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15/05/2015 | FRANCE | N°12/16565

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2- chambre 2, 15 mai 2015, 12/16565


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 2
ARRÊT DU 15 MAI 2015
(no 2015-113, 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 16565
Sur renvoi après arrêt de la Cour de cassation en date du 22 mars 2011 (no du pourvoi S10-27. 103) emportant cassation d'un arrêt Du Tribunal supérieur d'appel de ST PIERRE ET MIQUELON en date du 17 mars 2010 (RG 10RG2003) sur appel d'un jugement du Tribunal de 1ère instance de ST PIERRE MIQUELON en date du 14 janvier 2003 (RG 02/ 1

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DEMANDERESSE A LA SAISINE
LA CAISSE DE RETRAITE POUR LA FRANCE ET L'EXTÉRIEUR,...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 2
ARRÊT DU 15 MAI 2015
(no 2015-113, 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 16565
Sur renvoi après arrêt de la Cour de cassation en date du 22 mars 2011 (no du pourvoi S10-27. 103) emportant cassation d'un arrêt Du Tribunal supérieur d'appel de ST PIERRE ET MIQUELON en date du 17 mars 2010 (RG 10RG2003) sur appel d'un jugement du Tribunal de 1ère instance de ST PIERRE MIQUELON en date du 14 janvier 2003 (RG 02/ 141)
DEMANDERESSE A LA SAISINE
LA CAISSE DE RETRAITE POUR LA FRANCE ET L'EXTÉRIEUR, prise en la personne de son représentant légal 4 rue du Colonel Driant 75001 PARIS

Représentée par Me GAUTIER GISSEROT de la SELARL LAFARGE ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : T10
DÉFENDEURS A LA SAISINE
Madame Alberta Z...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Thérèse X......... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Andrée Y......... 97500 SAINT PIERRE ET MIQUELON

Madame Lilianne Z...... 97410 SAINT PIERRE (LA REUNION)

Madame Madeleine A... épouse B...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Geneviève C...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Denise D...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Yvonne E...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Monsieur André F...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Marie Antoinette G...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Jeanne H...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Françoise I...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Marie-Joseph J......... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Monsieur Robert K...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Alfreda L...... 97410 SAINT PIERRE (LA RÉUNION)

Madame Thérèse M... épouse N... ...... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Madame Andrée O... ... 97410 SAINT PIERRE (LA RÉUNION)

Madame Françoise P......... 97500 ST PIERRE ET MIQUELON

Représentés par Me Chantal-Rodene BODIN CASALIS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148 Assistés de Me Dominique FERRIGNO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1670

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été appelée le 17 mars 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Anne VIDAL, présidente de chambre Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Malika ARBOUCHE
ARRÊT :
- contradictoire-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.- signé par Madame Anne VIDAL, présidente et par Mme Malika ARBOUCHE, greffière.

****
FAITS ET PROCÉDURE :
Par décision en date du 29 janvier 1998, le conseil d'administration de l'Association pour le Régime de Retraite Complémentaire des Salariés (ARRCO) a confié à la Caisse de retraite pour la France et l'extérieur (C. R. E.) la gestion de la Caisse de retraite complémentaire dénommée Institution de Retraite Complémentaire et de Prévoyance des salariés de SAINT-PIERRE ET MIQUELON (IRCOP-SPM) ¿ organisme en charge de la gestion du régime de retraite complémentaire, adhérent de l'ARRCO.
La C. R. E. a notamment eu pour mission de redresser les graves dysfonctionnements constatés par un certain nombre d'audits.

Dans le cadre de cette mission, il est apparu que les dossiers des intimés comportaient un certain nombre d'anomalies ayant abouti au versement de sommes qui, selon la C. R. E., seraient indues. Ce constat fut suivi de la révision du montant des pensions des intimés.

Souhaitant la condamnation des intimés à lui verser diverses sommes au titre de la répétition de l'indu, la C. R. E. a saisi les juridictions parisiennes lesquelles se sont déclarées incompétentes au profit du tribunal de première instance de SAINT-PIERRE ET MIQUELON.
Par jugement en date du 14 janvier 2003, le tribunal de première instance de SAINT-PIERRE ET MIQUELON a dit irrecevables les demandes de la C. R. E. sur le fondement des articles 31 et 32 du code de procédure civile. Il a estimé que les pièces produites par la C. R. E. ne pouvaient, à elles seules, constituer la preuve de sa capacité à agir dans de nouvelles instances, qu'elle vienne aux droits de l'IRCOP-SPM ou directement après disparition de cette dernière.

Une information judiciaire a été ouverte au tribunal de grande instance de Paris pour des faits d'escroquerie, d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance à l'encontre des anciens dirigeants de l'IRCOP-SPMSAINT-PIERRE ET MIQUELON mais également de faux et usages de faux à l'encontre de certains retraités.
Saisi d'un appel formé par la C. R. E., le Tribunal Supérieur d'appel de SAINT-PIERRE ET MIQUELON a par arrêt rendu le 19 mai 2004, réformé le jugement du Tribunal de Première Instance en toutes ses dispositions.
La juridiction d'appel a :- déclaré recevables les demandes de la C. R. E. venant aux droits de l'IRCOP SAINT-PIERRE ET MIQUELON ;- au visa des dispositions de l'article 568 du code de procédure civile et en application de l'article 4 al. 2 du code de procédure pénale, sursis à statuer et dit et jugé que les actions en répétition de l'indu ne pourront être tranchées tant qu'une décision définitive sur l'action publique ne sera pas prononcée.

Le 28 janvier 2005, le juge d'instruction chargé de ce dossier près le tribunal de grande instance de Paris a prononcé un non lieu général, cette décision étant confirmée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris le 30 novembre 2005.
C'est dans ces conditions que l'affaire était reprise devant le Tribunal Supérieur d'appel de SAINT-PIERRE ET MIQUELON ¿ statuant ainsi « Sur appel le 20 mars 2003 d'un jugement rendu par le Tribunal de Première Instance de Saint-Pierre et Miquelon le 14 janvier 2003 ». Par arrêt en date du 17 mars 2010, les actions en répétition de l'indu engagées par la C. R. E. ont été déclarées non fondées et la C. R. E. déboutée de ses demandes et condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le Tribunal Supérieur d'appel de SAINT-PIERRE ET MIQUELON a considéré d'une part que la formulation utilisée par la C. R. E. dans ses conclusions ne lui permettait pas d'identifier clairement les intimés et que ces conclusions étaient donc irrecevables, et d'autre part que la C. R. E. ne l'avait pas mis en mesure d'apprécier tant l'existence des sommes indûment perçues par les intimés que leur montant.
La C. R. E. a formé un pourvoi contre cet arrêt qui a fait l'objet d'une décision de cassation selon arrêt de la 2 ème chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 mars 2012.
La Cour de cassation a considéré qu'en statuant ainsi :
« (¿) sans avoir invité les parties à s'expliquer sur l'absence au dossier des pièces dont la liste était annexée aux dernières conclusions de la C. R. E. et qui comprenait notamment les conclusions du rapport d'expertise ainsi que les fiches de contrôle faisant ressortir le montant pour chaque allocataire des sommes trop perçues, pièce dont la communication n'avait pas été contestée, le tribunal supérieur d'appel, qui ne pouvait déclarer irrecevables ces conclusions au motif erroné d'une identification insuffisante des intimés dont certains seraient décédés en cours d'instance », avait violé les articles 16, 370, 960 et 961 du code de procédure civile.

C'est en l'état que se présente le litige.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La C. R. E., en l'état de ses dernières conclusions signifiées le 12 mars 2015, demande à la cour de :
- lui donner acte de son désistement à l'égard de Madame Olympe R... décédée ;- infirmer la décision rendue par le Tribunal de première instance de SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON le 14 janvier 2003 ;

In limine litis,- prononcer l'irrecevabilité des prétentions indemnitaires articulées par Mesdames Alberta Z..., Thérèse X..., Andrée Y..., Liliane S..., Françoise P..., Madeleine T..., Geneviève C..., Denise D..., Yvonne U..., Marie-Antoinette G..., Jeanne H..., Françoise V..., Marie-Josèphe J..., Alfreda W..., Thérèse N... et Messieurs Robert K... et André F..., en ce qu'elles sont nouvelles en cause d'appel ;- rejeter les irrecevabilité et fin de non-recevoir tirées de l'absence d'objet de l'appel et de l'autorité de la chose jugée ; Sur le fond,- constater que les intimés ont perçu des sommes indues ;- dire les actions en répétition de l'indu engagées par la C. R. E. à l'encontre des intimés bien fondées ;- condamner l'ensemble des intimés à payer à la C. R. E. les sommes suivantes : Madame Marie-Josèphe J..., la somme de 13. 142, 74 Euros, Madame Françoise V..., la somme de 10. 456, 49 Euros, Madame Liliane S..., la somme de 13. 895, 44 Euros, Madame Andrée Y..., la somme de 9. 369, 15 Euros, Madame Marie-Antoinette G..., la somme de 31. 661, 05 Euros, Madame Thérèse N..., la somme de 8. 986, 43 Euros, Madame Jeanne H..., la somme de 11. 736, 67 Euros, Madame Thérèse X..., la somme de 31. 014, 92 Euros, Madame Françoise P..., la somme de 717, 55 Euros, Madame Yvonne U..., la somme de 6. 473, 65 Euros, Monsieur Robert K..., la somme de 1. 705, 68 Euros, Madame Denise D..., la somme de 1. 207, 55 Euros, Monsieur André F..., la somme de 4. 464, 52 Euros, Madame Geneviève C..., la somme de 7. 148, 85 Euros, Madame Alfreda W..., la somme de 745, 86 Euros, Madame Madeleine B..., la somme de 622, 08 Euros, Madame Alberta Z..., la somme de 4. 607, 98 Euros.

- débouter les intimés du surplus de leurs demandes ;- condamner Mesdames Alberta Z..., Thérèse X..., Andrée Y..., Liliane S..., Françoise P..., Madeleine B..., Geneviève C..., Denise D..., Yvonne U..., Marie-Antoinette G..., Jeanne H..., Françoise V..., Marie-Josèphe J..., Alfreda W..., Thérèse N... et Messieurs Robert K... et André F... à payer chacun à la C. R. E. la somme de 800, 00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Selon conclusions signifiées le 25 février 2015, les parties intimées sollicitent de la cour qu'elle : A titre principal :- dise et juge l'appel interjeté par la C. R. E irrecevable car devenu sans objet et ce sur le fondement de l'article 546 du code de procédure civile, en raison du fait que depuis le jugement entrepris, la C. R. E a justifié de son intérêt à agir et que la procédure pénale s'est achevée, A titre subsidiaire : Vus les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile,

- dise et juge les demandes formulées par la C. R. E irrecevables en application du principe de l'autorité de la chose jugée, Plus subsidiairement encore : Si une quelconque condamnation venait à être prononcée contre tout ou partie des intimés concluants,- dise et juge que la C. R. E., tout comme l'ARRCO, est responsable de négligences et fautes de gestion, justifiant que sa responsabilité soit engagée à l'égard des intimés et ce sur le fondement des articles 1382 et suivants du code civil ;- condamne en conséquence la C. R. E. à verser à titre de dommages et intérêts à :

- Madame Marie-Josèphe J... la somme de 13 142, 74 euros ;- Madame Françoise V... la somme de 10 456, 49 euros ;- Madame Liliane S... la somme de 13 895, 44 euros ;- Madame Andrée Y... la somme de 9 369, 15 euros ;- Madame Marie-Antoinette G... la somme de 31 661, 05 euros ;- Madame Thérèse N... la somme de 8 986, 43 euros ;- Madame Jeanne H... la somme de 11 736, 67 euros ;- Madame Thérèse X... la somme de 31 014, 92 euros ;- Madame Françoise P... la somme de 717, 55 euros ;- Madame Ivonne U... la somme de 6 473, 65 euros ;- Monsieur Robert K... la somme de 1 705, 68 euros ;- Madame Denise D... la somme de 1 207, 55 euros ;- Monsieur André F... la somme de 4 464, 52 euros ;- Madame Geneviève C... la somme de 7 148, 85 euros ;- Madame Alfreda W... la somme de 745, 86 euros ;- Madame Madeleine B... la somme de 4 080, 57 euros ;

- ordonne la compensation judiciaire à due concurrence avec les sommes auxquelles chacun des concluants viendrait à être condamné au bénéfice de la C. R. E. ;- condamne la C. R. E à verser une somme de 5 000 euros à chaque intimé en application de l'article 700 du code de procédure civile ;- condamne enfin la C. R. E aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maître BODIN CASALIS en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La C. R. E. déclare se désister de son instance à l'égard de Madame Olympe R..., non comparante devant la cour de renvoi et qui, selon les dires de l'appelante, serait décédée.
MOYENS DES PARTIES :
Sur les fins de non recevoir :
En premier lieu, les parties intimées affirment que par sa décision du 22 mars 2012, la Cour de Cassation a remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, c'est à dire lors du jugement rendu par le tribunal de première instance de SAINT-PIERRE ET MIQUELON le 14 janvier 2003, que devant ce tribunal, le débat a été circonscrit aux exceptions d'irrecevabilité tenant au défaut d'intérêt à agir d'une part et au sursis à statuer d'autre part. Elles constatent alors que ces exceptions ne peuvent plus être soutenues devant la cour d'appel dès lors que le débat procédural n'existe plus, qu'effectivement, l'exception d'irrecevabilité tirée du défaut d'intérêt à agir de la C. R. E. n'est plus alléguée et la procédure pénale étant définitivement close, il n'y a plus lieu de débattre d'un sursis à statuer. Elles en concluent que la cour ne pouvant pas examiner le fond du litige, l'appel interjeté par la C. R. E. devient sans objet et qu'il n'existe aucune possibilité d'évocation par la cour de l'affaire au fond, le jugement de première instance n'ayant retenu aucune exception de procédure mais la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la demanderesse.
La C. R. E. oppose alors aux intimés qu'elle a interjeté un appel total (sur la recevabilité mais aussi sur le fond) à l'encontre du jugement de première instance et que devant ce Tribunal de première instance, elle abordait bien le fond puis qu'elle sollicitait la répétition des sommes perçues par les retraités mais indues. Elle considère au surplus que la cour d'appel peut parfaitement évoquer les points non jugés en application de l'article 568 du code de procédure civile, qu'au demeurant, le Tribunal Supérieur d'appel de SAINT-PIERRE ET MIQUELON a bien statué sur le fond en visant cet article 568 dans son arrêt du 17 mars 2010.
En deuxième lieu, les parties intimées font valoir à titre subsidiaire que les actions en répétition de l'indu engagées par la C. R. E. supposent l'appréciation d'actes de reconstitution de carrières ou d'attribution de points de retraite dont le caractère abusif et/ ou frauduleux a été précisément discuté devant les juridictions pénales, que cette situation a d'ailleurs entraîné le tribunal supérieur d'appel de SAINT-PIERRE ET MIQUELON à, par arrêt rendu le 19 mai 2004, surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge pénal, que la procédure pénale s'est conclue par un non-lieu général au profit des personnes mises en cause, la chambre de l'instruction indiquant qu'il était résulté de l'information que l'intention frauduleuse n'était pas établie, de même que les irrégularités invoquées lesquelles devaient être attribuées à une divergence de vues opposant la direction de l'IRCOP-SPM à l'organisme de tutelle sur le mode de calcul des droits des allocataires et l'établissement des revalorisations. Elles précisent que l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction est devenue définitive et irrévocable, l'arrêt confirmatif rendu par la chambre de l'instruction n'ayant pas été frappé de pourvoi, que cette décision pénale est revêtue d'une autorité absolue qui s'impose au juge civil en ce qu'elle a dit que les reconstitutions abusives de carrière, invoquées par la CRA, n'ont pu être ni démontrées ni établies. La C. R. E. considère quant à elle qu'il ne peut y avoir autorité de la chose jugée au pénal en l'absence d'identité de parties, de cause et d'objet du litige, qu'en tout état de cause, les décisions des juridictions d'instruction ne sont dotées d'aucune autorité de la chose jugée sur le civil et qu'au demeurant, l'expert judiciaire désigné dans le cadre de l'information judiciaire a bien établi l'existence d'irrégularités manifestes qui à elles seules peuvent entraîner une répétition de l'indu sans qu'il y ait lieu de rechercher une intention frauduleuse.

En troisième lieu, les intimés exposent que devant le Tribunal Supérieur d'appel, les effets de la décision pénale ont été débattus et clairement circonscrits et délimités, de sorte que ce point ne peut plus être discuté et s'impose au juge aujourd'hui saisi puisque l'arrêt du 19 mai 2004 est intervenu dans une instance opposant les mêmes parties prises en la même qualité et procèdent de la même cause, qu'il a tranché une contestation procédurale et est donc revêtu de l'autorité de la chose jugée en l'absence de pourvoi.
La C. R. E. répond que l'arrêt du 19 mai 2004 n'a autorité de chose jugée que sur le sursis à statuer, que cette décision n'a pas dessaisi le juge du litige, l'instance se poursuivant sur le fond.
En dernier lieu, la C. R. E relève que les demandes infiniment subsidiaires faites par les intimés aux fins de dommages et intérêts pour réparer les préjudices résultant de " négligences et fautes de gestion " de la caisse sont irrecevables en cause d'appel car nouvelles, qu'il s'agit en effet de prétentions qui différent par leur objet, les parties en demande et leur qualité et que le principe du double degré de juridiction doit être respecté.
Sur les demandes en paiement de la C. R. E. :
La C. R. E. fait valoir que du fait de dysfonctionnements (documents tronqués, signatures approximatives, relevés de la CPS qui sont des faux grossiers), des erreurs ont été commises dans l'attribution des droits à la retraite et qu'après avoir tenté de recouvrer les sommes indûment perçues de manière amiable, elle a été contrainte d'intenter une action judiciaire. Pour chaque intimé, elle expose les erreurs ayant entraîné des versements indus et calcule le montant de ces versements.

Sur les demandes de dommages et intérêts formées par les intimés :
Les parties intimées considèrent que l'ARRCO et par voie de conséquence la C. R. E. sont incontestablement responsables des irrégularités et défauts de gestion reprochés à l'IRCOP-SPM. Elles exposent que : l'IRCOP-SPM est issue de la loi no87-563 du 17 juillet 1987 portant réforme du régime d'assurance vieillesse applicable à Saint-Pierre et Miquelon. Elle avait pour mission de gérer la retraite complémentaire des salariés de l'archipel ; très rapidement il a formulé une demande d'adhésion à l'association des régimes de retraite complémentaire, l'ARRCO, qui a été acceptée le 27 avril 1988, cette adhésion « emportant l'engagement de satisfaire à toutes les obligations résultant des statuts et des règlements de l'ARRCO et de permettre le contrôle de leur bonne application par l'institution » ; l'ARRCO dispose de prérogatives extrêmement importantes à l'égard de ses membres et se doit d'en vérifier le fonctionnement, de leur apporter son aide et son soutien et ce dans l'intérêt des assurés ; à l'origine, lors de la création de l'IRCOP-SPM, la gestion de l'institution a été confiée à l'APEGES, association également chargée de l'administration d'autres organismes de protection sur l'archipel ; en revanche, les opérations relatives à l'encaissement des cotisations et actions précontentieuses ont dès l'origine été confiées à l'ASSEDIC local ; à compter de l'année 1993, de nombreuses administrateurs ont souhaité conférer à l'institution une gestion autonome, considérant que l'APEGES ne remplissait pas sa mission de manière satisfaisante ; avec l'aval de l'ARRCO, l'IRCOP-SPM mettra fin au partenariat qui la liait à l'APEGES en date du 21 avril 1995, cette rupture prenant effet en novembre 1995. Les intimés expliquent que dans les faits, le transfert de gestion s'est déroulé dans des conditions extrêmement conflictuelles, que des différences importantes d'appréciation et d'analyse sont rapidement apparues, notamment concernant les conditions de validation des dossiers de retraite, ce qui a généré des rappels par ailleurs conséquents, que l'ARRCO constatant de graves difficultés de fonctionnement et irrégularités dès 1995, n'a pris aucune mesure, n'a envisagé d'organiser une mission d'audit qu'en 1996 désignant pour ce faire Monsieur Robert AA... lequel rédigera un rapport en date du 25 octobre 1996, et a recruté en qualité de directeur Monsieur BB... qui prendra des décisions entraînant la chute irréversible de l'IRCOP-SPM. Les parties intimées font valoir qu'un rapport émanant du conseil d'administration de l'ARRCO en date du 29 octobre 1997 établit que l'IRCOP-SPM a fonctionné dans une absence totale de respect des règles en vigueur pour la gestion administrative et la comptabilité, qu'elle était dans l'incapacité totale de remplir ses missions ne disposant pas des moyens matériels ni de l'aide nécessaire à cette fin, qu'il résulte du rapport de Monsieur AA... que l'ARRCO a été gravement défaillante dans sa mission de contrôle et d'assistance, qu'elle n'a pas appréhendé les multiples difficultés liées au passage d'une gestion assistée à une gestion autonome et que les mesures prises, notamment de confier la gestion provisoire des opérations de retraite de l'IRCOP-SPM à la C. R. E., l'ont été trop tardivement. Elles indiquent que les promesses faites lors de la réunion du comité paritaire C. R. E. d'action sociale en date du 19 octobre 2000 de remboursement échelonné et de remise de dettes pour certaines retraités en situation matérielle difficile n'ont pas été tenues. Elles plaident donc que tant l'ARRCO que la C. R. E. ont commis des fautes génératrices de préjudices à l'encontre de la collectivité des assurés et notamment à leur encontre et qu'en conséquence, si elles devaient être condamnées à rembourser des sommes indûment perçues au titre des retraites complémentaires, la C. R. E. devra leur verser des dommages et intérêts à hauteur de ces sommes.

La C. R. E. qui relève qu'elle n'a été désignée comme gestionnaire provisoire du régime IRCOP-SPM qu'à partir du 14 octobre 1997 et ne peut donc répondre de faits antérieurs, s'oppose à cette demande indemnitaire. Elle expose que l'ARRCO n'a pas manqué à sa mission d'informer, de coordonner et de contrôler l'IRCOP-SPM comme toutes les institutions qui lui sont affiliées, dès lors qu'à l'issue d'une première année de gestion autonome, cette association a procédé au contrôle comptable et financier de l'institution contrôlée et lui a adressé une lettre d'observation le 4 mars 1997, qu'à l'issue d'un délai de 6 mois, soit en octobre 1997, un nouvel audit de contrôle a été opéré et il a été décidé de suspendre le conseil d'administration. Par ailleurs, elle indique qu'elle a saisi le comité paritaire C. R. E. d'action sociale de toutes les situations individuelles qui le nécessitaient et estime qu'on ne peut lui reprocher de ne pas avoir tenu ses engagements sur le plan social. Enfin, la C. R. E. fait valoir que les demandes indemnitaires ne sont pas sérieuses dans leur montant au regard du principe de la " réparation intégrale ".
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur les fins de non-recevoir :
L'arrêt rendu le 17 mars 2010 par le Tribunal Supérieur de SAINT-PIERRE ET MIQUELON ayant été cassé en toutes ses dispositions par la Cour de Cassation selon arrêt du 20 mars 2012, l'instance se présente devant la cour de céans en l'état de l'arrêt rendu le 19 mai 2004 par ledit Tribunal Supérieur saisi sur appel formé à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de première instance de SAINT-PIERRE ET MIQUELON en date du 14 janvier 2003.
Selon le dispositif de cet arrêt du 19 mai 2004, les demandes de la C. R. E. venant aux droits de l'IRCOP-SPM ont été déclarées recevables, infirmant en cela la décision de première instance, et un sursis à statuer a été ordonné, les actions en répétition de l'indu ne pouvant être tranchées tant qu'une décision définitive sur l'action publique instruite devant le tribunal de grande instance de Paris ne sera pas prononcée.
Il s'ensuit que la présente cour n'est plus saisie de la recevabilité des demandes formées par la C. R. E ce dont les parties intimées ont pris note puisqu'elles ne plaident plus une telle fin de non-recevoir, mais que la cause du sursis à statuer ayant disparu, il lui appartient en application de l'effet dévolutif de l'appel et dès lors qu'elle a été saisie par un appel portant sur l'entier litige, de statuer sur le fond du litige sans que l'on puisse lui opposer le principe du double degré de juridiction et sans nécessité d'évocation par la cour.
S'agissant de la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée au pénal, il est de jurisprudence constante que les décisions d'instruction sont privées d'autorité sur le civil. En conséquence, les parties intimées ne peuvent utilement invoquer l'ordonnance de non-lieu prise par la juridiction d'instruction de Paris et devenue définitive, portant sur des faits de faux et usages de faux dont elles étaient soupçonnées, pour dénier à la présente cour le droit de statuer sur la demande en répétition de l'indu formée par la C. R. E à leur encontre.
Enfin, la C. R. E soulève en vain l'irrecevabilité des demandes nouvelles en cause d'appel formées par les intimés aux fins de dommages et intérêts dès lors qu'il s'agit de demandes reconventionnelles admises en application de l'article 567 du code de procédure civile.
Sur la répétition de l'indu :
Les parties intimées, assurés affiliés à la caisse de retraite de SAINT-PIERRE ET MIQUELON dénommée IRCOP-SPM, et comparantes devant la cour ne contestent pas devoir les sommes qui leur sont réclamées par la C. R. E. ès qualités de gestionnaire de la dite caisse en remboursement de pensions de retraite qui leur ont été versées à tort du fait, selon la C. R. E., de graves dysfonctionnements au sein de la caisse. Après avoir relevé d'une part que les parties à l'instance ne peuvent invoquer des fautes à l'encontre de l'ARRCO qui n'a pas été appelée en la cause et d'autre part que l'erreur ou la négligence du solvens ne font pas obstacle à l'exercice par lui de l'action en répétition, il y a lieu de faire droit aux demandes en paiement pour les montants tels que fixés au dispositif.

S'agissant de la demande en répétition formée à l'encontre de Madame Olympe R..., décédée, il y a lieu de constater le désistement de son appel par la C. R. E.
Sur les demandes en dommages et intérêts :
Il résulte des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise judiciaire confiée dans le cadre de l'instruction du dossier pénal à Monsieur CC..., que l'IRCOP-SPM a commis des erreurs dans l'attribution des droits à la retraite, qu'ils soient directs ou de réversion, que ces irrégularités manifestes qui auraient pu être facilement évitées dans le cadre d'une gestion rigoureuse et attentive ont eu des répercussions parfois très importantes sur le montant du trop-perçu. Les demandes en restitution de ces sommes ont pris les retraités concernés au dépourvu, étant rappelé qu'un non-lieu a été ordonné à l'issue de l'instruction pénale ouverte pour faux et usage de faux et ont pu les placer dans une situation financière d'autant plus difficile qu'une pension de retraite est destinée à financer les dépenses courantes de la vie.
Toutefois, il doit être relevé que des propositions de prise en charge totale ou partielle mais dans une proportion importante de la dette ont été faites par le comité paritaire C. R. E d'action sociale de SAINT-PIERRE ET MIQUELON qui a pris en considération la situation individuelle de chaque retraité mais que les personnes bénéficiaires de ces propositions les ont refusées ou n'ont pas répondu dans les délais. Dans ces conditions, les intimés privés des remises totales ou partielles qui leur étaient proposées par le fonds social de la CRE ne peuvent se prévaloir en justice d'un préjudice résultant de la demande en restitution qui leur est aujourd'hui faite et de la situation dans laquelle ils se trouvent par leur fait.

Les intimés qui n'ont pas bénéficié d'une telle proposition, à savoir Madame J..., Madame N..., Madame D..., Madame C..., Madame W..., Madame Z... ont subi un préjudice lié au caractère abrupt et inattendu de la demande de restitution, préjudice dont l'importance à ce jour doit être tempérée en raison de la longueur de la présente procédure civile, les retraités qui ne contestent ni l'existence ni le montant du trop-perçu ayant de fait bénéficié d'un délai de paiement d'environ14 ans et qui justifie qu'il soit fait droit à leurs demandes de dommages et intérêts à hauteur d'un quart des sommes dues à la C. R. E.
Sur les autres demandes :
La compensation entre ces deux dettes connexes (restitution de l'indu et indemnisation du préjudice résultant de cette demande de restitution) sera ordonnée.
Au vu des circonstances de la cause, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles engagés pour la présente procédure.
Enfin, il y a lieu de juger qu'en mettant les entiers dépens de la procédure à la charge des débiteurs qui au titre de leurs pensions de retraite, ont des petits revenus, l'équité se trouverait compromise, étant au surplus rappelé que les créances de la C. R. E. résultent d'irrégularités manifestes qui ne seraient vraisemblablement pas intervenues dans le cadre d'une gestion rigoureuse.
PAR CES MOTIFS
statuant publiquement, par décision contradictoire
Vu l'arrêt du Tribunal Supérieur d'appel de SAINT-PIERRE ET MIQUELON en date du 19 mai 2004 ; Vu l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 22 mars 2012 ;

CONSTATE le désistement d'instance de la CRE à l'encontre de Madame Olympe R... ;
CONSTATE que la cause de sursis à statuer a disparu, l'action publique étant éteinte à la suite de l'ordonnance de non-lieu prononcée par le juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Paris et confirmée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris ;
REJETTE les fins de non-recevoir opposées à l'action de la C. R. E. au titre de l'autorité de la chose jugée ;
REJETTE la fin de non-recevoir opposée aux demandes de dommages et intérêts formées à titre reconventionnel par les intimés ;
CONDAMNE les parties suivantes à verser à la C. R. E. :- Madame Marie-Josèphe J..., la somme de 13. 142, 74 Euros,- Madame Françoise V..., la somme de 10. 456, 49 Euros,- Madame Liliane S..., la somme de 13. 895, 44 Euros,- Madame Andrée Y..., la somme de 9. 369, 15 Euros,- Madame Marie-Antoinette G..., la somme de 31. 661, 05 Euros,- Madame Thérèse N..., la somme de 8. 986, 43 Euros,- Madame Jeanne H..., la somme de 11. 736, 67 Euros,- Madame Thérèse X..., la somme de 31. 014, 92 Euros,- Madame Françoise P..., la somme de 717, 55 Euros,- Madame Yvonne U..., la somme de 6. 473, 65 Euros,- Monsieur Robert K..., la somme de 1. 705, 68 Euros,- Madame Denise D..., la somme de 1. 207, 55 Euros,- Monsieur André F..., la somme de 4. 464, 52 Euros,- Madame Geneviève C..., la somme de 7. 148, 85 Euros,- Madame Alfreda W..., la somme de 745, 86 Euros,- Madame Madeleine B..., la somme de 622, 08 Euros,- Madame Alberta Z..., la somme de 4. 607, 98 Euros ;

CONDAMNE la C. R. E. à payer à titre de dommages et intérêts au parties suivantes :- Madame Marie-Josèphe J..., la somme de 3285, 69 ¿,- Madame Thérèse N..., la somme de 2 246, 61 ¿,- Madame Denise D..., la somme de 301, 89 ¿,- Madame Geneviève C..., la somme de 1787, 21 ¿,- Madame Alfreda W..., la somme de 186, 47 ¿,- Madame Alberta Z..., la somme de 1152 ¿ ;

ORDONNE la compensation à due concurrence avec les sommes dues au principal ;
REJETTE les autres demandes reconventionnelles en dommages et intérêts ;
DIT n'y avoir lieu à application au profit d'une des parties des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la C. R. E aux entiers dépens de l'instance, qui seront recouvrés selon les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître BODIN CASALIS.
LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2- chambre 2
Numéro d'arrêt : 12/16565
Date de la décision : 15/05/2015
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2015-05-15;12.16565 ?
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