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11/09/2013 | FRANCE | N°11/08504

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 11 septembre 2013, 11/08504


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 11 Septembre 2013



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08504



Décision déférée à la cour : RENVOI APRES CASSATION - Arrêt du 07 juin 2011 rendu par la cour de Cassation suite à l'arrêt rendu par le pôle 6 chambre 9 de la cour d'appel de PARIS en date du 09 septembre 2009 à l'encontre du jugement rendu le 27 Novembre 2007 par le conseil de prud'h

ommes de MELUN - section encadrement - RG n° 07/00002





APPELANTE

S.A.S CHAMPION SUPERMARCHÉ FRANCE (CSF)

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

rep...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 11 Septembre 2013

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08504

Décision déférée à la cour : RENVOI APRES CASSATION - Arrêt du 07 juin 2011 rendu par la cour de Cassation suite à l'arrêt rendu par le pôle 6 chambre 9 de la cour d'appel de PARIS en date du 09 septembre 2009 à l'encontre du jugement rendu le 27 Novembre 2007 par le conseil de prud'hommes de MELUN - section encadrement - RG n° 07/00002

APPELANTE

S.A.S CHAMPION SUPERMARCHÉ FRANCE (CSF)

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Charlotte ILTIS (SCPA FROMONT-BRIENS), avocate au barreau de LYON

INTIMÉ

Monsieur [T] [M]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Dahbia MESBAHI, avocate au barreau de PARIS, E0706 substituée par Me Laura GROSSET BRAUER, avocate au barreau de PARIS, E0706

PARTIE INTERVENANTE

POLE EMPLOI

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

représenté par Me Véronique DAGONET, avocate au barreau du VAL-DE-MARNE, PC 3 substituée par Me Laura GROSSET BRAUER, avocate au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Juin 2013, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Christine ROSTAND, présidente

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Monsieur Jacques BOUDY, conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le 21 avril 1995, M. [T] [M] a été embauché par la société d'exploitation Amidis et Cie, société d'exploitation des magasins de l'enseigne Champion.

L'exploitation de ces magasins a été assurée par la suite par la société Champion Supermarchés France de sorte que M. [T] [M] est devenu salarié de cette dernière.

À compter du 4 janvier 2006, il a pris des fonctions de directeur du magasin Champion de [Localité 5].

Après avoir fait l'objet d'une mesure de mise à pied conservatoire à compter du 23 novembre 2006, il a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception en date du 5 décembre 2006.

M. [T] [M] ayant saisi le conseil de prud'hommes de Melun en vue de contester la validité et le bien-fondé du licenciement dont il a fait l'objet, ce dernier, par jugement en date du 27 novembre 2007, a condamné la société Champion Supermarchés France à lui payer les sommes suivantes :

- 12 024,99 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1202,50 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payées afférente

- 3 607,49 € au titre du salaire correspondant à la période de mise à pied et 360,75 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payées afférente

- 15 103,30 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

le tout avec intérêts au taux légal « à compter du bureau de conciliation »

- 40 083,30 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

Le conseil de prud'hommes a également ordonné le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [T] [M] dans la limite de six mois de salaire et la société Champion Supermarchés France à payer à ce dernier la somme de 1 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Champion Supermarchés France ayant interjeté appel de ce jugement, par arrêt en date du 9 septembre 2009, la cour d'appel de Paris a estimé que le licenciement était justifié par une faute grave et a infirmé le jugement en conséquence, déboutant les parties de l'ensemble de leurs demandes.

Cependant, par arrêt en date du 7 juin 2011, la Cour de Cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris en toutes ses dispositions et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

C'est dans ces conditions que par déclaration enregistrée au greffe le 27 juillet 2011, la société Champion Supermarchés France a saisi la présente juridiction.

Elle conclut à l'infirmation pure et simple des dispositions du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Melun le 27 novembre 2007 et à la restitution des sommes qu'elle a dû verser en exécution de ce jugement qui était assorti de l'exécution provisoire.

À titre subsidiaire, elle demande que l'indemnité compensatrice de préavis soit fixée à 11 100 € et l'indemnité compensatrice de congés payés afférente à 1 110 €.

Elle demande, en tout état de cause, la condamnation de M. [T] [M] à lui payer la somme de 2 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour sa part, M. [T] [M] conclut à la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la société Champion Supermarchés France à lui payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de rappel de salaire et d'indemnité conventionnelle de licenciement et au titre des indemnités compensatrices de congés payés afférentes.

Pour le surplus, il conclut à son infirmation et à la condamnation de la société Champion Supermarchés France à lui payer les sommes de 96 199,92 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, 10 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et 3500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Intervenant volontairement à l'instance, Pôle Emploi demande la condamnation de la société Champion Supermarchés France à lui rembourser la somme de 13 266,55 € au titre des allocations chômage qu'elle a dû verser à M. [T] [M] et celle de 800 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La lettre de licenciement qui a été notifiée à M. [T] [M] le 20 décembre 2006 était motivée de la façon suivante :

« Graves manquements dans l'exercice de vos missions et responsabilités de directeur de magasin qui sont caractérisés par les faits suivants :

- Globalement, nous déplorons votre refus systématique d'appliquer les procédures.

En effet, nous avons constaté que vous aviez délibérément mis en marche le système de vidéosurveillance au sein de votre magasin, sans vous soucier aucunement du respect des procédures d'autorisation préfectorale et d'information des représentants du personnel requises dans ce cadre.

Or, vous ne pouviez ignorer l'existence de ces procédures, ayant été contacté à trois reprises par M. [V] [Z], formateur sécurité, afin que vous communiquiez l'autorisation préfectorale requise dans ce cadre.

Or, non seulement vous n'avez jamais répondu à ces requêtes, mais en outre, vous avez laissé fonctionner la vidéosurveillance de votre magasin, ce qui démontre l'existence d'une légèreté avérée dans l'application et le respect des procédures.

De la même façon, vous ne nous avez pas informé, ni demandé l'autorisation pour l'embauche de vos enfants au sein du magasin, ce qui démontre votre refus total de transparence et de loyauté, à notre égard.

- Concernant les résultats de votre magasin, il a été constaté une gestion des stocks totalement irrégulière et surtout frauduleuse.

En effet, nous avons découvert qu'au cours de vos inventaires, vous avez inscrit un stock théorique en lieu et place d'un stock réel. À ce titre, nous pouvons noter qu'alors que le stock réel de la marchandise LS en octobre 2006 est de 16 177,88 €, vous inscrivez sur votre inventaire d'octobre 2006 un stock de 25 281,72 € correspondant au stock théorique.

Concernant l'ultra frais, vous inscrivez un stock final de 16 309,13 €, stock théorique en lieu et place d'un stock réel de 10 362,20 €. Par ailleurs, vous avez déclaré un stock final de carburant à fin octobre 2006 d'un montant de 67 266 € alors que le stock réel était de 54 932 €.

Il est donc notoire que vous avez ici surestimé vos stocks, démontrant par là-même votre volonté manifestement délibérée d'améliorer artificiellement les marges du magasin et donc les résultats de l'établissement de [Localité 4], lesquels entrent nécessairement dans le calcul de votre prime de résultat.

De plus, vous avez affirmé que vos managers de rayon étaient associés à cette pratique et en avaient par là-même parfaitement connaissance. Or il s'est avéré que ceci est faux.

- S'agissant de la gestion des articles non alimentaires, il a été établi que des articles EPCS (électro-photo-ciné-son) à savoir 6 GPS, 2 ordinateurs portables ainsi qu'un téléviseur écran plat apparaissant dans les stocks précédents, ne sont plus comptabilisés lors de l'inventaire de novembre 2006. Pourtant, aucune trace d'une vente éventuelle de ces produits n'a pu être retrouvée.

Interrogé à cet égard lors de l'entretien, vous avez affirmé que ces produits n'avaient pas été créés et que par conséquent ils étaient codifiés sous une famille de produits et par la même non identifiables lors d'une vente.

Or, de telles explications sont totalement mensongères, et ce dans la mesure où le directeur du développement des ventes a confirmé que l'ensemble de ces produits étaient issus d'une opération publicitaire. Aussi, chacun de ces produits avait nécessairement fait l'objet d'une création.

Par ailleurs, il a été constaté la disparition d'un ordinateur portable de marque Compaq. Lors de l'entretien, vous nous avez précisé avoir demandé à M. [B], manager de rayon, et M. [C], employé commercial, de passer en démarque ledit ordinateur et ce dans la mesure où cet ordinateur avait été endommagé.

Or, ces personnes ont clairement démenti vos propos et ont attesté n'avoir jamais reçu une quelconque consigne de votre part d'effectuer ladite manipulation.

Bien plus encore, il est établi qu'en semaine 46 vous avez remis à M. [Q], réceptionniste, un téléviseur en panne appartenant au magasin, afin que ce dernier le fasse réparer. Or quelques jours plus tard, vous avez demandé à ce dernier de vous le restituer, et de l'aider à l'installer dans le coffre de votre voiture. Or, vous n'avez jamais remis ce téléviseur au magasin.

- Concernant les relations entretenues avec les fournisseurs, il est apparu certaines irrégularités particulièrement choquantes.

En effet, nous avons découvert que le fournisseur Dumort remplissait lui-même les demandes internes d'achat et ce au mépris de la procédure édictée à cet égard impliquant en effet que le directeur de magasin remplisse lui-même la demande d'achat.

Par ailleurs il a été établi que la société a effectué des travaux de signalétique à l'image de l'entreprise d'onglerie de votre compagne sur son véhicule et ce, à titre gracieux.

Ce geste avait ainsi été manifestement accompli en contrepartie des nombreux travaux que vous avez commandés pour le magasin auprès de la société.

Il est manifeste que vous avez utilisé votre position de directeur de magasin afin de tirer profit à titre personnel des relations entretenues avec les fournisseurs, ce qui est totalement inadmissible.

Aussi, au vu des faits ci-dessus énoncés, de tels agissements constituent un non-respect total des obligations qui vous incombent et ne sauraient être admis tant sur le plan éthique que sur le plan financier et ce, au préjudice de la société.

Par ailleurs, indépendamment de leur caractère frauduleux parfaitement inacceptable, ces agissements sont nécessairement incompatibles avec les responsabilités issues de votre statut de cadre et remettent en cause les relations avec votre hiérarchie qui ne peuvent reposer que sur une confiance totale et non équivoque.

En outre, de par vos fonctions, vous êtes inéluctablement tenu d'avoir une attitude irréprochable quant à la probité et à l'exemplarité que vous donnez auprès de l'ensemble des collaborateurs.

Vous comprendrez aisément par conséquent que de tels agissements ruinent toute la confiance nécessaire à notre collaboration et rendent impossible votre maintien dans l'entreprise.

Compte tenu de la très grande gravité des faits qui vous sont reprochés, votre licenciement prendra donc effet immédiatement et vous cesserez de faire partie de notre personnel à la date de présentation de cette lettre, sans indemnité de préavis et de licenciement' ».

Dans son arrêt en date du 7 juin 2011, la Cour de cassation a noté que « pour retenir une faute grave à la charge du salarié et le débouter de ses demandes, la cour d'appel a relevé que, concernant le grief portant sur l'embauche saisonnière de deux membres de sa famille, son fils et sa belle-fille, l'employeur qui dénonce une violation de la pratique habituelle de la société constituant en l'information de la direction centrale en cas d'embauche de membres de sa propre famille, ne produit aucun élément venant au soutien de ce qui reste une allégation et apparaît être une pratique excessive pour le simple emploi de remplaçants saisonniers ; que par contre, le fait de ne pas avoir mentionné dans les deux contrats litigieux, contrairement aux autres contrats du même type conclus pendant la même période, qu'il s'agissait de jeunes travaillant pendant les périodes de vacances scolaires ou universitaires, reprenant leurs études à l'issue du contrat, et en leur permettant de percevoir ainsi, en violation des dispositions du code du travail, une prime de précarité était constitutif d'une faute, M.[M], en sa qualité de directeur, étant le signataire des contrats et étant responsable du suivi de la politique d'embauche ; que le fait que les contrats aient été signés le 31 juillet 2006 et les faits reprochés en novembre 2006 n'a aucune incidence sur la prescription invoquée par l'intimée, les primes de précarité indues ayant été réglées le 1er octobre 2006, soit moins de deux mois avant la date d'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable ; que ce grief est retenu comme un élément caractérisant la faute grave de l'employeur et que, pris de manière groupée avec d'autres, il constitue l'un des éléments constitutifs d'une faute grave ; ».

La Cour de Cassation considère « qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, ne reprochait pas au salarié d'avoir omis de porter certaines mentions dans le contrat de travail de ces employés et alors, d'autre part, qu'il ne résulte pas de ses constatations que l'employeur n'avait eu connaissance des conditions de recrutement des intéressés que dans les deux mois précédant l'engagement de la procédure de licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; ».

Sur la mise en fonctionnement du système de videosurveillance sans respect des procédures

Pour contester ce grief, M. [T] [M] fait valoir que lorsqu'il a été muté au magasin de [Localité 5], le 4 janvier 2006, le système de vidéosurveillance était déjà en place et fonctionnait alors qu'il est apparu par la suite que l'autorisation préfectorale nécessaire n'avait pas été obtenue et que le comité d'entreprise n'avait pas été consulté au préalable.

Que contrairement à d'autres directeurs de magasin, il avait répondu aux différentes demandes qui lui avaient été adressées à ce sujet par le responsable de sécurité, M. [Z], et qu'il avait effectué les démarches nécessaires, notamment en déposant un dossier d'autorisation auprès de la préfecture.

Il affirme aussi que l'employeur avait parfaitement connaissance de cette situation et que dans la mesure où il l'avait tolérée pendant de nombreux mois, il ne pouvait plus la lui imputer à faute.

Il est constant cependant que si la loi du 21 février 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, complétée par un décret du 17 octobre 2009, autorise l'utilisation de systèmes de vidéosurveillance dans des lieux et établissements ouverts au public particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol, celle-ci exige l'obtention préalable d'une autorisation préfectorale, après avis d'une commission départementale tandis que par ailleurs, l'article L2323-32 du code du travail prévoit une information et une consultation préalable des représentants du personnel.

L'article 10 de la loi du 21 février 1995 prévoit notamment une sanction consistant en une peine de trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende en cas de défaut de respect des formalités qu'elle prévoit.

L'absence de consultation du comité d'entreprise est susceptible d'engager la responsabilité pénale de l'employeur pour délit d'entrave.

Il est établi que M. [T] [M] avait reçu une délégation du directeur régional et avait donc reçu notamment, tous pouvoirs pour effectuer toutes démarches auprès des autorités administratives compétentes dans les domaines visés dans la délégation, qu'il devait de manière générale veiller au bon respect des règles à appliquer ou à faire appliquer en matière de surveillance et de gardiennage du magasin et encore, qu'il devait assurer le respect de la réglementation applicable aux établissements recevant du public.

Or, M. [T] [M] reconnaît lui-même qu'il ne disposait d'aucune autorisation préfectorale notamment puisque l'ensemble de l'installation n'avait pas été mis en place en raison de travaux qui restaient à effectuer sur la façade du magasin et que pourtant, il a laissé le système de vidéosurveillance en fonctionnement, peu important qu'ainsi qu'il le prétend, d'autres directeurs de magasin aient agi de même.

Il résulte d'ailleurs de l'attestation de M. [Y], directeur stagiaire, que celui-ci avait constaté le 18 septembre 2006 que le système de vidéosurveillance fonctionnait et que le directeur, M. [T] [M], « la visionnait régulièrement, l'écran de contrôle étant dans son bureau. ».

Contrairement à ce qu'affirme M. [T] [M], aucun élément ne permet de dire que l'employeur avait connaissance de cette situation et qu'il la tolérait depuis longtemps alors qu'au contraire, il résulte de messages électroniques adressés aux différents directeurs de magasins par le responsable sécurité, M. [Z], que celui-ci attachait une importance certaine au respect de la réglementation en la matière.

Ce grief apparaît donc comme établi.

Sur l'embauche des enfants mineurs de M. [T] [M]

L'employeur reprochait à M. [T] [M], ayant procédé à l'embauche de son fils, âgé de 16 ans et de sa belle-fille, âgée de 17 ans, au cours du mois d'août 2006, par contrat à durée déterminée, sans avoir coché la case prévue à cet effet précisant qu'il s'agissait de jeunes travaillant pendant les vacances scolaires ou universitaires et devant reprendre leurs études à l'issue du contrat de telle sorte qu'ils ne pouvaient prétendre à la prime de précarité, de leur avoir, ce faisant, fait bénéficier, indûment, d'une telle prime.

Toutefois, dans la lettre de licenciement, il ne lui était reproché que d'avoir omis d'avertir l'employeur qu'il avait procédé à ces embauches.

Dès lors que cette dernière fixe les limites du litige, seul ce grief peut être soumis à la discussion des parties.

La société Champion Supermarchés France fait valoir que le salarié a fait preuve de déloyauté à son égard en omettant de l'avertir de ces embauches dans la mesure où il s'agissait des propres enfants du directeur du magasin et qu'en outre, celui-ci se proposait de leur faire bénéficier d'avantages indus, en l'espèce le paiement de la prime de précarité.

Alors que M. [T] [M] invoque la prescription de deux mois prévus par l'article L 1332-4 du code du travail, l'employeur démontre qu'en réalité, il n'a pas pu avoir connaissance des faits dont il s'agit avant le mois de novembre 2006, date pendant laquelle il a mené une enquête afin de déterminer quelles étaient les différentes irrégularités qui étaient apparues dans la gestion du magasin dont M. [T] [M] était le directeur.

En effet, il est certain que dans la mesure où les paies des salariés étaient assurées par un service spécifique, gérant 8700 paies par mois, il n'était pas possible pour l'employeur de repérer l'existence de ces contrats et surtout de déterminer que ceux-ci avaient été consentis par M. [T] [M] à ses propres enfants.

Sur le fond, en revanche, il apparaît qu'aucune instruction particulière n'imposait au directeur de magasin d'informer la direction des embauches auxquelles il procédait, y compris celles qui pouvaient concerner des proches et ce, d'autant moins, lorsqu'il s'agissait de contrats à durée déterminée, de très courte durée, consentis à des jeunes pour la durée des vacances.

Par ailleurs, il n'est pas établi non plus que M. [T] [M] aurait fait preuve de déloyauté en tentant d'occulter des avantages indus qu'il aurait tenté de faire obtenir à ses enfants puisqu'il explique, de façon crédible, qu'ayant effectivement constaté que sa belle-fille avait bénéficié de la prime de précarité, il était intervenu pour que son fils en bénéficie également, ignorant qu'en réalité, cette prime ne pouvait être acquise à des jeunes qui devaient reprendre leurs études après l'exécution du contrat de travail.

Sur la gestion irrégulière des stocks du magasin

Selon l'employeur, les opérations de contrôle effectué au mois d'octobre 2006 ont permis de constater des irrégularités commises par le directeur du magasin.

Ainsi, il est reproché à ce dernier d'avoir substitué aux stocks réellement disponibles les stocks théoriques, d'un montant par nature plus élevé, de manière à gonfler ainsi mécaniquement et de manière artificielle les marges dégagées sur certains produits par le magasin, présenter un bilan plus flatteur et améliorer l'intéressement annuel.

Il est fait grief à M. [T] [M] d'avoir fait figurer, notamment, s'agissant des produits ultra frais, un montant, au titre du stock final, de 16 309,13 € correspondant au stock théorique et permettant corrélativement d'obtenir une marge de 23,05 % alors qu'en réalité, la valorisation de l'inventaire a démontré que le stock disponible ne représentait que 10 362,20 €.

De la même façon, s'agissant des produits charcuterie et traiteur, il aurait fait figurer un stock disponible de 25 281,72 €, correspondant au stock théorique alors qu'en réalité, la valorisation de l'inventaire révélait un stock de 16 177,88 €.

En ce qui concerne le stock final de carburant, il existait, de la même manière, une différence de 12 334 €.

Mais, s'il ne conteste pas, dans ces cas précis seulement, avoir fait figurer seulement les stocks théoriques, M. [T] [M] explique qu'il n'y avait là aucune volonté de dissimulation puisque sur les documents qu'il adressait à l'entreprise et qui sont produits par l'employeur lui-même, il figurait deux colonnes, l'une relative à l'inventaire et l'autre relative au stock théorique.

Dès lors qu'il avait fait effectivement figurer les sommes litigieuses dans cette dernière colonne et non pas dans celle se rapportant aux stocks réels, le reproche qui lui est adressé apparaît comme infondé.

Sur la gestion irrégulière des articles non alimentaires

La société Champion Supermarchés France affirme que lors de l'inventaire des stocks effectué au cours du mois de novembre 2006, il a été constaté la disparition de divers articles électroménagers alors qu'aucune trace de leur vente n'a pu être retrouvée.

Cela concernait six GPS, deux ordinateurs portables et un téléviseur écran plat.

De même, selon elle, un autre ordinateur portable, de marque Compaq aurait disparu et enfin, M. [T] [M] aurait remis à l'un de ses employés un téléviseur endommagé en vue de le réparer puis lui aurait demandé de le lui restituer et de l'installer dans le coffre de sa voiture.

Cependant, M. [T] [M] fournit des explications détaillées qui ne sont pas véritablement et efficacement contestées.

En effet, selon lui, les articles dont il s'agit, issus de catalogues destinés aux hypermarchés alors que le magasin dont il était le directeur était un supermarché, étaient des produits sur lesquels il ne faisait pas de marge.

Ils étaient exposés en vitrine, en vue d'une promotion, après quoi leur prix changeait sur la base de données mais pas dans le magasin de telle sorte que lors de leur vente, ils devaient donner lieu à une validation manuelle en caisse afin de pouvoir les vendre au prix affiché, différent de celui figurant sur la base de données.

C'est la raison pour laquelle ils n'étaient pas identifiables en tant qu'objets vendus.

En ce qui concerne la disparition d'un ordinateur de marque Compaq, M. [T] [M] affirme qu'il s'agissait d'un article qui avait été endommagé à l'occasion de l'effondrement d'une vitrine et qu'il avait pris la décision de le jeter en demandant qu'il soit passé en démarque, conformément à la procédure applicable.

Il subsiste certes un doute sur le sort de cet objet dans la mesure où l'employeur verse les attestations de deux employés qui affirment que le directeur ne leur a jamais demandé de procéder à la casse d'un tel ordinateur tandis qu'un autre affirme qu'après l'écroulement de la vitrine, il avait récupéré cet ordinateur qui était intact et qui avait ensuite disparu.

En tout état de cause, à supposer que cet ordinateur ait disparu, il n'est pas établi que l'intimé en serait à l'origine.

S'agissant des téléviseurs en panne, M. [T] [M] fait remarquer à juste titre que l'attestation dont se prévaut l'employeur ne permet pas de se convaincre des faits que celui-ci lui reproche.

En effet, la rédaction ambiguë de cette attestation permet de comprendre que ce serait en réalité, un certain M. [B], qui aurait demandé au rédacteur de l'attestation, M. [Q], de lui remettre le téléviseur dans le coffre de sa voiture sur le parking du personnel.

Sur les relations entretenues par M. [T] [M] avec les fournisseurs

L'employeur reproche à M. [T] [M] d'avoir laissé l'un de ses fournisseurs, M. [I], artisan en signalétique, remplir à sa place des demandes d'achat en violation avec les procédures internes de la société.

Il affirme également qu'il aurait fait effectuer par ce fournisseur, à titre gracieux et au profit de sa concubine, des travaux de signalétique.

Sur ce point, l'employeur se prévaut d'une attestation détaillée d'un directeur stagiaire, M. [Y], qui indique : « (j'ai) reçu le jeudi 7 décembre 2006 à 16h30 M. [I], représentant les ateliers [I] (signalétique publicitaire) concernant la pose sur le parking du magasin champion d'une signalétique sur le véhicule personnel de M. [T] [M] (en l'occurrence une Smart).

Proche de M. [M], M.[I] m'a d'abord fait croire avoir facturé cette prestation entre 280 et 300 € avant de dire que ces poses de signalétique pour l'onglerie de sa compagne ainsi que les panneaux d'horaires de sa boutique avaient été réalisés gracieusement.M. [I] connaissant M. [M] de longue date m'a d'ailleurs informé que son fils avait aussi réalisé la maquette et les cartes de visite de sa conjointe.

M.[I], non référencé dans notre enseigne avait d'ailleurs des bons de commandes propres à notre entreprise. ».

Face à cette attestation détaillée et circonstanciée, s'agissant en particulier de faits relatifs à des avantages obtenus indûment, force est de constater que M. [T] [M] se borne à contester non pas la réalité du travail réalisé par le fournisseur au profit de sa compagne mais seulement la circonstance qu'il aurait été exécuté à titre gratuit.

Il produit certes une attestation de M. [I], qui s'élève vigoureusement contre les accusations portées à son encontre mais ni ce dernier ni M. [T] [M] n'offrent de démontrer la réalité d'une facturation et d'un paiement, ce qui leur serait pourtant aisé , s'agissant de prestations concernant deux entreprises tenues à une comptabilité rigoureuse.

Ces faits sont donc établis.

Si on les rapproche de ceux concernant l'ignorance délibérée de la réglementation en matière de vidéosurveillance, pourtant protectrice des libertés individuelles, la preuve d'une faute grave est donc rapportée en ce que l'employeur n'a pu que constater que la poursuite du contrat de travail n'était plus possible, même pendant la durée de la procédure de licenciement.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Melun en toutes ses dispositions.

Le présent arrêt, qui se substitue aux dispositions de ce jugement et qui vaut titre, a pour conséquence qu'il n'est pas nécessaire d'ordonner le remboursement des sommes qui auraient pu être versées du fait de l'exécution provisoire qui assortissait le jugement du conseil.

La demande de remboursement d'allocations-chômage formée par Pôle Emploi apparaît comme sans objet et ne peut qu'être rejetée.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Champion Supermarchés France les sommes qu'elle a exposées et qui ne sont pas comprises dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Melun en date du 27 octobre 2007 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [T] [M] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 11/08504
Date de la décision : 11/09/2013

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°11/08504 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-09-11;11.08504 ?
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