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28/03/2013 | FRANCE | N°11/18245

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 28 mars 2013, 11/18245


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 7



ARRÊT DU 28 MARS 2013



(n° 43, 35 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 2011/18245



Décision déférée à la Cour : sur renvoi après cassation d'un arrêt rendu le 1er mars 2011 par la chambre Commerciale, Financière et Economique de la Cour de cassation, ayant cassé et annulé dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembr

e 2009 par la cour d'appel de PARIS (Pôle 5 - Chambre 5-7), ayant statué sur les recours formés contre la décision n° 08-D-30 du 04 décembre 2008 du CONSEIL DE ...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 28 MARS 2013

(n° 43, 35 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 2011/18245

Décision déférée à la Cour : sur renvoi après cassation d'un arrêt rendu le 1er mars 2011 par la chambre Commerciale, Financière et Economique de la Cour de cassation, ayant cassé et annulé dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 2009 par la cour d'appel de PARIS (Pôle 5 - Chambre 5-7), ayant statué sur les recours formés contre la décision n° 08-D-30 du 04 décembre 2008 du CONSEIL DE LA CONCURRENCE ;

DEMANDERESSES à la SAISINE :

- La société DES PÉTROLES SHELL (SPS)

prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est : [Localité 4]

Elisant domicile au cabinet de Maître FISSELIER & Associés

[Adresse 3]

assistée de :

- la SCP FISSELIER & Associés

avocats associés au barreau de PARIS,

toque : L0044

[Adresse 3]

- Maître [X] [Z] et Maître Patrick HUBERT

avocats au barreau de PARIS

toque K 112

CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP

[Adresse 12]

- La société CHEVRON PRODUCTS COMPANY

au nom de la division Aviation, anciennement CHEVRON GLOBAL AVIATION

prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est : [Adresse 1]

Elisant domicile au cabinet de Maître FISSELIER & Associés

[Adresse 3]

assistée de :

- la SCP FISSELIER & Associés

avocats associés au barreau de PARIS,

toque : L0044

[Adresse 3]

- Maître Estelle JEGOU et Maître Sergio SORINAS

avocats au barreau de PARIS

HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP

[Adresse 11]

- La société TOTAL OUTRE-MER, S.A.

prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est : [Adresse 15]

Elisant domicile au cabinet de Maître TEYTAUD

[Adresse 10]

assistée de

- Maître François TEYTAUD,

avocat au barreau de PARIS,

toque : J125

[Adresse 10]

- Maître Philippe RINCAZEAU,

avocat au barreau de PARIS,

toque : P134

SCP RAMBAUD-MARTEL

[Adresse 6]

- La société TOTAL RÉUNION, S.A.

prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est : [Adresse 5]

Elisant domicile au cabinet de Maître TEYTAUD

[Adresse 10]

assistée de :

- Maître François TEYTAUD,

avocat au barreau de PARIS,

toque : J125

[Adresse 10]

- Maître Philippe RINCAZEAU,

avocat au barreau de PARIS,

toque : P134

SCP RAMBAUD-MARTEL

[Adresse 6]

- La société ESSO, S.A.F.

prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est : [Adresse 8]

Elisant domicile chez HOGAN LOVELLS LLP

[Adresse 9]

assistée de Maître Ombline ANCELIN et Maître Pierre de MONTALEMBERT

avocats au barreau de PARIS,

toque : J033

HOGAN LOVELLS ([Localité 3]) LLP

[Adresse 9]

DÉFENDERESSE AU RECOURS

- La société AIR FRANCE, S.A.

prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est : [Adresse 7]

élisant domicile au cabinet de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE

[Adresse 4]

assistée de :

- la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE

avocats associés au barreau de PARIS

[Adresse 4]

- Maître [O] [B] et Maître Xavier DESNOS,

avocats au barreau de PARIS

SELAS de Gaulle, Fleurance et Associés

[Adresse 13]

EN PRÉSENCE DE :

- L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

[Adresse 2]

représenté à l'audience par M. [C] [Y], muni d'un pouvoir

- M. LE MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU COMMERCE EXTÉRIEUR

D.G.C.C.R.F

[Adresse 14]

[Localité 3]

représenté à l'audience par M. [D] [X], Directeur fonctionnel, muni d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 novembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

- Mme Pascale BEAUDONNET, Conseillère faisant fonction de présidente

- Mme Brigitte CHOKRON, Conseillère

- M. Christian FAUQUÉ, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. François VAISSETTE, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Pascale BEAUDONNET, présidente et par M. Benoît TRUET-CALLU, greffier.

* * * * * * * *

La société Air France a, en janvier 2003, saisi le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence (ci-après le Conseil, l'Autorité ou l'ADLC) d'une plainte faisant état d'un déroulement anormal de l'appel d'offres qu'elle avait lancé en septembre 2002 pour la fourniture estimée de ses besoins en carburéacteur destiné à l'approvisionnement de ses avions en 2002/2003 sur son escale à l'aéroport international de [Localité 5] de la Réunion, soit 90 000 m3.

Air France indiquait suspecter un accord de répartition de marché entre les compagnies pétrolières ayant répondu à son appel d'offres.

Elle précisait :

- que les prix offerts par les sociétés Exxon, Total, Shell et Chevron Texaco au premier tour de son appel d'offres étaient très supérieurs à ceux de l'année précédente et que, pour la première fois depuis qu'elle organisait ces appels d'offres, elle ne disposait d'aucune marge de manoeuvre pour faire jouer la concurrence sur les prix puisque la somme des quantités proposées par les compagnies pétrolières correspondait exactement à son besoin global, de sorte qu'elle n'était pas en mesure de discuter les offres desdites compagnies en menaçant de diminuer leur volume,

- que les tours suivants de l'appel d'offres n'avaient pas fait évoluer la situation de façon significative, les prix et les volumes finals restant proches des offres initiales,

- qu'à la fin de l'appel d'offres, le montant du différentiel qui lui était proposé était de 30 % supérieur à celui de 2001, soit une hausse très importante et en rupture au regard de la diminution continue du différentiel enregistré depuis 1996.

Sur cette plainte, une première enquête a été demandée le 25 mars 2003 par le rapporteur général du Conseil et diligentée par la DGCCRF en août 2003 sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce, et s'est déroulée à la Réunion au sein de deux groupements d'intérêts économiques (GEIAG et GPAG), chez Total Réunion et Shell, ainsi qu'auprès d'Air Total International et Shell à la Défense. Les résultats de cette enquête ont été transmis le 14 novembre 2003.

Les sièges de certaines sociétés ayant négocié l'appel d'offres litigieux étant situés au Royaume-Uni, le rapporteur général du Conseil a par lettre du 4 décembre 2004 demandé, sur le fondement de l'article 22, paragraphe 1, du Règlement n° 1/2003 du Conseil de la Communauté européenne, au directeur général de l'Office of Fair Trading (OFT), Autorité nationale de concurrence du Royaume-Uni, son assistance dans la recherche de preuves.

Une seconde enquête a été menée au Royaume-Uni par l'OFT, en présence de trois rapporteurs du Conseil, des visites domiciliaires ayant lieu le 14 avril 2005 au siège des sociétés Shell Aviation Ltd, ExxonMobil International abritant ExxonMobil International Aviation Ltd et Chevron Texaco Limited abritant Chevron Texaco Global Aviation.

Sur la base des éléments recueillis par l'instruction, trois griefs ont été notifiés le 11 avril 2006 à plusieurs entreprises, dont le grief n° 2 adressé :

"Aux sociétés Exxon Mobil et ses filiales, Esso Réunion, Exxon Mobil aviation International et Esso SAF, à la Société des Pétroles Shell, à Chevron USA Inc et à ses filiales, Chevron Texaco Global international devenue Chevron Products Company et Caltex Réunion, ainsi qu'à la société Total SA et ses filiales, Air Total International, Total France Total Outre Mer et Total Réunion, de s'être concertées pour fausser le jeu de la concurrence lors de l'appel d'offres lancé par Air France en 2002 pour l'approvisionnement en kérosène de ses avions sur l'escale de la Réunion en 2002/2003, notamment pour limiter les quantités de kérosène offertes à Air France et pour augmenter les prix. Ces pratiques sont prohibées par l'article 81 du Traité CE et l'article L. 420-1 du code de commerce ".

Seul ce 2ème grief a été retenu par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 (ci-après la Décision), dont le dispositif est le suivant:

- Article 1er : Il est établi que les entreprises Total Outre Mer, Total Réunion, Chevron Global Aviation, Shell SPS et Esso SAF ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE en faussant la concurrence entre elles lors de l'appel d'offres organisé par Air France en 2002 pour la fourniture en carburéacteur de son escale à la Réunion.

- Article 2 : Les autres griefs notifiés ne sont pas établis.

- Article 3 : Il est infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

' à la société Total Réunion une sanction de 5,5 millions d'euros ;

' à la société Total Outre Mer une sanction de 4,4 millions d'euros ;

' à l'entreprise Chevron Products Company, venant aux droits de Chevron Global Aviation, une sanction de 10 millions d'euros.

' à la société Shell SPS une sanction de 10, 5 millions d'euros ;

' à la société Esso SAF une sanction de 10,7 millions d'euros. »

L'Article 4 prévoit à la charge de ces entreprises des obligations de publication d'un résumé de la décision.

Les cinq sociétés sanctionnées ont introduit les 11 et 12 février 2009 un recours en annulation et/ou réformation de la Décision devant la cour d'appel de Paris.

La société Air France a déposé le 12 février 2009 une déclaration d'intervention à la procédure.

Par arrêt du 24 novembre 2009, la cour d'appel, qui a rejeté les moyens des requérantes tendant à l'irrecevabilité de l'intervention d'Air France, a rejeté les recours formés par les cinq requérantes, sauf sur le contenu de la publication, un nouveau texte de communiqué étant rédigé.

Sur pourvois formés par les cinq entreprises concernées, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a, par arrêt du 1er mars 2011, cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel du 24 novembre 2009.

Après avoir rejeté les moyens présentés par les demanderesses aux pourvois qui soutenaient que l'arrêt attaqué n'avait pas caractérisé l'affectation par les pratiques en cause du commerce intracommunautaire, la Cour de cassation a accueilli deux séries de moyens des pourvois :

- la première concerne les dispositions de l'arrêt admettant la recevabilité de l'intervention volontaire de la société Air France. Il est reproché à la cour d'appel d'avoir violé par fausse interprétation les dispositions de R. 464-12, 2° et R. 464-17 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;

- la seconde concerne les dispositions de l'arrêt ayant estimé sensible l'affectation du commerce intracommunaire. Il est reproché à la cour d'appel de s'être déterminée par des motifs insuffisants à établir le caractère sensible de l'affectation du commerce entre Etats membres.

Sans statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour de cassation a cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 novembre 2009 et a renvoyé la cause et les parties devant la même cour, autrement composée.

LA COUR

Vu la décision n° 08-D-30 du Conseil de la concurrence du 4 décembre 2008 (la Décision) ;

Vu l'arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 1er mars 2011, publié au Bulletin n° 29 ;

Vu la déclaration de saisine et les mémoires déposés par la société Esso SAF (Esso) les 22 novembre 2011 et en réplique le 11 octobre 2012 ;

Vu la déclaration de saisine et les mémoires déposés de la société Chevron Products Company (anciennement Chevron Global Aviation, et ci-après Chevron) le 7 novembre 2011 et récapitulatif et en réplique du 11 octobre 2012 ;

Vu la déclaration de saisine et les mémoires déposés par la société des Pétroles Shell (Shell) le 12 octobre 2011 et en réplique le 11 octobre 2012 ;

Vu la déclaration de saisine et les mémoires déposés par la société Total Outre-Mer les 22 décembre 2011 et 11 octobre 2012 ;

Vu la déclaration de saisine et les mémoires déposés par la société Total Réunion le 21 décembre 2011 et en réplique le 11 octobre 2012 ;

Vu l'intervention de la société Air France par mémoire du 30 mars 2012 et son mémoire récapitulatif du 29 octobre 2012 ;

Vu les observations du Ministre de l'économie déposées le 26 juin 2012 ;

Vu les observations de l'ADLC déposées le 28 juin 2012 ;

Vu les observations du Ministère Public, mises à disposition des parties avant l'audience ;

Ayant entendu à l'audience publique du 22 novembre 2012, en leurs observations orales, le conseil de l'intervenante, les conseils des requérantes qui ont été mis en mesure de répliquer et qui ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du Ministre chargé de l'économie et le Ministère Public ;

SUR CE

Sur la recevabilité de l'intervention de la société Air France

Considérant que les sociétés Chevron et Shell prient la cour de déclarer irrecevable l'intervention de la société Air France et par voie de conséquence toutes les conclusions déposées par cette société ; qu'à l'appui de cette demande, la société Shell rappelle que, conformément à l'article 631 du code de procédure civile, l'instruction devant la juridiction de renvoi est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation et soutient que la société Air France reste devant cette cour intervenante volontaire en vertu de son intervention du 12 février 2009 qui, conformément à l'arrêt de la Cour de cassation du 1er mars 2011, n'est pas recevable ;

Considérant que la société Air France, qui conteste l'interprétation par l'arrêt du 1er mars 2011 des dispositions combinées des articles R.464-12 et R.464-17 du code de commerce, soutient qu'en toute hypothèse, elle a respecté les dispositions de l'article R.464-17 du code de commerce;

Considérant qu'aux termes de l'article R.464-17 du code de commerce : 'Lorsque le recours risque d'affecter les droits ou les charges d'autres personnes qui étaient parties en cause devant l'Autorité de la concurrence, ces personnes peuvent se joindre à l'instance devant la cour d'appel par déclaration écrite et motivée déposée au greffe dans les conditions prévues à l'article R. 464-12 dans le délai d'un mois après la réception de la lettre prévue à l'article R. 464-14.'

Considérant qu'en l'espèce, à la suite des recours déposés les 11 et 12 janvier 2009 contre la Décision par les sociétés requérantes - qui ont, dans les cinq jours suivant le dépôt de leur déclaration de recours, adressé à la société Air France copie de cette déclaration conformément aux dispositions de l'article R. 464-14 du même code, la société Air France s'est jointe à l'instance par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel le 12 février 2009 ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient cette société, son intervention ne peut être qualifiée d'intervention volontaire accessoire au sens de l'article 330 du code de procédure civile; qu'il s'agit d'une intervention volontaire par jonction à l'instance au sens de l'article R.464-17 du code de commerce formée par une société qui était partie en cause devant le Conseil qu'elle avait elle-même saisi en invoquant des pratiques anticoncurrentielles reprochées aux compagnies pétrolières ;

Considérant que la déclaration de la société Air France du 12 février 2009 comporte l'identification de l'intervenante et énonce l'objet de son intervention : 'la compagnie Air France entend solliciter la confirmation de la décision, dont l'annulation ou la réformation risque d'affecter ses droits ou ses charges'; que cette déclaration d'intervention est ainsi motivée : 'le conseil a fait une exacte appréciation des circonstances de fait au regard des textes applicables en la cause, Air France se réservant de préciser ultérieurement les moyens à l'appui de son intervention' ;

Considérant que l'intervenante, qui a fait référence à la décision du Conseil dont la motivation était connue de toutes les requérantes, a ainsi précisé approuver tant en fait qu'en droit la motivation de cette décision ; qu'il ne peut être soutenu que sa déclaration d'intervention n'était pas motivée au sens de l'article R.464-17 du code de commerce ;

Qu'il en résulte que la réserve de l'intervenante relative à la précision ultérieure de 'moyens à l'appui de son intervention' ne peut être interprétée comme une référence à l'article R. 464-12, 2° du code de commerce qui ne trouve application que lorsque la déclaration ne comporte pas les motifs de l'intervention, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que cette réserve ne peut être comprise que comme l'indication que l'intervenante entendait conclure à nouveau et ce, au surplus, d'autant plus que les délais dans lesquels les entreprises sanctionnées ayant formé un recours contre la décision du Conseil devaient exposer leurs moyens n'étaient pas expirés à la date de l'intervention;

Que l'intervention de la société Air France est par conséquent recevable ;

Sur la recevabilité des conclusions du 29 octobre 2012 de la société Air France

Considérant que, par mémoires déposés les 19 et 20 novembre 2012, toutes les requérantes prient la cour de dire irrecevable le mémoire récapitulatif déposé par Air France le 29 octobre 2012;

Qu'elles rappellent les termes de l'ordonnance du 31 janvier 2012 :

- arrêtant le calendrier de procédure suivant : mémoire Air France au plus tard le 30 mars 2012, Ministre de l'économie et ADLC au plus tard le 29 juin 2012, tous les mémoires en réplique au plus tard le 11 octobre 2012,

- prévoyant une réunion le 30 octobre 2012 'pour examiner l'état de la procédure et organiser la poursuite de l'instance', 'la présente ordonnance valant convocation à cette réunion' ;

- précisant que l'audience de plaidoiries se tiendra le 22 novembre 2012 ;

Qu'elles soutiennent que le mémoire déposé par Air France le 29 octobre 2012 n'est pas recevable car il est postérieur à la date du 11 octobre fixée par l'ordonnance sus-rappelée ;

Considérant qu'ainsi qu'il résulte des 'visas' ci-dessus, Air France a, le 30 mars 2012, déposé son mémoire en réponse à ceux déposés par les compagnies pétrolières respectivement les 12 octobre, 7 et 22 novembre et 21 et 22 décembre 2011 ; que le Ministre et l'ADLC ont respectivement déposé leurs observations les 26 et 28 juin 2012 ; que les compagnies pétrolières ont déposé leurs mémoires en réplique respectifs le 11 octobre 2012 ; que le 29 octobre 2012, Air France a déposé un mémoire dit 'récapitulatif';

Considérant que force est de constater :

- d'une part, qu'aucune des requérantes n'a, lors de la réunion sus-visée du 30 octobre 2012, émis de réserves suite au mémoire en réplique déposé par Air France le 29 octobre, ni précisé entendre se réserver la possibilité d'y répliquer, étant rappelé que cette réunion, qui avait justement pour objet d'examiner l'état de la procédure et d'organiser la poursuite de l'instance, ne saurait être comparée à une réunion destinée au prononcé d'une ordonnance de clôture, une telle ordonnance n'étant pas prévue dans les procédures de recours contre les décisions de l'ADLC ;

- d'autre part, qu'aucune des requérantes ne fait état d'une violation du principe du contradictoire ;

- enfin et au surplus, que si les requérantes avaient invoqué ce principe, elles n'auraient pu être suivies alors qu'elles ont été mises en état de prendre rapidement connaissance des quelques ajouts, signalés dans le corps du texte, apportés par Air France le 29 octobre à ses précédentes écritures, alors qu'ainsi qu'il a été dit, elles n'ont émis aucune contestation lors de la réunion des parties du 30 octobre organisée en présence du magistrat et alors, en toute hypothèse qu'elles disposaient le 29 octobre d'un délai suffisant pour, si elles l'estimaient nécessaire, répliquer à nouveau avant l'audience de plaidoiries prévue le 22 novembre et ce, en respectant elles-mêmes la contradiction ;

Que le 'mémoire récapitulatif' déposé par Air France le 29 octobre 2012 est recevable;

Sur l'application du droit de l'Union

Considérant que les sociétés requérantes soutiennent que l'article 81 du Traité CE (devenu l'article 101 du TFUE) n'est pas applicable, aucun des trois critères cumulatifs d'application du droit de l'Union n'étant en l'espèce rempli dès lors qu'il n'existe pas d'échanges entre Etats membres portant sur les produits faisant l'objet de la pratique en cause et que cette pratique n'affecte pas, et en toute hypothèse pas de façon sensible, le commerce entre Etats membres ;

Qu'elles font, en premier lieu, valoir qu'il n'existe pas d'échanges entre Etats membres portant sur les produits objet de la pratique ; que le marché de la fourniture de carburéacteur à la Réunion est un marché local de fourniture à Air France sur l'île de la Réunion, soit sur une partie d'un Etat membre, de carburant provenant de raffineries situées hors de l'Union européenne, peu important, pour décider de l'applicabilité du droit communautaire, que les offreurs de carburant soient implantés dans des pays de l'Union européenne ; que le transport aérien de passagers n'est pas l'objet de la pratique alléguée et qu'en tout état de cause, le marché prétendument connexe de transport de passagers vers la Réunion n'est pas 'par nature' un lieu d'échanges entre Etats membres car la seule destination européenne desservie par Air France au départ de la Réunion où les touristes européens sont essentiellement originaires de France, est la France, seul Etat membre concerné ;

Qu'elles font, en deuxième lieu, valoir que l'affectation du commerce entre Etats membres n'est pas caractérisée s'agissant d'une entente horizontale entre filiales de multinationales sur un marché local ; que cette pratique n'est pas par nature susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres sur le marché de la fourniture à Air France de carburéacteur à la Réunion alors qu'il s'agit d'une pratique locale, limitée à une partie du territoire de la Réunion, peu important l'implantation des entreprises en cause ; que la pratique n'est pas susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres sur le marché du transport aérien de passagers entre la Réunion et la métropole ; que l'affectation du prix du billet d'avion ne peut qu'être indirecte car le produit concerné par la pratique est le carburéacteur et qu'elle est sans incidence sur l'activité transfrontalière d'Air France qui n'utilise le carburéacteur avitaillé à la Réunion que pour ses vols au départ de la Réunion vers la France métropolitaine ; qu'en outre, si l'affectation du prix du billet était établie, elle serait très faible car seul le 'différentiel'aurait pu être affecté par la pratique ; que l'incidence des pratiques sur ce dernier marché est hypothétique et spéculative ;

Qu'elles soutiennent, en troisième lieu, qu'à la supposer établie, l'affectation du commerce entre Etats membres n'est pas sensible ; qu'elles font notamment valoir que les arrêts de la Cour de cassation du 1er mars 2011 et du 31 janvier 2012 font l'un et l'autre application, dans des situations différentes, des critères d'appréciation du caractère sensible de l'affectation du commerce entre Etats membres énoncés par les lignes directrices en cas d'accords ne couvrant qu'une partie d'un Etat membre ; qu'en effet, le second arrêt concerne principalement des pratiques d'abus de position dominante qui sont cumulées à des ententes, ce qui impose une analyse multi-critères, alors que, dans la présente affaire relative à une entente et ayant donné lieu au premier arrêt, les points 90, 92 et 30 des lignes directrices conduisent à faire application d'un critère principal (dit du ratio : rapport entre le volume des ventes affectées et le volume national des ventes) et d'un critère complémentaire tiré de l'atteinte à une partie substantielle du marché commun ; que ces deux critères applicables en matière d'entente sur une partie d'un Etat membre ne sont en l'espèce pas satisfaits ; que, s'agissant du critère principal, le volume des ventes de carburéacteur à Air France à l'aéroport de la [1] par les sociétés du 1er novembre 2002 au 31 octobre 2003 (71 827 tonnes) n'a représenté que 1,24% du volume de vente global de carburéacteur en France et le nombre de passagers Air France au départ de [Localité 2] que 0,15% à 0,18% du nombre de passagers aériens en France ; que, s'agissant du critère complémentaire, l'entente alléguée n'a pu avoir pour effet d'empêcher des concurrents d'avoir accès à une partie d'Etat membre alors, d'une part, que les pratiques ne concernent pas des importations ou des exportations et qu'aucun concurrent n'a essayé d'entrer sur le marché en 2002/2003 et alors, d'autre part, que la Réunion (2 512 km², et en 2003, 763 200 habitants et un PIB représentant 0,7% du PIB français) et son aéroport (en 2003 : 1 464 629 passagers et 25 494 tonnes de fret) ne peuvent être considérés comme une partie substantielle du marché commun ; qu'elles ajoutent que les autres critères visés par l'ADLC, le Ministre et Air France ne permettent pas d'établir le caractère sensible de l'affectation ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 81, paragraphe 1, du Traité CE, devenu l'article 101, paragraphe 1, du TFUE : 'Sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises, et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.'

Considérant que le critère d'affectation du commerce, qui conditionne l'application de ce texte, a été explicité par les juridictions communautaires ; que les 'lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité', ci-après les lignes directrices ou LD (Communication de la Commission 2004/C 101/07, JOUE du 27 avril 2004) ont notamment pour objet d'exposer les principes dégagés jusqu'à cette date par lesdites juridictions, étant rappelé que ces LD (n° 4 et 16) n'abordent pas la question de 'ce qui constitue une restriction sensible du jeu de la concurrence' (traitée par la Communication concernant les accords d'importance mineure) qui est une question 'distincte de la capacité d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres'; que les LD présentent, pour l'application de la notion d'affection du commerce, une 'méthodologie'à laquelle s'est à juste titre référée la Décision ;

Considérant qu'il doit, en outre, être tenu compte dans le cadre du présent recours, des observations versées aux débats, qui ont été présentées par la Commission européenne en tant qu' 'amicus curiae' à la Cour de cassation dans une affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Chambre commerciale, financière et économique de cette Cour du 31 janvier 2012 (B. 16) discuté par les requérantes ;

Considérant qu'il doit également être rappelé que 'le critère de l'affectation du commerce est un critère autonome du droit communautaire qu'il convient d'apprécier séparément dans chaque cas' ; qu'il définit le champ d'application du droit communautaire de la concurrence qui n'est pas applicable aux accords et pratiques qui ne sont pas susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres (lignes directrices n° 12) ; qu'il en résulte que l'analyse ne peut être menée par analogie avec d'autres décisions rendues dans des situations qui ne sont pas en tous points analogues;

Considérant que les lignes directrices (n° 18) précisent que 'l'application du critère de l'affectation du commerce impose d'aborder plus particulièrement trois éléments a) la notion de 'commerce entre Etats membres', b) la notion de 'susceptible d'affecter', c) la notion de caractère sensible'; que cette approche est suivie par les parties ;

Considérant que s'agissant, en premier lieu, de 'la notion de 'commerce entre Etats membres'', il est fait référence à la jurisprudence exposée aux n° 19 à 22 des lignes directrices ainsi rédigés :

'19. La notion de «commerce» n'est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l'établissement. Cette interprétation concorde avec l'objectif fondamental du traité consistant à favoriser la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux.

'20. D'après une jurisprudence constante, la notion de «commerce» englobe aussi les cas où des accords et pratiques affectent la structure de la concurrence sur le marché. Ainsi, les accords et pratiques qui affectent cette structure à l'intérieur de la Communauté en éliminant ou en menaçant d'éliminer un concurrent qui y opère peuvent tomber sous le coup des règles communautaires de concurrence. Lorsqu'une entreprise est ou risque d'être éliminée, la structure de la concurrence au sein de la Communauté est affectée, comme le sont les activités économiques que poursuit cette entreprise.

'21. La condition de l'existence d'une affectation du commerce «entre États membres» suppose qu'il doit y avoir une incidence sur les activités économiques transfrontalières impliquant au moins deux États membres. Il n'est cependant pas indispensable que l'accord ou la pratique affectent le commerce entre l'ensemble d'un État membre et l'ensemble d'un autre État membre. En effet, les articles 81 et 82 sont également applicables dans des cas concernant une partie d'un État membre, à condition toutefois que l'affectation du commerce soit sensible.

'22. L'application du critère de l'affectation du commerce est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause, car le commerce entre États membres peut également être affecté dans des cas où le marché en cause est national ou subnational.'

Considérant que la notion de commerce ainsi définie vise les échanges de produits et ceux de services ; que sont, en l'espèce, concernés tant les échanges concernant le carburéacteur que ceux, connexes auxquels ces échanges sont destinés, à savoir les services de transports aériens ;

Considérant que la Décision retient exactement qu'en l'espèce, les échanges entre Etats membres concernent :

- non seulement le marché direct de la vente de carburéacteur dont le fonctionnement est décrit par la Décision (n° 29 et suivants) ; que les offreurs sur les marchés sur appel d'offres organisés par Air France pour son escale de la Réunion sont des entreprises internationales dont les filiales en charge des appels d'offres ont leur siège dans différents pays de l'Union dont la France et le Royaume-Uni, étant observé que sur l'appel d'offres de 2002 en cause, trois des entreprises qui ont soumissionné avaient leur siège à Londres ou dans sa proche banlieue ; qu'en outre, l'achat du carburéacteur fourni sur l'île de la Réunion est, selon un accord entre les pétroliers, effectué à tour de rôle par la société de 'trading' d'une des compagnies pétrolières qui le revend ensuite aux autres compagnies (Décision n° 33) dont trois sont établies au Royaume-Uni ;

- mais aussi le marché connexe du transport de passagers entre la Réunion et la métropole, étant observé que la Réunion est une destination touristique et que les liaisons aériennes avec l'île se faisant à partir de la France continentale sont susceptibles d'être utilisées par des voyageurs en provenance ou à destination de tout Etat membre de l'Union européenne, peu important à cet égard que les passagers en provenance et à destination d'un Etat membre autre que la France soient, de fait, très minoritaires ;

Considérant que c'est, au vu de ces éléments, à juste titre que la Décision retient qu'il existe des échanges entre Etats membres susceptibles d'être affectés par la pratique, peu important que le carburéacteur servant à l'avitaillement des avions Air France ait initialement été acquis par les compagnies pétrolières en cause auprès de pays tiers à l'Union européenne ;

Considérant que s'agissant, en deuxième lieu, de 'la notion de 'susceptible d'affecter''qui a pour rôle de 'définir la nature de l'incidence requise sur le commerce entre Etats membres, il est fait référence aux numéros 23 à 43 des lignes directrices qui présentent une synthèse de la jurisprudence communautaire ainsi qu'aux illustrations de la section 3 des mêmes LD, étant rappelé que dans ces lignes directrices, le terme 'produits' désigne les produits et les services (note 10) ;

Qu'il en résulte notamment :

- que cette notion 'suppose que l'accord en cause doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres' (n° 23) ;

-'qu'il n'est pas obligatoire que l'accord ou la pratique affecte, ou ait affecté, réellement le commerce entre États membres pour que l'applicabilité du droit communautaire soit établie. Il suffit d'établir qu'il est «de nature» à affecter le commerce entre États membres'; qu'il n'y a ni obligation ni nécessité de calculer le volume réel du commerce intracommunautaire affecté par l'accord'(n°26 et 27) ;

- que 'l'appréciation au regard du critère de l'affectation du commerce résulte de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants. Les facteurs pertinents sont la nature de l'accord ou de la pratique, la nature des produits concernés par l'accord ou la pratique, et la position et l'importance des entreprises en cause (n°28) ;

- que 'l'influence d'accords et de pratiques sur les courants d'échanges entre États membres peut être 'directe ou indirecte, actuelle ou potentielle''(n°36) ; que l'influence directe est normalement en rapport avec les produits concernés par l'accord (n°37) et qu'il n'est pas rare que l'influence indirecte soit en rapport avec des produits apparentés à ceux concernés par l'accord, mais peut être en rapport avec ces produits (n°38 et 39) ; que 'Ce qui compte, c'est la capacité de l'accord ou de la pratique d'affecter le commerce entre États membres et non de savoir si, à un moment donné, ils l'affectent réellement ; que l'intégration de l'influence indirecte ou potentielle dans l'analyse de l'affectation du commerce entre États membres ne signifie nullement que cette analyse peut reposer sur une influence éloignée ou hypothétique'.(n° 42 et 43) ;

Considérant que, si ainsi que le soulignent les requérantes, l'île de la Réunion ne représente qu'une partie du territoire national, l'application du critère de l'affectation du commerce est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause car le commerce entre États membres peut également être affecté dans des cas où le marché en cause est national ou subnational; qu'en outre, ainsi que le relève la Décision (n° 175), 'il n'existe pas de seuil quantitatif a priori permettant de déclarer que le commerce intracommunautaire n'est pas susceptible d'être affecté';

Considérant que les entreprises auxquelles il est reproché de s'être concertées pour fausser le jeu de la concurrence lors de l'appel d'offres organisé par Air France en 2002 pour la fourniture en carburéacteur de son escale à la Réunion, sont des filiales de groupes pétroliers mondiaux et possèdent des établissements dans plusieurs Etats membres de l'Union européenne ;

Considérant que le carburéacteur ainsi vendu à Air France est préalablement acquis à tour de rôle par la société de 'trading' d'une des mêmes entreprises ; qu'il est inopérant pour les requérantes d'invoquer la provenance géographique du carburéacteur qu'elles ont vendu à Air France après l'avoir, pour certaines, acquis sur un territoire de l'Union européenne (Cf Décision n°33) ;

Considérant que la pratique reprochée aux requérantes est une entente horizontale de répartition de marché entre tous les participants à un appel d'offres annuel ; qu'un tel accord aux fins de se répartir un marché et d'y réaliser un profit affecte la structure même de la concurrence ;

Considérant que si, ainsi que soutient la société Esso, aucune autre entreprise pétrolière n'avait, à l'époque des faits, manifesté la volonté de s'implanter sur l'île de la Réunion pour servir la demande des compagnies aériennes, il n'en demeure pas moins que l'entente en cause était de nature à affecter d'autres entreprises pétrolières également actives sur le territoire de l'Union européenne et susceptibles de chercher à entrer sur le marché de la fourniture de carburant à la Réunion, marché qui, ainsi que le rappelle la Décision (n° 37 à 42) s'était déjà jusqu'en 2001 ouvert à d'autres entreprises ;

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contestable que le coût du carburéacteur constitue une composante significative du prix de vente d'un billet d'avion et qu'une variation du prix du carburéacteur, produit concerné par l'entente incriminée, est donc susceptible d'avoir une incidence directe sur le prix du billet d'avion acquitté par les passagers et ce, d'autant plus lorsqu'il s'agit de vols 'longs courriers'; que sont concernés tous les passagers Air France qui font un aller-retour entre la Réunion et [Localité 3] ou, via [Localité 3], entre la Réunion et un autre pays de l'Union ;

Considérant qu'ainsi, l'entente reprochée, qui affecte directement le prix du carburéacteur vendu à Air France à la Réunion et donc celui du billet d'avion, est indirectement susceptible d'avoir une incidence sur les activités transfrontalières de la société Air France qui, de la Réunion à ou via [Localité 3], permet le transport de passagers européens, français ou non (et provenant ou retournant de ou sur l'ensemble du territoire français ou, via ce territoire, de ou sur celui d'autres Etats membres) ; que, contrairement à ce qui est soutenu, l'influence de la pratique en cause sur les courants d'échanges entre Etats membres n'apparaît ni hypothétique, ni spéculative (Cf LD n° 43) ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les requérantes ne sont pas fondées à reprocher à la Décision d'avoir retenu que l'accord en cause avait la capacité d'affecter le commerce entre Etats membres ;

Considérant que s'agissant, en troisième lieu, de 'la notion de 'caractère sensible'', il est fait référence aux lignes directrices en ce qu'elles rappellent la jurisprudence communautaire (notamment LD n° 44 à 57 et n° 89 à 92), aux observations d''amicus curiae' sus-visées et à la jurisprudence de la Cour de cassation discutée par les parties : Com 1er mars 2011 intervenu dans la présente affaire et Com 31 janvier 2012 sus-visé ;

Considérant que les Lignes directrices, dans la section 2, explicitent 'la notion de caractère sensible' en ces termes :

'44. Le critère de l'affectation du commerce intègre un élément quantitatif qui limite l'applicabilité du droit communautaire aux accords et pratiques qui sont susceptibles d'avoir des effets d'une certaine ampleur. Les accords et pratiques échappent à l'interdiction énoncée aux articles 81 et 82 lorsqu'ils n'affectent le marché que d'une manière insignifiante, compte tenu de la faible position qu'occupent les entreprises intéressées sur le marché des produits en cause... Le caractère sensible peut être évalué notamment par rapport à la position et à l'importance des parties sur le marché des produits en cause...

'45. L'appréciation du caractère sensible dépend des circonstances de chaque espèce, et notamment de la nature de l'accord ou de la pratique, de la nature des produits concernés et de la position de marché des entreprises en cause. Si les accords ou les pratiques sont, par leur nature même, susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, le seuil du caractère sensible est inférieur à celui des accords et pratiques qui ne sont pas, par leur nature même, susceptibles d'affecter ce commerce. Plus la position de marché des entreprises en cause est forte, plus il est probable qu'un accord ou une pratique susceptible d'affecter le commerce entre États membres pourra être considéré comme le faisant de façon sensible...'

Considérant que, s'agissant des accords ne couvrant qu'une partie d'un Etat membre, les Lignes directrices invoquées par les parties sont ainsi rédigées :

'89. Sur le plan qualitatif, la méthode d'appréciation des accords ne couvrant qu'une partie d'un État membre est la même que pour les accords couvrant l'ensemble d'un État membre. Autrement dit, l'analyse décrite à la section 2 s'applique. En revanche, dans l'appréciation du caractère sensible, il convient d'établir une distinction entre ces deux catégories pour tenir compte du fait que seule une partie d'un État membre est concernée par l'accord. Il faut en outre considérer la partie du territoire national qui est sensible au commerce. Si, par exemple, les frais de transport ou le rayon d'action du matériel font qu'il n'est guère rentable économiquement pour les entreprises d'autres États membres de desservir l'ensemble du territoire d'un autre État membre, le commerce est susceptible d'être affecté dès lors que l'accord interdit l'accès à la partie du territoire d'un État membre qui est sensible

au commerce, pour autant que cette partie ne soit pas négligeable...

'90. Si un accord interdit l'accès à un marché régional, le volume de ventes affecté doit être significatif par rapport au volume de ventes global des produits en cause à l'intérieur de l'État membre en cause pour que le commerce soit affecté de manière sensible. Cette appréciation ne saurait reposer sur la seule couverture géographique: il faut aussi accorder un certain poids à la part de marché des parties à l'accord. Même si les parties détiennent une forte part d'un marché régional parfaitement défini, la taille de ce marché en termes de volume peuvent encore être insignifiants par rapport aux ventes totales des produits en cause dans l'État membre en cause. C'est pourquoi il est généralement considéré que le meilleur indicateur de la capacité de l'accord d'affecter (sensiblement) le commerce entre États membres est la part du marché national en volume à laquelle l'accès est interdit. Par conséquent, les accords couvrant des régions présentant une forte concentration de la demande auront plus de poids que les accords couvrant des régions où la demande est moins concentrée. Pour établir l'applicabilité du droit communautaire, la part du marché national à laquelle l'accès est interdit doit être importante.

'91. Les accords de nature locale ne sont pas, en eux-mêmes, susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres, même si le marché local se trouve dans une région frontalière. En revanche, si la part du marché national à laquelle l'accès est interdit est importante, le commerce est susceptible d'être affecté, même si le marché en cause ne se trouve pas dans une région frontalière.

'92. Pour les cas de cette catégorie, on pourra trouver certaines orientations dans la jurisprudence relative à la notion, dans l'article 82, de partie substantielle du marché commun... Les accords qui, par exemple, ont pour effet d'empêcher les concurrents d'autres États membres d'avoir accès à une partie d'un État membre constituant une partie substantielle du marché commun devraient être considérés comme affectant sensiblement le commerce entre États membres.

Considérant que la Commission européenne a souhaité, dans l'affaire précitée ayant donné lieu à l'arrêt de la Chambre commerciale du 31 janvier 2012 (B.16), présenter devant la Cour de cassation, saisie de pourvois contre un arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 septembre 2010, des observations en application de l'article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 ;

Que la Commission a indiqué (Cf ses observations n° 8, 14 et 16 notamment) que les raisons de son assistance en tant qu''amicus curiae' tenaient au fait :

- que l'arrêt de la cour d'appel du 23 septembre 2010 - qui avait 'appliqué, sans le citer, le test du paragraphe 90 des Lignes directrices' (à savoir, un volume des ventes affecté significatif par rapport au volume des ventes globales des produits en cause à l'intérieur de l'Etat membre en cause) - avait fait une interprétation restrictive de la notion d'affectation sensible du commerce entre Etats membres,

- qu'elle considérait que par une telle interprétation restrictive, l'arrêt de la cour d'appel 's'écarte du droit de l'Union tel qu'il est interprété par les juridictions de l'Union et propose une interprétation erronée des Lignes directrices',

- et qu'elle estimait qu'une telle interprétation 'est de nature à mettre en péril la mise en oeuvre effective des articles 101 et 102 du TFUE en France ainsi que l'application cohérente de ces textes dans les Etats membres et au sein du Réseau européen des autorités de concurrence';

Considérant que la Commission rappelle notamment que, 'pour entrer dans le champ d'application de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, il n'est pas exigé que les ententes visées aient affecté sensiblement les échanges communautaires. Il doit être établi que ces ententes sont de nature à avoir un tel effet'et explicite les points ci-dessus rappelés des Lignes directrices (en particulier LD n° 26 et 45) ;

Qu'elle précise notamment :

- que 'pour apprécier l'effet sensible, l'application du seul critère tiré du volume des ventes posé par le paragraphe 90 des Lignes directrices appliqué isolément ne saurait se substituer à une analyse de l'ensemble des circonstances de la cause. Il ressort en effet de la jurisprudence que l'affectation des échanges intracommunautaires résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants' ;

- que 'les Lignes directrices ne peuvent être interprétées comme permettant l'exclusion automatique et a priori du champ d'application des articles 101 et 102 du TFUE de certains territoires de l'Union ou de certaines pratiques. Une telle interprétation serait contraire à l'esprit des dispositions pertinentes du Traité. A cet égard, il ressort également de la jurisprudence des juridictions de l'Union et de la pratique décisionnelle de la Commission que des cas concernant des ports ou des aéroports peuvent avoir un effet sensible sur le commerce entre Etats membres';

Considérant, au vu tant des Lignes directrices ainsi explicitées que de la jurisprudence :

- qu'il ne peut être soutenu qu'une analyse 'multi-critères' ne serait pas nécessaire pour vérifier le caractère sensible de l'affectation du commerce entre Etats membres et ce, que soit 'en l'état de pratiques cumulées d'entente et d'abus de position dominante commises sur une partie seulement d'un Etat membre' (situation visée par l'arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2012) ou 'en l'état d'une entente ne couvrant qu'une partie d'un tel Etat' (situation visée par l'arrêt de la Cour de cassation prononcé le 1er mars 2011 dans la présente affaire) ; que, contrairement à ce que soutiennent ou évoquent les parties, aucun élément ne permet de retenir que l'arrêt du 31 janvier 2012 établirait 'un test nouveau combinant les deux méthodes classiques dont le test multicritère propre au cas d'abus de position dominante' (conclusions en réplique de Shell n° 67) ;

- que les parties (Cf notamment mémoire en réplique de Total Réunion n° 73 à 115) ne peuvent être suivies lorsqu'elles affirment qu'en matière d'entente sur une partie d'un Etat membre, le caractère sensible de l'affectation du commerce entre Etats membres dépend de deux critères spécifiques qui seraient celui du ratio (Cf ci-dessus) et celui de l'éviction d'une partie substantielle du marché commun, critères qui ne seraient, ni l'un, ni l'autre remplis en l'espèce ;

- que le seul fait que le volume des ventes de carburéacteur à Air France dit affecté par la pratique (volume réalisé à l'aéroport de la [1] par les parties pour la période du 1er novembre 2002 au 31 octobre 2003) n'ait représenté que 1,24% du volume de vente global de carburéacteur en France durant la même période, est insuffisant pour établir que l'accord en cause n'avait pas 'la capacité' d'affecter de façon sensible le commerce entre Etats membres ;

Considérant en l'espèce :

- que les compagnies pétrolières sont des entreprises de taille mondiale qui ont des activités dans l'Union européenne ; que les entreprises en cause sont, en effet, soit des 'filiales aviation' de tels groupes pétroliers, soit leurs filiales locales chargées de vendre du kérosène dans la zone concernée; que le chiffre d'affaires cumulé des entreprises sanctionnées par la Décision s'élève, pour la seule vente de carburéacteur, à 16 milliards euros, se chiffrant selon les entreprises en millions ou en milliards euros ;

- qu'ainsi qu'il a été dit, l'entente reprochée à ces entreprises était de nature à affecter d'autres entreprises pétrolières également actives sur le territoire de l'Union européenne et susceptibles de chercher à entrer sur le marché de la fourniture de carburant à la Réunion ; qu'il est, en outre, observé que le marché du carburéacteur à la Réunion, représentant pour les années en cause un chiffre d'affaires d'environ 50 millions euros dont 22 millions pour le seul appel d'offres d'Air France, n'était pas insignifiant et pouvait donc être attractif ;

- qu'il s'agit d'un marché pérenne dès lors que, pour les vols directs pour la métropole qui constituent la majorité des vols, il n'existe pas d'autres possibilités pour les compagnies aériennes que de s'approvisionner en carburéacteur à la Réunion (Cf : sur l'approvisionnement : Décision n° 212 et suivants) ;

- que l'aéroport international de [Localité 5] de la Réunion ne peut être qualifié de petit aéroport alors qu'il n'est pas contesté qu'il s'agit du plus important aéroport français d'outre-mer avec un trafic de prêt de 1,5 million de passagers et de plus de 25 000 tonnes de fret pour les années en cause ;

- que si les parties ne sont pas contredites lorsqu'elles font état des caractéristiques géographiques et économiques de l'île de la Réunion (Cf ci-dessus), force est de constater que la superficie de ce territoire est aussi, voir plus, importante que celle de certains Etats membres de l'Union européenne;

- qu'en outre, s'agissant d'une île très éloignée de la France métropolitaine et des autres territoires de l'Union, le transport aérien constitue un facteur de non-enclavement qui lui confère une importance spécifique, d'autant qu'il n'est contesté qu'il n'existait pas, à l'époque des faits, de vols pour les passagers vers d'autres destinations européennes que [Localité 3] ; que, dès lors, les vols [Localité 2]- [Localité 3] constituaient une escale vers les autres destinations européennes, peu important à cet égard la nationalité des passagers empruntant de fait ces vols longs courriers ;

Considérant que la réunion de ces éléments qui, pris isolément ne seraient pas nécessairement déterminants, établit que l'entente reprochée aux requérantes était de nature à affecter sensiblement les échanges communautaires ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le droit de l'Union (article 101 du TFUE) est applicable en l'espèce ;

Sur les saisies effectuées au Royaume-Uni

Considérant que, par courrier daté du 3 décembre 2004, le rapporteur général du Conseil a, sur le fondement de l'article 22, paragraphe 1, du règlement CE n° 1/2003 du 16 décembre 2002, adressé au directeur général de l'Office of Fair Trading (OFT) une demande d'assistance afin de recueillir des informations auprès des sociétés Exxon Mobil Aviation International Ltd, Chevron Texaco UK, Chevron Texaco Global Aviation et Shell Aviation Ltd exerçant leurs activités à Londres et concernées par les activités de vente de carburéacteur à Air France ; que le président de l'OFT a, le 12 avril 2005, autorisé, par application de l'article 65 F de la loi britannique sur la concurrence de 1998 (Competition Act), des membres de son personnel à pénétrer sans notification préalable dans les locaux des entreprises et à y exercer les pouvoirs conférés par ce texte ; que l'enquête a eu lieu le 14 avril 2005 conformément au droit britannique avec l'accord des entreprises concernées ; que trois rapporteurs désignés par décisions du Conseil ont assisté à l'enquête ; que l'OFT a transmis à l'Autorité française les documents produits par lesdites entreprises et ces documents ont été utilisés dans le cadre de la présente procédure ;

Considérant que les requérantes contestent tant le recours aux dispositions de l'article 22, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 que la régularité 'des visites et saisies' effectuées au Royaume-Uni, ce dont elles déduisent que les documents 'saisis' au Royaume-Uni doivent être écartés des débats et que la preuve de l'entente alléguée n'est pas, ou a fortiori pas, rapportée ;

Considérant que les sociétés Shell et Esso soutiennent que le rapporteur général du Conseil a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les faits de la cause pouvaient relever de l'article 101 du TFUE ;

Que la société Esso et les sociétés du groupe Total ajoutent que les conditions requises par l'article 22, paragraphe 1, du règlement n'étaient pas réunies en ce que le rapporteur général du Conseil a invoqué à tort le droit communautaire et présenté à l'OFT une demande tardive et irrégulière car affectée d'erreurs, d'inexactitudes et d'omissions au mépris du principe de coopération loyale ;

Considérant que la société Esso prie la cour de dire que les droits fondamentaux garantis par la CEDH ont été violés 's'agissant de la procédure pour recueillir des preuves' et ce en raison, d'une part, du fait que la demande d'assistance du 3 décembre 2004 aurait dû être préalablement autorisée par le juge français gardien des libertés fondamentales et d'autre part, du fait de l'absence de contrôle judiciaire a posteriori par les juridictions françaises de la légalité de la procédure suivie au Royaume-Uni pour recueillir des pièces utilisées par les autorités françaises;

Considérant que la société Chevron prie également la cour de constater que les saisies ont été effectuées au Royaume-Uni en violation des articles 6 et 8 CEDH ; qu'elle invoque :

- un défaut d'équivalence des garanties du procès équitable en France et au Royaume-Uni en ce qu'une autorisation judiciaire est nécessaire en France pour procéder à des visites et saisies dans les locaux d'une entreprise (article L. 450-4 du code de commerce) alors que l'article 65 F de la loi britannique de 1998 permet certaines perquisitions sans autorisation judiciaire ; qu'elle soutient que ses 'droits...n'ont pas bénéficié d'une protection équivalente au Royaume-Uni à celle dont aurait bénéficié ceux d'une entreprise en France en cas d'enquête approfondie' et dont les autres parties à cette procédure, dont les locaux n'étaient pas situés au Royaume-Uni, ont bénéficié ;

- l'irrégularité de la demande d'assistance du 3 décembre 2004 en l'absence d'autorisation judiciaire préalable et ce, en violation du droit fondamental à un procès équitable et du droit à l'inviolabilité du domicile ; qu'il est reproché au Rapporteur général d'avoir enfreint les dispositions des articles L. 450-4 du code de commerce, 6 et 8 CEDH et la Charte des droits fondamentaux, en ne sollicitant pas une autorisation du juge des libertés et de la détention avant de demander l'intervention de l'OFT ;

- l'illégalité de la participation des rapporteurs du Conseil aux inspections menées par l'OFT en ce que cette participation l'a privée de garanties fondamentales ;

Considérant que les sociétés du groupe Total invoquent aussi l'irrégularité de la procédure du fait de la participation de trois rapporteurs du Conseil aux investigations menées à Londres en dehors de tout titre de compétence ; qu'après avoir exposé qu'elles sont recevables à soulever ce moyen devant les juridictions françaises et que le Conseil, ainsi que les juridictions françaises sont compétents pour contrôler la conformité, notamment au droit anglais, des investigations menées à Londres, ces sociétés soutiennent que la participation des rapporteurs français à l'enquête menée à Londres, en dehors de tout titre de compétence, est contraire tant au droit anglais car les dispositions de la section 65 F du Competition Act n'octroient aucun titre de compétence à des agents étrangers, qu'aux droits communautaire (article 22 du Règlement) et français (L. 450-1 du code de commerce) qui n'octroient aucun titre de compétence aux agents du Conseil en dehors du territoire national ; qu'elle ajoutent que les trois questions préjudicielles qu'elles proposent pourraient, si la cour l'estimait nécessaire, être soumises à la CJUE ;

Sur les dispositions de l'article 22, paragraphe 1, du règlement CE n° 1/2003 du 16 décembre 2002

Considérant qu'aux termes de l'article 22 du règlement n°1/2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité CE, devenus les articles 101 et 102 du TFUE :

'1. Une autorité de concurrence d'un Etat membre peut exécuter sur son territoire toute inspection ou autre mesure d'enquête en application de son droit national au nom et pour le compte de l'autorité de concurrence d'un autre Etat membre afin d'établir une infraction aux dispositions de l'article 81 ou 82 du traité. Le cas échéant, les informations recueillies sont communiquées et utilisées conformément à l'article 12".

Que l'article 12 dudit règlement prévoit :

'1. Aux fins de l'application des articles 81 et 82 du traité, la Commission et les autorités de concurrence des États membres ont le pouvoir de se communiquer et d'utiliser comme moyen de preuve tout élément de fait ou de droit, y compris des informations confidentielles.

2. Les informations échangées ne peuvent être utilisées comme moyen de preuve qu'aux fins de l'application de l'article 81 ou 82 du traité et pour l'objet pour lequel elles ont été recueillies par l'autorité qui transmet l'information.(...)'.

Considérant que ces dispositions sont éclairées notamment par les considérants 15 et 16 du même règlement :

'(15) Il convient que la Commission et les autorités de concurrence des Etats membres forment ensemble un réseau d'autorités publiques appliquant les règles communautaires de concurrence en étroite coopération. A cette fin, il est nécessaire de mettre en place des mécanismes d'information et de consultation. La Commission fixe et modifie, en étroite coopération avec les Etats membres, les modalités détaillées de coopération au sein de ce réseau.

'(16) Nonobstant toute disposition nationale contraire, il convient de permettre les échanges d'informations, même confidentielles, entre les membres du réseau, ainsi que l'utilisation de ces informations en tant qu'éléments de preuve. Ces informations peuvent être utilisées aux fins de l'application des articles 81 et 82 du traité, ainsi que pour l'application parallèle du droit national de la concurrence, pour autant que, dans ce dernier cas, l'application du droit porte sur la même affaire et n'aboutisse pas à un résultat différent. Lorsque les informations échangées sont utilisées par l'autorité destinataire pour imposer des sanctions à des entreprises, la seule restriction à leur utilisation devrait être l'obligation de les exploiter aux fins auxquelles elles ont été recueillies, étant donné que les sanctions imposées aux entreprises sont du même type dans tous les systèmes. Les droits de la défense reconnus aux entreprises dans les différents systèmes peuvent être considérés comme suffisamment équivalents. Par contre, les personnes physiques sont passibles, selon le système considéré, de sanctions qui peuvent être très différentes. Le cas échéant, il faut veiller à ce que les informations ne puissent être utilisées que si elles ont été recueillies selon des modalités qui assurent le même niveau de protection des droits de la défense des personnes physiques que celui qui est reconnu par les règles nationales de l'autorité destinataire'.

Considérant qu'il résulte de ce règlement européen, d'application directe, que c'est à juste titre que la Décision (n° 185 et suivants) distingue trois étapes relevant de contrôles distincts :

- la demande d'assistance qui est formulée par l'autorité nationale de concurrence qui souhaite en bénéficier,

- l'autorisation et le déroulement de l'enquête mise en oeuvre par l'autorité destinataire de cette demande,

- l'utilisation des informations obtenues par l'autorité pour le compte de laquelle l'enquête a été réalisée ;

Qu'en application de l'article 22 sus-rappelé du règlement, l'autorité de concurrence qui accepte d'exécuter sur son territoire une mesure d'enquête y procède en appliquant son droit national et non celui du pays de l'autorité demanderesse au nom et pour le compte de laquelle la mesure est effectuée ; que la Décision retient exactement que l'autorisation et le déroulement de l'enquête sont régis par le droit national applicable dans l'Etat destinataire de la demande d'assistance, sous le contrôle des juridictions compétentes de cet Etat ;

Que les dispositions de l'article 22 du règlement ne peuvent être utilisées que pour la recherche d'une infraction relevant, à tout le moins, des dispositions des articles devenus 101 et 102 du TFUE ;

Sur la demande d'assistance du 3 décembre 2004

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, le rapporteur général du Conseil a invoqué l'article 22, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 pour demander à l'autorité de concurrence britannique d'exécuter sur son territoire une mesure d'enquête ;

Considérant qu'au vu des termes du courrier daté du 3 décembre 2004 par lequel cette assistance a été demandée, il ne peut être soutenu que le rapporteur général du Conseil a commis une 'erreur manifeste d'appréciation' en estimant, au vu des éléments en sa possession, que les faits sur lesquels portaient la demande d'assistance pouvaient relever des articles devenus 101 ou/et 102 du TFUE ; qu'en effet, ce courrier, après un exposé du contexte factuel et procédural, des nécessités de l'enquête et des qualifications possibles des pratiques en cause, fait notamment état de l'impact possible des pratiques en cause sur des compagnies pétrolières concurrentes, telle BP, et de l'impact du prix du kérosène sur le prix des billets d'avion ;

Considérant, sur la violation invoquée du principe de coopération loyale entre les autorités membres du Réseau Européen de Concurrence (REC), qu'il est observé que la plainte du 14 janvier 2003 dont Air France a saisi le Conseil était fondée tant sur les dispositions du droit national que sur celles du droit communautaire ; qu'en outre, si, dans un premier temps, le rapporteur général n'a visé que les dispositions du droit interne, il ne saurait en être tiré aucune conséquence dès lors qu'il n'était pas nécessaire au cours de l'enquête initialement menée en France d'invoquer le droit communautaire pour effectuer ou être autorisé à effectuer des investigations sur ce territoire ; qu'il est, au surplus, rappelé que les services d'instruction sont maîtres de la conduite des investigations menées au cours de la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, les droits des parties étant préservés par le caractère contradictoire de cette procédure à compter de la notification des griefs et la faculté qui leur est alors ouverte de consulter le dossier, de demander l'audition de témoins, de présenter des observations écrites sur les griefs puis sur le rapport ainsi que de s'exprimer devant le Conseil ;

Considérant que l'allégation selon laquelle l'affectation du commerce intra-communautaire n'aurait été qu'un 'prétexte' tardif pour élargir une enquête jusqu'alors infructueuse, relève d'une simple affirmation d'autant moins fondée que le droit de l'Union est applicable en l'espèce ;

Considérant, par ailleurs, s'agissant des circonstances invoquées dans la demande d'assistance du 3 décembre 2004 pour permettre à l'OFT de procéder au contrôle du bien-fondé de cette demande, demande que cette autorité peut accepter ou refuser, il convient de relever :

- que, s'il est vrai que ce courrier mentionne que les autres compagnies aériennes qui desservent la Réunion effectuent des vols vers les villes européennes, en particulier italiennes, alors qu'à l'époque des faits, il n'existait pas de liaison aérienne de passagers entre la Réunion et les pays européens autre qu'entre la Réunion et la France métropolitaine, force est de constater qu'aucune conséquence ne pouvait être tirée de cette affirmation,

- que, contrairement à ce qui est soutenu, ce n'est pas, à ce stade de l'enquête et au vu des développements qui précèdent relatifs à la notion de 'susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres', de façon erronée que ce courrier mentionne que les pratiques 'peuvent avoir eu un impact sur des compagnies européennes', que, par exemple BP 'a potentiellement été affectée par les pratiques considérées' et que le prix du kérosène représente une partie importante du prix du billet d'avion et son augmentation affecte le commerce entre Etats membres ;

- que les éléments invoqués par les sociétés Total pour soutenir que des omissions privent la demande d'assistance du 3 décembre 2004 de sa légalité apparaissent d'autant moins déterminants qu'il ne peut être soutenu que le droit communautaire aurait été 'délibérément écarté' lors de l'enquête menée en France et que la décision publiée du Conseil du 19 octobre 1993 était citée dans ce courrier ;

- qu'il n'est pas justifié 'd'erreurs, d'inexactitudes et d'omissions'qui auraient été de nature à empêcher l'OFT de 'se prononcer en toute connaissance de cause';

Considérant, enfin, qu'en autorisant par écrit du 12 avril 2005, sur le fondement de l'article 65 F de la loi britannique sur la concurrence de1998 (Competition Act), une enquête dans les locaux des entreprises concernées au Royaume-Uni, le Président de l'OFT a exercé une appréciation de droit et de fait sur la demande qui lui était présentée par l'Autorité française ;

Qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les conditions requises par l'article 22, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 et le principe de coopération loyale entre les autorités membres du REC auraient été méconnus ;

Sur l'absence d'autorisation judiciaire préalable à la demande d'assistance

Considérant que, pour soutenir que la demande d'assistance adressée à l'OFT le 3 décembre 2004 par le Rapporteur général du Conseil aurait dû être préalablement autorisée par le juge français, les sociétés Chevron et Esso invoquent les dispositions des articles L.450-4 du code de commerce, les articles 6 et 8 CEDH et la Charte des droits fondamentaux ;

Mais considérant que les dispositions des articles L. 450-1 et L. 450-4 du code de commerce ne subordonnent pas à une autorisation judiciaire préalable la demande d'assistance formée par le rapporteur de l'Autorité de la concurrence auprès d'une Autorité d'un autre Etat membre dans le cadre de la procédure d'entraide prévue par l'article 22 du règlement communautaire n° 1/2003 ; qu'en outre, ce règlement ne subordonne pas l'exécution d'une mesure d'enquête qu'une autorité nationale de concurrence peut mener sur son territoire en application de son droit national au nom et pour le compte d'une autorité nationale de concurrence d'un autre Etat membre à l'autorisation préalable d'un juge de l'Etat pour le compte duquel la mesure est effectuée ;

Qu'ainsi qu'il a été dit, en vertu de l'article 22 dudit règlement, l'autorisation et le déroulement de l'enquête sont régis par le droit national applicable dans l'Etat destinataire, en l'espèce le droit britannique ; qu'il n'appartient pas au juge français d'autoriser ou de contrôler le déroulement de mesures d'enquête sur d'autres territoires que son territoire national ;

Considérant en l'espèce, qu'après avoir reçu du rapporteur général du Conseil la demande d'assistance sus-mentionnée du 3 décembre 2004 formulée en application du règlement communautaire, le Président de l'OFT l'a acceptée en autorisant ses agents à enquêter sur le fondement de l'article 65 F de la loi britannique sur la concurrence de 1998 (Competition Act) ;

Qu'il est, à cet égard, rappelé que coexistent en droit britannique, deux types d'enquêtes incluant des visites dans les locaux professionnels, l'une supposant un mandat de perquisition délivré par un juge (article 65 G du Competition Act) et l'autre ne nécessitant pas un tel mandat (article 65 F du Competition Act) ; que, si ces procédures britanniques constituent un ensemble qui ne correspond pas exactement à la distinction du droit français entre les enquêtes dites 'simples'qui reposent sur l'exercice de pouvoirs non coercitifs (article L. 450-3 du code de commerce) et les enquêtes dites 'lourdes' prévues par l'article L. 450-4 du même code soumises à autorisation judiciaire, force est de constater que la procédure de l'article 65 F du Competition Act , utilisée en l'espèce, s'apparente plus à celle des enquêtes dites 'simples'qui peuvent être réalisées sans autorisation judiciaire préalable et qu'en outre, c'est en accord avec les entreprises concernées que les opérations d'enquête ont été réalisées par l'autorité britannique ;

Considérant, en définitive, que sous couvert d'un défaut d'équivalence des garanties fondamentales en France et au Royaume-Uni, - au demeurant non établi, et ce, au surplus, d'autant moins que les droits nationaux français et britannique constituent des ensembles cohérents différents susceptibles de garantir de façon différente les droits fondamentaux des parties et qu'ainsi que le mentionne le considérant 16 sus-rappelé du règlement 'les droits de la défense reconnus aux entreprises dans les différents systèmes peuvent être considérés comme suffisamment équivalents'- l'argumentation des requérantes tend en réalité tant à remettre en cause des mesures autorisées et exécutées au Royaume-Uni selon le droit britannique seul applicable par application de l'article 22 du règlement n° 1/2003 qu'à faire apprécier par le juge français la conformité à la CEDH et à la Charte des droits fondamentaux des dispositions du Competition Act britannique ; que de tels contrôles relèvent du juge britannique que les parties ne soutiennent pas avoir saisi à cette fin ;

Qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir qu'une autorisation du juge des libertés et de la détention aurait été nécessaire pour demander le 3 décembre 2004 l'assistance de l'OFT ;

Sur la présence des rapporteurs du Conseil aux opérations menées par l'OFT

Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Air France, il ne résulte pas du seul fait que les sociétés du groupe Total n'ont pas été visées par les opérations d'enquête effectuées par l'OFT que ces sociétés seraient irrecevables à se plaindre de la présence de rapporteurs du Conseil aux opérations d'enquête menées au Royaume-Uni ;

Considérant que les sociétés du groupe Total prie la cour de 'constater que trois rapporteurs du Conseil de la concurrence se sont rendus sur le territoire du Royaume-Uni pour y exercer des pouvoirs d'enquête aux côtés des agents de l'OFT dans les locaux de Shell, Exxon et Chevron et se sont faits remettre des documents sur le territoire britannique' ; que, selon ces sociétés, la participation des rapporteurs français à l'enquête menée à Londres est contraire aux dispositions de la section 65 F du Competition Act et à celles des articles 22 du règlement n° 1/2003 et L. 450-1 du code de commerce ;

Considérant que la société Chevron expose (mémoire n°273) que si un de ses agents au Royaume-Uni a consenti à la présence du rapporteur du Conseil lors des opérations menées par l'OFT, elle ne demande bien évidemment pas à la cour de se prononcer sur la question de savoir si la présence du rapporteur qui a accompagné les enquêteurs britanniques sans autorisation judiciaire britannique est ou non conforme à la réglementation britannique, mais fait valoir qu' 'à supposer qu'une telle pratique soit irrégulière', l'accord de son agent ne peut la rendre régulière et qu'elle 'est fondée à se plaindre d'avoir été privée de garanties fondamentales';

Mais considérant que l'argumentation des sociétés du groupe Total manque en fait ; qu'en effet, les rapporteurs du Conseil n'ont exercé aucun pouvoir d'enquête qui leur serait propre ; que ces rapporteurs n'ont fait, avec l'accord de l'OFT, qu'assister aux opérations menées par les agents de cette autorité afin de vérifier qu'elles entraient dans le cadre de l'enquête sollicitée par le rapporteur général du Conseil ; qu'en outre, la présence de membres du Conseil a été acceptée, par procès-verbal, par les entreprises dans les locaux desquels ont été effectuées, en vertu du droit britannique, les opérations d'enquête menées par les agents de l'OFT ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, le déroulement des opérations menées au Royaume-Uni sur le fondement du droit britannique relève du contrôle du juge de cet Etat ; que la société Chevron, qui ne soutient pas avoir saisi le juge britannique, n'est pas fondée à invoquer, sans plus de précision, la violation de garanties fondamentales en se prévalant de la supposition qu'une irrégularité aurait été commise au Royaume-Uni ;

Considérant que ce n'est par conséquent qu'au surplus qu'il est observé que les dispositions invoquées des articles 22 du règlement n° 1/2003 et L. 450-1 du code de commerce n'interdisent pas en son principe l'assistance des agents qui exécutent une mesure d'enquête par des agents de l'Etat membre au nom et pour le compte duquel est, en application dudit règlement, effectuée la mesure;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le contrôle judiciaire a posteriori de la régularité de la procédure

Considérant que, selon la société Esso, il appartient aux juridictions françaises 'de contrôler la légalité de la procédure de visites et saisies diligentées sur le territoire britannique d'abord au regard du droit britannique puis au regard des principes fondamentaux applicables qui relèvent de l'ordre public ; que cette société soutient que ses droits fondamentaux ont été violés en ce qu'elle a été privée de tout recours effectif contre les opérations de visites et saisies ;

Mais considérant qu'ainsi qu'il a été dit, il n'a pas été procédé au Royaume-Uni à des opérations de visites et saisies au sens de l'article L. 450-4 du code de commerce et les contestations relatives au déroulement des investigations menées en application de l'article 22 du règlement n° 1/2003 sur le fondement du droit britannique ne peuvent être portées que devant la juridiction compétente du Royaume-Uni sur le fondement du droit britannique ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les critiques des requérantes ne sont pas fondées et que c'est à tort qu'elles entendent faire écarter des débats les pièces (notamment celles cotées 2027 et 3151) recueillies au cours de l'enquête exécutée au Royaume-Uni par l'OFT en application du droit britannique, au nom et pour le compte du Conseil de la concurrence afin d'établir une infraction aux dispositions de l'article devenu 101 du TFUE ;

Sur la procédure en France

Sur la séance du Conseil du 23 juillet 2008

Considérant que la société Total Réunion expose qu'il n'a été dressé aucun procès-verbal des déclarations de M. [H] [U], directeur marketing chez Chevron aviation, lors de la séance du Conseil du 23 juillet 2008 et prie la cour de juger que le Conseil a méconnu le principe du contradictoire en citant dans la Décision des extraits traduits en français des prétendues déclarations de M. [H] Y lors de la séance du 23 juillet 2008, déclarations recueillies en dehors de tout procès-verbal soumis à la discussion des parties ;

Mais considérant qu'il résulte des pièces produites qu'après avoir été auditionné durant l'instruction selon procès-verbal du 5 juillet 2007, M. [H] Y a été convoqué et entendu lors de la séance du Conseil du 23 juillet 2008 par application de l'article L. 463-7 du code de commerce;

Considérant que le fait invoqué par la requérante qu'il n'ait pas été dressé procès-verbal des déclarations de M. [H] Y durant cette séance ne saurait porter atteinte au contradictoire dès lors que les requérantes, qui ne soutiennent pas ne pas avoir été mises en mesure de comprendre ces déclarations, en ont eu connaissance durant la séance et ont pu y répondre ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le délibéré du Conseil

Considérant que les sociétés Total prient la cour de dire que le Conseil a violé le secret du délibéré, le principe de la présomption d'innocence et l'article 6 CEDH en diffusant au public le 4 décembre 2008 un texte présenté comme étant la Décision accompagné d'un communiqué de presse et ce, alors que la Décision n'était pas encore adoptée, certaines modifications concernant l'imputabilité des pratiques et la dénomination de certaines entreprises étant intervenues entre la publication en ligne du 4 décembre et la notification aux entreprises mises en cause intervenue par lettre recommandée le 11 décembre 2008 ;

Mais considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, la Décision qui fait l'objet du présent recours a été adoptée le 4 décembre 2008, date à laquelle la minute a été signée, cette signature marquant la fin du délibéré et attestant que la décision est conforme à ce dernier ;

Considérant que la circonstance que le texte de la décision initialement diffusée en ligne et transmise par voie électronique aux parties le 4 décembre 2008 soit affecté de quelques erreurs matérielles, qui au demeurant ne portaient pas sur le dispositif de la décision, ne saurait porter atteinte aux principes invoqués dès lors que cette diffusion n'a pas été antérieure à la date à laquelle la Décision a été rendue, soit le jour de la fin du délibéré, étant, en outre, observé que la version électronique transmise aux parties mentionnait expressément : 'vous voudrez bien (') noter que l'envoi, pour information, d'une décision par courriel ne revêt pas un caractère de notification faisant courir les délais de recours contentieux. Cette dernière interviendra, en effet, ultérieurement et sera effectuée par voie postale en recommandé AR. En cas de recours devant la Cour d'appel, seule l'ampliation certifiée conforme accompagnée de la notification revêt un caractère officiel' ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Sur l'entente reprochée

Sur la procédure d'appel d'offres et le comportement d'Air France

Considérant que les sociétés Chevron et Total Réunion soutiennent que c'est à tort et de façon trompeuse qu'est utilisé le terme d''appel d'offres' pour décrire les modalités suivant lesquelles la société Air France procédait à ses achats de carburéacteur ; que la société Total Réunion expose que le processus de négociation mis en place par Air France n'est ni un appel d'offres, ni une mise en concurrence des différents fournisseurs, qu'il s'agit d'un processus de négociation 'sui generis' qui ne revêt pas les caractéristiques d'un appel d'offres au sens du code des marchés publics et d'un processus de négociation asymétrique d'une année à l'autre au cours duquel Air France négocie avec des fournisseurs qu'elle a préalablement sélectionnés et divulgue des informations à ses fournisseurs ; que la société Chevron ajoute que les méthodes de négociation dont usait Air France, acheteur principal à la Réunion, réduisaient les incitations des offreurs à faire baisser les prix;

Considérant, à titre liminaire, que, s'agissant des marchés et acteurs en cause, il est fait référence à la Décision et notamment les paragraphes 1 à 50 et 211 à 216, étant à ce stade observé que c'est à juste titre qu'il est retenu que le marché géographique correspond à l'escale de l'[Localité 1] où l'absence de substituabilité du côté de l'offre (en raison des infrastructures essentielles pour le stockage et l'avitaillement) et de la demande (les compagnies aériennes ne pouvant s'approvisionner en un autre lieu en raison de la durée des vols) conduit à la définition d'un marché limité à l'aéroport [Localité 5] de la Réunion ; que, si comme le souligne la société Chevron, Air France était l'acheteur principal de carburéacteur à la Réunion, il importe de rappeler que cette société n'avait pas d'autre choix que de s'approvisionner à la Réunion auprès des compagnies pétrolières membres des deux groupements d'intérêt économique GEIAG et GPAG ;

Considérant que le terme 'd'appel d'offres' n'est pas utilisé dans la Décision au sens que lui donne le code des marchés publics et que décrit la société Total Réunion aux pages 129 et suivantes de son premier mémoire ; qu'ainsi que le souligne la Décision (n° 47), l'appel d'offres d'Air France ne fonctionne pas, comme un marché public, suivant le principe d'une offre fixe sous pli fermé à un seul tour et que chaque compagnie a sa propre procédure pour mettre en concurrence les offreurs ;

Considérant que le terme d'appel d'offres ne peut être qualifié de trompeur alors que la Décision décrit le principe de la procédure organisée par Air France (n° 46 à 50) et relève exactement (n° 218) que les demandes d'Air France aux compagnies pétrolières pour son approvisionnement en carburéacteur sur l'escale de la Réunion sont des appels à la concurrence, consistant à inviter des fournisseurs de biens ou services à présenter une offre en vue de la satisfaction d'une demande limitée et identifiée, à savoir l'attribution d'un marché annuel ; qu'il ne peut être contesté que les règles de concurrence s'appliquent à l'ensemble des appels d'offres, publics ou privés, régis ou non par le code des marchés publics et encadrés ou non par une procédure formelle ;

Considérant que la Décision relève, sans être utilement contredite, que le processus mis en place par Air France s'inscrit dans un calendrier précis, généralement le mois qui précède le démarrage du contrat annuel et selon un processus pré-établi qui comporte plusieurs tours au cours desquels les compagnies pétrolières formulent des offres en volumes et en prix parmi lesquelles la compagnie aérienne retient la mieux offrante et lui attribue la fourniture correspondant à la quantité que cette compagnie est disposée à fournir au prix proposé, la totalité des volumes pouvant être allouée soit à un seul offreur, soit, comme cela a été le cas au cours des vingt dernières années, à plusieurs fournisseurs à des prix éventuellement différents (Décision n° 46 et suivants et n°219) ;

Considérant que même à supposer établis les faits, invoqués par les requérantes, qu'il ait pu arriver qu'Air France négocie une partie des volumes avec certains fournisseurs avant d'inviter tous les fournisseurs à formuler une offre, ou que Air France ait permis à des fournisseurs d'adresser une offre sur des escales ne figurant pas sur la liste initialement adressée à tous ou encore qu'Air France n'ait pas toujours retenu l'offre la moins disante à la Réunion afin d'obtenir de meilleurs conditions sur une autre escale, ces faits ne seraient pas de nature à remettre en cause les constatations de la Décision relatives à l'organisation des appels d'offres d'Air France ;

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, c'est de façon pertinente que le Conseil tire des enseignements de l'examen des appels d'offres organisés par Air France durant les vingt années précédant 2002 ; que la Décision observe exactement que le nombre définitif de tours n'est pas connu des soumissionnaires et ceux-ci sont incités à diminuer leurs prix dès lors que chaque tour étant susceptible d'être le dernier, une entreprise peu compétitive en prix risque d'être exclue du marché ou de n'obtenir qu'un volume limité d'approvisionnement ; qu'elle constate (n° 48) que, sur les vingt années antérieures, les offres des compagnies pétrolières ne permettaient pas individuellement de répondre à la totalité des besoins de la compagnie aérienne, mais que la totalité des quantités offertes par les compagnies pétrolières étant supérieure à la totalité des quantités nécessaires à Air France et chaque offreur étant tenu dans l'ignorance des quantités offertes par ses concurrents, Air France pouvait faire jouer la concurrence et choisir entre les offreurs entre les différents tours de l'appel d'offres ; que, pour ce faire, Air France restituait certaines informations à chacun des offreurs en cours de procédure ; que cette information sur les résultats intermédiaires, dite 'feedback', consistait notamment à préciser à chaque offreur l'écart de prix qu'il présentait avec son concurrent le mieux placé et sa position (rang) par rapport à l'offreur ayant fait les meilleures propositions, et parfois, le ratio de couverture ; qu'ainsi l'offreur, qui ignorait les pourcentages offerts par ses concurrents, était généralement conduit à réajuster quantité et prix au cours de l'appel d'offres;

Considérant qu'il en résulte que, contrairement à ce qui est soutenu, la Décision établit qu'avant 2002, la procédure d'appel d'offres organisée par Air France a eu pour effet de conférer au marché un caractère instable et partant très concurrentiel ; qu'en effet, chaque année, les positions des offreurs sur le marché étaient susceptibles de changer et un offreur pouvait être évincé du marché par la compagnie aérienne, ce qui a d'ailleurs été le cas de Total Réunion sur l'aéroport de la [1] en 2001 ; que, de fait, Air France a toujours réussi, avant 2002, à obtenir des prix bas ; que c'est à juste titre que la Décision a écarté l'argumentation des parties qui soutenaient qu'en l'absence de règles précises pour les appels d'offres et d'obligation pour les compagnies aériennes de retenir le moins disant, il n'y aurait pas eu d'incitations pour les compagnies pétrolières à faire baisser leurs prix ;

Considérant, enfin, que s'agissant des informations qu'Air France aurait divulgué durant l'appel d'offres, aucun élément ne permet de remettre en cause les conclusions de la Décision (n° 267, 268 et 460 à 473) selon lesquelles les informations communiquées par Air France ne pouvaient pas permettre aux compagnies pétrolières d'anticiper le comportement de leurs concurrents pendant l'appel d'offres puis d'en connaître le résultat final, étant au surplus observé que la société Air France confirme devant la cour, sans être sérieusement contredite, n'avoir communiqué qu'à l'issue du deuxième tour l'information selon laquelle le ratio de couverture était, en 2002, de 100% (Cf Décision n° 280 et 281) ;

Sur les preuves de l'entente

Considérant que toutes les requérantes soutiennent que les éléments réunis par le Conseil ne permettent pas d'établir qu'elles se seraient concertées pour fausser le jeu de la concurrence lors de l'appel d'offres lancé par Air France en 2002 pour l'approvisionnement en kérosène de ses avions sur l'escale de la Réunion en 2002/2003, notamment pour limiter les quantités de kérosène offertes à Air France et pour augmenter les prix, pratique prohibée par l'article L. 420-1 du code de commerce et par l'article devenu 101 du TFUE ;

Considérant que les moyens invoqués par les parties tendant à contester l'applicabilité du droit de l'Union et les saisies opérées au Royaume-Uni ayant été ci-dessus écartés, doivent par voie de conséquence être rejetées les argumentations des parties tendant à soutenir que la Décision ne pouvait utiliser, à titre de preuve de l'entente reprochée, les éléments recueillis au Royaume-Uni ;

Considérant que les requérantes contestent chacun des éléments ayant conduit le Conseil à retenir :

- d'une part, que les pièces du dossier (document 2027 : notes manuscrites de M. [H] [U], directeur marketing chez Chevron aviation, document 384 : courrier électronique de Total Outre-Mer du 17 octobre 2002 (Mme [F] A à M. [T] G), document 3151 du 17 octobre 2002 à lire en lien avec le document 3150 (courriers électroniques Mme [L] [P], Shell trading)) constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants d'échanges d'informations entre les entreprises avant et durant le déroulement de l'appel d'offres d'Air France en 2002, ces échanges portant sur des éléments clés à savoir la répartition du marché (cote 2027), la stratégie à adopter en cas de changement de source d'approvisionnement (cote 384) et le niveau des prix de transfert (cotes 3150 et 3151)

- d'autre part, que l'examen des comportements des compagnies pétrolières pendant l'appel d'offres de 2002 apporte des indices supplémentaires de la concertation anticoncurrentielle reprochée car montre une similitude sans précédent de comportements ayant consisté à proposer des prix en hausse pour la première enchère de 2002, à maintenir ces prix élevés pendant les tours d'enchères de 2002, à limiter les offres en volume de manière à se positionner comme fournisseur incontournable d'Air France et à ne pas modifier ses offres en volume pendant tout l'appel d'offres; (Cf sur ces points : Décision n° 235, 383 à 385 et 480) ;

- Sur les indices tirées de preuves matérielles de la concertation

Considérant que, reprenant les argumentations soumises durant la procédure menée devant le Conseil et écartées par la Décision, les requérantes contestent la pertinence, l'interprétation et le caractère probant de chacun des éléments matériels examinés par la Décision (document 2027, document 384, document 3151) ; que certaines requérantes ajoutent qu'un courrier électronique saisi chez Shell (cote 2992) est de nature à infirmer l'hypothèse d'une collusion entre les pétroliers ;

Considérant, en premier lieu, s'agissant du document coté 2027, il est soutenu que les notes manuscrites de M. [H] Y n'ont ni date, ni source, ni signification certaines et ne reproduisent pas exactement les résultats du premier tour d'enchères ;

Considérant que ce document, saisi à Londres dans le bureau de M. [H] [U], directeur marketing chez Chevron Aviation, est exactement décrit aux numéros 141 et suivants de la Décision;

Considérant que la partie de ce document correspondant à un tableau électronique (tableur Excel) intitulé 'file Air France 2002.xls' est daté de façon certaine du 25 septembre 2002, soit cinq jours avant la date limite pour le dépôt des offres fixé par Air France le 30 septembre ;

Considérant que ce document comporte, outre des mentions manuscrites relatives aux prix et quantités envisagés pour répondre à l'appel d'offres, des annotations manuscrites, figurant en bas à droite du document et ainsi rédigées : '25% CTGA (Chevron), 30% E/M (Exxon), 25/30 Shell, 15/20 TFE' (Total) ;

Considérant que ces pourcentages correspondent aux offres en volume des compagnies pétrolières pour le premier tour de l'appel d'offres de 2002 : 25% pour Chevron, 30% pour Exxon, 30% pour Shell, 15% pour Total ; qu'ils ne correspondent pas exactement aux parts de marché obtenues à l'issue de l'appel d'offres (25% pour Chevron, 32% pour Exxon, 30% pour Shell, 13% pour Total) ;

Considérant que c'est à l'issue d'une démonstration étayée, tenant compte de l'ensemble des objections ou suppositions soumises, que la Décision retient, aux termes de motifs que la cour adopte, que ces dernières annotations ont été inscrites, comme les autres mentions manuscrites figurant sur ce document, entre le 26 et le 30 septembre 2002, date de la remise de l'offre ferme à Air France et qu'aucun élément ne permet de remettre en cause cette datation au même moment de l'ensemble des annotations manuscrites du document 2027 (Cf Décision n° 241 à 248 et 263 à 288); que, pas plus devant la cour qu'elles ne l'avaient fait devant le Conseil, les parties ne justifient leurs affirmations relatives au caractère incertain, possiblement postérieur au 30 septembre 2002, de la date à laquelle M. [H] Y a porté les annotations manuscrites de répartition de marché figurant sur ce document ;

Considérant qu'ainsi que le relève la Décision, les explications avancées par les parties sur les sources des informations de répartition de marché ou sur les circonstances dans lesquelles de telles annotations manuscrites ont été portées par M. [H] Y sur le document en cause, ne peuvent être suivies ; que c'est notamment à juste titre que la Décision écarte l'hypothèse selon laquelle ces annotations proviendraient d'informations fournies par Air France, de même que celle selon laquelle ces annotations seraient des anticipations propres à M. [H] [U] ; que la cour se réfère sur l'ensemble de ces points à la Décision (n° 267 et 268, 460 à 473, n° 279 à 287, n° 289 à 311) dont les motifs ne sont pas utilement contestés ;

Considérant, en outre, que, contrairement à ce qui est à nouveau soutenu, les prévisions de M. [H] Y ne peuvent être qualifiées d'imprécises (Cf ci-dessus la teneur des annotations et Décision n° 306 à 308) ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que la Décision retient (n° 311) que 'la seule explication crédible - que les entreprises mises en cause nient contre toute évidence - est que la répartition de marché inscrite sur le document 2027, qui anticipe très précisément le déroulement de l'appel d'offres, résulte d'un échange d'informations préalable au dépôt des offres' ; que le Conseil était fondé à retenir ce document comme constituant un indice matériel d'une concertation entre les compagnies pétrolières pour fausser le jeu de la concurrence lors de l'appel d'offre de 2002 ;

Considérant, en deuxième lieu, s'agissant du document coté 384, il est soutenu que l'objet de ce courrier électronique (changement de source d'approvisionnement du carburéacteur) est sans pertinence au regard du grief retenu qui n'est relatif ni à des échanges d'informations, ni à une entente sur les prix ; qu'il est ajouté que le sens de ce courrier est ambigu, que les informations qu'il contient peuvent provenir d'Air France et sont, en outre, erronées car seule Total Réunion a proposé une offre en 'AG' avec 'add on' conforme à celle décrite par ce courrier ; que la société Chevron ajoute qu'il s'agit d'un document interne à Total qui ne peut servir de preuve de l'existence d'un échange d'informations ;

Considérant que le document coté 384 est un courriel relatant une conversation entre Mme [F] A (Total Outre-Mer) et M. [T] [Q] (Total Trading) ; qu'il est daté du 17 octobre 2002, soit entre le 2ème et le 3ème tour de l'appel d'offres en cause ; que ce document et le contexte de sa rédaction sont exactement décrits aux paragraphes 153 à 157 de la Décision auxquels il est fait référence ;

Considérant que les requérantes reprennent devant la Cour les argumentations écartées par la Décision par des motifs pertinents, non sérieusement contestés et que, pour ces raisons, la cour adopte : Cf Décision n° 237, 312 à 341 et n° 267, 268 et 460 à 476 ;

Qu'il suffit de rappeler et d'observer qu'il est fait grief aux requérantes de s'être concertées pour fausser le déroulement de l'appel d'offres lancé par Air France 2002 ; que le courrier coté 384 est ainsi rédigé : 'l'information que j'ai est que la profession maintient son offre initiale sur AG (Arab Gulf) mais ajoute un 'add on' qui serait retiré dans le cas où les importations reviendraient dans la zone AG. Notre intention est de procéder de la même manière...'; que la Décision établit à suffisance que le terme 'profession' désigne les compagnies pétrolières et que les informations mentionnées par Total ne lui avaient pas été communiquées par Air France ; que les termes de ce courrier ont à juste titre été retenus par la Décision (n° 339 à 341) comme révélateurs de l'existence d'échanges d'informations entre les compagnies pétrolières au sujet de la méthode appliquée pour prendre en compte un éventuel changement d'index de cotation de nature à perturber le déroulement de l'appel d'offres en cours, et montrant que les entreprises en cause ne déterminaient pas leur comportement sur le marché de manière autonome, peu important à cet égard que l'information du 17 octobre 2002 se révèle par la suite partiellement erronée ;

Considérant, enfin, que ce document régulièrement saisi peut, bien qu'il s'agisse d'un document interne à Total, être opposé aux autres compagnies pétrolières, dont la société Chevron, mentionnée sous le terme 'profession' et être utilisé comme élément de preuve ;

Que le Conseil était fondé à retenir ce document comme constituant un indice matériel d'un échange d'informations entre les compagnies pétrolières pour fausser le jeu de la concurrence lors de l'appel d'offre de 2002 ;

Considérant, en troisième lieu, s'agissant du document coté 3151, qu'il est soutenu qu'il ne contient que des informations, inexactes, internes à Shell et non susceptibles d'être utilisées par les compagnies pour élaborer leurs offres, qu'il montre l'incertitude de Shell quant au comportement des concurrents ;

Considérant que le document coté 3151 est composé de courriers électroniques échangés entre Mme [L] [P] (Shell Trading) et M. [E] I (salarié de Shell aviation, interlocuteur d'Air France pour l'appel d'offres) ; qu'il est daté du 17 octobre 2002, soit entre le 2ème et le 3ème tour de l'appel d'offres en cause ; qu'il est exactement décrit et analysé aux paragraphes 158 à 161 et 342 à 344 de la Décision ;

Considérant que dans son premier message, Mme [L] [P] précise à son correspondant : 'L'approvisionnement pour Shell est actuellement en 60/40 Caltex Bahain/MOPAG. Après avoir parlé avec Total, Caltex et Exxon, de leurs prix d'approvisionnement du kérosène, tout indique qu'ils vendaient soit suivant la formule 70/30 (Total) soit celle du 60/40 (Caltex et Exxon)';

Qu'il ne peut être contesté que ce message relate ainsi des échanges d'informations entre les compagnies Total, Chevron et Exxon sur les prix d'approvisionnement ;

Considérant que c'est par des motifs pertinents et non utilement contestés que la Décision a écarté les argumentations reprises par les requérantes devant la cour (Décision n° 345 à 382) ; qu'il suffit d'observer que les parties ne peuvent prétendre que les échanges d'informations, entre deux tours de l'appel d'offres en cause, sur les prix de transferts ne portaient pas sur des informations sensibles et utiles pour le déroulement de l'appel d'offres ;

Que le Conseil était fondé à retenir ce document, qui conforte le précédent, comme constituant un indice matériel de la concertation reprochée aux requérantes ;

Considérant, enfin, que les sociétés Shell, Chevron et Esso maintiennent devant la cour qu'un courriel interne à Shell, daté du 28 septembre 2002 (cote 2992) contredit la thèse d'une collusion entre les compagnies pétrolières en ce qu'il montre l'incertitude dans laquelle se trouvait le négociateur de Shell deux jours avant la date limite du dépôt des offres (Cf Décision n° 484 à 486);

Mais considérant que si c'est à tort que la Décision mentionne ce document comme daté du 27 septembre 2002 au lieu du 28 septembre 2002, il n'en demeure pas moins qu'aucune compagnie n'avait à cette date déposé d'offre ; qu'il n'est, en effet, pas contesté que les quatre compagnies pétrolières ont déposé leurs offres le 30 septembre 2002 à quelques heures de la clôture du premier tour ; qu'en outre, ainsi que le relève la Décision, un accord sur une limitation de volumes ne nécessite pas d'être arrêté dans ses moindres détails pour produire ses effets ;

Considérant que ce dernier élément n'est pas de nature à atténuer la force probante résultant du rapprochement des trois documents sus-rappelés qui constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants d'échanges d'informations clés entre les entreprises avant et pendant l'appel d'offres incompatibles avec une détermination autonome par chaque entreprise de la politique qu'elle entendait suivre lors de l'appel d'offres d'Air France en 2002 ;

- Sur les indices tirés de la similitude des comportements des entreprises

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Décision établit une similitude sans précédent des comportements des compagnies pétrolières pendant l'appel d'offres de 2002, similitude ayant consisté à proposer des prix en hausse pour la première enchère de 2002, à maintenir ces prix élevés pendant les tours d'enchères de 2002, à limiter les offres en volume de manière à se positionner comme fournisseur incontournable d'Air France et à ne pas modifier les offres en volume pendant tout l'appel d'offres ; que le déroulement de l'appel d'offres d'Air France en 2002, précisément décrit aux n° 108 à 115 de la Décision, fait apparaître que le résultat de l'appel d'offres correspond à une hausse de près de 30% du 'différentiel' (prix fixe qui rémunère l'ensemble des coûts logistiques (transport, stockage, distribution) et intègre la marge commerciale) par rapport à l'année précédente, hausse qui intervient l'année où, pour la première fois, l'addition des parts de marché offertes par les pétroliers correspond à 100% des besoins d'Air France ;

Considérant, d'une part, que les contestations des requérantes relatives à la rigidité des volumes ne peuvent, au vu des constatations figurant aux n° 397 à 408 de la Décision, et plus particulièrement au n° 397, être retenues ;

Qu'en effet, malgré le risque d'exclusion du marché, risque résultant de la nature même de la procédure mise en place par Air France (Cf Décision n° 46 et suivants, 219 et 220), chaque compagnie a choisi, lors de l'appel d'offres de 2002, une stratégie identique sur les volumes offerts consistant à présenter, contrairement aux années précédentes, des offres rigides sans options de volume ou de durée et ne pas modifier les volumes respectivement offerts au cours de l'appel d'offres et donc à restreindre les parts de marché et exclure des possibilités de négociation sur les prix ; que les compagnies pétrolières ne pouvaient anticiper une telle absence générale de flexibilité des volumes, d'autant plus anormale que l'arrivée d'un quatrième offreur en 2002 (à savoir Total qui avait été exclu en 2001) aurait dû conduire à une intensification de la concurrence (Décision n° 99,102, 405 à 407) ;

Considérant que les explications à nouveau présentées devant la cour par les requérantes pour expliquer cette situation et soutenir qu'une telle rigidité résulte de la poursuite d'intérêts propres à chacune d'entre elles ne résistent pas à l'analyse ; qu'en particulier, la volonté invoquée de réduire les volumes afin de diversifier la clientèle est contredite par le fait qu'Air France constituait, pour les pétroliers, un débouché après la faillite des compagnies aériennes AOM et Air Lib (Cf Décision n° 442 à 451) ; que c'est par des motifs que la cour adopte que la Décision écarte l'argumentation des requérantes selon laquelle leur expérience leur aurait permis d'anticiper le comportement de leurs concurrents (Cf notamment n°361, 424, 426, 458 sur le comportement de Shell, n° 73,80,100 et 459 sur celui de Chevron et n° 102, 295 à 298, 302 et 407 s'agissant de Total) ;

Qu'en outre, il ne peut être soutenu que la circonstance que le total des offres des requérantes couvrait 100% des besoins d'Air France est probable et explicable par un comportement individuel rationnel alors que, même en admettant les calculs de probabilités soumis par Total bien qu'ils reposent sur des hypothèses discutables, il n'existe qu'une chance sur 20 que le total des offres soit exactement égal à 100% et qu'en outre, la Décision écarte exactement les explications des autres requérantes (n° 474 à 479) ; qu'enfin, l'argumentation des parties tirée du comportement d'Air France lors de l'appel d'offres doit être écartée en raison des développements qui précèdent sur ce point et par référence aux motifs de la Décision (n° 267, 268, 460 à 473 et 476) ;

Considérant, d'autre part, que les contestations des requérantes relatives à la hausse simultanée et sensible des prix offerts en 2002 par rapport à ceux de 2001, ne peuvent au vu des constatations de la Décision figurant aux n° 409 à 413, être retenues et ce, que la comparaison porte sur les offres du premier tour de 2002 avec les résultats de l'appel d'offres de 2001 (ou le dernier proposé par l'offreur non retenu en 2001) ou bien que la comparaison soit effectuée, comme l'entendent les requérantes, entre les offres du premier tour de 2002 et celles du premier tour de 2001;

Considérant que les explications à nouveau présentées devant la cour par les requérantes pour expliquer cette situation et soutenir qu'elle résulte d'une stratégie propre à chacune d'entre elles ont été écartées par la Décision par des motifs qui ne sont pas utilement contredits et que la cour adopte (n° 414 à 441) ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces développements que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Décision a établi une concertation anticoncurrentielle entre les compagnies pétrolières lors de l'appel d'offres d'Air France en 2002 ; que la preuve d'une telle concertation résulte d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, indices constitués des éléments matériels sus-rappelés qui sont confortés et éclairés par les indices tirés des comportements sus-analysés qu'ont eu les entreprises et qui sont dépourvus de toute logique extérieure à l'entente;

Sur l'imputabilité des pratiques à la société Total Outre-Mer

Considérant que la société Total Outre-Mer demande à la cour de constater qu'elle n'est jamais intervenue dans les négociations avec Air France, qu'elle n'a jamais exercé aucune activité de fourniture de carburéacteur aux compagnies aériennes à la Réunion et de dire et juger qu'il n'existe aucune preuve de sa participation à une quelconque concertation avec les sociétés sanctionnées par la Décision au cours des négociations menées avec Air France en 2002 concernant la fourniture du carburéacteur sur l'aéroport de [Localité 5] de la Réunion, sachant que Total Outre-Mer n'a pas fourni de carburéacteur à Air France ;

Mais considérant que les éléments du dossier (Cf Décision n° 312 à 341) établissent la participation de la société Total Outre-Mer dans le déroulement de l'appel d'offres, cette société ayant notamment servi de contact avec les sociétés concurrentes et joué un rôle dans la préparation des réponses aux appels d'offres par Total Réunion ; que le Conseil était fondé à estimer que la responsabilité de la société TOM devait être retenue concomitamment à celle de Total Réunion et à répartir entre elles la sanction infligée au groupe Total (Cf Décision n° 499 à 502 et528)

Sur les sanctions

Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-2 du code de commerce :

'Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.

...Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en oeuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.'

Considérant que la société Shell prie la cour de réformer la Décision qui lui a infligé une sanction de 10,5 millions euros ; qu'elle fait valoir que la Décision ne justifie pas le montant de la sanction et que ce montant est disproportionné eu égard tant au dommage prétendument causé à l'économie qu'à la valeur des ventes affectées ; qu'en effet, d'une part, le Conseil ne prouve pas l'existence d'un dommage à l'économie, que celui-ci est nul car les compagnies aériennes ne peuvent répercuter comme elles le souhaiteraient les hausses du prix du kérosène et qu'à supposer qu'Air France ait répercuté sur les consommateurs la hausse du prix du carburéacteur, le dommage causé à l'économie par l'entente serait au maximum égal au sur-profit réalisé par les compagnies pétrolières (soit une augmentation totale du différentiel de 1 134 900 euros) et donc la sanction à elle infligée représenterait 9 fois le montant du dommage à l'économie résultant de la pratique de l'ensemble des concurrents ; qu'en effet, d'autre part, la sanction est sans proportion avec la valeur des ventes affectées par la pratique - valeur qui peut, ainsi que le mentionne le Communiqué sur les sanctions de l'ADLC, constituer un point de départ approprié pour le calcul de la sanction - dès lors que l'amende est presque trois fois supérieure à celle qu'elle aurait atteinte par application dudit communiqué et représente le double du marché directement affecté, ce qui serait sans précédent ;

Considérant que la société Chevron sollicite la réduction de la sanction de 10 millions euros qui lui a été infligée ; qu'elle fait valoir que cette sanction est disproportionnée au regard de la gravité de la pratique qui ne concerne pas un appel d'offres pour la passation de marchés publics, de l'importance du dommage causé à l'économie et de sa situation individuelle ; que cette société soutient que l'existence d'un dommage à l'économie n'est pas démontrée et que le montant de l'amende est disproportionné au regard d'une part de la dimension restreinte du marché en cause, au regard d'autre part de l'effet des pratiques ; qu'il est soutenu sur ces points que le marché de l'approvisionnement d'Air France sur l'escale de la Réunion était de 23 millions euros en 2002, la concurrence ne jouant que le différentiel de 7,6 millions euros, qu'il est faux de prétendre que l'ensemble des livraisons de carburéacteur, y compris à d'autres compagnies qu'Air France, sur l'escale de la Réunion serait affecté, qu'en outre, le dommage sur le marché du transport aérien n'a qu'un lien indirect avec la pratique en cause et que l'impact de la pratique sur le prix des billets d'avion n'est pas établi ce dont il résulte que le dommage à l'économie est nul, étant observé qu'Air France a elle-même évalué son préjudice à 1,2 million euros ; que, s'agissant de sa situation individuelle, la société Chevron invoque une disproportion de la sanction avec la valeur de ses ventes affectées par la pratique, à savoir un chiffre d'affaires d'environ 5,2 millions euros en 2002 sur le marché de la fourniture de carburéacteur à Air France sur l'escale de la Réunion ;

Considérant que la société Esso entend obtenir une réduction de la sanction de 10,7 millions euros qui lui a été infligée en raison de sa disproportion par rapport à la gravité des faits, à la valeur du marché concerné et au dommage à l'économie ; qu'elle soutient que l'entente en cause ne peut être qualifié de très grave et injustifiable ; qu'elle fait valoir que le Conseil a fait une appréciation erronée du dommage à l'économie ; qu'en effet, d'une part, il n'a pas suffisamment pris en compte la taille du marché affecté, limité à un aéroport local sur une île de 2 512 km², marché d'une valeur de 23 millions euros dont un tiers représente le différentiel et marché limité à l'appel d'offres d'Air France, la sanction prononcé étant dans ces circonstances disproportionnée au regard de la pratique décisionnelle récente des autorités ; qu'en effet, d'autre part, non seulement le Conseil affirme de façon inexacte que les acheteurs de carburéacteur à la Réunion sont tous concernés par la pratique et qu'il existerait des barrières à l'entrée sur le marché de l'approvisionnement en caburéacteur, mais encore le Conseil n'a pas apprécié correctement l'impact potentiel de la pratique sur le surplus des consommateurs finaux alors que la pratique n'a porté que sur le différentiel, que les affirmations figurant dans la notification des griefs selon lesquelles le prix du kérosène représenterait 200 euros dans le prix moyen d'un billet [Localité 3]-[Localité 2] ne sont pas justifiées et qu'alors qu'à l'époque des faits un billet aller-retour [Localité 3]-[Localité 2] valait entre 750 et 1 100 euros, l'augmentation du prix du billet généré pour un trajet simple par la hausse du différentiel aurait été insignifiante ;

Considérant que les sociétés du groupe Total soutiennent que les sanctions de 5,5 millions euros (Total Réunion) et de 4,4 millions euros (Total Outre-mer) prononcées à leur encontre sont disproportionnées ; qu'elles font valoir :

- sur la gravité des pratiques : que celles-ci concernent un marché local et restreint et ont été d'une durée limitée à un an ; que Total Réunion ajoute qu'il n'a pas tenu compte du fait qu'elle n'a obtenu que 13% du marché ;

- sur le dommage à l'économie : que l'analyse ne peut être menée comme s'il s'agissait d'une procédure d'appel d'offres ; que les pratiques ne concernent que la fourniture de carburéacteur à Air France à la Réunion et la concurrence ne s'exerce que sur le différentiel ; que la Décision omet de prendre en compte la spécificité de ce marché et la puissance d'achat des compagnies aériennes dont Air France qui procède parfois par offres couplées sur plusieurs escales ; qu'il n'est pas démontré qu'Air France aurait subi ou répercuté un éventuel surcoût dans le prix des billets d'avion ;

Considérant que la société Total Réunion conteste la majoration de la sanction retenue par la Décision pour réitération, exposant que les pratiques visées par la décision du Conseil du 19 octobre 1993 sont différentes et anciennes ; qu'elle ajoute que le Conseil a commis une erreur manifeste d'appréciation sur la proportionnalité de la sanction et ce, au regard de son chiffre d'affaires et du faible volume de carburéacteur vendu à Air France en 2002 par rapport aux autres entreprises sanctionnées, et au regard de la valeur des ventes affectées qu'elle a réalisées qui aurait dû conduire à lui appliquer, par application du Communiqué sur les sanctions, une sanction très inférieure ;

Considérant que, selon la société Total Outre-mer, les sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil reviennent à sanctionner deux fois les pratiques commises par Total Réunion dès lors qu'elle-même n'est pas intervenue dans les négociations avec Air France et n'a pas fourni de carburant ; que cette société ajoute que la sanction est disproportionnée au regard de la valeur des ventes affectées ;

Sur la motivation et la comparaison des sanctions

Considérant que les sociétés Shell et Chevron soutiennent que le Conseil a méconnu son obligation de motivation des sanctions ; que, selon ces sociétés, la Décision ne permet pas de déterminer la manière dont a été calculée la sanction à partir du plafond légal ; que la société Shell expose que le seul élément d'individualisation des sanctions semble avoir été la part de marché obtenue lors de l'appel d'offres ; que la société Chevron, qui estime aussi ne pouvoir apprécier la proportion de la sanction infligée, ajoute que le caractère arbitraire de la méthode de détermination de la sanction prononcée à son encontre est confirmé par la première version de la Décision mise sur le site du Conseil qui prenait en compte une part de responsabilité de sa filiale Chevron Réunion non partie à la procédure et qui n'est plus mentionnée dans la Décision notifiée aux parties ;

Mais considérant qu'ainsi que le rappelle l'Autorité, la notion de 'chiffre d'affaires mondial de l'entreprise ou du groupe auquel elle appartient' visée par le texte sus-rappelé, ne constitue pas l'assiette de la sanction mais son plafond légal ;

Considérant que l'article L. 464-2 du code de commerce impose à l'Autorité de déterminer, en vertu des principes d'individualisation et de proportionnalité, les sanctions pécuniaires prononcées en application des quatre critères qu'il prévoit ;

Considérant qu'en l'espèce, contrairement à ce qui est soutenu, le Conseil a motivé sa décision en développant ses appréciations sur la gravité de la pratique d'entente horizontale en cause (n° 514 et 515), sur l'importance du dommage causé à l'économie par cette pratique (n° 516 à 523), sur la situation individuelle des entreprises mises en cause (n° 524 et suivants), outre s'agissant de la société Total Réunion (n° 530) sur la réitération des faits ; que les parties sont ainsi à même de critiquer, ainsi qu'elles le font (Cf ci-après), les appréciations ayant conduit au prononcé de sanctions à l'encontre de chacune d'elles ;

Considérant, en outre, qu'ainsi qu'il a été dit, seule la décision notifiée aux parties conformément aux dispositions de l'article R. 464-8 du code de commerce revêt un caractère officiel ;

Considérant, par ailleurs, que les sanctions doivent être appréciées au cas par cas en application des principes et critères légaux sus-rappelés ; que la motivation des sanctions est nécessairement liée aux faits et au contexte propres à chaque espèce ; que l'importance relative ou la pertinence des éléments d'appréciation à retenir pour déterminer les sanctions en application des principes et critères légaux varient selon les circonstances propres à chaque espèce ; que doivent, par conséquent, être écartées les argumentations des parties invoquant 'une pratique décisionnelle' des autorités de concurrence ou établissant des comparaisons entre les sanctions appliquées à d'autres entreprises que ce soit dans la même affaire ou dans d'autres espèces ;

Que les moyens ne sont pas fondés ;

Sur la gravité des pratiques

Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, les ententes horizontales aux fins de se répartir un marché et d'y réaliser un sur-profit sont, par nature, des infractions particulièrement graves ; que l'OCDE les qualifie d'ententes 'injustifiables' ; que l'entente en cause est de cette nature ;

Considérant que la Décision rappelle à juste titre que la gravité de l'infraction doit être évaluée en tenant compte, notamment, de la nature de la restriction à la concurrence, du nombre et de la taille des entreprises impliquées, de la part de chacune de ces entreprises sur le marché et de la situation du marché à l'intérieur duquel a été commise la violation des règles de concurrence ;

Considérant que la pratique en cause tend à tromper la société Air France, acheteur, sur la réalité et les effets de la concurrence entre les entreprises mises en concurrence ; qu'elle revêt de ce fait, par sa nature même, un caractère de gravité qui n'est pas atténué par le fait qu'ainsi qu'il a été dit, le marché en cause est un appel d'offres privé ; qu'il ne peut, au vu des faits exposés aux numéros 105 à 115 de la Décision, être soutenu qu'un certain niveau de concurrence a subsisté malgré les pratiques mises en oeuvre par les requérantes alors que celles-ci ont, de concert, offert au premier tour des quantités dont le total correspondait exactement aux besoins d'Air France et ont, lors des tours suivants, peu modifié leurs offres en volumes et en prix, contraignant Air France à accepter des propositions comportant en 2002 une hausse du différentiel de prêt de 30 % par rapport à l'année précédente ;

Considérant que sont impliquées dans cette entente des entreprises appartenant à des groupes mondiaux ; que l'entente concerne toutes les entreprises mises en concurrence par Air France, étant rappelé que, pour les vols directs de grandes distances à partir de la Réunion, les compagnies aériennes ne peuvent pas s'approvisionner ailleurs qu'à cette escale ;

Considérant, en outre, que si la pratique revêt un caractère instantané en ce qu'elle a été mise en oeuvre à l'occasion de l'appel d'offres de 2002, ses effets se sont continués dans le temps durant toute l'année 2002-2003 durant laquelle ont été exécutés les contrats résultant de cet appel d'offres;

Considérant, enfin, que les critiques des requérantes quant à l'absence de prise en compte de la taille des marchés affectés par les pratiques seront examinées au titre du dommage causé à l'économie et l'argument de la société Total Réunion relatif à sa part dans le marché concerné au titre de l'individualisation de la sanction ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à contester l'appréciation par la Décision de la gravité particulière de l'entente en cause ;

Sur le dommage à l'économie

Considérant que l'Autorité rappelle exactement qu'il doit être procédé à l'appréciation de l'existence et de l'importance du dommage à l'économie en tenant compte de tous les aspects de la perturbation générale apporté au fonctionnement normal et concurrentiel des marchés par la pratique en cause ;

Que le dommage causé à l'économie ne se limite pas aux préjudices qu'ont pu subir les personnes victimes de l'infraction ou aux sur-profits qu'ont pu réaliser ses auteurs;

Que sont par conséquent inopérants les arguments des parties tendant à soutenir que le dommage causé à l'économie serait en l'espèce nul ou à tout le moins limité au sur-profit réalisé par les compagnies pétrolières du fait de l'augmentation du différentiel ou au surcoût payé par Air France ;

Considérant, en outre, que la Décision n'a pas présumé le dommage (n° 516 à 523) et a, contrairement à ce qui est soutenu, tenu compte notamment de la taille des marchés affectés par la pratique en cause ; que la Décision relève, en effet, pour apprécier le dommage à l'économie, que l'ordre de grandeur du marché de fourniture de carburéacteur à Air France sur l'escale de la Réunion représente un coût pour l'acheteur de l'ordre de 23 millions euros et que la valeur du différentiel, objet spécifique du marché, représente le tiers environ de cette somme (n° 519) ; qu'en outre, s'agissant du marché connexe du transport aérien de voyageurs entre la Réunion et la métropole, dès lors que le prix du kérosène représente une partie du prix total du billet d'avion, les pratiques en cause ont nécessairement et directement été susceptibles d'avoir un impact sur le coût du transport et donc sur le consommateur ;

Considérant que c'est également à juste titre que, pour apprécier le dommage en l'espèce causé à l'économie, la Décision tient aussi compte d'une part du fait que l'entente a été organisée par des compagnies pétrolières appartenant à des groupes mondiaux, 'majors du secteur', qui avaient chacune la possibilité de faire obstacle à la mise en oeuvre de l'entente en adoptant un comportement autonome sur le marché, et a ainsi causé un dommage particulier au fonctionnement de la concurrence du fait notamment de l'exemple donné aux autres opérateurs, d'autre part, du fait que, sur le marché du transport aérien, les compagnies aériennes ont une faible sensibilité de la demande aux prix du kérosène qui constitue une dépense inévitable pour assurer leur activité ; qu'en outre, la demande émane sur l'île de la Réunion d'une clientèle captive car les compagnies aériennes ne peuvent s'approvisionner ailleurs que sur l'escale de la Réunion et auprès des compagnies pétrolières membres des GIE dont l'existence constitue, au moins à court terme, une barrière à l'entrée du marché (n° 221 à 227) et enfin du fait que si le dommage est élevé sur les marchés locaux au regard de l'importance du transport aérien pour l'île de la Réunion, il reste limité au regard de la taille des entreprises mises en cause ;

Considérant, enfin, que si les requérantes sont fondées à soutenir non établi le fait que l'ensemble des livraisons de kérosène sur l'escale de la Réunion serait potentiellement affecté, cette circonstance n'est pas, compte tenu des éléments sus-mentionnés, de nature à remettre en cause l'appréciation par la Décision de l'importance du dommage à l'économie ;

Que le dommage causé à l'économie a, contrairement à ce qui est soutenu, été exactement apprécié par la Décision ;

Sur la réitération

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Total Réunion a succédé, sous le même numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, à la société Total Réunion Comores ;

Considérant que, par décision n° 93-D-42 du 19 octobre 1993, le Conseil de la concurrence a sanctionné les sociétés Total Réunion Comores et Elf Antar France pour des pratiques contraires aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (devenus les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce) mises en oeuvre sur le marché de la distribution du carburéacteur dans le département de la Réunion, ces pratiques ayant pour objet ou pour effet d'interdire l'accès de la société Esso Réunion audit marché ;

Considérant que de telles pratiques ont un objet similaire à celui des pratiques actuellement en cause en ce qu'elles tendent à fausser le jeu de la concurrence entre compagnies pétrolières au préjudice des compagnies aériennes présentes sur l'île de la Réunion ; que, contrairement à ce que soutient la société Total Réunion, il importe peu que la structure du marché ait changé avec l'arrivée de nouveaux entrants ou que sa propre part de marché avec les compagnies aériennes ait diminué ;

Qu'il en résulte que c'est à juste titre que le Conseil a retenu la réitération, étant observé que la Décision tient compte de l'ancienneté du premier constat d'infraction (n°530);

Sur le montant des sanctions

Considérant que la Décision retient avec justesse que si les entreprises en cause portent chacune une responsabilité identique dans la mise en oeuvre de l'entente dont chacune avait la puissance suffisante pour se désolidariser, le profit qu'elles en ont respectivement tiré est proportionnel à la part de marché obtenue, à savoir 13% pour les sociétés du groupe Total, 25% pour le groupe Chevron, 30% pour le groupe Shell et 32% pour le groupe Exxon ;

Considérant que ni les montants des chiffres d'affaires des groupes en cause en 2007, qui constituent le plafond légal des sanctions respectivement encourues, ni ceux des chiffres d'affaires respectifs en 2007 des sociétés sanctionnées ne sont pas contestés ; qu'il est sur ces points fait référence à la Décision, n° 525 à 536 ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 464-2 du code de commerce n'imposant pas une assiette de sanction, les requérantes ne sont pas fondées à critiquer la Décision en ce qu'elle a calculé les sanctions à partir du chiffre d'affaires global réalisé par chacune des entreprises mises en cause au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2007 et non à partir de la valeur des ventes affectées, étant vérifié que le montant des sanctions ne dépasse pas pour chacune d'elle le plafond légal ;

Considérant que les requérantes ne peuvent se prévaloir du communiqué de procédure du 16 mai 2011 de l'ADLC 'relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires' qui est postérieur à la Décision ; que ce n'est donc qu'au surplus qu'il est observé que ledit communiqué confirme que la valeur des ventes ne constitue pas un indicateur approprié de l'ampleur économique des pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre à l'occasion d'un appel d'offres et du poids relatif des entreprises qui y prennent part ;

Considérant, enfin, qu'ainsi qu'il a été vu ci-dessus, la société Total Outre-mer ne peut soutenir que les sanctions prononcées reviennent à sanctionner deux fois des pratiques commises par la société Total Réunion ;

Considérant que les développements qui précèdent conduisent la cour à considérer que c'est à tort que les requérantes soutiennent que le Conseil n'aurait pas proportionné les sanctions à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation des groupes auxquels appartiennent les entreprises et, s'agissant de Total Réunion, à la réitération de pratiques anticoncurrentielles et contestent le montant des sanctions déterminées individuellement pour chaque entreprise sanctionnée, de façon motivée ;

Qu'il en résulte que les demandes des parties tendant au remboursement des sommes versées au titre des sanctions et des frais de publication de la Décision doivent être écartées ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les recours doivent être rejetés ;

Considérant que l'équité ne conduit pas à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Dit recevables l'intervention de la société Air France et son mémoire récapitulatif du 29 octobre 2012 ;

Rejette les recours des sociétés Esso SAF, Chevron Products Company, Pétroles Shell, Total Outre-Mer et Total Réunion et toutes leurs demandes ;

Condamne in solidum les sociétés Esso SAF, Chevron Products Company, Pétroles Shell, Total Outre-Mer et Total Réunion aux dépens ;

Vu l'article R. 470-2 du code de commerce, dit que sur les diligences du greffe de la cour d'appel de Paris, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie ;

LE GREFFIER,

Benoît TRUET-CALLU

LA PRÉSIDENTE,

Pascale BEAUDONNET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 11/18245
Date de la décision : 28/03/2013

Références :

Cour d'appel de Paris I7, arrêt n°11/18245 : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-03-28;11.18245 ?
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