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30/05/2013 | FRANCE | N°11/08452

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 30 mai 2013, 11/08452


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 30 Mai 2013

(n° 8 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08452



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Juillet 2011 par Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS - Section encadrement - RG n° 08/14320





APPELANT

Monsieur [F] [D]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Zoran ILIC, avo

cat au barreau de PARIS, toque : K0137





INTIMEE

SAS IBM APPLICATION SERVICES anciennement SDDC

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Agnès BRAQUY P...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 30 Mai 2013

(n° 8 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08452

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Juillet 2011 par Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS - Section encadrement - RG n° 08/14320

APPELANT

Monsieur [F] [D]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Zoran ILIC, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137

INTIMEE

SAS IBM APPLICATION SERVICES anciennement SDDC

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Agnès BRAQUY POLI, avocat au barreau de PARIS, toque : R226

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 avril 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Renaud BLANQUART, président, et Anne MÉNARD, Conseillère , chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Renaud BLANQUART, Président

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame Anne MÉNARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [D] a été embauché le 1er avril 1999 par le GIE MAGINFOCOF en qualité d'analyste confirmé. Son contrat, a par la suite, été transféré à la société SDDC, laquelle a finalement été absorbée par la société IBM APPLICATION SERVICES le 1er avril 1999.

Il occupe la position 2.2 au coefficient 130, moyennant un salaire de 3.026,86 euros.

La convention collective applicable est la convention syntec.

Considérant être victime de discrimination en raison de son origine africaine et de harcèlement moral, Monsieur [D] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris le 28 novembre 2008. Statuant en formation de départage, le Conseil de Prud'hommes l'a débouté de toutes ses demandes et condamné aux dépens, par jugement du 8 juillet 2011.

Monsieur [D] a interjeté appel de cette décision le 28 juillet 2011.

Présent et assisté par son Conseil, Monsieur [D] a, à l'audience du 18 avril 2013 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, il demande à la Cour de :

- infirmer le jugement entrepris.

- constater la discrimination dont il a été victime.

- constater le harcèlement moral et dire que la société IAS a violé son obligation légale en matière de protection de la santé physique et morale de son salarié.

- constater le préjudice causé par le harcèlement et la discrimination.

- dire que la société IAS n'a pas respecté son obligation légale d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

- dire que la société IAS n'a pas respecté son obligation légale et conventionnelle en matière de formation.

- condamner la société IBM APPLICATION SERVICE à lui payer la somme de 107.371 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral, salarial et professionnel, et ce sur le fondement des articles 1134-1 et suivants du Code du travail, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes.

- ordonner à l'employeur de le repositionner au coefficient 150 position 2.3 avec un salaire brut de 4.068 euros, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, astreinte que la Cour se réservera le droit de liquider.

- ordonner à la société IBM APPLICATION SERVICE de le réintégrer au poste d'architecte, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt, la Cour se réservant de liquider l'astreinte.

- condamner l'employeur à lui payer une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au harcèlement moral et à la violation par l'employeur de son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi.

- condamner l'employeur à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la violation de son obligation légale et conventionnelle de formation.

- condamner l'employeur à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il expose qu'embauché au poste d'analyse confirmé en 1999, il a intégré à partir du 1er avril 1999 l'équipe d'architecture technique, et ce jusqu'en 2002 ; qu'à partir de l'année 2003, il a été affecté à des missions d'analyste programmeur, très largement en dessous de sa qualification initiale d'analyste confirmé ; qu'il a dénoncé la discrimination dont il faisait l'objet pour la première fois au cours de son entretien d'évaluation de 2004, puis par courrier du 5 octobre 2005 ; que la dégradation de ses conditions de travail a entraîné de nombreux arrêts maladie, en lien avec sa souffrance au travail.

Il fait valoir qu'à la suite de la saisine du Conseil de Prud'hommes, ses conditions de travail se sont encore dégradées ; que contrairement à ce qui est soutenu les missions qui lui ont été confiées ne se sont pas soldées par des échecs, mais que néanmoins l'employeur ne lui confiait plus que des missions de peu d'intérêt, refusées par d'autres, et concernant des logiciels obsolètes ; qu'il n'a pas obtenu les formations qu'il réclamait, contrairement à d'autres salariés, ce qui l'a empêché d'évoluer favorablement dans la société ; qu'il a été affecté à des postes de travail mal situés, dans le passage ou à proximité des toilettes.

Il présente une comparaison entre sa situation et celle d'un panel de salariés, et soutient que son évolution de carrière comme de salaire a été très en deçà de la moyenne, dès lors qu'il est le seul à n'avoir eu aucune évolution de carrière.

Réprésentée par son Conseil, la société IBM APPLICATION SERVICES a, à l'audience du 18 avril 2013 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, elle demande à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions.

- dire que ne peuvent être cumulées les qualifications de discrimination raciale et de harcèlement moral.

- dire que Monsieur [D] n'a pas subi de traitement différent des salariés auxquels il peut être comparé.

- constater qu'il n'a fait l'objet d'aucune discrimination raciale.

- le débouter de toutes ses demandes.

- subsidiairement, constater que Monsieur [D] ne démontre pas l'étendue du préjudice dont il demande la réparation.

- le débouter de sa demande au titre du harcèlement moral allégué.

- en tout état de cause le condamner au paiement de la somme de 3.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose qu'engagé comme analyse confirmé, Monsieur [D] devait évoluer vers un poste d'architecte, qu'il convoitait ; que toutefois, il ne donnait pas toute satisfaction à son poste, et n'avait pas les compétences ; qu'il a effectué plus de formations que les autres salariés ; que son absence d'évolution a donné lieu à de vives tensions, puis à un arrêt pour maladie durant toute l'année 2006, de sorte qu'à son retour, sa situation a été prise très au sérieux et il a été changé d'équipe, sans qu'il en résulte d'amélioration ; qu'en avril 2010, il lui a été confié une mission d'ingénieur d'étude qui s'est soldée par un échec, le client ayant demandé son remplacement ; qu'il a ensuite refusé une mission qui lui était proposée, en la considérant à tort comme disqualifiante.

Elle fait valoir à titre liminaire que la discrimination n'est qu'une forme de harcèlement, les fautes reprochées à l'employeur étant les mêmes dans les deux cas, de sorte que les deux indemnisations ne peuvent se cumuler.

Elle soutient que l'absence d'évolution de carrière de Monsieur [D] est en lien avec ses trop faibles compétences professionnelles ; que contrairement à ce qu'il soutient, il n'a jamais occupé le poste d'architecte technique, le document qu'il produit n'étant qu'un brouillon rectifié par la suite.

Elle conteste que Monsieur [D] ait eu à subir des conditions de travail dégradées, et fait valoir qu'elle a toujours pris en compte toutes ses doléances.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère aux dernières écritures des parties, visées par le greffier, et réitérées oralement à l'audience.

DISCUSSION

- Sur les demandes au titre de la discrimination raciale

Aux termes de l'article L.1132-1 du Code du travail, (...), aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1 er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, (...) de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race (...).

L'article L.1134-1 du Code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Monsieur [D] soutient en premier lieu qu'il a été embauché en 1999 en qualité d'analyste confirmé, mais qu'il a occupé, dès son recrutement, des fonctions d'architecte technique ; qu'en mars 2002, il s'est vu confier la responsabilité du projet de GCL, mais qu'à partir de l'année 2003, il a été affecté à des missions d'analyste programmeur, de surcroît dans des technologies anciennes.

Toutefois, le CV qu'il produit (qui est le document présenté aux clients dans la perspective de l'attribution de missions) et qui fait mention de fonctions d'architecte entre avril 1999 et 2002, n'a jamais été validé par l'employeur. Lorsque ce projet de CV lui a été présenté, la supérieure hiérarchique de Monsieur [D] lui a répondu par courriel du 14 décembre 2007 : '...Pour faciliter notre recherche de mission au sein d'IBM pour toi en tant que concepteur, j'ai légèrement modifié ton CV : (...) J'ai modifié le paragraphe profil en 'concepteur sur des missions d'architecture et de support technique' à la place de 'Architecte et support technique'.

Par ailleurs, jusqu'au mois de mars 2002, il ne justifie d'aucune mission qu'il aurait conduite en qualité d'architecte, le fait qu'il appartienne à l'équipe d'architecture technique n'étant pas de nature à lui conférer cette fonction ; il se plaint d'ailleurs déjà des missions qui lui sont confiées à cette période, comme cela ressort d'un mail qu'il a adressé le 31 août 2000. L'organigramme produit permet de constater que seul Monsieur [G] a la qualité d'architecte technique, et que son équipe est composée de sept autres salariés, placés sous sa responsabilité.

Il reste qu'en mars 2002, Monsieur [D] s'est en effet vu confier la direction d'un projet intitulé 'Etude d'opportunité de mise en oeuvre d'outils de Gestion de Configuration de Logiciels sur Midrange'. L'employeur expose que dans la perspective de le faire évoluer, il lui a confié, à titre d'essai, cette mission en interne, afin de le tester sur des responsabilités pouvant être dévolues à un architecte.

Il relève du pouvoir de direction de l'employeur d'affecter ponctuellement le salarié à des tâches ne relevant pas de sa qualification habituelle, mais dans son domaine d'activité. Il résulte du compte- rendu de la réunion destinée à rendre compte de ce projet qu'il est mentionné que le responsable architecture est Monsieur [G], Monsieur [D] ayant donc travaillé sous la responsabilité de ce dernier. Le compte- rendu de cette réunion montre que Monsieur [D] s'est trouvé en difficulté pour répondre à de nombreuses questions, et qu'il n'avait pas approfondi différents points sur lesquels il a été interrogé.

Ultérieurement, Monsieur [D] indique qu'il ne lui a plus été confié de missions d'architecture.

Il convient de préciser que la mention d'Architecte apparaît sur le CV de Monsieur [D] en 2012, ce qui ne permet manifestement pas d'établir qu'il aurait été victime d'une déqualification à partir de l'année 2002.

Il en résulte que Monsieur [D] n'étaye pas ses affirmations aux termes desquelles il aurait durant trois ans, de 1999 à 2002, exercé des fonctions d'architecte, et aurait été déqualifié à partir de l'année 2002.

Il ne sera pas fait droit dans ces conditions à la demande qu'il forme en vue d'être réintégré au poste d'architecte.

*

Monsieur [D] soutient, par ailleurs, qu'il aurait vu sa carrière dans l'entreprise stagner durant dix ans, ainsi que sa rémunération, à l'exception d'une unique augmentation, et qu'il se serait vu proposer des missions peu motivantes, ou des réorientation de sa carrière contraires à son intérêt (orientation SAP notamment).

Il ressort du tableau versé aux débats qu'au sein de l'équipe d'architecture technique, les autres salariés dont le coefficient est communiqué sont au coefficient interne 1,41 (chef de projet senior ou architecte, alors que Monsieur [D] est au coefficient 1,14 (ingénier études). Certains d'entre eux, comme lui, n'ont pas progressé, mais du fait qu'ils ont été directement affectés au coefficient interne 1,41. En revanche, ceux qui ont été recrutés au-dessous de ce coefficient ont tous progressé au bout de quelques années. Parmi les salariés figurant sur ce panel et exerçant des fonctions de support technique, Monsieur [D] est le seul à n'avoir jamais progressé, ainsi que parmi ceux qui exercent des fonctions de collaborateurs Etudes.

Il résulte de ces éléments que le salarié étaye ses allégations selon lesquelles il n'a pas progressé dans l'entreprise, en matière de carrière et de rémunération, de la même manière que les autres salariés exerçant le même type de fonctions, et recrutés en même temps que lui.

Il convient, dans ces conditions, de rechercher si la société IBM APPLICATION SERVICE justifie par des éléments objectifs et vérifiables que cette stagnation de la carrière de Monsieur [D] est indépendante de ses origines raciales.

Elle expose, en premier lieu, qu'il n'existe pas de progression automatique dans la société, et que beaucoup de salariés à son niveau et à son ancienneté ont un salaire inférieur à celui de Monsieur [D], lequel se situe très au-dessus du minimum conventionnel, et également au-dessus de la moyenne des salaires de sa catégorie.

Toutefois, force est de constater que la société IBM APPLICATION SERVICES ne fournit que des éléments 'statiques', qui permettent d'établir que tel ou tel salarié a un coefficient ou un salaire plus faible que ceux de Monsieur [D], mais sans le rattacher à une évolution, alors que le grief qui est fait à l'employeur n'est pas en réalité le niveau de salaire et de coefficient de ce dernier, mais la stagnation de cette situation durant treize ans (à l'exception d'une unique augmentation de salaire). Dans ces conditions, le fait que la moyenne des salaires du coefficient 2.2 soit inférieure au salaire de Monsieur [D] est sans effet dans la démonstration, dès lors que cette moyenne prend en compte des personnes qui viennent d'arriver à ce coefficient, voire qui viennent d'être embauchées dans la société. La société IBM APPLICATION SERVICES ne justifie pas de la carrière d'un seul salarié, qui pourrait être comparée à celle de Monsieur [D].

Par ailleurs, l'employeur soutient que les missions confiées à Monsieur [D] dans le domaine de l'architecture se sont soldées par des échecs, ce qui l'a amené à le maintenir dans les fonctions techniques dans lesquelles il avait une compétence avérée.

La société IBM APPLICATION SERVICE expose, en premier lieu, que lorsqu'elle a testé Monsieur [D] sur un projet interne d'étude, sur l'opportunité de la CGL en environnements distribués, il ne s'est pas montré à la hauteur des responsabilités qui lui ont été confiées.

Ainsi que cela a déjà été évoqué, il apparaît à la lecture du procès-verbal de la réunion au cours de laquelle il a été rendu compte de ce travail, que Monsieur [D] n'avait pas perçu l'ensemble des questions techniques que posait l'étude concernée, et qu'ainsi, il s'était trouvé en difficulté pour répondre à différentes questions qui lui étaient posées. Il indiquait alors qu'il allait faire les recherches nécessaires sur les différentes questions posées, ce qu'il a fait.

Force est de constater qu'à l'issue de cette mission, l'employeur n'a jamais adressé de courrier, de courriel, ni fait de compte-rendu, qui mettait en évidence le fait que cette mission n'avait pas réellement donné satisfaction, se contentant de laisser Monsieur [D] dans des fonctions techniques, sans lui confier la responsabilité de projets à laquelle il aspirait.

L'employeur verse également aux débats, pour justifier de ce que Monsieur [D] n'avait pas les compétences requises, des échanges de courriels, regroupés sur les mois de septembre 2004 à février 2005. Toutefois, il s'agit d'échanges relatifs à la résolution de problèmes techniques, qui ne permettent pas d'établir ni que Monsieur [D] serait à l'origine de ces difficultés, ni qu'il ne serait pas parvenu à y apporter une solution. Ces courriels révèlent tout au plus une certaine impatience de ses interlocuteurs, y compris quand la demande initiale d'intervention ne remonte qu'à quelques heures, ce qui est le propre de ce type d'activité, le sentiment d'urgence apparaissant rapidement lorsqu'il existe un dysfonctionnement en matière informatique. Seul l'un des échanges de courriels fait réellement état d'erreurs de Monsieur [D] dans l'écriture de scripts.

En tout état de cause, dans un domaine où le travail se fait sur des logiciels complexes et parfois en phase de mise au point, les incidents sont courants, et des échanges de courriels relatifs à la résolution de problèmes technique ne peuvent remettre en cause les compétences des salariés qui participent à ces projets, dès lors qu'in fine des solutions ont pu être apportées.

Par ailleurs, pour les années 1999 à 2009, il n'est versé aux débats par les parties qu'un seul compte rendu d'entretien annuel, à peine renseigné, et où figure la conclusion : 'Je rappelle à [F] que le contexte actuel est difficile et peu porteur en terme d'évolution rapide ; que dans ce cadre, il faut être patient et continuer à faire ses preuves quelque soit la mission proposée'. Aucune critique n'est formulée à l'occasion de cet entretien.

La société IBM APPLICATION SERVICES, qui soutient qu'elle ne donnait pas suite aux demandes réitérées du salarié en vue de bénéficier de missions plus valorisantes car il ne présentait pas les capacités suffisantes, aurait dû le recevoir dans un contexte formel chaque année afin de faire avec lui le point sur ses attentes, mais également celles de l'entreprise sur lesquelles il devait travailler pour pouvoir progresser.

A partir de l'année 2010, Monsieur [D] s'est vu confier la responsabilité de missions d'architecte à plusieurs reprises.

Il ne peut être contesté que la première d'entre elles, auprès de la BNPP en 2010, s'est soldée par un échec, puisque le client a demandé le remplacement de l'appelant, en expliquant qu'il n'y avait aucune difficulté sur les compétences techniques et l'investissement, mais que le salarié avait du mal à exprimer de façon synthétique une problématique ou un résultat, notamment lorsqu'il avait dû échanger avec le management. Toutefois, force est de constater que l'employeur n'a pas considéré que cet échec remettait en cause les compétences de Monsieur [D], puisque postérieurement à cette date, ce dernier s'est vu confier d'autres missions d'architecte, en janvier 2011 (auprès de la compagnie AXA, qui a été menée à bien sans difficulté), puis, au retour d'un arrêt pour maladie ayant duré presque toute l'année 2012, auprès de la compagnie ORANGE en janvier 2013.

L'employeur a, par ailleurs, validé le CV de Monsieur [D] portant mention de l'intitulé d'architecte, et son évaluation de 2011 mentionne comme fonction Architecte / Support technique

Toutefois, l'employeur n'a pas tiré les conséquence de cette confiance accordée à Monsieur [D] sur le plan de son coefficient et de sa rémunération.

Ainsi, l'employeur ne démontre pas l'existence d'éléments objectifs justifiant de l'absence de progression de salaire et de coefficient de Monsieur [D], et qui seraient indépendants de ses origines raciales.

Il résulte de ces éléments que Monsieur [D] a bien été victime de discrimination raciale, ayant porté atteinte à sa carrière et à sa rémunération dans l'entreprise.

Ce dernier est donc fondé à obtenir d'être repositionné au coefficient qu'il aurait dû atteindre si cela n'avait pas été le cas.

Aux termes de la convention collective, le coefficient 130, position 2.2, est défini de la manière suivante : 'Remplissent les conditions de la position 2.1 et, en outre, partant d'instructions précises de leur supérieur, doivent prendre des initiatives et assumer des responsabilités que nécessite la réalisation de ces instructions ; étudient des projets courants et peuvent participer à leur exécution. Ingénieurs d'études ou de recherches, mais sans fonction de commandement.

La convention collective définit le coefficient 150, position 2.3, de la manière suivante : 'Ingénieurs ou cadres ayant au moins six ans de pratique en cette qualité et étant en pleine possession de leur métier ; partant des directives données par leur supérieur, ils doivent avoir à prendre des initiatives et assumer des responsabilités pour diriger les employés, techniciens ou ingénieurs travaillant à la même tâche'.

Compte tenu de son ancienneté dans l'entreprise, de ses compétences techniques, et des missions qui lui ont été confiées depuis l'année 2010, il apparaît que Monsieur [D] est fondé à revendiquer l'application de ce coefficient.

Monsieur [D] a actuellement un salaire de 3.026 euros, ayant bénéficié d'une seule augmentation. Le salaire minimum conventionnel pour le coefficient 150 est de 2.856 euros. Dans l'entreprise, la rémunération la plus basse pour ce coefficient est de 2.939 euros et la moyenne de 4.808 euros. Dans la mesure où il n'aurait atteint ce coefficient que récemment, en raison de l'exigence d'une ancienneté dans les fonctions, et du fait que certaines missions jusqu'en 2010 montraient chez lui un certain manque d'initiative dans la gestion des projets (notamment le projet GCL et le projet BNPP), il convient de retenir qu'il devrait percevoir actuellement une rémunération de 3.500 euros.

Il y aura donc lieu d'ordonner à l'employeur de le repositionner au coefficient 150 position 2.3 avec un salaire brut de 3.500 euros.

Monsieur [D] a subi un préjudice en raison de la discrimination qu'il a subie. Il s'agit, en premier lieu d'un préjudice matériel, lié à la perte de salaire et de droits à la retraite. Toutefois, il convient de souligner que le salaire tel que fixé par le présent arrêt n'aurait été atteint que progressivement, et qu'il n'en aurait pas bénéficié dès son embauche. Il sera donc tenu compte d'une progression linéaire.

Monsieur [D] a également subi un préjudice moral, résultant de la dévalorisation qu'il a subie, et de la perte de confiance qui l'accompagne nécessairement. La souffrance au travail qui en est résulté a eu des répercussions sur son état de santé, et est en rapport direct, compte tenu des justificatifs produits, avec les trois longs arrêts de travail dont il a fait l'objet depuis 2006.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il lui sera alloué 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.

- Sur les demandes au titre du harcèlement moral

Monsieur [D] forme une demande de dommages et intérêts distincte au titre du harcèlement moral dont il aurait été victime dans la société. Ayant déjà été indemnisé du préjudice tant financier que moral ayant résulté de la stagnation de sa carrière et de son salaire, en lien avec une situation de discrimination, il convient de rechercher s'il rapporte la preuve de faits distincts ayant constitué des actes de harcèlement.

Aux termes de ses écritures, il fait état en premier lieu de la localisation de son bureau, qualifié dans l'entreprise de 'dame pipi' car il se situait à proximité de l'entrée des toilettes. Ce fait n'est pas contesté.

Toutefois, il apparaît que cette situation n'a duré que quelques mois. L'employeur expose qu'elle a correspondu au changement d'équipe de Monsieur [D], qui s'était plaint avant son arrêt pour maladie de 2006 auprès de son supérieur hiérarchique, ce dont l'employeur a tenu compte. Si cette emplacement était en effet inopportun, force est de constater qu'il a été provisoire, et a correspondu à la nécessité de ne pas maintenir le salarié dans une situation qu'il avait lui-même dénoncée. Par ailleurs, le bureau était situé en open space, aucunement isolé, et il résulte qu'hormis la proximité des toilettes, il permettait de travailler dans de bonnes conditions. Compte tenu des éléments fournis par l'employeur, il n'apparaît pas dans ces conditions qu'il puisse être retenu que cette emplacement ait constitué un fait de harcèlement moral.

Monsieur [D] soutient également que l'installation d'une ligne ADSL à son domicile lui aurait été refusée sans justification. Toutefois, si la réalité de ce refus n'est pas contestée, force est de constater qu'en 2005, son supérieur hiérarchique Monsieur [J] avait soutenu sa demande en ces termes : 'Est-il possible d'obtenir un accès VPN SDDC pour [F] [D]. Cela lui permettra de travailler de son domicile en cas de besoin (actuellement, il reste parfois très tard chez SDDC pour terminer certaines missions).

Il ne possède pas de TP SDDC mais il a un portable personnel qu'il est prêt à nous confier pour vérification/installation. Il possède également une ligne ADSL à son domicile'. A cette demande, il a été répondu que les règles de sécurité interdisent d'utiliser des ASSETS non IBM/SDDC. Aucun élément du dossier ne vient démentir ce motif technique, et Monsieur [D] ne justifie pas de ce qu'il aurait été passé outre cet impératif de sécurité pour d'autres salariés.

Enfin, le ton des courriers qui sont adressés par sa hiérarchie à Monsieur [D] est extrêmement correct, et laisse même transparaître une réelle volonté de ne pas le heurter, d'expliquer toutes les décisions prises le concernant, et de prendre en considération les difficultés ayant donné lieu à ses arrêts pour maladie, et de répondre à ses très nombreuses sollicitations.

Il résulte de ces éléments que si Monsieur [D] vise bien des éléments qui auraient pu laisser penser à une situation de harcèlement, les explications et les justificatifs fournis par l'employeur amènent à rejeter la demande de dommages et intérêts formée de ce chef.

- Sur les demandes au titre de l'obligation de formation

Monsieur [D] sollicite la condamnation de la société IBM APPLICATION SERVICE à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la violation de son obligation légale et conventionnelle de formation. Il soutient que son employeur aurait manqué à ses obligations en matière de formation, et que des formations qui ont été accordées à d'autres salariés de son service lui auraient été refusées.

Toutefois, s'il est certain que la totalité des demandes de Monsieur [D] n'a pas donné lieu à la formation sollicitée, l'employeur justifie néanmoins lui avoir permis de suivre un grand nombre de formations, dont la qualité n'est pas discutée.

Monsieur [D] ne verse aux débats aucun élément probant pour justifier de ce qu'il se serait vu refuser des formations qui avaient été accordées à tous les autres salariés de l'équipe à laquelle il appartenait.

La société IBM APPLICATION SERVICES a notamment accepté trois demandes de congés individuels dans le cadre du Fongecif. Des formations ont été accordées chaque année, dont certaines n'ont pu être réalisées en raison des arrêts maladie de Monsieur [D]. Ce dernier a notamment bénéficié, à sa demande, de nombreuses formations en anglais. Ainsi, en 2011, il a bénéficié de plus de dix jours de formation.

Il n'apparaît donc pas que l'employeur ait violé ses obligations légales ou conventionnelles en matière de formation, ou qu'il ait à cet égard exécuté le contrat de travail de manière déloyale, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à la demande de dommages et intérêts formée de ce chef.

*

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [D] la totalité des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés.

Il lui sera alloué 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement dans toutes ses dispositions, et statuant à nouveau :

Ordonne à la société IBM APPLICATION SERVICES de repositionner Monsieur [D] au coefficient 150 position 2.3, avec un salaire brut de 3.500 euros.

Condamne la société IBM APPLICATION SERVICES à payer à Monsieur [D] les sommes suivantes :

- 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.

- 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Condamne la société IBM APPLICATION SERVICES aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 11/08452
Date de la décision : 30/05/2013

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°11/08452 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-05-30;11.08452 ?
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