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20/06/2013 | FRANCE | N°12/12752

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 20 juin 2013, 12/12752


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 20 JUIN 2013



(n° 431, 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/12752



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Juillet 2012 -Tribunal de Commerce de RENNES





APPELANTE



SAS CARREFOUR HYPERMARCHES

agissant poursuites et diligences de son président en exercice domicilié en cette

qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE (Me Luca DE MARIA avocat au barreau de PARIS, toque : L0018)

Assistée de Me Carol...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 20 JUIN 2013

(n° 431, 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/12752

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Juillet 2012 -Tribunal de Commerce de RENNES

APPELANTE

SAS CARREFOUR HYPERMARCHES

agissant poursuites et diligences de son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE (Me Luca DE MARIA avocat au barreau de PARIS, toque : L0018)

Assistée de Me Caroline DEMEYERE (avocat au barreau de Lille)

INTIMEE

SAS [Adresse 3] SAS

inscrite au RCS de [Localité 1] sous le n° 340 982 149.

Représentée par son Président en exercice et tous représentants légaux, domiciliés audit siège en cette qualité.

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Laurence TAZE BERNARD de la SCP IFL Avocats (avocat au barreau de PARIS, toque : P0042)

Assistée de Me François REZE (avocat au barreau de Poitiers)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 Mai 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Evelyne LOUYS, Présidente de chambre

Madame Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère

Mme Maryse LESAULT, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Sonia DAIRAIN

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Evelyne LOUYS, président et par Mme Sonia DAIRAIN, greffier.

FAITS CONSTANTS':

La SAS [Adresse 3] ([Adresse 3]) exploite à [Localité 1] un hypermarché à l'enseigne E. LECLERC et, conformément à un usage de la profession, fait réaliser par ses salariés des relevés des prix pratiqués par les enseignes concurrentes.

Ces prix sont relevés au moyen d'un appareil permettant la lecture optique des codes-barres des produits concernés.

La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES (CARREFOUR) s'oppose à toute démarche de relevés de prix dans ses surfaces commerciales.

Par acte du 26 avril 2012, la société [Adresse 3], considérant que pour que les prix soient fixés par le libre jeu du marché, il fallait que les acteurs économiques soient informés des prix pratiqués par la concurrence, a assigné la société CARREFOUR, sur le fondement de l'article L. 410-2 du code de commerce, aux fins de la voir condamner à laisser pratiquer des relevés de prix par les préposés de la société [Adresse 3] et par le moyen d'un lecteur optique de codes-barres, et ce sous astreinte.

Par ordonnance contradictoire du 3 juillet 2012, le juge des référés du tribunal de commerce de Rennes :

- a dit qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer et débouté la société CARREFOUR de sa demande,

- a condamné la société CARREFOUR à laisser pratiquer des relevés de prix par les préposés de la société [Adresse 3] par le moyen d'un lecteur optique de codes-barres,

- a ordonné que cette condamnation soit assortie d'une astreinte provisoire par application de l'article 33 de la loi du 9 juillet 1991 modifié par la loi n°92-644 du 13 juillet 1992, de 5'000 euros par infraction constatée à partir du 3ème jour suivant la signification de la présente ordonnance, et ce pour une durée de 30 jours, après quoi il serait de nouveau fait droit,

- s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte conformément aux dispositions de l'article 35 de la loi n°91-650 du 9 juillet 1991,

- a condamné la société CARREFOUR à payer à la société [Adresse 3] la somme de 3'000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- a débouté la société [Adresse 3] du surplus de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- a condamné la société CARREFOUR aux entiers dépens de l'instance.

La société CARREFOUR a interjeté appel de cette décision le 9 juillet 2012.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2013.

PRETENTIONS ET MOYENS DE LA SOCIETE CARREFOUR':

Par dernières conclusions du 13 mai 2013, auxquelles il convient de se reporter, la société CARREFOUR fait valoir':

In limine litis, sur le sursis à statuer,

- qu'elle demande le sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour Européenne des Droits de l'Homme qu'elle a saisie,

- que la décision de ladite Cour est en effet de nature à avoir une influence directe sur le droit qu'elle revendique dans le présent litige,

- que la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) revêt une valeur normative supérieure au droit interne dont fait partie la jurisprudence de la Cour de cassation sur laquelle se fonde la société [Adresse 3],

- que la société [Adresse 3] n'a jamais justifié d'une quelconque pratique anti-concurrentielle à son encontre sur le fondement de l'article L. 420-1 du code de commerce,

- que l'arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2011 n'a pas fixé définitivement le droit interne puisqu'il n'est pas contesté que la règle posée par cet arrêt est susceptible d'être modifiée pour le cas où la Cour Européenne des Droits de l'Homme estimerait cette jurisprudence contraire aux dispositions de la CEDH,

- qu'elle rappelle la teneur des moyens soulevés par elle devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, à savoir le droit de propriété et le droit au respect du domicile,

- que les jurisprudences, rendues sur le fondement du respect de ces droits, sont parfaitement de nature à recevoir une application au présent litige,

- que, outre que le fait que l'ingérence dans son droit de propriété n'est pas prévu par la loi, ce qui constitue en soi une violation évidente de l'article 1er du protocole additionnel n°1, elle n'est pas en toute hypothèse proportionnée aux exigences du droit de la concurrence qui, manifestement sont respectées par elle, dès lors qu'elle n'interdit en aucun cas à ses concurrents de relever les prix, requérant simplement qu'un minimum de méthodologie soit suivie pour que la concurrence soit loyale et ce, au bénéfice même du consommateur,

- que c'est en raison du droit fondamental que constitue le droit au respect du domicile qu'un huissier, pourtant habilité à dresser constat, ne peut procéder, dans un lieu privé, qu'avec l'assentiment du propriétaire ou sur autorisation préalable du juge, afin de préconstituer une preuve en application de l'article 145 du code de procédure civile, et que dans le cas contraire, l'huissier, et donc a fortiori une personne non habilitée à dresser constat, se rendrait coupable du délit de violation de domicile,

En toute hypothèse, sur la nécessaire infirmation de l'ordonnance,'

- qu'elle rappelle les termes des articles 872 et 873 du code de procédure civile et souligne que le trouble manifestement illicite ou le dommage imminent induisent l'urgence, que le juge des référés est le juge de l'urgence, et que le premier juge n'a pas répondu au moyen tiré de l'absence d'urgence,

- que la motivation retenue par le premier juge est par ailleurs critiquable en ce que celui-ci vise «'pêle-mêle'» l'article L. 410-2 du code de commerce tel qu'interprété par la Cour de cassation et la notion d'usage,

- que l'usage se trouve sérieusement contesté et l'a toujours été par elle,

- que la société [Adresse 3] ne justifie pas avec l'évidence requise de l'usage qu'elle revendique au titre de relevés de prix par les préposés des sociétés de la grande distribution,

- que la société [Adresse 3] s'oppose elle-même à tout relevé de prix dans son point de vente par la société IRI France, missionnée à cet effet par elle, de sorte qu'elle ne respecte même pas l'usage qu'elle revendique,

- que la jurisprudence ne reconnaît pas l'existence d'un tel usage,

- que la preuve de l'absence d'usage résulte du fait que, dans le cadre des travaux préparatoires à l'adoption de la loi LME du 4 août 2008, il avait été proposé lors des débats au Sénat un amendement visant à insérer après l'article L. 441-1 du code de commerce un article rendant possible, dans le respect de l'exercice d'une concurrence effective et loyale au bénéfice des consommateurs, les relevés de prix entre commerçants concurrents, y compris par les moyens informatiques, mais que cet amendement qui avait été adopté par le Sénat n'a pas été retenu lors du vote définitif de la loi,

- que le motif du refus du législateur de consacrer un tel usage tient au risque lié à l'usage qui est fait des relevés de prix et, en particulier, au risque de pratiques anticoncurrentielles par voies d'ententes sur les prix,

- que l'appréciation de telles pratiques ne ressort pas de la compétence du juge des référés,

- que le débat sur le fait que les relevés de prix par des sociétés panélistes indépendantes ne répondraient pas forcément aux attentes des différentes enseignes ne ressort manifestement pas plus des pouvoirs du juge des référés,

- que si le motif opposé par elle à l'appui de son refus de relevés des prix, tenant aux nombreuses condamnations pour publicité illicite des adhérents de Leclerc, ne relève pas davantage de l'appréciation du juge des référés, elle entend néanmoins faire valoir son intérêt légitime d'avoir à se préserver de toute publicité comparative illicite,

Sur sa demande reconventionnelle, '

- que sauf à opérer une discrimination non justifiée entre la société [Adresse 3] et elle, la Cour ne saurait appliquer, dans un cas, le droit à relevés de prix revendiqué par la société [Adresse 3] et exonérer cette dernière du respect de ce même droit,

- que la société [Adresse 3] ne saurait contester la recevabilité de sa demande reconventionnelle au motif que les relevés de prix sollicités seraient réalisés par la société IRI, qui est une société panéliste indépendante, qu'elle missionne à cet effet,

- qu'elle sollicite en outre la réalisation de relevés de prix par ses préposés, de sorte que l'adage selon lequel «'nul ne plaide par procureur'» ne saurait lui être opposé.

Elle demande à la Cour':

In limite litis,

- d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision à rendre par la CEDH,

- de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à rendre par la CEDH sur la requête déposée par elle en date du 19 mars 2012,

- de débouter la société [Adresse 3] de toutes demandes contraires,

Subsidiairement,

- de constater l'absence d'urgence,

- de constater en toute hypothèse l'existence d'une contestation sérieuse au fond et en conséquence,

- de lui donner acte de son accord pour laisser pratiquer des relevés de prix dans son point de vente par les préposés de la société [Adresse 3] moyennant le choix d'un jour précis et ce, conformément à l'arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 4 octobre 2011,

- de dire en conséquence n'y avoir lieu à référé,

- d'infirmer par voie de conséquence l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fait droit aux demandes formées en référé par la société [Adresse 3],

- de débouter la société [Adresse 3] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

A titre reconventionnel et s'il était fait droit aux demandes de la société [Adresse 3],

- de constater le trouble manifestement illicite résultant du refus de la société [Adresse 3] de laisser pénétrer dans son point de vente la société IRI France aux fins de relevés de prix,

- d'ordonner en conséquence à la société [Adresse 3] d'avoir à laisser pratiquer des relevés de prix par la société IRI France ou par ses propres préposés au moyen de lecteurs optiques de codes barres ou par tout autre moyen approprié en son établissement LECLERC de [Adresse 3] sous astreinte de 5'000 euros par infraction constatée,

- de débouter la société [Adresse 3] de toutes demandes contraires,

- de condamner la société [Adresse 3] au paiement d'une somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

PRETENTIONS ET MOYENS DE LA SOCIETE [Adresse 3]':

Par dernières conclusions du 19 avril 2013, auxquelles il convient de se reporter, la société [Adresse 3] fait valoir':

- que les décisions de justice s'enchaînent pour reconnaître l'existence d'un usage du relevé de prix chez un concurrent, que la Cour de cassation, dans un arrêt du 4 octobre 2011, a consacré la licéité de cette pratique, laquelle est le corollaire de la libre détermination des prix par le jeu de la concurrence,

- que, sur le sursis à statuer, la demande tendant à cette fin doit être rejetée, car outre par l'arrêt précité, la règle est définitivement posée en droit interne par la Cour de cassation, qui a dit, par arrêt du 13 mars 2012, n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société CARREFOUR, demandant si les relevés de prix ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, par rapport à l'objectif poursuivi, qu'il n'existe, en effet, aucune disproportion entre les intérêts en présence,

- que l'atteinte alléguée par la société CARREFOUR à son droit de propriété est toute relative, et qu'en outre, la CEDH n'exerce son contrôle en matière «'d'utilité publique'» et donc a fortiori d'ordre public qu'en ce qui concerne l'existence d'une base raisonnable quant au jugement à partir duquel l'Etat a défini la situation « d'utilité publique'» et la législation y afférente,

- qu'il n'existe aucune atteinte disproportionnée au droit à la protection du domicile, car il ne s'agit pas de l'obtention d'une preuve susceptible d'être produite en justice, et que les décisions fondées sur la violation de l'article 8 de la Convention portaient sur les locaux administratifs de sociétés et non sur des magasins ouverts au public,

- qu'elle démontre l'existence d'un usage commercial, que de nombreuses juridictions ont retenue, et qui résulte de la cassation, sans renvoi, par l'arrêt du 4 octobre 2011, le jugement de première instance ayant retenu cet usage,

- que sa demande est, au principal, fondée sur l'article L. 410-2 du code de commerce, que la Cour de cassation a, le 4 octobre 2011, consacré un droit d'accès direct aux prix de la concurrence, que ne respecte pas le recours préconisé par la société CARREFOUR aux sociétés panélistes,

- qu'il y a absence de cause justificative au refus de la société CARREFOUR,

- qu'elle formule des demandes indemnitaires car elle a subi un préjudice du fait de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de fixer ses prix en connaissance de cause de ceux pratiqués par la société CARREFOUR,

- que, à propos de la demande reconventionnelle de la société CARREFOUR, elle estime qu'en matière de concurrence, l'égalité des armes est de mise et que c'est en conséquence à bon droit, face au manquement de la société CARREFOUR, que les centres E. LECLERC lui interdisent l'accès à leurs magasins en vue de relevés de prix, qu'en outre, la demande de l'appelante portant sur des relevés de prix effectués par la société IRI doit être rejetée car «'nul ne plaide par procureur'»,

- que, à propose de la compétence du juge des référés, le texte applicable est l'article 873 du code de procédure civile, étant précisé que l'urgence n'est pas une condition du «'référé cessation d'un trouble manifestement illicite'».

Elle demande à la Cour':

- de déclarer la société CARREFOUR mal fondée en son appel, l'en débouter,

- de confirmer l'ordonnance dont appel et ce faisant,

- d'écarter toute demande de sursis à statuer,

- d'écarter toute exception d'incompétence,

- de condamner la société CARREFOUR à laisser pratiquer des relevés de prix par ses préposés et par le moyen d'un lecteur optique de codes-barres et ce sous astreinte de 5'000 euros par infraction constatée,

Alternativement ou cumulativement, vu l'usage constant relatif aux relevés de prix chez les concurrents,

- de condamner la société CARREFOUR à laisser pratiquer des relevés de prix par ses préposés et par le moyen d'un lecteur optique de codes-barre et ce sous astreinte de 5'000 euros par infraction constatée,

Dans tous les cas,

- de déclarer irrecevable et subsidiairement mal fondée la demande de la société CARREFOUR tendant à lui faire ordonner de supporter les relevés de prix que voudrait faire la société IRI,

Y ajoutant,

- de condamner la société CARREFOUR à lui verser à titre provisionnel la somme de 50'000 euros à titre indemnitaire,

- de condamner la société CARREFOUR à lui verser la somme de 15'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société CARREFOUR aux entiers dépens dont le recouvrement sera directement poursuivi conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur le sursis à statuer':

Considérant que la société CARREFOUR demande de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), au motif que la société [Adresse 3] fonde ses demandes sur l'arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2011, contre lequel elle a formé un recours devant la CEDH';

Que la société CARREFOUR reconnaît avoir épuisé toutes les voies de recours de droit interne à l'encontre de l'arrêt du 4 octobre 2011'; que par ailleurs, la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 mars 2012, a dit n'y avoir lieu de transmettre au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité déposée par la société CARREFOUR le 20 décembre 2011';

Considérant que si c'est à tort que le premier juge a dit que, dans l'hypothèse où la CEDH rendrait un avis contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation, cet avis serait sans effet tant que la loi française ou la jurisprudence n'auront pas été modifiées pour traduire cet avis en droit français, pour autant, il n'y a lieu de surseoir à statuer';

Considérant, en effet, que l'article L. 410-2 du code de commerce, interprété comme commandant, pour la fixation des prix par le jeu de la libre concurrence, que les concurrents puissent comparer leurs prix et, en conséquence, puissent en faire pratiquer des relevés par leurs propres salariés dans leurs magasins respectifs, ne porte manifestement pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, par rapport à l'objectif poursuivi';

Que s'agissant du droit à la protection du domicile, l'argument présenté par la société CARREFOUR repose sur une définition extensive du droit au respect du domicile des personnes morales, lequel concerne au premier chef les locaux administratifs des sociétés ou tout autre lieu dans lequel des documents de nature professionnelle pourraient être saisis'; que les actions de relevés de prix sont réalisées dans des lieux librement accessibles et ne peuvent être assimilées à des perquisitions requérant une protection renforcée'';

Qu'il s'ensuit que les moyens soumis à la CEDH par la société CARREFOUR, tirés du droit de propriété et du droit à la protection du domicile, n'apparaissent pas suffisamment sérieux pour faire obstacle à un examen immédiat du trouble manifestement illicite invoqué par la société [Adresse 3]';

Que la demande de sursis à statuer sera rejetée';

Sur la demande principale de relevés de prix':

Considérant que selon l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile, le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite';

Que ce texte n'impose ni le constat de l'urgence ni celui de l'absence de contestation sérieuse';

Qu'il ne s'agit pas d'une question de compétence du juge des référés, mais de ses pouvoirs'; qu'il n'y a donc lieu de statuer sur une «'exception d'incompétence'»';

Considérant que selon l'article L. 410-2 du code de commerce, «'sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence.'»';

Que la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence commande - et ce sans qu'il y ait lieu de constater l'existence d'un usage - que les concurrents puissent comparer leurs prix et en conséquence en faire pratiquer des relevés par leurs salariés dans leurs magasins respectifs, ces relevés ne portant pas une atteinte disproportionnée, par rapport à l'objectif de police économique poursuivi, au droit de propriété et au droit à la protection du domicile, ainsi qu'il a été dit';

Que le droit de tout concurrent de comparer les prix par des relevés de prix pratiqués par ses préposés ne saurait être restreint «'au choix d'un jour précis'» par le distributeur concurrent';

Que l'opposition, non contestée, par la société CARREFOUR aux relevés de prix qu'entend voir pratiquer la société [Adresse 3] constitue un trouble manifestement illicite';

Que l'ordonnance entreprise, qui a ordonné les mesures propres à faire cesser ce trouble, sera confirmée'en toutes ses dispositions';

Sur les demandes reconventionnelles':

Considérant, sur la demande reconventionnelle formée par la société CARREFOUR, que la règle qui s'impose à l'appelante ne peut que s'appliquer également à la société [Adresse 3], intimée';

Considérant que la société [Adresse 3] ne saurait être exonérée de cette obligation au motif que la société CARREFOUR entend, notamment, voir confier les relevés de prix dans le magasin exploité par elle, à une société IRI, société panéliste spécialisée, dès lors que cette dernière n'agira que comme mandataire du distributeur concurrent, à l'initiative et pour le compte duquel les relevés de prix seront pratiqués';

Que, dans ces conditions, la société CARREFOUR «'ne plaide pas par procureur'»';

Qu'ainsi, l'appelante est recevable, et au vu de ce qui précède, bien fondée, à solliciter l'autorisation de faire procéder à des relevés de prix, alternativement, par un tiers mandaté par elle, ou par ses propres préposés';

Que la société [Adresse 3], qui ne conteste pas s'y être opposée, sera condamnée à laisser pratiquer les relevés de prix, dans les conditions précisées au dispositif';

Considérant, sur la demande reconventionnelle formée par la société [Adresse 3], tendant à l'octroi d'une provision, que le préjudice résultant pour elle de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de fixer ses prix en connaissance de cause de ceux pratiqués par la société CARREFOUR, est incontestable'; qu'il convient de lui allouer à ce titre une provision de 10'000 euros'à titre de dommages et intérêts ;

PAR CES MOTIFS'

REJETTE la demande de sursis à statuer,

CONFIRME l'ordonnance entreprise,

Y ajoutant,

DÉCLARE recevable la demande de la société CARREFOUR HYPERMARCHES tendant à voir pratiquer des relevés de prix par la société IRI France,

CONDAMNE la SAS [Adresse 3] à laisser pratiquer des relevés de prix par la société IRI France, pour le compte de la société CARREFOUR HYPERMARCHES, ou par les préposés de la société CARREFOUR HYPERMARCHES au moyen de lecteurs optiques de codes barres ou par tout autre moyen approprié en son établissement LECLERC de [Localité 1], et ce sous astreinte de 5'000 euros par infraction constatée, à compter du 3ème jour suivant la signification du présent arrêt, et pendant une durée de 30 jours,

CONDAMNE la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES à payer à la SAS [Adresse 3] la somme provisionnelle de 10'000'euros à titre de dommages et intérêts,

CONDAMNE la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES à payer à la SAS [Adresse 3] la somme de 15'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER,

LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 12/12752
Date de la décision : 20/06/2013

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°12/12752 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-06-20;12.12752 ?
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