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12/03/2014 | FRANCE | N°12/05996

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 12 mars 2014, 12/05996


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRET DU 12 MARS 2014



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/05996



Décision déférée à la Cour : Arrêt du 20 Mars 2012 -Cour d'Appel de TOULOUSE - RG n° 10/03478





APPELANTE



SAS LACHETEAU

[Adresse 2]

[Localité 2]



Représentée par Maître Anne GRAPPOTTE-B

ENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Maître Jean-Guillaume MONIN, avocat au barreau de LYON, T659

(CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE)



INTIME...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRET DU 12 MARS 2014

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/05996

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 20 Mars 2012 -Cour d'Appel de TOULOUSE - RG n° 10/03478

APPELANTE

SAS LACHETEAU

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par Maître Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Maître Jean-Guillaume MONIN, avocat au barreau de LYON, T659

(CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE)

INTIME

Monsieur [D] - [K] [Q]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté par Maître Quitterie CHABAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : B0865

Assisté de Maître Jean-Christophe CHABAUD, avocat au barreau de TOULOUSE, 380

(SELARL JURIVOX)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Janvier 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Benjamin RAJBAUT, Président de chambre

Mme Brigitte CHOKRON, Conseillère

Madame Anne-Marie GABER, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Patricia DARDAS

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Benjamin RAJBAUT, président et par Madame Marie-Claude HOUDIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

Vu le jugement contradictoire mixte du 3 juin 2010 rendu par le tribunal de grande instance de Toulouse, l'appel interjeté le 28 juin 2010 par la société LACHETEAU, l'arrêt contradictoire de la cour d'appel de Toulouse du 20 mars 2012 renvoyant la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, et le transfert de ce dossier du 23 mars 2012 en application de l'article 97 du Code de procédure civile,

Vu l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Toulouse rendue le 8 novembre 2012, ensuite du dépôt du rapport de l'expert désigné par le tribunal de grande instance, constatant l'extinction de l'instance accessoirement à l'arrêt précité, et le transfert de ce second dossier du 15 novembre 2012 à la cour d'appel de Paris,

Vu les dernières conclusions, pour les deux dossiers, du 24 décembre 2013 de la société LACHETEAU, appelante,

Vu les dernières conclusions, pour les deux dossiers, du 7 novembre 2013 d'[D] [K] [Q] également dit YDP, intimé et incidemment appelant,

Vu les ordonnances de clôture des deux dossiers du 7 janvier 2014,

SUR CE, LA COUR,

Considérant que la société appelante sollicite la jonction des deux procédures et l'intimé indique (p 10 de ses écritures) qu'une jonction'ne serait pas inopportune', la cour étant également saisie, après la décision du 8 novembre 2012 susvisée, de la question de l'évaluation du préjudice évalué à titre provisionnel par le jugement du 3 juin 2010 ; qu'il existe effectivement entre les deux dossiers transmis à la cour un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble et de donner une solution définitive au litige ; qu'en conséquence, il sera fait droit à la demande de jonction et la cour fera usage s'il y a lieu de son pouvoir d'évocation sur l'appréciation du préjudice au vu des résultats de l'expertise judiciaire ordonnée le 3 juin 2010 ;

Considérant qu'[D] [K] [Q] (YDP) se prévaut de droits d'auteur sur des dessins stylisés, destinés à permettre l'identification du vin par référence aux mets qu'il est destiné à accompagner, et de droits de marques françaises ou communautaires semi figuratives sur ces dessins qu'il a ensuite déposés, notamment en classe 33 en particulier pour les boissons alcooliques (à l'exception des bières) et étiquettes non en tissus, comme marques semi figuratives les 24 juillet 1998 (marques françaises 'poulet pollo chicken' n° 98 743 195, 'poison pesce fish' n° 98 743 196 et 'agneau agnello lamb' n° 98 743  197 cette dernière ne visant pas les boissons alcooliques), et 22, 29 juin 1999 et 31 octobre 2000 (marques communautaires 'agnelet lamb agnello' visant bien les boissons alcooliques n°001217140,'sapghetti pasta tortellini' n° 001166198, 'canard duck pato' n°001166180 et 'boeuf beef ternera' n° 001166222) ;

Que, par contrat du 15 octobre 1998, il a concédé à la société VINS DU VAL DE LOIRE dite VINIVAL, aux droits de laquelle se trouve la société LACHETEAU exerçant toujours sous l'enseigne VINIVAL, une licence d'exploitation exclusive pour le monde entier portant sur les marques POISSON FISH PESCE, POULET CHICKEN POLLO et AGNEAU LAMB AGNELLO ainsi que sur les dessins s'y rapportant pour une durée de 5 ans renouvelable par tacite reconduction, YDP s'engageant à lui accorder la priorité de nouvelles marques et dessins procédant du même esprit ;

Que ce contrat a été transféré le 15 décembre 1998 à la société Le Nez Rouge devenue ensuite Planète Terroirs dirigée par YDP et a fait l'objet de 4 avenants ; que la société Planète Terroirs insatisfaite des conditions d'exploitation des marques a entendu résilier le contrat le 23 juin 2003 (à l'issue d'un préavis de 6 mois), puis envisagé un projet de cession des marques exploitées par la société VINIVAL et a été déclarée en liquidation judiciaire le 28 avril 2004, cessant définitivement son activité le 12 mai 2004 ;

Que la société VINIVAL a alors arrêté de payer les redevances ; qu'YDP, qui soutient que le contrat du 15 décembre 1998 n'avait pas pour effet de transférer ses droits de propriété au titre des dessins et des marques a réclamé, le 30 mars 2006, le règlement des redevances du 3ème trimestre 2004 et des 4 trimestres 2005 ainsi que les éléments lui permettant d'établir la facturation 2006, puis estimant que le contrat n'était plus exécuté a indiqué, le 27 mars 2007, vouloir reprendre la libre disposition de ses signes à compter du 1er mai 2007 ; que la société VINIVAL a pour sa part prétendu le 5 avril 2007 que le contrat de licence serait devenu caduc à compter du 12 mai 2004 ;

Que, dans ces circonstances, [D] [K] [Q] (YDP) reprochant à la société LACHETEAU venant aux droits de la société VINIVAL de continuer à disposer de ses dessins et marques sans titre ni contrepartie a, après avoir vainement entrepris une action en référé le 27 décembre 2007, fait assigner cette société le 29 avril 2008 devant le tribunal de grande instance de Toulouse en contrefaçon de marques et de droits d'auteur ;

Que par ordonnance du 2 octobre 2008, signifiée le 16 octobre 2008 et confirmée sur ce point par la cour d'appel de Toulouse le 12 mai 2009, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Toulouse a ordonné à titre provisoire la cessation de l'exploitation des dessins et marques déposées, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée ;

Considérant que, selon jugement dont appel, les premiers juges ont, entre autres dispositions :

- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence au profit du tribunal de grande instance de Paris et prononcé la résiliation du contrat de licence à effet du 1er juillet 2004, date de cessation du paiement des redevances,

-dit que la société LACHETEAU a commis des actes de contrefaçon et de parasitisme au détriment d'YDP titulaire des marques et droits d'auteur, et prononcé une mesure d'interdiction ainsi que de publication,

-ordonné le transfert au profit d'YDP des marques 'Boire et Manger' et 'Drink & Eat' enregistrées par la société LACHETEAU en classe 33 les 18 février 2003 et 3 mai 2005,

-condamné la société LACHETEAU à payer à YDP 300.000 euros à valoir sur le préjudice définitif et 20.000 euros au titre de la liquidation d'astreinte pour la période du 16 octobre 2008 au 4 mars 2010, outre 15.000 euros au titre du préjudice moral, et ordonné une mesure d'expertise aux fins notamment de déterminer la quantité des bouteilles vendues en fraude des droits d'YDP comme reproduisant ou imitant les marques déposées à compter du 1er juillet 2004, les bénéfices perçus et le montant des redevances auxquelles YDP aurait pu prétendre si le contrat de licence était en vigueur ;

Que, par ordonnance du 27 juillet 2010, le délégué du Premier Président de la cour d'appel de Toulouse a arrêté l'exécution provisoire concernant la publication et le transfert des marques et ordonné la consignation de sommes de 20.000 euros et de 15.000 euros, et l'expert judiciaire a déposé son rapport, daté du 14 février 2012, devant le tribunal de grande instance de Toulouse ;

Que, statuant sur l'appel du jugement susvisé, la cour d'appel de Toulouse a, par arrêt du 20 mars 2012, dit que le tribunal de grande instance de Toulouse était incompétent pour connaître de l'action, renvoyant la cause et les parties devant cette cour, et le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Toulouse, saisi d'une demande de provision ad litem, a, ensuite constaté le 8 novembre 2012, que le tribunal était définitivement dessaisi du litige par l'effet de l'appel ayant abouti à la décision de renvoi ;

Considérant que la société LACHETEAU demande principalement à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions tandis qu'YDP demande à titre principal de le réformer sur les montants accordés au titre de la réparation de son préjudice économique, de la liquidation des astreintes et du préjudice moral, et en ce qu'il n'a pas retenu une dépréciation de ses droits ;

Sur le droit d'auteur

Considérant que pour combattre le grief de contrefaçon de droits d'auteur sur les dessins, par ailleurs déposés à titre de marques, la société LACHETEAU fait valoir que YDP ne démontrerait pas sa qualité d'auteur, que ces dessins seraient dénués de l'originalité requise pour prétendre accéder à une protection au titre du droit d'auteur et qu'en tout état de cause elle n'aurait pas reproduit leur combinaison ;

Mais considérant que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom duquel l'oeuvre est divulguée ; que le fait qu'un imprimeur ait également signé le contrat de licence pour la réalisation des étiquettes alors qu'il y est mentionné qu'YDP serait créateur des dessins des trois marques visées dans ce contrat ne saurait démontrer une quelconque ambiguïté sur sa qualité, alors qu'il a par ailleurs déposé à titre de marque sous son nom chacun des dessins en cause ; qu'en l'absence de revendication contraire, YDP est ainsi présumé à l'égard de la société LACHETEAU avoir la qualité d'auteur ;

Considérant en revanche qu'il incombe à YDP qui se prévaut de droits d'auteur de caractériser l'originalité des dessins invoqués, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création revendiquée soit une oeuvre de l'esprit protégeable au sens de la loi, c'est à dire originale ; qu'à cet égard des accords contractuels ou le versement de redevances sont indifférents ;

Que pour conclure à l'originalité de ses dessins YDP se contente d'énoncer qu'aucun élément ne permettrait de dire que la stylisation par lui adoptée appartiendrait au domaine public alors qu'il aurait été retenu le 12 mai 2009 en référé par la cour d'appel de Toulouse qu'ils auraient $gt; ; que ce faisant il n'invoque aucune combinaison d'éléments caractéristiques, alors que la société LACHETEAU relève explicitement l'absence d'une telle démonstration et soutient que les représentations de poules, poissons, vaches et pâtes versées aux débats (pièce 28) démontreraient l'absence d'originalité de ces dessins ;

Considérant qu'il ressort de l'examen auquel la Cour s'est livrée, qu'effectivement les dessins revendiqués donnent à voir en partie haute des formes familières de profils de poissons ou de poules, de boeufs en pied de profil ou des têtes de boeufs de face, de moutons de face, de canards se dandinant ou en vol, ou d'aliments tels des côtes d'agneau et de 3 sortes de pâtes, dans une représentation appartenant au fond commun de l'univers de dessins simplifiés ou stylisés, tout comme le décor, situé en-dessous d'un espace vide en partie basse, qui évoque dans un graphisme réaliste l'environnement naturel connu dans lequel chacun des animaux précités évolue habituellement (algues pour les poisons, tas de paille pour les poules, champs d'herbe clôturés pour les boeufs, haies pour les montons, étangs pour les canards), ou qui montre banalement pour le thème des pâtes un plat de sapghetti prêt à être dégusté ;

Que le fait de présenter sur fond noir en partie haute sur trois rangées les représentations connues d'animaux ou de pâtes en les disposant parfois en quinconce ou en alternant deux dessins (boeufs et têtes de boeufs, moutons et côtes d'agneau) ou les lignes (canards en vol et se dandinant) et en mentionnant sous ces lignes en lettres capitales d'imprimerie trois noms de pâtes, ou en trois langues ceux correspondant aux animaux représentés) et en plaçant également le décor dans la partie inférieure sur une ligne, en le répétant ou non, confère à la représentation de chacun des dessins un aspect d'ensemble naïf, à la manière de réalisations d'écoliers ;

Que si cette combinaison renvoie incontestablement à un genre ludique de nature à séduire, et procède de choix arbitraires, il ne peut pour autant être admis qu'elle

traduit un réel effort créatif au sens du droit d'auteur, ni que chacun des dessins porterait ainsi l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en conséquence, la décision entreprise sera infirmée en ce qu'elle a admis que les dessins revendiqués bénéficiaient de la protection du droit d'auteur et condamné la société LACHETEAU à ce titre, et toutes les demandes fondées sur les dispositions des livres I et II du Code de la propriété intellectuelle seront rejetées ;

Considérant qu'il sera ajouté que si YDP prétend avoir également créé les évolutions de ces dessins, divulguées dans un article de mai 2003 de la revue Vinicole Internationale, qui reprendraient, selon lui, les formes des animaux reproduites dans ses marques, ces dessins, pour les mêmes motifs que ci-dessus, ne sauraient pas plus bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur ;

Sur les marques

Considérant qu'il n'est plus discuté qu'YDP est titulaire des marques invoquées ;

Que pour s'opposer à l'action en contrefaçon de ces marques la société LACHETEAU soutient qu'elle ne les aurait exploité que le cadre du contrat de licence qui lui a été consenti jusqu'en 2004, qu'ensuite qu'elle aurait modifié l'habillage de ses bouteilles, dont les illustrations ne reproduiraient pas les marques et n'en constitueraient pas une imitation génératrice d'un risque de confusion, subsidiairement, qu'YDP aurait tacitement autorisé l'usage des marques modifiées jusqu'au 1er mai 2007 et, plus subsidiairement, qu'YDP serait déchu de ses droits de marques pour les boissons alcooliques (à l'exception des bières) avec effet au 23 décembre 2008, que l'action serait prescrite pour les faits antérieurs au 29 avril 2005, qu'enfin la protection des marques est territorialement limitée ;

Considérant qu'il est admis que le contrat de licence précité, qui a, en particulier, fait l'objet d'une extension à de nouvelles marques par avenant n°2 du 1er octobre 1999 autorisait la société VINIVAL à exploiter les marques actuellement revendiquées ;

Que ce contrat entré en vigueur dès sa signature, soit le 15 octobre 1998, d'une durée de 5 ans a été tacitement renouvelé dès lors que n'a pas été signifié à son terme conformément à son article 8 $gt; ; que la société LACHETEAU soutient néanmoins qu'il aurait ensuite été résilié en application de article 9 par la société Planète Terroirs selon courrier du 23 juin 2003, à effet du 23 décembre 2003 ; que cependant le contrat a perduré cette résiliation ayant été considérée comme nulle et non avenue par la société VINIVAL selon fax du 5 décembre 2003 ; que la société LACHETEAU est ainsi mal fondée à prétendre actuellemnt que la résiliation aurait été réalisée au 23 décembre 2003 ; qu'il ne saurait pas plus être retenu que le contrat serait devenu caduc le 12 mai 2004 à raison de la liquidation judiciaire de la société PLANETE TERROIRS, la convention de transfert n'ayant pas modifié les droits initiaux des parties tirés du contrat de licence ; qu'en revanche, c'est à raison que le tribunal a prononcé la résiliation de ce contrat à effet du 1er juillet 2004 après avoir relevé qu'il n'était pas contesté qu'à compter de cette date les redevances n'étaient plus payées ; que le défaut de paiement constitue en effet un manquement grave à l'exécution du contrat ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;

Considérant que les modifications incriminées des marques, qui s'avèrent en fait avoir été réalisées avant la résiliation du contrat de licence (ce qui apparaît conforté par un procès verbal de constat du 25 novembre 2013) ne sauraient constituer des contrefaçons pendant la durée de ce contrat, ayant nécessairement été exploitées avec le consentement du titulaire des marques ; qu'en revanche elles sont susceptibles de caractériser des actes de contrefaçon , comme la reproduction des marques, pour la période postérieure durant laquelle leur exploitation n'a pas été autorisée ;

Qu'à cet égard la société LACHETEAU ne saurait valablement prétendre qu'elle aurait bénéficié après l'arrêt de ses paiements d'une autorisation tacite d'exploitation jusqu'au 1er mai 2007 ; que le seul fait qu'YDP ait pu émettre des factures correspondants aux redevances jusqu'en mars 2007 compte tenu du maintien sans contrepartie d'une exploitation, ou ait indiqué le 27 mars 2007 qu'il souhaitait reprendre la libre disposition de ses signes à compter du 1er mai 2007, ne saurait en effet suffire à caractériser un réel accord jusqu'à cette date d'un usage des marques par la société VINIVAL devenue LACHETEAU, quand bien même la première action judiciaire n'aurait été intentée que le 27 décembre 2007 (référé aux fins de cessation des agissements reprochés) ;

Considérant qu'il n'est pas dénié que postérieurement à la date de résilaition du contrat le site internet 'boire-et-manger' de la société LACHETEAU a continué à présenter des bouteilles reproduisant les marques telles que déposées, et un procès verbal de constat du 16 juillet 2007 montre que, de même, le site 'vinival.fr' présentait encore de telles bouteilles sur une de ses pages ; que si le contrat d'hébergement de ces sites a été effectivement résilié au 31 mai 2009, les vins présentés en vue de leur promotion par la représentation de bouteilles figurant les marques telles que déposées constituent le support d'une contrefaçon par reproduction, peu important que ces sites n'offrent pas les produits à la vente ;

Que certes les illustrations utilisées pour les vins par ailleurs commercialisés par la société LACHETEAU après la date de résiliation du contrat ne constituent pas la reproduction à l'identique des marques complexes telles que déposées, faute de les reproduire sans modification ni ajout en tous les éléments la composant, étant relevé qu'il n'est argué d'aucune modification de la marque CANARD DUCK PATO et il convient donc de rechercher s'il existe entre les signes en présence un risque de confusion ;

Que, visuellement, la non reprise d'une présentation en partie supérieure d'animaux ou aliments sur trois rangées avec un décor apposé en parie basse et d'un espace vide en partie centrale, l'ajout en position haute des bouteilles d'un macaron 'Boire et Manger' ou quelques différences de détails (inversion de profil, mélange de taille des animaux) n'exclut pas l'impression de grande similitude résultant de la reproduction d'une apposition enfantine de dessins, séparés, d'animaux présentant une configuration très proche, ou de mêmes sortes de pâtes, ainsi que le souligne le tableau comparatif d'YDP produit en pièce 88 ; que cette impression est confortée par la reproduction en dessous de ces dessins, de la même manière, sur une ligne en lettres capitales d'imprimerie, de trois éléments verbaux différents pour désigner les animaux ou aliments représentés ; que nonobstant l'ajout du macaron 'Boire et Manger' ou la modification de certains éléments verbaux une prononciation scandée de trois appellations aux sonorités différentes avec reprise de termes connus demeure prépondérante au plan phonétique ; qu'enfin intellectuellement, les illustrations renvoient strictement au même concept de présentation ludique de dessins représentant les animaux dénommés dans trois langues (ou de pâtes) avec trois dénominations pour présenter des produits (vins) similaires à ceux désignés par les marques françaises 'poulet pollo chicken''poison pesce fish' et communautaires 'agnelet lamb agnello' 'sapghetti pasta tortellini' et 'boeuf beef ternera';

Que l'exploitation non autorisée de telles reprises est constitutive d'une contrefaçon par imitation des marques antérieures, dès lors qu'elle est de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public qui spontanément associera les signes en présence et sera enclin à leur attribuer une origine commune, d'autant qu'ils ont la même fonction qui consiste à permettre d'immédiatement savoir accorder une boisson alcoolique à un type de viande ou à du poisson ou à des pâtes, ce qui n'apparaît pas très habituel dans la présentation de ce type de produit au vu des pièces versées aux débats par l'appelante ;

Considérant que vainement la société LACHETEAU opposerait une déchéance partielle des marques, pour les produits en cause, faute d'un usage sérieux pendant une période interrompue de 5 ans, alors que les marques ont fait l'objet d'un contrat de licence qui a été exécuté jusqu'au 1er juillet 2004 et qu'il n'est pas justifié qu'une période de 5 années se soit écoulée avant la demande reconventionnelle de déchéance ; qu'en tout état de cause cette exploitation était en fait rendue impossible à raison de l'exploitation contrefaisante de la société LACHETEAU, laquelle empêchait de concéder une nouvelle licence sur des marques néanmoins renouvelées, dès lors qu'ainsi que pertinemment relevé par le tribunal un tiers 'se serait trouvé en position concurrente avec un exploitant plus ancien et mieux placé sur le marché' ;

Considérant enfin que la contrefaçon est un délit continu et perdurait lors de l'introduction de l'instance au fond le 29 avril 2008 alors qu'une action en référé avait précédemment été introduite le 27 décembre 2007 ; que les premiers juges ont valablement retenu que l'action n'était pas prescrite pour les faits postérieurs au 27 décembre 2004, le préjudice subi devant être indemnisé à compter de cette date ; qu'en revanche, il conviendra de tenir compte pour cette appréciation du fait que pour les marques françaises seules sont contrefaisantes les exploitations illicites sur le territoire français et pour les marques communautaires les actes commis dans l'Union Européenne ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que les premiers juges ont exactement retenu que la société LACHETEAU $gt; et poursuivi le concept avec d'autres dessins ; qu'il n'est pas sérieusement dénié que des déclinaisons 'big fish, crustacés, dinde et fromage' du concept préexistant ont été réalisées et la société LACHETEAU ne saurait prétendre qu'il s'agit des mêmes faits que ceux poursuivis au titre de la contrefaçon alors que les motifs ou les gammes sont différents ;

Qu'en réalité elle s'est appropriée une façon innovante de représenter sur une bouteille de vin un dessin, non pas pour en illustrer l'étiquette classiquement apposée sur un tel produit, mais pour décorer la bouteille afin de suggérer de manière purement ludique l'association du breuvage à un type de plat ; que si elle a contribué lorsqu'elle était licenciée à accroître la valeur économique de ce concept, il n'en demeure pas moins qu'elle n'ignorait pas qu'il présentait un fort potentiel, même s'il peut être perçu comme infantilisant (selon une étude CSA), et en l'étendant elle a en fait cherché à profiter sans bourse délier de son succès économique à son seul avantage et au mépris des intérêts d'YDP ;

Que c'est à raison que les premiers juges ont retenu que ce comportement fautif, générateur d'un préjudice à compter de la date de résiliation du contrat de licence, devait être sanctionné ;

Sur les demandes en réparation

Considérant qu'aux termes de son rapport du 14 février 2012 l'expert judiciaire a estimé que du 1er juillet 2004 au 31 décembre 2010 :

-le nombre de bouteilles vendues imitant tout ou partie des marques déposées (jusqu'en 2010, pour les mets suivants : Fromage, Crustacés, Dinde, Cochon) était de 646.790 pour un total de bouteilles BOIRES & MANGER de 3.456.186 et de bags in box de 83.362,

-la marge après les coûts directement liés à la fabrication, la plus souvent retenue pour une entreprise lésée ce qui n'est pas le cas en l'espèce, s'élève à 669.112 euros pour les produits BOIRE & MANGER et 132.737 pour les produits approchants (les marges arrières déduites étant évaluées à 990.000 euros) la marge après coûts commerciaux s'élevant respectivement à 431.344 euros et 87.462 euros, et la marge après tous les frais à 67.389 euros et 22.783 euros, marge qui selon lui doit être prise en compte,

-le montant des redevances auxquelles YDP aurait pu prétendre est de 121.894 euros, celle relative aux produits approchants s'élevant à 24.655 euros ;

Considérant que les parties ne s'accordent pas sur ces conclusions ; qu'YDP réclame 1.200.000 euros (ce qui représenterait environ, selon lui, un bénéfice annuel de 180.000 euros) en réparation de son préjudice économique, 200.000 euros pour dépréciation portée à ses droits et 50.000 euros pour préjudice moral ; que la société LACHETEAU estime n'être redevable que de redevances contractuelles pour 90.268 euros, le cas échéant en tenant compte des bénéfices réalisés 24.655 euros, voire 64.950 euros et, tout au plus, que d'une indemnisation totale de 200.000 euros (qui aboutirait, selon elle, à un taux de redevance légèrement inférieur à 0,005 euros par col ou habillage) ; qu'elle sollicite la restitution du surplus versé à titre provisionnel et le rejet des demandes pour perte de valeur distincte et préjudice moral ;

Considérant que, compte tenu des actes de contrefaçon de marques retenus, ainsi que des actes de parasitisme admis, de leur importance, durée et conséquences économiques telles qu'elles résultent du présent arrêt en ce compris l'affaiblissement de la valeur distinctive de la marque du fait des atteintes retenues et des constatations ainsi que de l'analyse comptable de l'expert judiciaire du manque à gagner et des bénéfices réalisés par la société LACHETEAU, et au vu des observations des parties, la cour estime disposer d'éléments suffisant d'appréciation, sans qu'il y ait lieu à nouvelle expertise, pour que l'entier préjudice économique subi par YDP sera réparé par l'allocation d'une somme totale de 400.000 euros à titre de dommages et intérêts (laquelle inclut la somme de 300.000 euros allouée à titre provisionnel en première instance) ; qu'il n'y a pas lieu à allocation d'une autre somme pour dépréciation portée aux droits d'YDP déjà prise en compte ;

Considérant que le préjudice moral nécessairement subi par le titulaire des droits de marque du fait de l'atteinte à ces marques, à laquelle se sont ajoutés des actes de parasitisme a été justement évalué par le s premiers juges à 15.000 euros et le jugement sera confirmé de ce chef ;

Considérant qu'afin d'éviter tout éventuel renouvellement des agissements illicites la mesure d'interdiction prononcée en première instance sera maintenue ; qu'en revanche une mesure de publication judiciaire ne s'impose pas ;

Sur la liquidation d'astreinte

Considérant que la société LACHETEAU a été condamnée le 2 octobre 2008 à cesser toute exploitation et tout usage des dessins et marques déposés sous astreinte et une ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Toulouse a liquidé provisoirement cette astreinte à 20.000 euros le 11 décembre 2009, retenant que la commercialisation s'était poursuivie du 16 octobre 2008,date de signification de la précédente ordonnance de mise en état au 1er décembre 2009 ; que le jugement entrepris a repris cette appréciation pour liquider l'astreinte au 4 mars 2010 ;

Qu'YDP demande de liquider cette astreinte à hauteur de 200.000 euros tandis que la société lACHETEAU prétend qu'elle n'aurait pas couru dès lors que les marques déposées ont été modifiées ; qu'il n'en demeure pas moins qu'il s'agissait d'un usage contrefaisant qui a encore pu être constaté le 1er décembre 2009 et que les premiers juge ont procédé à une juste appréciation de la liquidation définitive de l'astreinte qui sera confirmée ;

Sur les marques de l'appelante

Considérant que la société LACHETEAU ne rapporte pas la preuve qu'YDP ait reproduit ses marques verbales 'BOIRE & MANGER' et 'DRINK AND EAT' pour des produits identiques ou similaires (boissons alcooliques) ; qu'à cet égard la simple production du communiqué d'un tiers, qui indique qu'[D] [Q] serait $gt; et lui aurait proposé $gt; ne saurait suffire à caractériser une contrefaçon de marque, même si le tiers précité reproche, dans un courrier du 16 juillet 2009, à YDP, qui l'avait contacté pour un partenariat sur ses marques 'collection de cépages à thème culinaire diffusée sous le nom de gamme $gt;', de ne pas l'avoir objectivement informé de la situation ; que les demandes en contrefaçon de marques de l'appelante ne sauraient en conséquence prospérer  ;

Considérant qu'YDP demande de confirmer le transfert de marques prononcé à son profit, soutenant que le dépôt effectué par la société LACHETEAU présenterait un caractère frauduleux, serait dépourvu de caractère distinctif et porterait atteinte à ses droits de marques antérieurs, soutenant qu'il aurait employé les appellations préalablement à leur dépôt et que celles-ci parasiterait ses marques dont elles seraient devenues 'indissociables'; qu'il demande subsidiairement d'être autorisé à utiliser les marques adverses et plus subsidiairement de prononcer leur nullité ;

Considérant que la société LACHETEAU qui relève que les marques en cause ne sont pas exactement identifiées dans le dispositif du jugement s'oppose à ces demandes, faisant valoir qu'en réalité les premiers juges auraient statué ultra petita, que la preuve d'une fraude ne serait pas rapportée, pas plus que d'une reproduction ou imitation des signes déposés par YDP et que les marques auraient été déposées de bonne foi plus de trois ans avant la demande d'utilisation de ces marques (interprétée par les premiers juges comme une demande de transfert) ;

Considérant qu'il sera relevé que la société LACHETEAU justifie avoir enregistré dès le 9 août 1999 une marque française verbale 'BOIRE ET MANGER' pour les boissons alcooliques (à l'exception des bières) et que dans son exploit introductif d'instance du 29 avril 2008 YDP ne formulait effectivement aucune prétention quant à des marques verbales enregistrées par la société LACHETEAU les 18 février 2003 et 3 mai 2005 (étant relevé qu'en réalité quatre marques verbales ont été enregistrées à ces dates ainsi que précisé par la société LACHETEAU en page 66 de ses écritures) ; que ce n'est qu'en réponse à une demande reconventionnelle d'interdiction d'usage de deux de ces marques qu'YDP a réagi, alors que manifestement plus de trois ans s'étaient écoulés depuis la publication des demandes d'enregistrement ; qu'il n'est par ailleurs nullement démontré que ces dépots caractériseraient une fraude, alors que la société LACHETEAU bénéficiait déjà d'une dénomination similaire quelque mois après la signature du contrat de licence des marques d'YDP ; qu'enfin les appellations incriminées ne désignent nullement les marques semi figuratives de ce dernier, quoique relevant de la même idée 'd'accord mets/vins', laquelle peut être autrement formulée, et n'en constituent pas la dénomination nécessaire; qu'en l'absence de fraude caractérisée, la demande de transfert s'avère prescrite et la décision entreprise sera infirmée sur ce point ;

Que le simple fait que les dénominations incriminées aient été utilisées pour l'exploitation de bouteilles jugées contrefaisantes ne saurait suffire à justifier une mesure d'autorisation de leur utilisation alors que la société LACHETEAU détient sans fraude des droits de propriété sur ces appellations ; qu'il n'y a pas plus lieu à nullité de ces marques pour fraude, ni pour absence de caractère distinctif, étant observé qu'il ne saurait être sérieusement soutenu que les expressions en cause seraient dépourvues d'un tel caractère pour les produits désignés, ou par rapport aux marques d'YDP qui a choisi un tout autre concept pour évoquer une association mets/ boissons alcooliques, savoir , non pas une dénomination en forme de slogan par la liaison de deux verbes, mais l'adjonction à des noms particuliers d'animaux ou d'aliments la figuration stylisée de ces derniers ce qui exclut tout risque de confusion ; que toutes les demandes d'YDP au titre des marques adverses seront, en conséquence, rejetées ;

PAR CES MOTIFS,

Joint les instances inscrites devant la cour sous les n° 12/05996 et 12/20944 ;

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de licence à effet du 1er juillet 2004, écarté la déchéance des droits de marques d'[D] [K] [Q], retenu des faits de contrefaçon de marques pour la période postérieure au 27 décembre 2004 et des actes de parasitisme, ordonné une mesure d'interdiction, condamné la société LACHETEAU à payer à [D] [K] [Q] 300.000 euros à titre de provision à valoir sur le préjudice définitif, 20.000 euros au titre de la liquidation d'astreinte et 15.000 euros au titre du préjudice moral, et ordonné une mesure d'expertise,

Statuant à nouveau dans cette limite, y ajoutant, et évoquant sur le préjudice définitif en suite du dépôt du rapport de l'expert judiciaire,

Déboute [D] [K] [Q] de ses demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur ;

Condamne la société LACHETEAU à payer à [D] [K] [Q] la somme totale de 400.000 euros, incluant l'indemnité provisionnelle précitée, à titre de réparation de son préjudice économique pour contrefaçon de marques et parasitisme ;

Dit n'y avoir lieu à indemnité complémentaire pour dépréciation de droits ni à publication judiciaire, ni à transfert de marques ;

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

Condamne la société LACHETEAU aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à verser à [D] [K] [Q] une somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 12/05996
Date de la décision : 12/03/2014

Références :

Cour d'appel de Paris I1, arrêt n°12/05996 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-03-12;12.05996 ?
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