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24/09/2013 | FRANCE | N°11/10939

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 24 septembre 2013, 11/10939


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 24 Septembre 2013

(n° 10 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/10939



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Juillet 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section encadrement RG n° F10/06418







APPELANT

Monsieur [J] [I]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparant en personne, ass

isté de Me Serge MARE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0017







INTIMÉE

SA SOLVAY FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Joseph AGUERA, avocat au barreau de LYON




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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 24 Septembre 2013

(n° 10 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/10939

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Juillet 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section encadrement RG n° F10/06418

APPELANT

Monsieur [J] [I]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Serge MARE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0017

INTIMÉE

SA SOLVAY FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Joseph AGUERA, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 18 Juin 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Brigitte BOITAUD, Présidente

Mme Marie-Aleth TRAPET, Conseiller

Mme Catherine COSSON, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Monsieur Polycarpe GARCIA, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par Mme Claudine PORCHER, Présidente

- signé par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente lors des débats et du délibéré et par Monsieur Polycarpe GARCIA, greffier présent lors du prononcé.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [J] [I] a été engagé par la société anonyme SOLVAY FRANCE par contrat à durée indéterminée en date du 19 septembre 1977 en qualité d'ouvrier d'entretien. Après de multiples promotions, il avait été nommé directeur des services généraux, avec un statut cadre.

C'est en cette qualité qu'il a été licencié pour faute grave par lettre du 19 janvier 2010 énonçant le motif du licenciement dans les termes suivants :

« Monsieur,

Nous vous avons reçu le 14 janvier 2010 pour un entretien préalable à une sanction que nous envisageons de prononcer à votre encontre.

Nous vous informons par le présent courrier que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.

Ainsi que nous vous l'avons exposé lors de l'entretien préalable, les motifs de ce licenciement sont les suivants :

Vous exercez la fonction de Responsable des Services généraux de l'établissement SOLVAY de PARIS.

Dans le cadre de votre fonction, vous êtes en relation avec les entreprises extérieures qui prestent pour les services généraux du site de [Localité 3].

Dans le cadre de votre fonction, vous êtes en relation pour le compte de SOLVAY avec la société ODS (Omnium Défis Services) avec laquelle SOLVAY a conclu le 1er janvier 2006 un contrat de prestation multiservices. Cette société exécute pour SOLVAY des prestations de deux types : d'une part des prestations sur site de petit entretien, et d'autre part une prestation de gestion de contrats délégués pour diverses activités (entretien des locaux, maintenance, sécurité incendie, chauffage/climatisation, gardiennage...), et pour lesquelles elle a conclu elle-même des contrats de prestations ou fournitures.

Le total des facturations 2009 de la société ODS s'élève à environ 450 000 euros hors taxe.

A l'occasion de vérifications sur la société ODS avec laquelle SOLVAY a contracté, nous avons découvert le 4 décembre 2009 les liens qui existent entre vous-même et cette société. Il ressort de l'extrait du registre du commerce et des sociétés délivré le 4 décembre 2009, relatif à la société Omnium Défis Services immatriculée le 3 janvier 2005 sous le numéro 487 699 2 74 RCS PARIS établi au [Adresse 3], et qui a démarré son exploitation le 1er janvier 2006, les points suivants :

cette société est établie sous la forme d'une SARL,

vous avez apporté à la société, en tant qu'associé, 50 % du capital social.

Le fait d'être associé au capital de la société ODS alors que par vos fonctions vous êtes en charge de la gestion des relations avec ODS, prestataire pour lui-même, constitue un conflit d'intérêt inacceptable. En effet, vous ne nous avez pas informé de cette situation, ni lors de la conclusion du contrat par SOLVAY avec la société ODS le 1er janvier 2006, ni par la suite.

Cette situation de conflit d'intérêt résultant de votre qualité d'associé de la société ODS avec laquelle vous traitez régulièrement au nom de SOLVAY dans le cadre de votre fonction, et dont n 'a pas eu connaissance la société SOLVAY à l'égard de laquelle vous avez manqué à votre obligation de loyauté, constitue une faute grave qui rend impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise.

En raison de la gravité de la faute, votre licenciement prend effet à la date de première présentation de la présente lettre recommandée avec accusé de réception, sans que votre préavis ne soit ni exécuté, ni payé et sans indemnité de rupture ['] ».

Par jugement du 21 juillet 2011, le conseil de prud'hommes de Paris, en sa section Encadrement, a débouté Monsieur [I] de l'ensemble des demandes dont il l'avait saisi, considérant que la faute grave reprochée au salarié était caractérisée.

Cette décision a été frappée d'appel par Monsieur [I] qui demande à la cour de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société anonyme SOLVAY FRANCE à lui payer 130 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 110 532,80 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, outre les congés payés afférents et 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société SOLVAY FRANCE conclut pour sa part à la confirmation du jugement entrepris et réclame à Monsieur [I] une somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur le licenciement de Monsieur [I]

Monsieur [I], dont il est constant que la société SOLVAY FRANCE a toujours apprécié ses services et lui accordait sa confiance, a été licencié lorsque l'employeur a découvert qu'il était associé à 50 % de la société ODS avec laquelle il aurait traité régulièrement au nom de SOLVAY dans le cadre de ses fonctions, ce dont il n'avait pas eu connaissance, la dissimulation de cette situation pendant près de quatre ans s'analysant à ses yeux en un manquement à son obligation de loyauté.

Monsieur [I] conteste l'existence d'un conflit d'intérêt lié à sa qualité d'associé de la société ODS en soutenant :

- que les faits qui lui sont reprochés s'inscriraient dans une politique d'économie menée par la société SOLVAY en 2009, et constitueraient un prétexte pour rompre les relations d'affaires avec la société ODS et mettre un terme à moindres frais à son contrat de travail,

- qu'aucune disposition contractuelle ni aucune règle de discipline générale de l'entreprise ne lui faisait interdiction d'être associé dans d'autres sociétés,

- que les deux sociétés avaient des activités distinctes,

- que la conclusion des contrats entre la société SOLVAY FRANCE et la société ODS s'opérait directement entre la direction des achats de la société SOLVAY, en la personne de Madame [C] [V], et la société ODS, lui-même n'ayant pas de rôle actif dans les relations commerciales entre les deux sociétés,

- que, loin de causer un préjudice à son employeur, ses relations contractuelles avec la société ODS auraient au contraire procuré un avantage financier à la société SOLVAY FRANCE.

- qu'il importe de considérer l'historique de la relation commerciale née entre la société SOLVAY FRANCE et la société ODS créée par son actuel gérant Monsieur [R], lequel a constitué la société nouvelle par l'acquisition de la société ADDENDA qui assurait les prestations de service pour SOLVAY depuis de nombreuses années.

La société SOLVAY FRANCE fait valoir que les moyens développés par Monsieur [I] sont inopérants dès lors que la preuve est rapportée de ce que :

- Monsieur [I] était responsable des relations avec les prestataires extérieurs, fonction qu'il exerçait avec une réelle autonomie inhérente à son niveau de responsabilité et à son statut de cadre,

- le responsable des services généraux était décisionnaire s'agissant de la négociation des tarifs et de l'évaluation de l'adéquation entre la prestation proposée et le prix négocié par la direction des achats.

L'employeur soutient que l'attestation de Madame [V] démontre à suffire que Monsieur [I] a nécessairement influencé la négociation en fournissant à son associé et gérant de la société ODS, Monsieur [R], des renseignements que ce dernier n'était pas censé connaître.

Selon la société SOLVAY FRANCE, Monsieur [I] ne pouvait que tirer un avantage évident à maintenir des relations contractuelles entre la société dont il était associé et celle dont il était salarié, dès lors qu'en favorisant l'apport d'affaires à la société ODS, il générait un chiffre d'affaires conséquent pour la société SOLVAY FRANCE. La société souligne le refus, par Monsieur [I], de communiquer, en dépit d'une sommation du 6 juillet 2011, les bilans 2008, 2009 de la société ODS, seul étant produit le bilan 2010, portant sur une période postérieure à la rupture du contrat de travail, le prétexte de l'absence de lien entre la communication des documents sollicités et la procédure prud'homale à laquelle la société ODS n'est pas partie n'étant pas recevable aux yeux de l'employeur.

Considérant que si le seul risque de conflit d'intérêt ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, lorsqu'aucun manquement du salarié à l'obligation contractuelle de bonne foi n'est caractérisé, il en va différemment lorsque le licenciement, prononcé pour une cause inhérente à la personne du salarié, est fondé sur des éléments objectifs personnellement imputables au salarié ;

Considérant qu'il résulte de l'aveu même de Monsieur [I] que la société ODS à laquelle il a apporté la moitié de son capital a été constituée consécutivement à la cession de la société ADDENDA, la société nouvelle ayant « repris le marché SOLVAY France avec le personnel y attaché » ;

Considérant que Monsieur [I], qui était alors salarié de la société SOLVAY FRANCE depuis près de trente ans et bénéficiait de la confiance de son employeur qui lui avait fait bénéficier de promotions régulières et importantes puisque, entré à son service en qualité d'ouvrier d'entretien, il en était devenu le directeur des services généraux, a manqué à l'obligation essentielle de loyauté inhérente à son contrat de travail et à ses responsabilités d'encadrement en s'abstenant de porter à la connaissance de son employeur sa participation à la société ODS à laquelle étaient confiées des prestations de petit entretien sur site ainsi que de gestion de contrats délégués (pour l'entretien des locaux, la maintenance, la sécurité incendie, le chauffage et la climatisation, le gardiennage, etc. pour lesquels ODS avait elle-même conclu des contrats de prestations ou de fournitures), de sorte qu'il bénéficiait d'intérêts financiers personnels directs à l'activité de son prestataire principal qu'il contribuait à générer ;

Considérant que Monsieur [I] a pu bénéficier, grâce à son association avec le repreneur de la société ADDENDA, et en qualité d'associé égalitaire de la société ODS, à l'insu de son employeur, du chiffre d'affaires important réalisé par cette dernière société, alors qu'il avait nécessairement un rôle dans le choix des entreprises auxquelles étaient confiées de telles prestations, fût-ce en liaison avec le service compétent, en l'occurrence la direction des achats ;

Considérant que la réalité de cette situation résulte des débats et des pièces communiquées, singulièrement :

- d'un message électronique adressé le 4 février 2009 par [C] [V], acheteuse aux services généraux de la société SOLVAY FRANCE, à ODS, duquel il résulte que, s'agissant des espaces verts et des interventions OTIS, la négociation intervenait directement entre Monsieur [I] et la société ODS, en la personne de son associé Monsieur [R],

- des échanges de courriels permettant de vérifier que Monsieur [I] se trouvait de manière systématique destinataire en copie des messages adressés à la société ODS, étant au premier chef concerné par les négociations des tarifs, la direction des achats menant les négociations en tant que support fonctionnel de la direction des services généraux qui intervenait en amont pour la présentation des prestataires, ainsi qu'en aval, pour évaluer l'adéquation de la prestation proposée et le prix négocié par la direction des achats ;

Considérant que le responsable des services généraux était décisionnaire dans la négociation des contrats de prestations avec les entreprises extérieures, alors surtout que la maîtrise des dépenses et la gestion du budget des services généraux faisaient partie des objectifs qui lui avaient été donnés, comme cela résulte de son entretien d'évaluation du 25 novembre 2008 ;

Considérant qu'en raison de sa seule qualité d'actionnaire du principal prestataire des services généraux de la société SOLVAY FRANCE dont il assurait la direction, Monsieur [I] avait un intérêt personnel au maintien de relations contractuelles entre les deux sociétés, à des conditions avantageuses pour le prestataire ; que les premiers juges ont estimé avec raison que Monsieur [I] avait fait prévaloir ses intérêts personnels sur sa qualité de salarié en tenant notamment compte de l'importante diminution des frais généraux entre les exercices 2009 et 2010, soit avant et après le départ de Monsieur [I] ; qu'il est en effet établi, par la production d'une étude comparative des coûts externes des services généraux entre l'année 2009 et l'année 2010, une diminution des dépenses représentant 35 % ;

Considérant que la société SOLVAY FRANCE a pris soin de ne tenir compte, pour opérer ce calcul, au sein des données extraites du système d'information comptable de la société, que des coûts intéressant le présent litige, à savoir les coûts directs constitués par les achats réalisés par les services généraux, et, parmi ceux-ci, les seuls coûts sur lesquels Monsieur [I] avait un pouvoir de décision, sans prendre en considération les dépenses sur lesquelles le responsable des services généraux n'avait pas d'autorité ; que la comparaison des coûts entre la période de gestion de Monsieur [I] (année 2009) et celle de la période postérieure à son départ laisse apparaître un écart de dépenses de 222 436,82 € (soit 640 917,66 € - 418 480,84 €), objectivant l'intérêt de Monsieur [I] de faire travailler la société ODS sans que le salarié justifie d'un avantage qui en serait résulté pour la société SOLVAY FRANCE ;

Considérant que le conflit d'intérêt né de la participation de Monsieur [I] à la société ODS dont il a été associé dès sa création constitue un manquement à son obligation de loyauté dès lors qu'il lui appartenait d'informer l'employeur de cette situation particulière et nouvelle tandis qu'il était investi de sa confiance et de la responsabilité des services généraux, peu important la possibilité pour la société SOLVAY FRANCE d'obtenir la copie des statuts de son prestataire en raison du caractère public de tels documents ; que ce manquement justifiait le licenciement du salarié ; qu'il ne rendait cependant pas impossible le maintien de Monsieur [I] dans l'entreprise pendant la période de préavis, dans la mesure où, connaissant désormais la qualité d'associé de son responsable des services généraux, l'employeur avait la possibilité de veiller à la régularité des commandes de prestations auprès de la société ODS durant la période limitée du préavis ;

Considérant que le jugement est infirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute grave et condamné le salarié à payer à la société SOLVAY FRANCE une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'il y a lieu de condamner la société SOLVAY FRANCE à payer à Monsieur [I] les indemnités de rupture dont le montant n'est pas subsidiairement contesté et correspond à l'application des dispositions conventionnelles, soit :

- une somme de 110 532,80 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- une somme de 16 579,92 € à titre d'indemnité de préavis,

- une somme de 1 658 € au titre des congés payés afférents ;

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute grave à l'encontre de Monsieur [J] [I] et l'a condamné à payer à la société SOLVAY FRANCE une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

STATUANT A NOUVEAU et AJOUTANT,

CONDAMNE la société SOLVAY FRANCE à payer à Monsieur [J] [I]

- une somme de 110 532,80 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- une somme de 16 579,92 € à titre d'indemnité de préavis,

- une somme de 1 658 € au titre des congés payés afférents ;

CONDAMNE la société SOLVAY FRANCE à payer à Monsieur [J] [I] une somme de 3 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société SOLVAY FRANCE de sa demande sur le même fondement ;

CONDAMNE la société SOLVAY FRANCE aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 11/10939
Date de la décision : 24/09/2013

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°11/10939 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-09-24;11.10939 ?
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