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06/05/2015 | FRANCE | N°09/00200

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 06 mai 2015, 09/00200


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRET DU 06 MAI 2015



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 09/00200



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Décembre 2008 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2002082930





APPELANTE :



SARL BELLA ZARA

immatriculée au RCS de CRETEIL sous le n° 378.972.343

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[Localité 2]

représentée par son liquidateur amiable Madame [C] [O]



Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B105...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRET DU 06 MAI 2015

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/00200

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Décembre 2008 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2002082930

APPELANTE :

SARL BELLA ZARA

immatriculée au RCS de CRETEIL sous le n° 378.972.343

ayant son siège [Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par son liquidateur amiable Madame [C] [O]

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

ayant pour avocat plaidant : Me Stéphane CHOISEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : C2308

INTIMEES :

1/ SOCIETE EUROPEENNE DE TELEVENTE 'SETV'

ayant son siège [Adresse 4]

[Adresse 1] BELGIQUE

prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

ayant pour avocat plaidant : Me Françoise BELLEMARE de l'Association BELLEMARE MORTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R092

2/ SOCIETE HOME SHOPPING SERVICE 'HSS'

ayant son siège [Adresse 2]

[Localité 1]

prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

ayant pour avocat plaidant : Me Françoise BELLEMARE de l'Association BELLEMARE MORTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R092

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Mars 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente, chargée du rapport et Madame Irène LUC, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de chambre, rédacteur

Madame Irène LUC, Conseillère

Madame Claudette NICOLETIS, Conseillère

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Violaine PERRET

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Claudette NICOLETIS, Conseillère, aux lieu et place de Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente, empêchée, et par Madame Violaine PERRET, Greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

LES FAITS

I. La société Home Shopping Service (société HSS) créée en août 1987 exploitait en tous pays une activité de distribution par le canal d'émissions de télévisions dites de télé-achat.

La société coopérative de droit belge Européenne de Télé Vente (société SETV) créée à Bruxelles en juillet 1988 avait pour activité de permettre à ses membres de s'approvisionner aux meilleures conditions en marchandises vendues par télé-achat, en services divers requis pour le télé-achat ainsi qu'en services de gestion liés aux opérations de télé-achat.

La société SETV a été centrale d'achat de la société HSS, qui constituait son principal client jusqu'à ce que, le premier juillet 1993, cette dernière prenne en location-gérance son fonds de commerce de centrale d'achat exploité à [Localité 3]. La société SETV s'est alors trouvée en relation avec les fournisseurs des produits présentés dans le cadre des émissions de télé-achat que produisait et réalisait la société HSS qui vendait les produits du télé-achat à la clientèle des téléspectateurs.

II. La société BELLA ZARA a pour objet social la vente de tous produits cosmétiques et de parfumerie, l'import, l'export ainsi que l'exploitation de tous salons de soins de beauté et plus généralement toute opération commerciale pouvant se rapporter à son objet.

Le 12 juin 1990, elle a signé avec la société de droit suisse CRYOLAB un contrat de distribution exclusive de ses produits CRYOS «actuels et futurs» sur le territoire français ainsi que dans divers pays étrangers (dont le Japon et les pays arabes). Ce contrat a été conclu pour une période de 3 ans renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation par l'une des parties.

Selon les termes de ce contrat, la société CRYOLAB consentait à la société BELLA ZARA une exclusivité pour l'exploitation et la diffusion du produit CRYOS uniquement sur le terrain, soit en pharmacie, institut de beauté, parfumerie et secteur paramédical.

III. Le 13 décembre 1990, la société BELLA ZARA concluait avec la société SETV un accord sur les conditions de paiement des produits fournis par la société BELLA ZARA. Il s'agissait de la reprise des conditions générales d'achat de la société SETV, régularisées le 13 février 1991.

IV. Le 11 juin 1991, la société BELLA-ZARA et la société SETV signaient un contrat aux termes duquel la distribution exclusive des produits Cryolab au moyen d'émissions de télé-achat était consentie à la société SETV. Par un avenant du 2 juin 1992, il était notamment prévu que la société SETV s'engageait à mettre à disposition le fichier des clients de la Cryo-esthétique.

Le 11 février 1992, la société SETV adressait un courrier à la société BELLA ZARA lui indiquant qu'elle lui donnait l'exclusivité sur les produits qu'elle présentait, sous le respect des conditions de prix d'achat et de qualité d'une concurrence éventuelle.

Le 5 novembre 1992, la société CRYOLAB informait par courrier la société SETV qu'elle avait mis fin le 26 septembre 1992 au contrat qui la liait à la société BELLA-ZARA, expliquant lui reprocher divers manquements et indiquant que désormais, ce ne serait plus la société BELLA ZARA qui la fournirait en produits de sa fabrication mais la société IMPOREST DIFFUSION dont elle donnait l'adresse.

La société SETV elle-même cessait de passer exclusivement commande à la société BELLA-ZARA à partir de la fin de l'année 1992.

LES PROCEDURES :

-Par actes des 26 et 27 novembre 1992, la société CRYOLAB assignait la société BELLA-ZARA devant le tribunal de commerce de Paris qui, selon jugement du 29 juin 1994, constatait la résiliation du contrat de distribution aux torts de la société BELLA-ZARA, condamnait cette dernière à payer une somme de 853 147, 73 Francs à la société CRYOLAB au titre des marchandises non payées. Le jugement était confirmé par arrêt de cette cour du 19 février 1999, à l'exception de la condamnation de la société BELLA-ZARA en raison de l'absence de déclaration de sa créance au passif de la procédure collective de la société BELLA-ZARA et de son extinction conséquente.

-Par acte du 3 avril 1995, la société BELLA-ZARA assignait la société HSS devant le tribunal de commerce de Paris en sa qualité de locataire-gérant pour la voir condamner à lui verser des dommages- intérêts en réparation du préjudice qu'elle disait avoir subi en raison de la violation d'accords d'exclusivité. Par jugement du 6 mai 1998, le tribunal la déboutait de sa demande ; la cour confirmait cette décision par arrêt du 27 mars 2002. La cour d'appel de Paris déclarait irrecevable le recours en révision engagé par la société BELLA-ZARA par arrêt du 9 novembre 2005.

-Par actes des 25 septembre et 7 octobre 2002, Maître [E], en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société BELLA ZARA, demandait au tribunal de commerce de Paris de condamner la société SETV au paiement de la somme de 10.061.635 euros à titre de dommages intérêts pour avoir violé l'engagement d'exclusivité d'achats stipulé au profit de la société BELLA ZARA.

-Par arrêt du 24 novembre 2005, la cour d'appel de Paris confirmait un jugement du tribunal de grande instance de Creteil du 25 mars 2005 qui avait déclaré caduque une ordonnance ayant autorisé Maître [E], ès-qualités, à pratiquer entre les mains de la société HSS une saisie-conservatoire sur des biens mobiliers corporels et incorporels composant le fonds de commerce de la société SETV, ordonnait la main-levée de la saisie conservatoire et condamnait Maître [E], ès-qualités, à payer des dommages intérêts et une indemnité pour frais irrépétibles aux sociétés SETV et HSS.

Par jugement du 18 décembre 2008, le tribunal de commerce de Paris déclarait irrecevable l'action engagée par actes des 23 septembre et 7 octobre 2002 contre la société SETV en raison de la prescription de l'obligation d'exclusivité, et condamnait la société BELLA-ZARA à payer à la société HSS et à la société SETV la somme de 15 000 Euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre la somme de 15 000 Euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et à supporter les dépens.

Par arrêt rendu le 11 avril 2012, rectifié par l'arrêt du 20 juin 2012, la cour d'appel de Paris infirmant le jugement déféré a :

- Mis hors de cause la société HOME SHOPPING SERVICE (HSS), rejetant en conséquences toutes les demandes présentées à son encontre par la société BELLA ZARA,

- Débouté la société BELLA-ZARA de sa demande de publication de l'arrêt,

- Rejeté la demande de la société BELLA -ZARA aux fins de restitution du fichier clients de la cryo-esthétique,

- Dit recevable pour être non prescrite l'action formée par la société BELLA-ZARA à l'encontre de la société EUROPEENNE DE TELEVENTE (SETV),

- Et avant dire droit, sur la demande d'indemnisation formée par la société BELLA-ZARA, ordonné une expertise ayant pour but de donner à la Cour l'ensemble des éléments d'information lui permettant d'évaluer le préjudice indemnisable subi par la société BELLA- ZARA, tel que son principe en a été défini dans les motifs de l'arrêt.

L'expert a déposé son rapport le 28 janvier 2013.

Les dernières conclusions au fond de la société BELLA ZARA, représentée par son liquidateur amiable Madame [C] [H] [O] sont du 16 juillet 2013. Les conclusions de procédure du 16 septembre 2013 ne sont pas prises en compte alors que l'affaire qui devait être plaidée le 25 septembre 2013 a été renvoyée à la mise en état.

Par conclusions du 16 septembre 2013, la société BELLA-ZARA représentée par son liquidateur amiable, demande à la cour de :

A titre principal,

- dire et constater que la société SETV a violé son engagement d'approvisionnement exclusif ;

- dire et constater que la société SETV a violé son engagement de diffusion des produits présentés par BELLA ZARA ;

- dire et constater que la société SETV a violé son engagement de mise à disposition du fichier clients ;

- constater que le contrat d'approvisionnement n'a jamais été résilié par aucune des parties ;

- constater que le contrat de mise à disposition du fichier client n'a jamais été résilié ;

- dire que ces faits sont passés en force de chose jugée ;

* écarter le rapport de l'expert [L] ;

* retenir les derniers rapports de l'expert-comptable [G] [M] ;

* fixer le préjudice de BELLA ZARA à la somme de 51.528.000€ au titre de la perte de marge sur la vente de coffrets des produits CRYOS ainsi qu'à la somme de 40.452.000€ au titre de la perte de marge sur la vente des réassorts subséquents ainsi qu'à la somme de 88.037.000€ au titre de la perte de marge relative à la vente des produits CRYOGLIO soit une somme totale de 180.017.000 € ;

- condamner SETV à payer à BELLA ZARA la somme de 51.528.000€ au titre de la perte de marge sur la vente de coffrets des produits CRYOS ainsi qu'à la somme de 40.452.000€ au titre de la perte de marge sur la vente des réassorts subséquents ainsi qu'à la somme de 88.037.0001€ au titre de la perte de marge relative à la vente des produits CRYOLIGO soit une somme de 180.017.000 € outre les intérêts de retard ;

- condamner SETV à payer à BELLA ZARA la somme de 1.500.000 euros au titre de la réparation du préjudice moral occasionné ;

A titre subsidiaire,

- nommer tel nouvel expert qu'il lui plaira avec pour mission :

* entendre les parties et leurs sapiteurs et toute personne dont l'audition lui apparaitrait nécessaire, entendre tout sachant, s'adjoindre un sapiteur si nécessaire ;

* se faire remettre tous documents et pièces utiles à l'accomplissement de sa mission ;

* donner à la Cour tous éléments d'informations lui permettant d'évaluer le préjudice indemnisable subi par la société BELLA ZARA ;

* répondre aux dires des parties ainsi qu'aux observations qu'elles pourraient formuler après communication des premières conclusions de l'expert, un délai d'un mois leur étant laissé à cette fin ;

- réserver en ce cas les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile ;

En tout état de cause,

- condamner SETV au paiement de la somme de 50.000€ au titre de l'article 700 Code de Procédure Civile ;

- condamner SETV aux entiers dépens de l'instance.

L'appelante considère que la Cour - en application de l'article 1134 du code civil - a reconnu de façon définitive que la responsabilité contractuelle de la société SETV dans la violation de son obligation d'approvisionnement exclusif auprès de la société BELLA-ZARA était engagée et ordonné une expertise pour calculer son préjudice. L'appelante estime que c'est sur l'indemnisation du préjudice subi et résultant de la violation des obligations contractuelles que la Cour de céans doit statuer.

Selon la société BELLA-ZARA, l'entier préjudice contractuel subi résultant de la violation du contrat par le débiteur doit être réparé, ne pouvant pas être limité à trois mois de marge brute : en effet, les faits permettent de constater que, malgré la violation de l'obligation d'approvisionnement exclusif, les relations des parties se sont poursuivies au delà du 30 octobre 1992 et en 1993, que des décisions de justice ont précisé que le contrat n'avait jamais été résilié et qu'elle n'a d'ailleurs jamais demandé que la résolution du contrat soit prononcée ou que la rupture brutale des relations commerciales soit constatée, que juger autrement reviendrait à violer l'autorité de la chose jugée.

La société BELLA-ZARA expose que la société SETV n'a pas exécuté ses obligations d'approvisionnement exclusif, de mise à disposition du fichier clients, d'obligation de diffusion des produits présentés par BELLA ZARA et doit être condamnée au paiement de dommages et intérêts correspondant à la réparation du préjudice qu'elle a fait subir à BELLA ZARA sur la durée maximum de dix ans soit jusqu'en février 2002.

Elle souligne la mauvaise foi de la société SETV.

Selon la société BELLA-ZARA, plusieurs raisons justifient que soit écarté le rapport d'expertise, la méconnaissance par l'expert de la nature de la mission, la violation par l'expert des obligations résultant de sa mission, du principe du contradictoire, son parti pris.

Si, néanmoins, le rapport devait être pris en compte, il conviendra de trancher les points de divergence des parties, notamment la formule de calcul de la marge brute, la base de chiffre d'affaires perdu à retenir et la période indemnisable pour les produits Cryoglio et pour les produits Cryos. Une nouvelle expertise devra être ordonnée à titre infiniment subsidiaire.

Par conclusions du 12 janvier 2015, les sociétés EUROPEENNE DE TELEVENTE «SETV» et HOME SHOPPING SERVICE «HSS» demandent à la cour de :

- Constater que la société HSS a d'ores et déjà été mise hors de cause,

- Constater que la rupture du contrat ayant existé entre les sociétés CRYOLAB et BELLA ZARA et l'information qui en fut donnée, le 9 novembre 2012 à SETV, ne permettait plus à cette dernière de s'approvisionner à titre exclusif auprès de la société BELLA ZARA,

- Constater, en conséquence, l'existence d'une cause étrangère ne permettant plus la poursuite d'une exclusivité entre SETV et BELLA ZARA et, à tout le moins, dire et juger que cela constitue la date à partir de laquelle l'exclusivité a été résiliée,

En conséquence,

- Dire et juger mal fondée la société BELLA ZARA en ses demandes à l'encontre de la société EUROPEENNE DE TELEVENTE (SETV) et l'en débouter,

Subsidiairement,

- Fixer à un mois le délai de prévenance qui aurait dû être observé par la société SETV lorsqu'elle a cessé de passer exclusivement commande à la société BELLA ZARA, à la suite de la survenance de la résiliation du contrat passé entre les sociétés CRYOLAB et BELLA ZARA,

- Dire et juger, en conséquence, que l'indemnisation réclamée par la société BELLA ZARA ne saurait être supérieure à la somme de 25,488,23 euros (76.464,70 euros divisé par 3), compte tenu des calculs effectués par l'expert judiciaire,

- Condamner la société BELLA ZARA à payer à la société SETV la somme de 10,000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamner en tous les dépens comprenant les frais d'expertise, dont distraction au profit de Maître Olivier BERNABE - Avocat ' conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'intimée fait valoir que toutes les diligences nécessaires à sa mission ont été accomplies par l'Expert, notamment la demande de réactualiser le rapport en tenant compte des modalités de calcul du préjudice de la société BELLA ZARA telles que fixées par la cour d'appel : soit la perte de la marge brute enregistrée par BELLA ZARA pendant une durée de trois mois, correspondant au délai de prévenance qui aurait dû être observé par la société SETV lorsqu'elle a cessé d'exécuter l'engagement d'exclusivité qui était à sa charge, ainsi que le principe du contradictoire. Elle relève que la société BELLA ZARA, son comptable ou ses avocats n'ont pas répondu aux questions pourtant précises de l'expert ; en particulier relatives au personnel dont elle disposait pour traiter les commandes de produits Cryos en 1991 et 1992, au coût des emballages, à la valorisation des provisions, à une charge de 507.912 euros en 1992 ou encore les grands livres relatifs à sa comptabilité pour les années 1991 et 1992.

L'intimé considère que l'expert a bien respecté les prescriptions de la cour, c'est-à-dire les motifs de la décision en date du 11 avril 2012 : « Qu'au regard de la nature de l'engagement souscrit et de son incidence économique et financière pour la société BELLA ZARA, il ne pouvait y être mis fin [au contrat] qu'à l'issue d'un délai de préavis qu'il convient en l'espèce de fixer à 3 mois » ; qu'il rappelle, en outre, que dans son dispositif, la cour a bien mentionné dans ce même arrêt qu'il appartenait à l'expert : «d'évaluer le préjudice indemnisable subi par la société BELLA ZARA tel que son principe en a été défini dans les motifs du présent arrêt» ; que cette mention ne souffre d'aucune ambiguïté et que le préjudice de la société BELLA ZARA ne pourrait donc être calculé sur 10 ans. Selon l'intimée, les calculs de l'expert sont cohérents.

L'intimée justifie l'exclusion de la gamme des produits Cryoglio du calcul de son préjudice dans la mesure où ces produits n'ont pas été commercialisés par la société BELLA ZARA, et qu'ainsi, aucune perte de chiffre d'affaires ne pouvait être invoquée par celle-ci. Il rappelle également qu'en mars 1993, plus aucun accord d'exclusivité n'existait entre les parties et que l'appelante ne saurait donc aujourd'hui réclamer de nouveau l'indemnisation d'un préjudice hypothétique.

Elle ajoute que rien ne permet de fonder la demande infiniment subsidiaire de l'appelante visant à voir ordonner une nouvelle expertise, et ce ainsi qu'il l'a été précédemment établi.

Elle explique que la cessation du contrat entre CRYOLAB et BELLA-ZARA intervenue aux torts d'ailleurs de la société BELLA-ZARA ne pouvait qu'avoir des conséquences sur l'exclusivité accordée par SETV à BELLA-ZARA quant à l'achat des produits Cryos, ce qui est constaté à partir de l'année 1993, par la faiblesse des quantités de produits commandés à la société BELLA-ZARA ; elle invoque par conséquent la cause étrangère que constitue la rupture du contrat entre les sociétés CRYOLAB et BELLA-ZARA pour justifier qu'elle n'a pas de responsabilité dans la cessation de l'exécution de la clause d'exclusivité.

La société SETV soutient que la société BELLA-ZARA n'explique pas comment la société SETV aurait pu continuer à passer des commandes de produits Cryos, que le seul préjudice indemnisable est le préjudice prévisible, soit la durée d'un mois de préavis à prendre en compte au regard de la durée de l'exclusivité de quelques mois - du mois de février au mois d'octobre 1992-.

SUR CE,

considérant que seuls doivent être pris en compte les termes du dispositif de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 avril 2012 pour déterminer ce qui a été jugé,

considérant que la société Bella-Zara conteste que le contrat ait été rompu, que son préjudice puisse être ainsi limité et que la cour ait ainsi déjà statué dans son arrêt du 11 avril 2012 alors que l'autorité de la chose jugée est attachée au seul dispositif de la décision ; qu'elle expose que la violation de l'obligation d'approvisionnement exclusif, de l'obligation de diffusion des produits présentés et de l'obligation de mise à disposition du fichier client par la société SETV lui cause un préjudice contractuel important qui s'est poursuivi dans le temps pendant plusieurs années puisque le contrat n'était pas résilié, alors que la société SETV conteste actuellement le principe d'une réparation et subsidiairement, que la réparation puisse excéder un mois de perte de marge brute,

considérant qu'il est rappelé que c'est à la suite de l'information que lui a donnée la société Cryolab de la rupture de ses relations avec la société Bella-Zara qu'elle assignait d'ailleurs peu après en résiliation du contrat de distribution et en paiement des marchandises livrées et demeurées impayées que la société SETV n'a plus respecté l'exclusivité d'approvisionnement dont les parties avaient convenu en février 1992 ; que si la société Bella Zara soutient dans ses écritures que cette violation est intervenue dès le mois de juillet 1992, elle n'en justifie par aucune pièce ; que de même, elle ne peut sérieusement soutenir que la société SETV a abusé de son état de dépendance économique en créant une situation où elle viole ses obligations à son égard sans lui verser aucune indemnité, ou encore qu'elle est à l'origine de la rupture du contrat signé par Cryolab et Bella Zara, dès lors que la faute ayant justifié qu'il soit mis fin à ce contrat est imputable, selon les décisions judiciaires, à la société Bella Zara,

considérant, pour ce qui concerne la violation de l'obligation par SETV de son obligation de diffusion des produits présentés par la société Bella Zara que la société appelante ne s'explique pas précisément sur ce point,

considérant que la société SETV fait état de la cause étrangère que fut la cessation de l'approvisionnement de la société Cryolab en produits Cryos de la société Bella-Zara pour expliquer qu'elle ne pouvait plus respecter l'exclusivité consentie,

considérant toutefois qu'il doit être relevé que la poursuite du contrat entre la société Bella-Zara et la société Cryolab n'était pas une condition que les parties avaient expressément prévue dans leur convention de février 1992 ; qu'ensuite, la société SETV n'a jamais justifié avoir mis en demeure la société Bella-Zara d'exécuter ses propres obligations et que c'est à la suite du courrier d'un tiers à ses relations avec la société Bella-Zara qu'elle n'a plus respecté son obligation d'exclusivité ; que la société SETV ne peut invoquer une cause étrangère pour justifier ne plus avoir, dès la fin de l'année 1992, respecté ses propres obligations à l'égard de Bella-Zara,

considérant que force est de constater que la cessation du contrat signé par les sociétés Cryolab et Bella-Zara devait mettre un terme à échéance proche à la capacité de la société Bella-Zara de fournir à titre exclusif la société SETV en produits Cryos ; que la société Bella-Zara qui se borne à dire que le contrat s'est poursuivi, ne soutient d'ailleurs pas qu'elle aurait pu continuer à permettre l'approvisionnement exclusif de la société SETV, ce qu'elle aurait pu faire tout au plus quelques mois ; qu'elle a d'ailleurs fait face pendant quelques mois à des commandes ponctuelles, épuisant nécessairement ses stocks ; qu'elle ne peut soutenir que la société Cryolab était susceptible de reprendre ses livraisons en produits Cryos alors que les termes du courrier du 5 février 1993 que lui a adressé la société Cryolab ne permettent pas une telle interprétation ; qu'elle est mal fondée à soutenir que, faute de résiliation du contrat, son préjudice doit être évalué sur une durée de dix années comme le prévoit la loi en matière d'engagement exclusif ;

considérant par ailleurs que les parties étaient liées par un accord sur l'exclusivité de durée indéterminée et qu'il pouvait y être mis fin à tout moment, moyennant le respect d'une durée de préavis suffisante ; que compte tenu des éléments ci-dessus exposés, le préjudice prévisible de la société Bella-Zara, peut être fixé à trois mois de perte de marge brute sur la vente du produit Cryos, seul vendu par la société SETV,

considérant que le rapport de l'expert missionné pour donner les éléments de nature à chiffrer le préjudice de la société Bella Zara ne souffre pas les critiques que celle-ci lui adresse, que l'expert a tenu compte des nombreux changements de conseil de la société Bella-Zara au cours des opérations d'expertise, que les questions de l'expert posées à la société Bella-Zara ont été multiples, que les réponses n'ont pas été données, que les demandes de pièces n' ont pas été satisfaites ; que rien ne permet de constater que l'expert n'a pas respecté la mission qui lui avait été donnée et qu'il ne l'a pas accomplie dans les règles de l'art, dans le respect du principe d contradictoire et sans parti pris aucun, en dépit des conditions difficiles dans lesquelles se sont déroulées les opérations d'expertise ; que la société Bella Zara n'est pas fondée à demander une nouvelle expertise,

considérant s'agissant des produits commercialisés, qu'il y a lieu de prendre en compte la perte de marge brute concernant le seul produit Cryos qui était commercialisé par la société Bella Zara lors des accords des parties, à l'exclusion du produit Cryoligo qui a été commercialisé par celle-ci au cours de l'année 1993, après la signature le 20 mars 1993 d'un contrat de distribution avec la société Shaby et alors que la relation entre les parties concernant l'approvisionnement exclusif avait cessé depuis plusieurs mois,

considérant également que, s'agissant du chiffre d'affaires à considérer qui prend en compte les ventes de coffrets et les réassorts, si la société Bella Zara a beaucoup moins vendu de produits Cryos à partir de la fin de l'année 1992, elle n'a cependant pas totalement perdu son chiffre d'affaires, que l'expert a ainsi valorisé le chiffre d'affaires sur trois mois à la somme de 96 754 Euros ;

considérant au surplus que, s'agissant de la marge brute de la société Bella Zara, l'expert l'avait estimée à 71,61 % avant déduction des frais directs de personnel qui doivent être fixés à 16, 64 % au regard du montant des charges et salaires par rapport au chiffre d'affaires total ; que le calcul de la marge brute pouvant être définitivement retenue doit intégrer ces frais directs de personnels, sur lesquels la société Bella Zara n'a pas cru bon expliquer quoi que ce soit à l'expert malgré les demandes de ce dernier et à propos desquels elle ne démontre pas qu'ils n'étaient pas affectés aux ventes qu'elle réalisait avec un seul client, selon ses propres dires,

considérant par conséquent que le calcul de l'expert sera repris, et que le préjudice indemnisable sera fixé à la somme de 76 464, 70 Euros,

considérant enfin que la société Bella Zara se plaint de n'avoir pu exploiter le fichier Cryoesthétique faute par la société SETV de l'avoir mis à sa disposition comme elle s'y était engagée par avenant du 2 juin 1992 et demande réparation du préjudice qui en résulte pour elle  ; qu'il convient de rappeler que la société SETV était la centrale d'achat de la société HSS, propriétaire du fichier réclamé qui vendait les produits Cryoesthétique ; que sous couvert d'une indemnisation du préjudice qui résulterait du défaut de mise à disposition dudit fichier, la société Bella Zara tente d'obtenir réparation par la société SETV laquelle n'aurait eu «aucune existence légale en dehors de HSS» selon les allégations de la société Bella Zara dans une autre procédure, de faits dont la société HSS est l'auteur, alors qu'elle a été déboutée de ses demandes contre cette société par décision de cette cour du 27 mars 2002 et alors que la société HSS est mise hors de cause par l'arrêt de cette cour du 11 avril 2012 ; qu'il est également constaté que la société Bella Zara a exposé avoir arrêté son activité en raison de la violation du contrat par SETV, et que c'est par un courrier de 1995 adressé à la société SETV que la société Bella Zara se plaint de l'absence de mise à disposition de ce fichier ; qu'elle doit être déboutée de sa demande,

considérant enfin que la société Bella Zara fait état d' un préjudice moral en expliquant que son image et sa notoriété ont été ternies par la perte économique subie du fait des agissements de la société SETV pendant vingt ans, qu'elle ne justifie en rien avoir subi un tel préjudice lors de la violation par la société SETV de son obligation d'approvisionnement exclusif ; qu'elle sera déboutée de cette demande,

PAR CES MOTIFS

La cour,

infirme le jugement déféré,

condamne la société SETV à payer à la société Bella Zara la somme de 76 464,70 Euros à titre de dommages-intérêts,

déboute la société de ses autres demandes de dommages-intérêts,

déboute la société Bella Zara de sa demande de désignation d'un expert,

condamne la société SETV à payer à la société Bella Zara la somme de 5000 Euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles,

condamne la société SETV aux dépens

LA GREFFIÈRE, POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE,

La Conseillère

V.PERRET C. NICOLETIS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 09/00200
Date de la décision : 06/05/2015

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°09/00200 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-05-06;09.00200 ?
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