour laquelle elle n'a fait que se défendre ;

Considérant qu'au vu de ces éléments, la perte de chance doit être évaluée à la somme de 40 000 €, que le jugement sera en conséquence infirmé sur le partage de responsabilités et sur le quantum des dommages et intérêts, mais confirmé sur le surplus de ses dispositions ; Considérant que la faute de l'avocat étant retenue, il sera condamné aux entiers dépens et débouté de sa demande en appel au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; que l'équité commande en revanche de faire application de ces dispositions au profit de la société Pinchou dans les termes du dispositif ci-après.

PAR CES MOTIFS :
Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu un partage de responsabilités et sur le quantum de fixation des dommages et intérêts,
Statuant à nouveau de ces seuls chefs,
Condamne la Scp Z... à payer à la société Pinchou la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts,
Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la Scp Z... de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Scp Z... à payer à la société Pinchou la somme de 8000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Scp Z... aux entiers dépens, dont ceux d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 10/16262
Date de la décision : 07/02/2012
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2012-02-07;10.16262 ?
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