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01/07/2014 | FRANCE | N°12/00279

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 01 juillet 2014, 12/00279


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 01 JUILLET 2014



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/00279



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Novembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL RG n° 10/00217





APPELANT

Monsieur [X] [Q]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparant en personne,

assisté de Me Frédéric N

AVARRO, avocat au barreau de PARIS, toque : R090







INTIMEE

SAS GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Eve DREYFUS, avocat au barreau de PARIS, t...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 01 JUILLET 2014

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/00279

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Novembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL RG n° 10/00217

APPELANT

Monsieur [X] [Q]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparant en personne,

assisté de Me Frédéric NAVARRO, avocat au barreau de PARIS, toque : R090

INTIMEE

SAS GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Eve DREYFUS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1814

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Avril 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller, et Madame Caroline PARANT, Conseillère, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Bernadette LE GARS, Présidente

Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller

Madame Caroline PARANT, Conseillère

Greffier : Madame Claire CHESNEAU, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Madame Marie-Bernadette LE GARS, Présidente et par Madame Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

[X] [Q] a été engagé par la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU, le 1er septembre 2009, en qualité de directeur général, statut cadre dirigeant, suivant un contrat de travail à durée indéterminée.

L'employeur, en raison des fonctions et responsabilités antérieures de [X] [Q] au sein d'une société EUROGEM dont le Groupe ATALIAN a fait l'acquisition il a été décidé et mentionné dans le contrat de travail que l'ancienneté acquise par le salarié au sein du Groupe ICADE (dont dépendait la société EUROGEM) était reprise depuis septembre 1981.

Par lettre remise en main propre du 1er décembre 2009, [X] [Q] est convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 11 décembre 2009, avec mise à pied conservatoire.

Suivant une lettre recommandée avec avis de réception du 16 décembre 2009, il est licencié pour faute grave avec des motifs ainsi énoncés :

' Depuis votre arrivée à Vitry sur Seine , vous manifestez une opposition systématique aux orientations stratégiques de la direction générale, tant sur le plan commercial qu'organisationnel ainsi que sur la communication à déployer autour de l'intégration d'Eurogem dans le Groupe. Sur ce point, votre lettre du 2 décembre 2009 confirme s'il en était besoin , votre opposition à la stratégie décidée par votre direction générale.

Par ailleurs, au cours d'une réunion qui s'est tenue le 9 novembre 2009 et relative à l'organisation des chantiers PPP , secteur qui était sous votre entière responsabilité , il nous est clairement apparu qu'aucun dossier n'avait été correctement géré, à tel point qu'aucun dossier n'a pu être, à ce jour, clôturé ( il en est ainsi par exemple du dossier de [Localité 3] au sujet duquel vous avez été incapable de nous désigner le nom du client à qui nous devions facturer les prestations supplémentaires , prestations que nous avions pourtant réalisées depuis plusieurs mois déjà. Il en est de même du dossier CSN pour lequel, malgré l'existence d'un accord fixant la répartition du marché entre Eurogem et le Groupe Eiffage, vous étiez dans l'incapacité de nous présenter le schéma final et ses conséquences pour Eurogem. Des problèmes identiques ont été identifiés sur les chantiers de [Localité 4], CHNO etc...Malgré cette situation désastreuse , force est de constater que vous n'avez émis aucune proposition ni suggestion pour remédier à cette situation particulièrement préjudiciable pour nos activités.

Bien plus, à l'issue de cette réunion vous avez rédigé un compte rendu dont les termes non seulement, ne reflètent pas la réalité des propos tenus mais encore portent une atteinte grave à l'intégrité du président du Pôle Multitechnique du Groupe. En effet, vous avez cru bon devoir écrire que ' A. [N] estime qu'un tel contrat limité au GER n'a pas de sens et qu'il faut faire du lobbying car tous les appels d'offres publics en France sont pourris et corrompus de partout...'.

Ces propos qui sous-entendent que le président du Pôle Multitechnique se livrerait à des pratiques illicites voire frauduleuses ne sont pas acceptables de la part d'un cadre de votre niveau de responsabilité. Ces propos et sous-entendus sont d'autant plus inadmissibles qu'ils n'ont jamais été tenus par M. [J] [N] , notamment dans les termes que vous lui attribuez. Votre compte rendu est d'autant plus grave qu'il a été diffusé aux participants de la réunion, ce que vous ne pouviez ignorer et que les termes que vous avez employés ont largement contribué à créer un malaise au sein des équipes.

Par ailleurs, nous vous rappelons que vous étiez en charge de la société FACIMALP , laquelle accusait des pertes de l'ordre de 300K€ depuis plusieurs mois. Lors d'une réunion téléphonique avec M. [U] [L] , président d'Atalian, en présence de M. [J] [N] et alors que le président vous demandait de vous impliquer dans les résolutions et actions à mettre en oeuvre pour redresser les comptes de FACIMALP , vous avez cru bon de lui répondre : ' si vous savez mieux faire que moi, vous n'avez qu'à le faire ', ce qui est totalement inacceptable.

Enfin, nous avons constaté et déploré votre absence totale d'action depuis plusieurs mois auprès des clients d'Eurogem pour obtenir le règlement de factures échues , entraînant un cumul de dépassement d'échéances de près de 5M€ , ce qui a grevé très lourdement le BFR et la trésorerie de la société, nous contraignant à prendre des mesures aptes à assurer la pérennité de l'entreprise, nous plaçant en position délicate vis-à-vis des fournisseurs. Vous n'ignoriez pas que cette situation nous a été préjudiciable et que nous avons dû la régler, sans recevoir la moindre aide ou suggestion de votre part, dans la durée sans pour autant pénaliser la trésorerie du Groupe et les résultats d'Eurogem.

Votre comportement met directement en cause la bonne marche de l'entreprise et les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 11 décembre 2009 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits. Nous vous informons, en conséquence, que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.'

[X] [Q] va contester chaque point de cette lettre de licenciement par une lettre recommandée adressée au directeur des ressources humaines du Groupe ATALIAN (auquel appartient la société employeur), le 12 décembre 2009.

Considérant que la rupture de son contrat de travail était dépourvue de fondement, le salarié va saisir la juridiction prud'homale, le 2 février 2010, de diverses demandes.

Par jugement contradictoire du 28 novembre 2011, le conseil de prud'hommes de Créteil a :

- dit et jugé le licenciement de M. [Q] non fondé sur une faute grave mais justifié par une cause réelle et sérieuse et en conséquence,

- condamné la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES au paiement de :

* 8 883,57 € salaire mise à pied,

* 883,36 € congés-payés afférents,

* 48 324,81 € préavis,

* 4 832,48 € congés-payés afférents,

* 288 740,72 € indemnité conventionnelle de licenciement,

* 1 000 € article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [Q] du surplus de ses demandes.

Appel de cette décision a été interjeté par [X] [Q] suivant une lettre valant déclaration d'appel déposée au greffe de cette cour le 10 janvier 2012.

Par des conclusions visées le 8 avril 2014 puis soutenues oralement lors de l'audience, [X] [Q] demande à la cour de condamner la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU à lui payer :

* 8 833,57 € au titre de la mise à pied injustifiée du 1er au 17 décembre 2009,

* 883,36 € congés-payés afférents,

* 48 324,81 € préavis,

* 4 832,48 € congés-payés afférents,

* 288 740,72 € indemnité conventionnelle de licenciement,

* 230 850 € au titre de l'indemnité contractuelle de licenciement,

* 400 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 2 000 € article 700 du code de procédure civile.

Par des conclusions visées le 8 avril 2014 puis soutenues oralement à l'audience, la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau de dire et juger que le licenciement de [X] [Q] est fondé sur une faute grave, de le débouter de l'intégralité de ses demandes.

A titre subsidiaire, il est demandé de constater que l'indemnité contractuelle est une cause pénale ; en conséquence, de la ramener à de plus justes proportions, de débouter [X] [Q] du paiement de l'indemnité de départ amiable.

A titre infiniment subsidiaire, il est demandé de limiter cette clause pénale à 1 €, outre l'octroi de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement du 16 décembre 2009 fixe, par les motifs qu'elle énonce, les limites de ce litige. L'employeur ayant ici fondé la rupture du contrat de travail sur une faute grave, il lui appartient d'en justifier l'existence . Après le premier juge, il convient d'examiner les éléments versés aux débats par les parties afin de vérifier si la faute grave est constituée et, à défaut, s'il existe ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Il doit être rappelé que [X] [Q] a participé activement, avant son embauche par la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU , le 1er septembre 2009, aux diverses opérations liées à la préparation puis à la réalisation de l'acquisition par le Groupe ATALIAN-TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU de la société EUROGEM dont il était le responsable, y compris la réalisation d'un audit. Son intégration dans la société intimée a fait suite à ce rôle moteur et à la reconnaissance implicite de ses qualités par le nouvel employeur pour lequel le salarié se devait de parfaire cette opération d'envergure ouvrant des possibilités commerciales d'une nature différente, la société absorbée étant spécialisée dans les marchés en PPP ( partenariat public privé ), domaine à découvrir pour la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU . Il doit être cependant considéré à ce stade et quand bien même une reprise d'ancienneté aurait été contractuellement consentie à [X] [Q] ( à compter de septembre 2001 ), que la relation de travail visée par cette procédure de licenciement pour faute grave n'a pris naissance entre les parties que le 1er septembre 2009, la lettre de rupture devant s'inscrire dans ce cadre et énoncer des griefs datés dans cet espace de temps. A cet égard, la cour relève que les motifs énoncés par l'employeur sont pour beaucoup dépourvus de véritables marqueurs dans le temps et rendent leur examen difficile sur une aussi courte période puisque le licenciement a été initié dès le 1er décembre 2009, soit trois mois exactement après l'engagement de [X] [Q] par la société intimée

La cour constate, sur le plan chronologique, que [X] [Q] va adresser, le lendemain de sa convocation à l'entretien préalable et alors qu'il était sous le coup d'une mise à pied conservatoire , une lettre recommandée avec avis de réception datée du 2 décembre 2009 à M. [N], président du Groupe TFN, dans laquelle il présente de nombreux éléments de contestation des griefs formés contre lui et manifeste par ailleurs sa volonté de démissionner du mandat social de président d'EUROGEM qui lui avait été donné le 26 août 2009. Il doit être relevé que le salarié fait état, de manière incidente, dans cette même lettre, de la découverte par lui 'd'infractions à la législation en droit des sociétés' et formule, en sa qualité de cadre dirigeant, des critiques sur la possibilité -en très peu de temps- de corriger certaines erreurs de gestion dont il ne s'estime pas responsable alors que, précisément, il était en train de mettre en place des processus permettant des améliorations sans avoir eu le temps de les concrétiser ou encore, plus simplement, d'en mesurer les résultats.

La lettre de licenciement comporte, à titre liminaire, une critique générale tenant au fait que [X] [Q] manifesterait ' une opposition systématique aux orientations stratégiques de la direction générale' . La cour considère que cette critique n'est pas étayée objectivement si ce n'est par une référence à la lettre du 2 décembre 2009 parvenue en cours de procédure à l'employeur qui en fait manifestement un point d'ancrage majeur des reproches à formuler dans la lettre de licenciement, tout en se gardant d'en faire une analyse argumentée.

Est évoquée ensuite, dans la lettre de rupture, une réunion du 9 novembre 2009 qui aurait permis de constater qu'aucun dossier PPP , suivis par [X] [Q] n'était pas, à ce jour, 'clôturé'. Pour sa part, le salarié soutient qu'il ne lui a jamais été précisé ce qui était entendu par la notion de 'clôture' dans ce domaine de partenariat public-privé reconnu pour être d'élaboration relativement lente ; la cour constate que la lettre de licenciement ne donne aucune précision sur ce point : date de conclusion du marché, objectifs de réalisation de celui-ci, justificatifs des réalisations, réclamations des différents acteurs ... alors que nous sommes dans une temporalité de trois mois. La question de l'imputabilité à [X] [Q] d'éventuels retards n'est pas examinée ici alors qu'il est constant que ce suivi est dirigé, selon une note du président du 25 août 2009, par trois personnes : M. [N], président, M. [Y] et l'appelant, avec des réunions mensuelles de suivi. Le licenciement prononcé est de nature disciplinaire ( faute grave ) alors que ce grief, à défaut d'injonction de réalisation adressée au salarié, relèverait quasiment d'une insuffisance professionnelle incompatible avec le cursus de [X] [Q] et la phase de vérification de ses qualités professionnelles qui a pu être faite par la société absorbante et ses organes de direction ; la prise en compte de ces qualités peut être considérée comme étant particulièrement reconnue par la reprise contractuelle d'ancienneté très conséquente dont a bénéficié le salarié.

Il est reproché à [X] [Q], lors d'une dernière réunion du 9 novembre 2009, une autre insuffisance professionnelle, au premier degré, pour ne pas avoir été 'capable' de préciser 'le nom du client dans le dossier de [Localité 3]'. Ce jugement est contesté par le salarié dans ses écritures qui dénonce une interprétation tendancieuse de l'évocation d'une difficulté de facturation qui avait déjà été adressée sans résultats aux utilisateurs des équipements ( compagnies de CRS et de gendarmerie mobile ) et de la difficulté résidant dans l'identification de la ' personne publique' à laquelle adresser utilement les factures ( pièce 9 ). Ce grief est sans consistance alors qu'il est constaté que le salarié a proposé à la collégialité gestionnaire, lors de cette réunion, d'adresser les factures à une SCI propriétaire des bâtiments concernés.

Il en est de même sur 'l'impossibilité' dans laquelle se serait trouvé l'appelant de présenter un 'schéma final'en ce qui concerne le dossier de l'hôpital de St Nazaire ( CSN ) . La cour constate, au vu des éléments produits, qu'il s'agissait d'un dossier mettant en jeu un partenariat avec une société EIFFAGE qui donna lieu à de nombreuses difficultés d'ajustement ( pièces 34 à 37 ) en octobre 2009 ( donc juste avant la réunion du 9 novembre 2009 et le licenciement un mois après ) , M. [N] prenant acte personnellement de ces difficultés dans un courriel adressé à [X] [Q] le 21 octobre 2009 . Les difficultés dans l'évolution de ce dossier ont été soulignées par l'appelant lui-même auprès de M. [N] dans un courriel du 29 novembre 2009, en bref la concrétisation d'un 'accord de groupement' pour ce chantier majeur dont les écritures de [X] [Q] apprennent qu'elle n'aura lieu, sans démenti de l'intimée, que 46 mois après l'initiation du licenciement. Ce grief est sans fondement.

Il en est de même pour d'autres dossiers listés ( [Localité 4], CHNO et autres ) dont il est affirmé qu'ils n'ont pas été traités en temps utile soit les trois mois de la relation de travail, cette critique est faite sans objectivation dans le cadre d'une procédure disciplinaire fondée sur la faute grave.

L'employeur, se concentrant toujours sur les derniers temps de la relation de travail de trois mois, a entendu retenir le fait que [X] [Q] aurait établi un compte-rendu de cette dernière réunion du 9 novembre 2009 qui manifesterait d'une manière exagérée voire injurieuse ses désaccords sur des décisions de gestion à travers notamment des citations de propos tenus par M. [N], président de la société intimée. Le salarié soutient que ce compte-rendu était à l'état de projet et n'était pas destiné, en l'état retenu par l'employeur pour étayer la rupture, à être diffusé. Ce point évoqué, la cour entend rappeler que [X] [Q], présentant une ancienneté majeure dans le domaine de la gestion de haut niveau et spécialisée dans les PPP , devenu cadre dirigeant dans la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU , membre d'une collégialité de gestion voulue par l'employeur, se devait de rapporter fidèlement les propos tenus par le dirigeant disposant du mandat de président de la société et, plus spécialement responsable du Pôle multitechnique du Groupe. Il est prétendu que [X] [Q] aurait, ce faisant, 'sous-entendu' que M. [N], en déclarant que 'les appels d'offres publics en France sont pourris et corrompus de partout' était lui-même adepte de 'pratiques illicites voire frauduleuses' ( termes de la lettre de rupture ) et aurait ainsi adopté une position 'inadmissible' et nuisible au bon état d'esprit des équipes dans lesquelles un ' malaise' a été créé par lui. La cour estime que cette interprétation de l'intention du salarié est une extrapolation subjective car cette présentation abrupte de l'état des appels d'offres est le fait du seul dirigeant qui, ce faisant, ne se déclare pas adepte de telles pratiques, sachant au surplus que c'est un domaine nouveau ( PPP ) pour la société intimée. La preuve en est qu'est aussi évoquée la nécessité de faire du lobbying lequel est une pratique constante, reconnue dans la sphère économique et non contraire à la loi lorsqu'il est officialisé et encadré quant à l'éthique commerciale. Les propos litigieux ont bien été tenus ( attestation [G]), le projet de compte-rendu a été soumis par [X] [Q] à l'appréciation de tiers ( pièce 32 ) puis imprimé pour être soumis à MM. [K], [F] et [G] lors d'une réunion du 19 novembre 2009 pour éventuelles corrections et enfin non diffusé aux autres participants à la réunion qui étaient au nombre de 9. Ce grief ne constitue pas la faute grave reprochée, ni une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Il doit être considéré que la durée extrêmement faible de la relation de travail souligne l'existence objective d'un processus précipité d'éviction subi ici par le salarié, ancien dirigeant de la société EUROGEM récemment absorbée .Il existe d'ailleurs, dans la lettre de licenciement, un élément qui concrétise la volonté de l'employeur à cet égard. En effet, [X] [Q] devra faire face à un reproche quant à la gestion d'une société FACIMALP ( filiale de la société EUROGEM ) qui aurait accusé des pertes de 300 K€. Au cours d'un entretien téléphonique et en présence de M. [L], président d'ATALIAN, M. [N] aurait demandé à l'appelant d'indiquer les mesures qu'il entendait prendre pour remédier à cet état de chose alors qu'il s'agit d'une société dont il était jusqu'alors responsable, en vertu d'un mandat social ( président ) juridiquement étranger à son statut de salarié de la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU. [X] [Q] a entendu s'expliquer sur ce point dans ses écritures d'appel puisqu'il lui est reproché d'avoir répondu à son employeur qu'il 'n'avait qu'à s'occuper de ce problème'. Cependant, la cour entend écarter ce grief qui n'est pas rattachable à l'exécution du contrat de travail liant les parties mais est relatif à des décisions parallèles prises dans le cadre de relations statutaires de droit commercial entre sociétés du Groupe .

Il est enfin fait grief au salarié de ne pas avoir procédé efficacement aux recouvrements des factures échues. [X] [Q] fournit, à ce sujet, des éclaircissements sur les processus mis en oeuvre, leur cadre légal et sa responsabilité dans ces recouvrements. Il fait valoir que les dispositions légales de réduction des délais de paiement des fournisseurs (loi de modernisation de l'économie ) ont contraint l'entreprise à exercer une vigilance accrue sur les recouvrements des factures clients et l'ont amené à créer un poste spécifique de 'responsable de la performance' placé sous sa responsabilité ( M. [P] ), actif depuis son arrivée comme en témoignent les 34 pièces versées aux débats sur les recouvrements effectués et les préconisations de l'appelant à l'intention du responsable performance, son subordonné. Ce dernier grief ne constitue pas une faute grave et n'est pas une cause à la fois réelle et sérieuse de licenciement, comme ceux qui viennent d'être examinés. En conséquence de ce qui précède, il y a lieu de réformer le jugement entrepris en tous points quant à son appréciation du fondement de la rupture du contrat de travail et de déclarer le licenciement de [X] [Q] illégitime.

Sur l'indemnisation du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse :

Il est demandé par [X] [Q], sur ce point, une somme de 400 000 € à titre de dommages et intérêts.

L'employeur conclut principalement au débouté de cette demande mais fait observer, à titre subsidiaire, que le salarié aurait retrouvé très vite un emploi et qu'il aurait maintenu en permanence, malgré le justificatif émanant de Pôle Emploi, des activités au sein de diverses sociétés, son préjudice n'étant de ce fait pas justifié.

La cour relève que [X] [Q] présentait, lors de la rupture, une ancienneté globale (en tenant compte de la reprise contractuellement prévue à compter du 1er septembre 1981 ; pièce 90 ) de 21 années et était âgé de 51 ans. Les circonstances de la rupture ont été particulièrement brutales avec une longue mise à pied pendant laquelle l'employeur a tenté d'exploiter les termes d'une dernière réunion de travail à laquelle le salarié venait de consacrer toutes ses compétences, après avoir participé activement à la cession de l'entreprise EUROGEM à son nouvel employeur. Il est constant que le temps n'a été aucunement donné à [X] [Q] pour mener son action, précisément en tant que cadre dirigeant, jusqu'à une première étape de résultats. La rupture a été également vexatoire et n'a pu que nuire au salarié quant à sa réputation. Il ne justifie cependant, quant à sa situation d'emploi postérieure à la rupture, que d'une inscription à Pôle Emploi en janvier 2010 et ne renseigne pas vraiment pour le surplus. Pour tenir compte de tous ces éléments, il convient d'allouer à l'appelant, notamment à raison de son ancienneté importante et des circonstances brutales et vexatoires de la rupture, une somme de 300 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail.

Sur le rappel de salaire correspondant à la mise à pied et les congés-payés afférents:

En l'état d'un licenciement déclaré illégitime, la mise à pied conservatoire instituée par l'employeur est désormais non avenue et doit donner lieu à ce rappel de salaire, dont le montant n'est pas subsidiairement contesté, pour un montant de 8 833,57 € correspondant à la période du 1er au 17 décembre 2009, outre 883,36 € au titre des congés-payés afférents, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés-payés afférents :

En l'absence de discussion sur le montant sollicité, il y a lieu d'allouer à [X] [Q] un préavis correspondant à trois mois de salaire moyen des trois derniers mois ( 16 108,27 € ), soit la somme de 48 324,81 € à ce titre et 4 832,48 € pour les congés-payés afférents par voie de confirmation du jugement entrepris.

Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement :

Il est demandé par [X] [Q] à ce titre, une somme de 288 740,72 €.La cour considère, avec le premier juge, que c'est à bon droit que le salarié fonde sa réclamation sur l'ancienneté qui lui a été reconnue lors de son embauche par l'effet de la reprise des années effectuées auprès de la société EROGEM . Cette reprise d'ancienneté n'a pas eu pour effet de transformer l'indemnité conventionnelle à laquelle l'appelant à droit en une indemnité de nature contractuelle et il n'y a, dès lors, aucun obstacle juridique à ce que le salarié fasse valoir un accord d'entreprise expressément visé dans son contrat de travail ( pièce 90 ) en son article 8, accord de nature collective conclu au sein de la société EUROGEM à la date du 1er septembre 2003, dans la mesure où il s'avère plus favorable pour lui, conformément au droit positif applicable à ce sujet. La somme demandée est, en conséquence accordée et la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU est condamnée à lui payer à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement la somme de 288 740,72 € , suivant le calcul correspondant à 0,30 mois de salaire par année d'ancienneté pour les 4 premières années, 0,50 mois de salaire par année pour les années comprises entre la 5ème et la 10ème et 0,75 mois de salaire par année pour les années au-delà. Le montant sollicité n'est pas contesté en lui-même par la société intimée qui cependant a conclu à sa réduction par la cour en raison d'un fondement estimé à tort contractuel que la cour vient de rejeter. Le jugement est donc confirmé sur ce point.

Sur l'indemnité contractuelle de rupture du contrat de travail :

L'appelant forme une demande nouvelle à ce titre.

Le contrat de travail conclu entre les parties le 22 juillet 2009 précise, en son article 8 , qu'à l'indemnité conventionnelle de licenciement ( voir plus haut ) ' sauf faute grave ou faute lourde, viendra s'ajouter une indemnité spécifique égale à 19 mois de salaire de base mensuel. Il est expressément convenu entre les parties que le versement de cette indemnité spécifique est exclusif de tous recours devant une quelconque juridiction'.Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens soutenus par les parties au sujet de la qualification juridique de cette indemnité qu'elles ont elles-mêmes dénommée ' indemnité spécifique', la cour estime que cette clause du contrat de travail est particulièrement claire et dispose parfaitement des conditions de son application au regard de la volonté des parties. En effet, le versement de cette indemnité purement contractuelle et 'spécifique' est conditionnée à l'absence totale de litige entre les parties sur la rupture et n'a vocation à s'appliquer que dans un contexte de résiliation amiable du contrat de travail. Dès lors, en l'état de la présente procédure devant la juridiction sociale, force est de constater que la cour saisie se doit d'apprécier puis de mettre en oeuvre le cas échéant les dispositions légales, conventionnelles et contractuelles qui régissent les droits et obligations des parties. En l'occurrence, il y a lieu de rejeter la demande d'indemnité spécifique de rupture sollicitée par le salarié en ce qu'elle n'a vocation à être versée que si cette rupture est de nature amiable. Il n'y a donc pas lieu de tirer quelque conséquence juridique que ce soit de l'hypothèse reposant sur le fait que l'employeur aurait choisi le terrain de la faute grave pour ne pas payer cette indemnité spécifique, cette pure conjecture ne rendant pas la clause imprécise ou contraire à la commune volonté des parties. Cette clause constituait, à l'évidence, un instrument de type alternatif de règlement amiable d'un éventuel désaccord des parties quant à la poursuite du contrat de travail et se serait substitué aux conséquences indemnitaires de nature légales ou conventionnelles d'un règlement contentieux. La demande de ce chef, en conséquence de l'analyse qui précède est rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par [X] [Q] pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau,

Condamne la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU à payer à [X] [Q] la somme de 300 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail,

Ajoutant,

Déboute [X] [Q] de sa demande au titre de l'indemnité spécifique de rupture prévue à l'article 8 du contrat de travail ayant lié les parties,

Ordonne le remboursement à Pôle Emploi par la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU des sommes éventuellement versées à [X] [Q] par cet organisme depuis la rupture du contrat de travail et dans la limite de six mois, en application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU à payer [X] [Q] la somme de 1 500 € à ce titre,

Laisse les dépens de la procédure à la charge de la société GROUPE TFN INGENIERIE DES SERVICES SASU.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 12/00279
Date de la décision : 01/07/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°12/00279 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-07-01;12.00279 ?
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