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03/04/2014 | FRANCE | N°12/01156

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 03 avril 2014, 12/01156


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 03 Avril 2014

(n° 5 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/01156



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Juillet 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - Section encadrement - RG n° 10/04480





APPELANTE

SAS GENICORP

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Lucile AUBERTY JACOLIN, avocat au b

arreau de PARIS

toque : J114





INTIME

Monsieur [L] [B]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Carole VERCHEYRE GRARD, avocat au b...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 03 Avril 2014

(n° 5 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/01156

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Juillet 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - Section encadrement - RG n° 10/04480

APPELANTE

SAS GENICORP

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Lucile AUBERTY JACOLIN, avocat au barreau de PARIS

toque : J114

INTIME

Monsieur [L] [B]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Carole VERCHEYRE GRARD, avocat au barreau de PARIS, toque : G0091

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 mars 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne MÉNARD, Conseillère , chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Renaud BLANQUART, Président

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame Anne MÉNARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [B] a été engagé par la société GENICORP, qui est une société SSII, en vertu d'un contrat à durée indéterminée en date du 1er juillet 1989, en qualité d'ingénieur cadre.

Son salaire était, en dernier lieu, de 4.327,85 euros.

Le 9 février 2010, il est convoqué à un entretien préalable fixé au 19 février 2010, et il est licencié pour faute grave, le 25 février 2010, l'employeur indiquant que son contrat en cours chez Danone avait dû être interrompu en raison de son comportement colérique et dangereux.

Monsieur [B] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris, lequel, par jugement en date du 1er juillet 2011, a :

- dit que le licenciement n'avait pas de cause réelle et sérieuse.

- condamné la société GENICORP à payer à Monsieur [B] les sommes suivantes :

12.983,55 euros à titre d'indemnité de préavis.

1.298,35 euros au titre des congés payés afférents.

29.814,07 euros à titre d'indemnité de licenciement.

52.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

1.200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société GENICORP a interjeté appel de cette décision le 1er février 2012.

Représentée par son Conseil, la société GENICORP a, à l'audience du 11 mars 2014 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, elle demande à la Cour de :

- dire que les faits imputés à Monsieur [B] sont constitutifs d'une faute grave.

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de différentes sommes et ordonner le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire.

- condamner Monsieur [B] au paiement de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- subsidiairement, dire que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, et infirmer le jugement quant au paiement de la somme de 52.000 euros.

- plus subsidiairement, dire que Monsieur [B] ne rapporte pas la preuve d'un préjudice excédent 6 mois de salaire et fixer l'indemnité due à 25.967,10 euros.

Elle expose que le parcours professionnel de Monsieur [B] a été émaillé de différents incidents, s'étant produits en 1989 (coup violent sur la table d'un restaurant), 1991 (en mission chez Peugeot, classeur jeté au travers de la pièce), 1992 (courait dans un couloir en brandissant des ciseaux), 1996 (problèmes relationnels au sein de la SERNAM), 2003 (problèmes relationnels au sein de Peugeot) ; que c'est dans ce contexte qu'en 2010, la société DANONE l'a informé de ce qu'il s'est levé de son bureau, s'est dirigé vers une consultante, et a brisé un stylo avec un 'regard dément' ; que cet incident a été à l'origine de la perte du marché, qui représentait un chiffre d'affaires important.

Elle fait valoir que la matérialité des faits est établie par les propres déclarations de Monsieur [B] ; que son comportement violent et colérique a impressionné une consultante et ne pouvait être toléré ; qu'il s'agissait d'une second incident chez DANONE, dans la mesure où quelques mois plus tôt, il s'était mis dans une violente colère.

Présent et assisté de son Conseil, Monsieur [B] a, à l'audience du 11 mars 2014 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, il demande à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que son licenciement n'avait pas de cause réelle et sérieuse.

- l'infirmer sur le quantum et condamner la société GENICORP à lui payer les sommes suivantes :

14.641,17 euros au titre de l'indemnité de préavis.

1.464,11 euros au titre des congés payés afférents.

34.027,16 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

117.129,36 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il expose que le jour des faits qui lui sont reprochés, il entendait à proximité une vive altercation à laquelle il ne participait pas, étant de nature introvertie et très réservée ; qu'il a, toutefois, entendu proférer des insultes qui l'ont profondément troublé ; que c'est dans ces conditions qu'il a cassé le stylo qu'il tenait à la main, puis s'est directement rendu à la machine à café ; que c'est sur ce simple fait que la société s'est fondée pour se séparer d'un salarié ayant plus de 20 ans d'ancienneté.

Il conteste que cet incident puisse être à l'origine de la rupture de la relation avec Danone, qui était un client de la société depuis des années, et soutient que les antécédents dont il est fait état n'ont jamais existé ou que des faits anodins sont relatés de manière romanesque.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

DISCUSSION

En vertu des dispositions de l'article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :

'Notre client a du interrompre sans préavis votre mission et notre contrat en raison de votre comportement colérique et dangereux dans les équipes de Danone. Vous en avez donné la démonstration à plusieurs reprises.

Lors du dernier incident, survenu le 28 janvier 2010, notre client nous a décrit la situation comme suite : 'Monsieur [B] s'est levé, s'est saisi d'un stylo, s'est dirigé droit sur une de nos consultantes, a brisé le stylo, l'a écrasé sur la table de la consultante avec un regard dément'. Il ne s'agit pas d'un fait isolé et nous ne pouvons laisser perdurer cette situation de dangerosité'.

Il convient de relever, en premier lieu, que les faits antérieurs à la mission chez Danone, auxquels l'employeur consacre de longs développement, ne sont pas visés dans la lettre de licenciement, qu'ils se seraient produits, pour les plus anciens, vingt ans avant le licenciement, et pour les plus récents 6 ans avant, et qu'ils n'ont fait l'objet d'aucune sanction et même d'aucune remarque de l'employeur.

Compte tenu de ces éléments, et sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans le détail des faits relatés et des explications données par Monsieur [B], il n'apparaît pas que ces incidents, à les supposer véridiques, soient de nature à établir un comportement habituellement dangereux.

Reste donc les faits qui se sont produits au sein de la société DANONE. Pour en justifier, l'employeur verse aux débats un courriel du 29 janvier 2010 de son client rédigé dans ces termes : 'Nous avons un consultant avec une personnalité un peu particulière. Son travail n'est pas remis en cause mais il est survenu deux incidents assez similaires.

Le premier il y a quelques mois, le second aujourd'hui même : à chaque fois, il semblerait qu'un problème technique (disons un plantage ou une erreur ont généré une perte de travail assez conséquente) en soit l'origine.

La première fois, il s'était mis dans une colère noire qui avait visiblement été entendue sur tout le 4ème. Ni [J] ni moi n'étions présents mais en en discutant avec l'équipe, il s'est avéré que les choses s'étaient assainies toutes seules et que cela ne méritait pas plus de réaction de notre part.

Aujourd'hui, ça a pris une autre dimension : il s'est levé, s'est saisi d'un stylo, s'est dirigé droit sur une de nos consultantes, a brisé le stylo, l'a écrasé sur la table de la consultante avec je cite 'un regard dément'.

Il convient de relever que l'expression 'avec un regard dément' est manifestement particulièrement subjective, la salariée qui l'aurait employée n'ayant, en outre, pas témoigné dans le cadre de la présente procédure.

Pour le surplus, les faits sont, en partie, reconnus par Monsieur [B], qui les relate dans un courriel adressé aux salariés avec lesquels il travaillait chez Danone dans les termes suivants : 'Je suis profondément désolé pour la clôture de janvier que je n'ai pas pu assurer, ce qui a certainement été cause de problèmes, mais cela a vraiment été indépendant de ma volonté. N'ayant pas été prévenu à l'avance de l'arrêt brutal de ma mission, je n'ai pas pu vous dire au revoir plus simplement.

J'ai passé ces quelques années avec la ferme volonté de correspondre le plus parfaitement possible à votre attente. Je vous remercie d'avoir, en retour, partagé avec moi vos expériences multiples : le dialogue est bien la solution. Oui, oui, vous avez bien lu. [L] toujours si absorbé apprécie le dialogue.

Je pense que vous avez le droit de connaitre la cause de l'arrêt brutal de ma mission : ayant entendu, ou cru entendre, une mauvaise parole, je suis parti à la machine à café de façon expressive (j'ai cassé mon stylo avec mes mains) mais rassurez vous, je n'ai ni brutalisé, ni bousculé, ni touché, ni insulté, ni menacé, ni harcelé personne. Je regrette d'avoir effrayé la collègue derrière son bureau, vers laquelle je me suis rapproché, avant de poursuivre. Je suis certain que, si mauvaises paroles il y a eu, ce n'est pas d'elle qu'elles provenaient. Sachez en tout cas que mon exaspération n'était pas due à une faute de frappe, perte de données ou autre erreur'.

Les faits ayant entrainé le licenciement se limitent, donc, à un mouvement d'humeur un peu brusque, dans un contexte d'exaspération, de la part d'un salarié réputé très introverti. En revanche, si l'employeur démontre que son contrat avec la société DANONE a pris fin au début de l'année 2010, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier qu'il existerait un lien entre cet incident et la perte du contrat, ce qui ne paraissait nullement être le sens du courrier du 29 janvier 2010.

Contrairement à ce qui est soutenu par l'employeur, il n'apparaît pas que ce mouvement d'humeur s'inscrive dans un comportement habituel de Monsieur [B], qui établit par les pièces qu'il verse aux débats qu'il était très apprécié de ses collègues.

Ainsi, les salariés de DANONE avec lesquels il a travaillé lui ont adressé un courriel collectif rédigé dans ces termes : 'En interrogeant les personnes du contrôle de gestion avec qui tu as travaillé, tous font état de ta rigueur et de ta grande disponibilité. Tu as toujours répondu présent à nos demandes, n'hésitant pas à partager nos horaires tardifs lors des budgets, estimés et clôtures parfois difficiles, afin de nous permettre de boucler ces exercices dans les temps. Dans ces périodes qui nécessitent une grande réactivité, ton assiduité et ton calme nous ont souvent été d'une grande aide. Tous soulignent également ta rigueur et le soin que tu apportes dans ton travail (...)

Sur le plan relationnel, nous avons apprécié de travailler avec toi. Ton humeur égale, ta patience et ta volonté d'aider nous ont été fort appréciables durant les trois années passées chez Danone. Au delà de ces quelques commentaires, la rapidité de ton départ nous a surpris, et nous regrettons de ne pas avoir eu l'occasion de te dire au revoir autrement que par mail'.

Il n'apparaît, donc, pas que l'incident relaté au soutien du licenciement ait entrainé une dégradation de l'image de Monsieur [B] qui aurait justifié que Danone mette fin pour ce seul motif au contrat que la liait à la société GENICORP.

Ces appréciations louangeuses tant sur la qualité et le sérieux du travail que sur son caractère calme se retrouvent dans huit autres attestations de salariés, qui font état d'un comportement introverti et timide, et en aucun cas violent ou même impoli, et qui parlent de sa patience, de sa discrétion, de son calme, de son humeur égale, de son caractère cordial, de son humilité, de son esprit d'équipe.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il n'apparaît pas que l'incident qui s'est produit, et au cours duquel aucun salarié n'a été personnellement agressé, était de nature à justifier le licenciement d'un salarié ayant 20 années d'ancienneté dans l'entreprise sans aucune sanction, et dont la réputation tant du point de vue de la qualité de son travail que du point de vue de ses relations avec ses collègues était excellente.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il sera également confirmé en ce qui concerne le montant alloué au titre de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de licenciement, le décompte présenté par Monsieur [B] prenant en compte à tort la moyenne des trois derniers mois qui intègre une prime annuelle et le rachat de jours de congés de l'année 2008.

Monsieur [B] avait 21 années d'ancienneté à la date de son licenciement, et il était âgé de 51 ans. Il a retrouvé un emploi à partir du mois de mai 2010. A son préjudice matériel s'ajoute un préjudice moral incontestable, résultant notamment de la soudaineté de l'interruption de son contrat de travail. Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué une indemnité de 52.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L1235-3 du code du travail.

Il serait en outre inéquitable de lui laisser la charge de la totalité des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés en cause d'appel.

Il lui sera alloué 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris.

Y ajoutant,

Condamne la société GENICORP à payer à Monsieur [B] une somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société GENICORP aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 12/01156
Date de la décision : 03/04/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°12/01156 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-04-03;12.01156 ?
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