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24/01/2013 | FRANCE | N°11/03303

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 24 janvier 2013, 11/03303


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 24 Janvier 2013

(n° 9 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/03303



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 Janvier 2011 par le conseil de prud'hommes de Paris - Section encadrement - RG n° 09/01895





APPELANTE

SAS WEAVEMANAGEMENT

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par M. ROUSSEAU (Président) en vertu d'un pouvoir gé

néral, assisté de Me Arnaud MOQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0082,





INTIME

Monsieur [E] [B]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Cédric SEGUIN, avocat...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 24 Janvier 2013

(n° 9 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/03303

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 Janvier 2011 par le conseil de prud'hommes de Paris - Section encadrement - RG n° 09/01895

APPELANTE

SAS WEAVEMANAGEMENT

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par M. ROUSSEAU (Président) en vertu d'un pouvoir général, assisté de Me Arnaud MOQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0082,

INTIME

Monsieur [E] [B]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Cédric SEGUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2149

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 novembre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne MÉNARD, Conseillère , chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Renaud BLANQUART, Président

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame Anne MÉNARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [B] a été engagé par la société WEAVEMANAGEMENT suivant contrat à durée indéterminée du 2 mai 2001, en qualité de consultant. Il occupait en dernier lieu le poste de Directeur, moyennant un salaire mensuel de 7.465,28 euros.

La convention applicable est la convention dite SYNTEC.

Le 23 janvier 2009, Monsieur [B] a été convoqué à un entretien informel, à l'issue duquel il a été mis à pied à titre conservatoire et sommé de remettre son ordinateur en présence d'un huissier. Il a ensuite été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour le 3 février 2009.

Monsieur [B] a été placé en arrêt maladie pour dépression réactionnelle suite à un conflit de travail le 2 février 2009, sans sortie autorisée, et a donc informé son employeur de ce qu'il ne serait pas présent à l'entretien prévu le lendemain.

Il a été licencié pour faute lourde le 6 février 2009, l'employeur lui reprochant d'avoir téléchargé 800 fichiers de la société sur l'ordinateur mis à sa disposition, et de n'avoir fourni aucune explication.

Monsieur [B] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris le 11 février 2009, afin de contester son licenciement.

Par jugement en date du 31 janvier 2011, ce conseil a :

- requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- condamné la société WEAVEMANAGEMENT à payer à Monsieur [B] :

3.331,68 euros, outre 333,17 euros au titre des congés payés afférents.

20.625 à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 2.062,50 euros au titre des congés payés afférents.

19.492,68 à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

11.337,37 euros à titre d'indemnité de congés payés.

7.500 euros au titre de la rémunération variable (prime 2008), outre 750 euros au titre des congés payés afférents.

60.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- ordonné la remise de documents sociaux conformes.

- ordonné le remboursement à pôle emploi des indemnités de chômage versées dans la limite de un mois.

- débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné la société WEAVEMANAGEMENT aux dépens.

Le Conseil de Prud'hommes a notamment retenu que les documents téléchargés par Monsieur [B] étaient librement disponibles pour l'ensemble des salariés sur le site intranet, sans que l'employeur qui soutient que certains auraient été sensible ait mis en place une restriction d'accès quelconque ; que la société WEAVEMANAGEMENT ne justifie d'aucun préjudice.

La société WEAVEMANAGEMENT a interjeté appel de cette décision.

Représentée par son Président M. [F], assisté de son conseil, la société WEAVEMANAGEMENT a, à l'audience du 30 novembre 2012 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles il/elle demande à la Cour de :

Par conclusions visées et soutenues à l'audience du 30 novembre 2012, elle demande à la Cour de :

- constater que les motifs de licenciement invoqués à l'encontre de Monsieur [B] :

captation massive de 800 fichiers sans justification professionnelle et comportant des éléments confidentiels et sensibles de l'entreprise,

sans aucune explication donnée, que ce soit au cours de l'entretien du 23 janvier 2009 ou postérieurement à la mise à pied conservatoire ou même au moment de l'entretien préalable,

constituant en outre une mise en péril de données confidentielles et stratégiques de l'entreprise par le fait de les emporter à l'extérieur de celle-ci sur un support mobile,

laissant supposer une action malveillante de Monsieur [B] à l'égard de l'entreprise, faute d'explications,

constituent non seulement un motif réel et sérieux de licenciement, mais encore justifie du licenciement pour faute lourde ou à tout le moins pour faute grave de Monsieur [B].

- réformer en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions et débouter Monsieur [B] en tous ses moyens, fins et conclusions.

- déclarer Monsieur [B] irrecevable en sa prétention nouvelle de nullité du licenciement en application de l'article 564 du code de procédure civile, et subsidiairement, l'y dire mal fondé.

- voir en toute hypothèse constater que :

les motifs de licenciement sont de toute façon réels et sérieux.

Monsieur [B] ne pouvait réclamer, au titre de la mise à pied conservatoire, plus de 3.331,68 euros.

Monsieur [B] ne justifie d'aucun droit à une quelconque rémunération variable au titre de 2008 et à fortiori de congés payés afférents.

Monsieur [B] ne justifie d'aucun préjudice moral réparable.

- condamner Monsieur [B] à lui payer 5.000 euros à titre de dommages et intérêts à raison du trouble subi du fait de ses agissements, et 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose que le 21 janvier 2009, elle a été informée par son service informatique d'un téléchargement massif de fichiers par Monsieur [B], entre le 13 et le 22 janvier ; qu'elle a immédiatement fait faire un constat d'huissier, et qu'elle a convoqué le salarié afin de lui prendre, là encore devant huissier, son ordinateur ; que lors de cette entrevue le 23 janvier, Monsieur [B] n'a fourni aucune explication sur ce téléchargement.

Elle précise qu'elle a déposé plainte contre son salarié notamment pour des faits de vol de fichier ; que cette plainte a fait l'objet d'un classement sans suite après enquête ; qu'elle a déposé une plainte avec constitution de partie civile, et que l'instruction est actuellement en cours ; que la Cour d'Appel a rejeté la demande de sursis à statuer qui avait été formée antérieurement.

Elle fait valoir que les documents téléchargés concernent pour un grand nombre d'entre eux des banques, ainsi que le CV de collaborateurs spécialisés dans le domaine bancaire, qui n'est pas le domaine d'activité de Monsieur [B] ; que ce dernier n'a donné aucune explication sur ses motivations, et qu'ainsi, ce téléchargement massif ne permettait pas le maintien du salarié dans l'entreprise.

Représenté par son Conseil, Monsieur [B] a, à l'audience du 30 novembre 2012 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, il demande à la Cour de :

- condamner la société WEAVEMANAGEMENT à lui payer les sommes suivantes :

3.3361,68 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied, outre 333,17 euros au titre des congés payés afférents.

20.625 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 2.062,50 euros au titre des congés payés afférents.

19.492,68 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

11.337,67 euros à titre d'indemnité de congés payés.

120.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

15.000 euros au titre du préjudice résultant des circonstances particulièrement brutales et vexatoires du licenciement.

7.500 euros au titre de la rémunération variable, outre 750 euros au titre des congés payés afférents.

6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner la société WEAVEMANAGEMENT à lui remettre, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision, des documents afférents à la rupture conformes.

- ordonner la capitalisation des intérêts.

- condamner la société WEAVEMANAGEMENT à rembourser à Pôle Emploi les allocations chômage versées dans la limite de six mois.

- condamner la société WEAVEMANAGEMENT aux dépens.

Il expose que son travail a toujours donné entière satisfaction à son employeur, et qu'il avait même reçu les félicitations de sa direction pour le travail réalisé par lui même et les équipes qu'il encadrait au titre des années 2007 et 2008 ; que toutefois, il lui a été demandé de faire un effort en termes de prospection commerciale, et que c'est ainsi qu'au début de l'année 2008, il a fait jouer ses réseaux et obtenu notamment un rendez vous avec Monsieur [S], lequel occupe un poste de direction au sein de la société QUATREM, qui intervient dans le secteur de l'assurance ; que c'est dans cette perspective qu'il a téléchargé un grand nombre de documents relatifs à la banque et à l'assurance, en libre disposition sur la bibliothèque virtuelle de la société, avec l'intention de les trier et de les examiner ultérieurement ; que c'est dans ce contexte qu'il a été convoqué le 21 janvier pour un entretien informel prévu le surlendemain ;qu'il a alors été accablé de reproches, relatifs non seulement à ces téléchargements, mais surtout à l'attitude de son épouse, salariée de WEAVE, qui avait indiqué qu'elle allait se faire désigner déléguée syndicale et faire valoir l'existence d'une unité économique et sociale du groupe WEAVE.

Il soutient à titre principal que le licenciement serait nul comme fondé sur la dégradation de son état de santé, qui l'a empêché de se présenter à l'entretien préalable, et subsidiairement que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur le fond, il fait valoir qu'il avait déjà antérieurement procédé à des téléchargements volumineux sans que cela présente la moindre difficulté ; que contrairement à ce qui est allégué par l'employeur, il s'est immédiatement expliqué verbalement sur la finalité de ces téléchargements, et qu'il a adressé un courrier pour confirmer qu'il n'avait ni copié ni communiqué à des tiers aucun de ces documents, et qu'il n'en avait fait aucune utilisation en dehors de son contrat de travail.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère aux dernières écritures des parties, visées par le greffier, et réitérées oralement à l'audience.

DISCUSSION

- Sur la demande de nullité du licenciement

Il s'agit d'une nouvelle demande formée pour la première fois en appel, mais qui demeure recevable, en application de l'article L 1452-7 du Code du travail.

Monsieur [B] soutient que son licenciement serait nul, comme étant fondé sur la dégradation de son état de santé. Il précise que l'employeur lui fait grief de ne pas s'être présenté à l'entretien préalable, alors qu'à cette date il avait été placé en arrêt maladie, sans autorisation de sorties.

Toutefois, aucun élément du dossier ne permet de retenir que l'état de santé de Monsieur [B] soit à l'origine de son licenciement, l'employeur lui reprochant de ne pas s'être expliqué sur les motifs des téléchargements qui lui étaient reprochés, notamment à l'occasion de l'entretien préalable, mais également à toute autre occasion.

La demande de nullité du licenciement sera donc rejetée.

- Sur le bien fondé du licenciement

En vertu des dispositions de l'article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :

'Nous vous avions convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour le 3 février dernier, consécutivement aux faits que nous vous avions découverts et qui avaient justifié de votre mise à pied à titre conservatoire.

Vous ne vous étiez pas présenté à cet entretien, de même que vous vous êtes refusé de répondre à toutes nos interrogations sur les raisons et motifs pour lesquels vous aviez téléchargé à notre insu un nombre considérable de fichiers de l'entreprise ou du groupe n'ayant strictement aucun rapport avec votre activité.

Nous devons donc conclure de votre silence et de votre abstention à fournir la moindre explication que vous ne voulez par fournir à l'entreprise la moindre explication de cette captation de fichiers de l'entreprise.

Nous sommes donc dans l'obligation de vous notifier, par la présente lettre, votre licenciement pour faute lourde de la société, qui prendra effet à la première présentation de cette lettre.

Les motifs de cette décision sont ceux que nous avions exprimés dans la lettre de mise à pied et de convocation et que nous vous rappelons.

Vous avez, entre le 13 janvier 2009 et le 21 janvier 2009, et plus particulièrement les 19,20 et 21 janvier 2009, procédé à des téléchargements de plusieurs centaines de fichiers de l'entreprise ou d'autres sociétés du groupe, sans aucun rapport avec vos missions et tâches, contenant en outre des données personnelles de plusieurs de nos collaborateurs, captant ainsi illicitement et sans aucun droit des éléments stratégiques du coeur de l'activité de WEAVE, sans compter la confidentialité qui s'attache aux différents documents que vous avez téléchargés.

Ces faits sont d'une toute particulière gravité, et nous amènent, compte tenu de l'absence de toute explication, à prendre en outre toutes mesures de sauvegarde de nos droits.

Nous nous préservons en tout cas tous nos droits à recours et à vous demander dédommagement des préjudices encourus par la société et des frais que votre attitude et votre silence engendrent.

Ces faits constituent une violation grave de vos engagements de loyauté à l'égard de l'entreprise et laissent supposer en outre, faute de la moindre explication de votre part, une intention malveillante. En toute hypothèse, la sortie de tels fichiers, à raison de leur nature et de leur nombre, est en toute hypothèse un manquement particulièrement grave aux obligations et responsabilités d'un cadre de haut niveau.

Ces faits rendent impossible le maintien dans l'entreprise'.

La faute invoquée par l'employeur se subdivise ainsi en trois éléments : la captation des fichiers comportant des éléments confidentiels et des documents sensibles, l'absence d'explications données par le salarié, et la sortie de ces fichiers de l'entreprise.

- Les téléchargements.

La réalité du téléchargement d'environ 800 fichiers sur l'ordinateur portable mis à sa disposition n'est pas contestée par le salarié.

Toutefois, il est constant que ces documents étaient accessibles à tous les salariés sur le site intranet de la société. Le livret d'accueil remis aux salariés lors de leur arrivée dans la société présente le contenu de ce site (toutes les propositions commerciales, le CV des consultants, les références de missions (business cases), les expériences des consultants et les compétences qu'ils ont développées). Il expose ensuite que ces documents doivent permettre aux salariés et à l'entreprise de conserver la trace des différentes missions, et de détenir des modèles de conception et des exemples de problématiques déjà traitées. Monsieur [B] précise dans son audition devant les services de police que même les stagiaires avaient accès à l'ensemble de cette documentation.

L'employeur, qui ne conteste pas que l'ensemble des documents téléchargés a bien été trouvé sur ce site d'information accessible à tous, n'explique pas comment des documents confidentiel, se seraient retrouvés sur ce site ; à supposer établi ce caractère confidentiel, l'employeur aurait alors fait preuve de la plus grande légèreté, dès lors qu'aucune note, aucune charte, aucun règlement intérieur n'attire l'attention des salariés sur l'éventuelle confidentialité, voire sensibilité de certains documents.

Devant les services de police, Monsieur [B] s'explique en détails sur le caractère 'massif' de ce téléchargement en indiquant : 'Comme j'étais souvent en déplacement professionnel, je profitais des rares occasions de présence au siège pour télécharger sur mon ordinateur portable professionnel des documents de travail pour les consulter tranquillement dans ma chambre d'hôtel lors de mes missions.

Je faisais donc des téléchargements globaux pour perdre de moins de temps possible sans regarder quels documents je téléchargeais, je faisais le tri ensuite, la preuve, c'est que sur tous les documents téléchargés, j'ai dû en supprimer 80 %.

L'employeur n'apporte aucun démenti à Monsieur [B] lorsque ce dernier affirme avoir déjà procédé par le passé à des téléchargements de même ampleur sans que cela ait posé la moindre difficulté. Il convient de souligner à cet égard que l'employeur ayant repris possession de l'ordinateur, il est seul à pouvoir confirmer ou démentir cette information, et qu'il est en outre à même de vérifier si ces téléchargements antérieurs avaient fait l'objet d'une quelconque divulgation.

Il convient en outre de relever que la thèse présentée par Monsieur [B] pour expliquer ces téléchargements est parfaitement crédible, et, contrairement à ce qui a été soutenu, compatible avec la chronologie du dossier. En effet, il ressort des pièces produites par les parties que les échanges de courriel avec Monsieur [S] (le prospect que Monsieur [B] devait rencontrer le 21 janvier), ont commencé le 12 janvier, soit la veille du premier des téléchargements litigieux. En outre, Monsieur [S] atteste qu'il avait bien été démarché, afin de lui présenter la nouvelle offre système d'information et offre banque assurance WEAVE. Cet attestation permet en outre de démentir que les documents téléchargés, dans le domaine bancaire essentiellement, aient été sans rapport avec le secteur d'activité de Monsieur [B], étant précisé que ce dernier est déjà intervenu dans le domaine des assurances, notamment à l'occasion d'un contrat intéressant les MMA.

- L'absence d'explications

La lettre de licenciement place cette absence d'explication au centre de la motivation du licenciement. Toutefois, l'employeur procède par affirmation lorsqu'il indique que le salarié n'aurait donné aucune explication le 23 janvier, lors de la première convocation, et il ne fournit aucune pièce pour en attester, étant souligné que Monsieur [B] de son côté affirme qu'il s'est expliqué immédiatement sur les motifs de ces téléchargements.

Deux jours plus tard le salarié a écrit pour attester sur l'honneur qu'il n'avait fait aucune utilisation extra professionnelle de ces fichiers.

L'employeur ne peut pas sérieusement faire grief au salarié de ne pas s'être expliqué lors de l'entretien préalable, alors que bien qu'ayant été avisé la veille de ce que ce dernier était en arrêt de travail sans autorisation de sortie, il a néanmoins maintenu la date de l'entretien préalable, ne permettant pas à Monsieur [B] de s'expliquer, et ne l'invitant pas non plus à donner des explications par écrit. Il convient de souligner à cet égard que compte tenu de la mise à pied conservatoire et de la 'saisie' de l'ordinateur, il n'y avait aucune urgence à prononcer le licenciement.

L'employeur n'a pas non plus laissé au salarié le temps de lui écrire pour s'expliquer avant de prendre sa décision, dès lors que la lettre de licenciement a été adressée trois jours après la date prévue pour l'entretien. Monsieur [B] n'avait dès lors plus d'autre possibilité que de saisir le Conseil de Prud'hommes, juridiction devant laquelle il a été à même de fournir de manière précise et par écrit ses explications.

- L'utilisation des fichiers.

Il est constant que dès lors que Monsieur [B] a téléchargé les fichiers litigieux sur un ordinateur portable qu'il emmenait chez lui, ces derniers sont sortis de l'entreprise. Toutefois, alors même que le téléchargement a commencé dix jours avant que l'ordinateur de Monsieur [B] ne lui soit repris, force est de constater que l'expert informaticien qui l'a examiné a pu constater qu'aucun fichier n'avait été adressé à des tiers. Aucun courriel suspect laissant penser que le salarié pourrait avoir des contacts contraires aux intérêts de son employeur n'a été trouvé.

Ainsi rien ne permet de retenir que Monsieur [B] ait souhaité détourner ces fichiers pour des motifs personnels, ainsi qu'il est affirmé par l'employeur, et qu'il ait eu l'intention de concurrencer la société WEAVEMANAGEMENT, cette dernière se contentant à ce égard d'émettre des suppositions.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que le licenciement de Monsieur [B] était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- Sur les demandes

- En l'absence de licenciement pour faute grave, la période de mise à pied doit être rémunérée, et le jugement sera confirmé sur le principe comme sur le quantum, non contesté, de cette demande, soit 3.331,68 euros outre 333,17 euros au titre des congés payés afférents.

- Le quantum des indemnités de préavis (20.625 euros outre 2.062,50 euros au titre des congés payés) et de licenciement (19.492,68 euros) ne font pas l'objet de contestations, et sont établis par les pièces produites, de sorte que le jugement sera également confirmé sur ces différents points.

- Le montant alloué par le Conseil de Prud'hommes au titre des congés payés, soit la somme de 11.337,67 euros est justifié par les mentions portées sur le dernier bulletin de paie de Monsieur [B], et pas le décompte précis qu'il présente. Il y a lieu à confirmation de ce chef.

- Monsieur [B] sollicite l'attribution d'une prime de 7.500 euros au titre de l'année 2008, conforme à celle qu'il avait perçue pour l'année 2007.

Il n'est pas contesté par l'employeur qu'un 'bonus' est versé chaque année au salarié, dont il est fait état dans le livret d'accueil de la société qui stipule que la rémunération est composée d'une partie fixe, le salaire mensuel, et d'une partie variable composée :

- d'un variable collectif tributaire des objectifs de l'entité déterminés en début d'année, lequel est fixe et lié au niveau de séniorité du consultant.

- d'un variable individuel tributaire des objectifs personnels déterminés en début d'année, lequel est relatif à la réalisation des objectifs.

Il est précisé que les primes ne sont dues qu'aux personnes présentes avant le31 décembre de l'année de référence et sont distribuées en mars.

Il résulte de ces éléments que Monsieur [B] est fondé à solliciter le paiement d'une prime annuelle, dont le montant, compte tenu de son évaluation du salarié pour l'année 2008, démontrant qu'il a donné entière satisfaction à son employeur, sera fixé à 7.500 euros, comme l'année précédente.

Ce montant est forfaitaire, et n'ouvre pas droit à l'allocation d'une indemnité de congés payés complémentaire.

- Le salarié a plus de deux ans d'ancienneté, et l'entreprise compte plus de dix salariés. Dans ces conditions, aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

En l'espèce, Monsieur [B] était âgé de 43 ans lorsqu'il a été licencié, et il avait plus de sept années d'ancienneté. Il ne justifie pas de ses recherches d'emploi ni de la durée de sa prise en charge par Pôle Emploi.

Compte tenu de ces éléments, le Conseil de Prud'hommes a justement fixé à 60.000 euros l'indemnité qui lui est due au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Monsieur [B] a été convoqué une première fois, avant l'entretien préalable, afin de se voir mettre à pied et retirer son ordinateur. Il justifie de l'importance du choc subi par l'arrêt de travail qui a immédiatement succédé à ces faits, et où il est mentionné l'existence d'une dépression réactionnelle suite à un conflit de travail. Il a été licencié ensuite pour faute grave, l'employeur ayant clairement mis en cause non seulement sa loyauté, mais également son honnêtetéet en le faisant entendre par les services de police.

Compte tenu de ces circonstances et du préjudice subi, il lui sera alloué une somme de 7.000 euros à titre de dommages et intérêts.

*

La société WEAVE MANAGEMENT, qui ne justifie d'aucune faute du salarié dans l'exercice de son droit d'agir en justice, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [B] la totalité des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés en cause d'appel.

Il lui sera alloué une somme complémentaire de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

*

Les conditions de l'article 1154 étant réunies, la capitalisation des intérêts sera ordonnée à compter de la date à laquelle la demande a été formée, soit le 30 novembre 2012.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a fait droit à la demande de congés payés sur la rémunération variable 2008, et débouté Monsieur [B] de sa demande de dommages et intérêts.

Statuant à nouveau sur ces points :

Déboute Monsieur [B] de sa demande de congés payés sur la prime de l'année 2008.

Condamne la société WEAVEMANAGEMENT à payer à Monsieur [B] une somme de 7.000 euros de dommages et intérêts au titre du caractère vexatoire du licenciement.

Ajoutant au jugement,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter du 30 novembre 2012.

Condamne la société WEAVEMANAGEMENT à payer à Monsieur [B] une somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamne la société WEAVEMANAGEMENT aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 11/03303
Date de la décision : 24/01/2013

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°11/03303 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-01-24;11.03303 ?
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