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15/05/2015 | FRANCE | N°14/08195

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 15 mai 2015, 14/08195


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 15 MAI 2015



(n° 2015-125 , 14 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/08195



Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mars 2014 -Tribunal de Grande Instance de [Adresse 4] - RG n° 12/16382





APPELANTS



Monsieur [W] [C]

Né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



LA MÉDICALE DE FRANCE

agissant en la personne de son représentant légal

N° RCS 582 068 698

[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représentées par Me Hélène FABRE de l'Association Hélène ...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 15 MAI 2015

(n° 2015-125 , 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/08195

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mars 2014 -Tribunal de Grande Instance de [Adresse 4] - RG n° 12/16382

APPELANTS

Monsieur [W] [C]

Né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

LA MÉDICALE DE FRANCE

agissant en la personne de son représentant légal

N° RCS 582 068 698

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentées par Me Hélène FABRE de l'Association Hélène FABRE, Carole SAVARY, Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124

Assistées de Me Aude CANTALOUBE avocat au barreau de PARIS, toque : P0124, substituant Me Helène FABRE de l'association FABRE SAVARY FABBRO avocat au barreau de PARIS, toque P0124

INTIMÉES

Madame [M] [N]

Née le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Assistée de Me Bénédicte PAPIN du cabinet PAPIN, avocat au barreau de PARIS, toque: G95

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA SEINE-MARITIME

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Chloé HUSSON-FORTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0668

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Anne VIDAL, présidente de chambre, ayant été entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 mars 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Anne VIDAL, présidente de chambre

Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Malika ARBOUCHE

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Anne VIDAL, présidente et par Mme Malika ARBOUCHE, greffière.

--------------

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Mme [M] [N], qui souffrait de céphalées frontales persistantes avec sensation d'obstruction nasale et écoulement pharyngé postérieur, a été adressée par son médecin généraliste en septembre 2009, après réalisation d'un scanner des sinus et de la face ayant révélé un épaississement de la muqueuse de toutes les cavités sinusiennes de la face, au Dr [W] [C], médecin ORL. Celui-ci, après avoir tenté un traitement médicamenteux, a proposé, lors d'une consultation du 8 octobre 2009, une intervention chirurgicale. L'intervention a eu lieu le 14 octobre 2009 à la clinique MEGIVAL et a consisté en un repositionnement septal associé à une turbinectomie bilatérale. Les suites opératoires ont été particulièrement douloureuses mais Mme [M] [N] a regagné son domicile le lendemain. Lors des consultations postopératoires des 29 octobre et 10 novembre 2009, une infection a été diagnostiquée et traitée par TAVANIC et MEDROL. Un second geste opératoire a eu lieu le 18 novembre 2009, initialement prévu uniquement pour l'ablation des tubes, mais élargi à une reprise chirurgicale de l'intervention réalisée le 14 octobre avec ablation des croutes infectées et exérèses de lésions ethmoïdales. Cette seconde intervention a été suivie d'une surinfection naso-sinusienne soignée par TAVANIC et PROFENID.

A la suite de la consultation de plusieurs autres médecins spécialistes, Mme [M] [N] a découvert qu'elle était atteinte du « syndrome du nez vide » (SNV) et, souffrant de brûlures nasales, d'une sécheresse de la bouche, d'une perte du goût et de l'odorat, d'une gêne respiratoire et d'un état dépressif, elle a sollicité une expertise en référé. Le Dr [Q], ORL, a été désigné par ordonnance du 21 octobre 2011 et s'est fait assister par le Dr [B], médecin psychiatre, en qualité de sapiteur. Il a déposé son rapport le 29 mai 2012 et a conclu à l'existence de fautes du Dr [W] [C] dans l'indication opératoire, dans la technique opératoire et dans l'information donnée en pré-opératoire. Il a retenu que la muqueuse du nez où cheminent des terminaisons nerveuses a été largement réséquée, d'où les troubles d'olfaction ou de réaction aux boissons gazeuses et que la fonction nasale d'humidification et de réchauffement n'existe plus.

Suivant actes d'huissier des 15, 19 et 20 novembre 2012, Mme [M] [N] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris le Dr [W] [C] et la Médicale de France, son assureur, au contradictoire de la CPAM de Seine Maritime, en déclaration de responsabilité et en indemnisation de ses préjudices.

Par jugement en date du 31 mars 2014, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré le Dr [W] [C] responsable des conséquences dommageables des interventions réalisées les 14 octobre et 18 novembre 2009 et l'a condamné, in solidum avec la Médicale de France, à payer les sommes suivantes :

A Mme [M] [N], la somme globale de 47.449,05 € en réparation de ses préjudices, outre intérêts au taux légal à compter du jugement avec capitalisation, outre une somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

A la CPAM de Seine Maritime, la somme de 3.415,85 € au titre des prestations servies, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 août 2013, outre une somme de 900 € à titre de pénalité et une somme de 1.200 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a retenu que le Dr [W] [C] n'avait pas pleinement rempli son obligation d'information sur l'ampleur de l'intervention et sur l'éventualité d'un geste chirurgical complémentaire, ce qui justifiait sa condamnation à verser à Mme [M] [N] une somme de 1.000 € en réparation du préjudice moral spécifique.

Il a considéré qu'étaient établies, d'une part une faute dans l'indication opératoire, l'intervention réalisée n'étant pas appropriée aux problèmes rencontrés par la patiente, d'autre part une faute dans la technique opératoire, le nez ayant été trop largement évidé, aboutissant à une amputation de la fonction nasale d'humidification et de réchauffement de l'air inspiré et il a retenu que le dommage subi par Mme [M] [N] était en lien avec ces fautes.

Le Dr [W] [C] et la Médicale de France ont interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 11 avril 2014.

----------------------

Le Dr [W] [C] et la Médicale de France, suivant leurs dernières conclusions signifiées le 17 février 2015, demandent à la cour d'infirmer le jugement et de :

A titre principal,

Dire que l'intervention chirurgicale était justifiée, que Mme [M] [N] ne rapporte pas la preuve que le Dr [W] [C] aurait commis une faute en réalisant une turbinectomie totale et que le lien entre ce geste et l'apparition du syndrome du nez vide n'est pas établi, la réalité de ce syndrome n'étant au demeurant pas rapportée de manière certaine,

Dire que le Dr [W] [C] rapporte la preuve d'avoir informé Mme [M] [N] tant de l'utilité de l'intervention que de son déroulement et des risques normalement prévisibles, le syndrome du nez vide étant un risque inconnu et imprévisible dont l'existence fait encore débat,

En conséquence, débouter Mme [M] [N] de l'intégralité de ses demandes et la condamner à payer au Dr [W] [C] une somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

Dire que la pratique de la turbinectomie totale a, tout au plus, fait perdre à Mme [M] [N] une chance d'éviter les complications dont elle a été victime et fixer ce taux à 50% en tenant compte des faibles chances de réussite d'un traitement médicamenteux alternatif et des risques similaires encourus à l'occasion d'une intervention de turbinectomie partielle,

Enjoindre les parties à communiquer les pièces justificatives sollicitées dans le corps des présentes,

Fixer les préjudices de Mme [M] [N] comme suit, compte tenu du taux de perte de chance de 50% :

Dépenses de santé actuelles : dans l'attente des justificatifs,

Frais divers : 775 €,

Pertes de gains professionnels : sans objet,

Dépenses de santé futures : débouté (confirmation),

Incidence professionnelle : débouté (confirmation),

Déficit fonctionnel temporaire : 3.955 € (infirmation),

Souffrances endurées : 2.000 € (infirmation),

Déficit fonctionnel permanent : 3.150 € (infirmation),

Préjudice esthétique : débouté (confirmation),

Préjudice d'agrément : débouté (infirmation),

Préjudice sexuel : 2.000 € (infirmation),

Préjudice lié à l'obligation d'information : débouté (infirmation).

Fixer la créance de la CPAM de Seine Maritime, compte tenu du taux de perte de chance de 50%, comme suit :

frais d'hospitalisation et examens médicaux : débouté (infirmation),

frais d'examens médicaux : dans l'attente de justificatifs,

frais médicaux : débouté (infirmation),

Dire que l'éventuelle somme due à Mme [M] [N] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ne saurait excéder la somme de 1.500 €.

Ils font reproche au jugement de ne pas être motivé et d'être uniquement fondé sur les conclusions expertales, sans aucune discussion des éléments qu'ils développaient, et font le parallèle avec une affaire, jugée par le même tribunal, quelques mois plus tard, relative à une intervention de turbinectomie réalisée par le Dr [W] [C], pour laquelle les juges ont admis qu'aucune faute ne pouvait lui être imputée.

Ils soutiennent l'argumentation suivante :

Sur le devoir d'information : le Dr [W] [C] a informé Mme [M] [N] oralement, ainsi qu'il ressort des compte-rendus de consultation dictés en sa présence à destination de son médecin traitant ; le second geste opératoire a été évoqué comme une possibilité mais n'est pas systématique et n'a pu être décidé qu'en per-opératoire ; la patiente a reçu toutes les informations sur l'intervention projetée devant la vidéoscopie et pouvait, si elle ne comprenait pas les actes, poser toutes questions utiles ; elle a d'ailleurs signé les deux formulaires de consentement éclairé ; enfin, le Dr [W] [C] ne pouvait l'informer du risque de syndrome du nez vide (SNV) qu'il ne connaissait pas, qui est toujours controversé et qui n'était pas mentionné dans les fiches d'information du syndicat national ORL à l'époque des faits ;

Sur l'indication opératoire : elle était justifiée au regard de la pathologie nasale ancienne et des migraines chroniques dont souffrait Mme [M] [N] et qui n'avaient pas été améliorées par les différents traitements médicamenteux instaurés par les médecins généralistes et par lui-même lors des trois consultations préalables ; devant le caractère invalidant de ses migraines, c'est Mme [M] [N] elle-même qui a sollicité l'intervention chirurgicale ; au demeurant, les scanners montraient une atteinte du sinus frontal qui incitait à ne pas différer l'intervention ;

Sur le geste opératoire : l'expert lui reproche d'avoir opté pour une turbinectomie totale ; mais il ne pouvait être minimaliste au regard des scanners qui montraient une atteinte sinusienne diffuse bilatérale atteignant les sinus frontaux ; au surplus, ce geste était de pratique courante en 2009 et ce n'est qu'en 2012 que la conférence de consensus a recommandé de ne pas enlever la totalité des cornets, alors que jusque-là l'objectif était de réaliser une résection totale afin d'optimiser le gain de volume dans la fosse nasale ;

Sur le lien de causalité : l'expert n'affirme ni ne démontre le lien de causalité entre la turbinectomie totale et le dommage allégué par Mme [M] [N] ; il ressort de la littérature scientifique que le SNV ne fait l'objet d'aucune définition précise et a un caractère subjectif, qu'il est très controversé dès lors qu'il est relevé, d'une part que les facteurs de survenue de ce syndrome ne sont que partiellement compris, d'autre part que la turbinectomie est pratiquée depuis de nombreuses années, alors que syndrome n'est décrit que très récemment ; au demeurant, le SNV peut être consécutif à une turbinectomie partielle (intervention que Mme [M] [N] aurait voulu voir pratiquer) et sa survenance est imprévisible ; dès lors, il n'y a pas de lien de causalité incontestable entre l'intervention de turbinectomie totale pratiquée et la pathologie de Mme [M] [N] qui souffrait déjà de céphalées invalidantes avant l'intervention.

En tout état de cause, si la cour estimait que le Dr [W] [C] n'aurait pas dû recourir à une turbinectomie totale, elle devrait appliquer un taux de perte de chance de 50% d'éviter les symptômes présentés par Mme [M] [N] au regard, d'une part des faibles chances de réussite d'un traitement alternatif par voie médicamenteuse, d'autre part des risques similaires encourus à l'occasion d'une turbinectomie partielle.

Ils s'opposent à la prise en charge des frais médicaux antérieurs à l'intervention et des hospitalisations rendues nécessaires par l'acte chirurgical lui-même puisque celui-ci était justifié. Ils discutent les frais de cure thermale pendant trois ans et concluent à la confirmation du jugement qui a rejeté les dépenses de santé futures et l'incidence professionnelle, la reprise du travail étant recommandée par les experts.

Mme [M] [N], en l'état de ses dernières écritures signifiées le 26 février 2015, demande à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que le Dr [W] [C] était responsable des conséquences dommageables des interventions chirurgicales subies les 14 octobre et 18 novembre 2009 et condamné in solidum le Dr [W] [C] et la Médicale de France à réparer l'intégralité de son préjudice,

infirmer la décision sur le quantum de l'indemnisation et condamner le Dr [W] [C] et la Médicale de France in solidum à lui verser les sommes suivantes, déduction faite des créances de la CPAM et de la Mutuelle :

dépenses de santé actuelles : 3.066,02 €,

frais divers : 1.550 € (frais d'assistance par un médecin conseil) + 703,03 € (frais de déplacement),

dépenses de santé futures : 22.882,56 €,

incidence professionnelle : 30.000 €,

Soit une somme de 58.201,61 € au titre des préjudices patrimoniaux,

déficit fonctionnel temporaire : 9.096 €,

souffrances endurées : 6.000 €,

déficit fonctionnel permanent : 45.000 €,

préjudice esthétique : 1.500 €,

préjudice d'agrément : 5.000 €,

Préjudice sexuel : 5.000 €,

Soit une somme de 71.596 € au titre des préjudices extra-patrimoniaux,

Indemnité pour violation de l'obligation d'information : 10.000 €,

Lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du jugement du 31 mars 2014 avec capitalisation à la date anniversaire, soit le 31 mars 2015,

Indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile : 6.000 €.

Après avoir rappelé les caractéristiques du syndrome du nez vide, SNV, et après avoir contesté toute analogie entre son cas et celui ayant donné lieu au jugement du 9 février 2015 ayant rejeté la responsabilité du Dr [W] [C], elle soutient que le jugement a retenu à juste titre la responsabilité du praticien pour les motifs suivants :

L'indication opératoire n'était pas fondée : en effet, la patiente ne souffrait pas d'une pathologie ancienne (elle avait seulement une sinusite ponctuelle depuis 2000), elle n'avait jamais bénéficié d'une prise en charge médicamenteuse spécialisée, l'opportunité d'une chirurgie a été évoquée par le Dr [W] [C] moins de 12 jours après la 1ère consultation (de sorte que le temps laissé aux vasoconstricteurs, corticoïdes et autres traitements n'a pas été suffisant pour agir) et elle n'était nullement demanderesse d'une chirurgie mais elle a fait confiance au médecin spécialiste ; la technique de la turbinectomie totale est réservée aux patients qui sont en situation d'échec d'un traitement médical administré de manière prolongée ; en outre, la patiente ne présentait, ni une sinusite maxillaire chronique ou à répétition, ni une tumeur nasale importante, de sorte que rien ne justifiait le geste opératoire étendu, présenté comme urgent, mutilant et irréversible mené par le Dr [W] [C] ;

La chirurgie maximaliste mise en 'uvre n'est pas conforme aux recommandations scientifiques : en effet, la littérature médicale invite à la plus grande prudence dans les résections tissulaires ; la turbinectomie totale ne peut être validée qu'en cas de lésion polymateuse ou cancéreuse, ce qui n'était pas le cas de Mme [M] [N] ;

Le Dr [W] [C] a manqué à son obligation d'information : il n'a pas expliqué en termes clairs ce que serait le geste chirurgical et il n'a pas indiqué le rôle joué par les cornets, il ne lui pas indiqué qu'une seconde intervention serait nécessaire et il ne lui a pas été exposé que le SNV faisait partie des complications rares, mais graves et connues, alors qu'il s'agissait d'un risque connu depuis 1993.

Elle ajoute que le lien de causalité entre les fautes commises et les séquelles constatées par l'expert est démontré par les circonstances de l'espèce, Mme [M] [N] ne présentant aucune autre cause plausible des préjudices actuels avant l'intervention, et par la reconnaissance dans la littérature médicale d'un lien entre la turbinectomie et les cas de SNV.

Elle estime que ses préjudices ont été sous-estimés par le tribunal et insiste plus particulièrement sur :

les frais de cure thermale et les frais inhérents aux soins thermaux nécessaires à vie, pendant trois années de suite suivies de trois années de repos, (chiffrés par application du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2013 au taux de 1,20% à la somme de 22.882,56 €),

l'incidence professionnelle, rejetée par le tribunal alors que le handicap dont elle souffre a un impact sur la qualité de l'exercice professionnel qui est le sien (adjointe administrative de mairie),

le déficit fonctionnel permanent, fixé par l'expert à 6% (3% pour la gêne respiratoire et 3% pour l'hyposmie), alors qu'il doit être retenu à hauteur de 20 à 30% (5%pour l'hyposmie, 10 à 15% pour la gêne respiratoire, 5% pour les neuropathies post-opératoires et 5 à 10% pour la chute de l'élan vital,

le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel (les troubles de l'olfaction altèrent la libido),

le préjudice moral spécifique lié au défaut d'information.

La CPAM de [Localité 4], [Localité 2], [Localité 1], Seine Maritime, suivant conclusions signifiées le 1er septembre 2014, demande à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le Dr [W] [C] était responsable des conséquences pécuniaires des suites médicales des interventions subies par Mme [M] [N],

confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la condamnation in solidum du Dr [W] [C] et de la Médicale de France à lui payer la somme de 3.415,85 € au titre de ses débours et celle de 1.200 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Le réformer partiellement et condamner le Dr [W] [C] et la Médicale de France in solidum à lui payer la somme de 1.028 € sur le fondement de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale,

Les condamner également in solidum à lui payer une somme de 2.200 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient qu'elle a procédé à la rectification des dates portées sur son premier décompte et qu'il en ressort que les actes dont elle demande le remboursement sont bien en lien avec les fautes commises, s'oppose à la communication des justificatifs des examens radiologiques, contraire au secret médical et ajoute que l'ensemble des débours a été soumis la vérification du service du contrôle médical.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 5 mars 2015.

MOTIFS DE LA DECISION :

Considérant que Mme [M] [N] a été adressée par son médecin généraliste au Dr [W] [C], ORL, à la suite de la réalisation d'un scanner des sinus et de la face ; que, lors de la première consultation, le 12 septembre 2009, le médecin notait que la patiente présentait un problème de céphalée micrânienne droite avec des douleurs oculaires évoluant depuis 5/6 ans et souffrait de manière plus récente de douleurs pré-maxillaires ; qu'un traitement type TAVANIC, MEDROL et DERINOX a été mis en place ; que la patiente a été revue par le praticien le 24 septembre 2009, date à laquelle le traitement médicamenteux a été changé devant l'absence d'amélioration au premier traitement, puis le 8 octobre 2009, date à laquelle l'intervention chirurgicale de fronto-ethmoïdectomie bilatérale de drainage et d'aération a été décidée ;

Que l'intervention a eu lieu le 14 octobre 2009 et a consisté en un repositionnement septal et une turbinectomie bilatérale, et en une sinusotomie frontale bilatérale avec mise en place de Ttubes de calibrages du canal frontal et une sphénoïdotomie bilatérale ; que Mme [M] [N] a été revue deux fois en consultation post-opératoire les 29 octobre et 10 novembre 2009 et que l'infection constatée a été traitée par antibiothérapie ; qu'une seconde intervention a été pratiquée le 18 novembre 2009 consistant en une reprise de fronto-ethmoïdectomie bilatérale avec sphénoïdectomie bilatérale et bi-méatotomies inférieure et moyenne bilatérales ; que la surinfection constatée le 1er décembre suivant a été soignée par antibiotiques et que la patiente a été revue à plusieurs reprises par le Dr [W] [C] qui a noté, à l'issue de la consultation du 23 décembre 2009 que la patiente n'avait plus de céphalées hémi-crâniennes droites ;

Que devant les plaintes de Mme [M] [N], une expertise a été ordonnée en référé et que le Dr [Q], ORL, a déposé son rapport le 29 mai 2012 ;

Sur la responsabilité du Dr [W] [C] au titre des soins et traitements dispensés :

Considérant que le tribunal a justement rappelé les dispositions de l'article L 1142-1 du code de la santé publique aux termes desquelles la responsabilité du professionnel de santé peut être recherchée en cas de manquement à son obligation d'apporter à son patient, tant dans l'indication du traitement que dans sa mise en 'uvre et son suivi, des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science médicale à la date de son intervention ; que l'obligation du praticien est une obligation de moyens et qu'il appartient donc au patient de rapporter la preuve du manquement commis par le médecin et de l'existence d'un préjudice en lien de causalité direct et certain avec la faute reprochée ;

Considérant que Mme [M] [N] recherche la responsabilité du Dr [W] [C] en lui reprochant à la fois une mauvaise indication opératoire et un geste opératoire inapproprié qui seraient à l'origine du syndrome du nez vide dont elle souffre actuellement ;

Considérant, sur les fautes reprochées au Dr [W] [C], qu'il ressort des constatations de l'expert que Mme [M] [N] présentait une pathologie chronique d'obstruction nasale avec migraines et sensation d'écoulement postérieur ; que cette pathologie chronique avait été objectivée par le scanner des sinus réalisé le 2 août 2009 et présenté au Dr [W] [C] lors de la première consultation mais que les lésions observées sur les sinus étaient peu importantes ; que l'expert indique que le Dr [W] [C] n'a pas commis d'erreur de diagnostic et que le geste chirurgical pouvait être retenu, mais qu'il note, d'une part que la prise en charge opératoire était prématurée, à défaut pour le praticien d'avoir mis en place un traitement médical suffisamment long pour en apprécier l'efficacité alors qu'il n'existait aucune urgence opératoire, d'autre part que la chirurgie mise en 'uvre était maximaliste, aboutissant à une amputation de la fonction nasale, alors qu'il n'existait ni but vital (tumeur), ni visée esthétique ; que c'est donc l'indication opératoire dans sa temporalité et le geste opératoire dans sa teneur qui sont remis en cause par l'expert, les soins dispensés en post-opératoires n'étant pas critiqués ;

Considérant que c'est en vain que le Dr [W] [C] conteste avoir commis une faute dans l'indication opératoire en soutenant dans ses écritures que l'intervention était justifiée en raison de la chronicité des céphalées invalidantes présentée par la patiente ; qu'en effet, il n'est pas contestable que Mme [M] [N] souffrait de céphalées anciennes et importantes qui l'avaient amenée à consulter un spécialiste et à solliciter une prise en charge efficace ; mais qu'il a été justement souligné par l'expert que la décision de recourir à un geste chirurgical a été prise trop rapidement puisque la patiente est venue consulter pour la première fois le 12 septembre et que l'intervention a été évoquée dès le 24 septembre, décidée le 8 octobre et réalisée le 14 octobre 2009, alors que le traitement médical par antibiothérapie, corticothérapie et vasoconstricteurs, mis en place par le médecin spécialiste depuis un mois seulement, n'avait pu donner ses effets ;

Qu'il doit être noté à cet égard que les articles de littérature médicale produits aux débats sont unanimes pour recommander la réalisation de la chirurgie en cas de syndrome d'obstruction nasale uniquement après l'échec d'un traitement médical prolongé (un an à peu près) ;

Que l'expert a précisé, sans être démenti par le Dr [W] [C] au cours des opérations expertales, que le scanner des sinus n'était absolument pas alarmant et qu'il n'existait donc aucun facteur d'urgence justifiant la précipitation avec laquelle le médecin a fait à sa patiente la proposition d'une chirurgie ; que le fait que Mme [M] [N] ait immédiatement accepté ce geste chirurgical qui lui était présenté comme seul susceptible de résorber ses difficultés n'est pas de nature à exonérer le praticien de sa responsabilité ;

Considérant que, s'agissant de l'ampleur du geste opératoire, l'expert note, dans son rapport du 29 mai 2012, que « la résection des cornets inférieurs et moyens est un non-sens physiologique » et ajoute que cette intervention doit être réservée à des pathologies chroniques bien plus évoluées que celle objectivée par le scanner pour Mme [M] [N], s'agissant d'une amputation de la fonction nasale ; qu'il ajoute de manière plus prudente et nuancée, dans sa réponse aux dires des parties : « La résection étendue de la muqueuse des cornets et l'ouverture intégrale des sinus de la face était de mise au début de la chirurgie endonasale par voie endoscopique, il doit être plus limité pour mieux respecter la physiologie de la muqueuse nasale. » ;

Qu'il doit être rappelé que l'appréciation du manquement du praticien doit être portée en fonction des données acquises de la science médicale à la date de son intervention ; que le Dr [W] [C] fait observer que la turbinectomie totale constituait, à la date à laquelle elle a été réalisée, soit en 2009, une pratique courante reconnue par la communauté ORL française ; qu'il doit être relevé en effet, à la lecture de l'article des Pr [G], [T] et [I] publié en 2012 que « les objectifs chirurgicaux ont longtemps été de réaliser une résection maximale afin d'optimiser le gain de volume dans la fosse nasale. » et qu'il y est précisé : « Avec l'optimisation des connaissances sur les complications des turbinectomies totales ou sub-totales, dont le SNV, la tendance actuelle va à la chirurgie conservatrice. » ; que ce n'est que lors de la conférence de consensus de la Société Française d'Oto-Rhino-Laryngologie et de Chirurgie de la Face et du Cou de 2012 sur le syndrome du nez vide qu'il a été recommandé, au regard de la constatation que « le syndrome du nez vide est une complication exceptionnelle de la chirurgie turbinale qui doit néanmoins toujours être prise en compte », de ne pas enlever la totalité du cornet inférieur dans un but fonctionnel de thérapie de l'obstruction nasale ; qu'il doit être également noté que, dans la littérature antérieure à 2012 telle que produite aux débats par Mme [M] [N], la turbinectomie est présentée comme une technique très efficace dans la prise en charge de l'obstruction nasale, sous réserve d'être réservée au cas d'échec du traitement médical, et est décrite comme générant des désagréments moins invalidants que l'obstruction initiale ;

Que dans ces conditions, il ne peut être reproché au Dr [W] [C] d'avoir procédé à une turbinectomie totale qui, à la date à laquelle elle a été réalisée, ne faisait l'objet d'aucune recommandation et constituait une pratique courante dans le traitement chirurgical de l'obstruction nasale ;

Considérant, sur le lien de causalité avec les séquelles présentées par Mme [M] [N], que l'expert retient que la patiente souffre d'une gêne respiratoire paradoxale provenant d'une sensation d'obstruction nasale alors qu'il n'existe pas d'obstacle à la ventilation nasale et d'une hyposmie caractérisée par un trouble objectif de l'odorat ; qu'il rapporte ces séquelles au syndrome du nez vide en lien avec l'intervention de turbinectomie, aucun autre élément symptomatique physique ou psychique n'étant noté ;

Que le syndrome du nez vide est, comme le souligne le Dr [W] [C] dans ses écritures et comme l'a reconnu l'expert dans sa réponse aux dires, un syndrome sur lequel il n'existe pas encore de consensus médical établi et dont l'identification est controversée ; qu'il s'agit en effet d'une symptomatologie subjective rapportée par les patients constituée d'une sensation d'obstruction nasale associée à des difficultés respiratoires, une sensation de vacuité nasale, une sécheresse rhinopharyngée, mais également des céphalées et une hyposmie, tous symptômes rapportés par Mme [M] [N] et constatés par l'expert lors de son examen clinique ;

Que les études récentes font toutefois un lien entre ce syndrome et la turbinectomie ; qu'ainsi, le SNV est défini par la conférence de consensus de la Société Française d'Oto-Rhino-Laryngologie et de Chirurgie de la Face et du Cou comme associant une sensation d'obstruction nasale, des modifications sécrétoires et des troubles de l'odorat déclenchés par une chirurgie de réduction turbinale ; que l'étude des Pr [G], [T] et [I] de 2012 indique à cet égard que les facteurs à l'origine du développement de cette maladie ne sont que partiellement compris mais préconise, en prévention de ce syndrome, une limitation du geste turbinal ;

Que l'existence d'un lien de causalité entre les troubles décrits par Mme [M] [N] et constatés par l'expert doit donc être retenue ;

Que la réalisation d'une intervention chirurgicale trop précocement, alors qu'un traitement médicamenteux aurait pu faire effet, a fait perdre à Mme [M] [N] une chance d'éviter le geste chirurgical et ses conséquences qui doit être fixée, au regard des chances raisonnables de succès du traitement médicamenteux, à hauteur de 50% ; que le Dr [W] [C] et la Médicale de France seront donc condamnés in solidum à réparer le préjudice corporel subi par Mme [M] [N] dans la proportion de 50 % ;

Sur le défaut d'information :

Considérant qu'aux termes de l'article L 1111-2 du code de la santé publique, le praticien est tenu de donner à son patient une information loyale, claire et appropriée sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui lui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ; que cette information doit être délivrée au cours d'un entretien individuel ; que le médecin a la charge d'établir qu'il a respecté cette obligation, mais que la preuve peut être rapportée par tous moyens, dès lors qu'il est admis que l'information peut être donnée oralement ;

Considérant que Mme [M] [N] met en cause le respect par le Dr [W] [C] de son obligation d'information concernant le geste opératoire, la nécessité d'une seconde intervention et le risque de SNV et réclame, en réparation de ce manquement, une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice autonome qu'elle a subi ;

Que les premiers juges ont justement écarté le grief tenant au défaut d'information sur le risque de SNV dès lors que le Dr [W] [C] ne connaissait pas ce syndrome et qu'au surplus celui-ci n'était pas, en 2009, rapporté scientifiquement comme un risque des turbinectomies ;

Qu'ils ont par contre fait droit à sa demande en retenant que le Dr [W] [C] n'avait pas parfaitement informé sa patiente sur l'ampleur de l'intervention chirurgicale qu'il lui proposait et sur la nécessité d'un second geste opératoire ;

Qu'il convient toutefois de noter, en lecture du rapport d'expertise et des notes de consultation, que l'information sur l'opportunité du geste opératoire et sa description a été loyalement donnée par le Dr [W] [C] au travers des courriers adressés à son généraliste et dictés devant elle et par le biais de la vidéo, le médecin décrivant sur l'image l'intervention projetée ; que l'expert s'interroge sur le caractère compréhensible pour la patiente de ce geste alors qu'il s'agit, dit-il, d'une anatomie complexe, mais que Mme [M] [N] a signé un formulaire de consentement éclairé par lequel elle a reconnu avoir reçu toutes informations et que le Dr [W] [C] ajoute justement qu'elle pouvait demander des éclaircissements si elle le souhaitait ; que le grief de défaut d'information sur l'intervention ne peut donc être retenu ;

Que par contre rien ne permet de considérer que Mme [M] [N] a été informée de la nécessité, même aléatoire, d'un second geste opératoire pour retirer les drains qui devaient être posés ; que les notes de consultation n'y font aucune référence et que Mme [M] [N] indique avoir été très surprise à l'annonce de cette seconde intervention ; que le défaut d'information portant sur cette seconde intervention a généré pour la patiente un préjudice moral caractérisé par le sentiment de n'avoir pas pu donner un consentement totalement éclairé et de n'avoir pas pu se préparer aux différentes échéances thérapeutiques découlant de la mise en oeuvre de plusieurs actes chirurgicaux ; que ce préjudice sera justement réparé par l'attribution d'une somme de 2.000 € ;

Sur la réparation du préjudice corporel de Mme [M] [N] :

Considérant que les séquelles présentées par Mme [M] [N] en lien avec l'intervention chirurgicale réalisée par le Dr [W] [C] ont été estimées comme suit par l'expert judiciaire :

- date de consolidation : 22 mars 2012,

- déficit temporaire total : du 18 octobre au 6 novembre 2009, soit 20 jours,

- déficit temporaire partiel à 75 % du 18 novembre 2009 au 27 juillet 2010, soit 279 jours,

- déficit temporaire partiel à 50 % du 25 juillet au 14 octobre 2010, soit 81 jours,

- déficit temporaire partiel à 25% du 15 octobre 2010 au 22 mars 2011, soit 523 jours,

- déficit fonctionnel permanent : 6%,

- souffrances endurées : 3/7,

- pas de préjudice esthétique,

- préjudice sexuel,

- préjudice d'agrément ;

Que l'expert a ajouté : ' Mme [N] serait améliorée par des soins locaux, type cure thermale, à une fréquence annuelle trois années de suite. Le forfait thermal est de 500 euros. La cure thermale dure 21 jours. Avec trois visites chez le médecin thermal en début, milieu et fin de cure.';

Considérant que l'indemnisation de ces préjudices sera fixée comme suit, au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats, étant rappelé que Mme [M] [N], née le [Date naissance 2] 1971, était âgée de 40 ans au jour de la consolidation, le 22 mars 2012, et exerçait la profession d'adjointe administrative en mairie au moment des soins, et étant observé qu'en application de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, d'application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge.

I- Préjudices à caractère patrimonial :

A/ préjudices temporaires :

1°) Dépenses de santé actuelles :

Le tribunal a fixé ce poste de préjudice à 3.415,85 € pour les frais et débours de la CPAM et 3.066,02 € pour les frais restés à la charge de Mme [M] [N], comprenant, outre les frais médicaux, les frais engagés en 2010, 2011 et 2012 pour un cure thermale à [Localité 3] en 2010 puis à Préchacq Les Bains en 2011 et 2012.

La CPAM justifie, par la production d'une attestation d'imputabilité du 3 juin 2013, de débours en lien avec les soins dispensés par le Dr [W] [C]  à hauteur d'une somme de 3.415,85 € comprenant à juste titre les dépenses d'hospitalisation à la clinique MEGIVAL pour les deux interventions chirurgicales, l'IRM du 6 janvier 2010 et le scanner du 4 avril 2011, les frais de la cure thermale 2010 et des frais médicaux engagés du 14 octobre 2009 au 4 avril 2011. Cette créance sera donc retenue.

Mme [M] [N] justifie des frais engagés et restés à sa charge, parfaitement détaillés dans le jugement et correspondant, pour une majeure partie, à la part du forfait de cure thermale restée à charge et aux frais de transport et de séjour. La somme de 3.066,02 € retenue par le tribunal sera confirmée.

Ainsi, ce poste de préjudice peut être évalué à la somme de 6.481,87 € dont 3.415,85 € au titre de la créance de la CPAM et 3.066,02 € au titre de la créance de Mme [M] [N].

Compte tenu du taux de perte de chance de 50%, l'indemnisation due par le Dr [W] [C]  sera de 3.240,93 €. En application du droit de préférence de la victime, les recours de Mme [M] [N] et de la CPAM s'exerceront sur cette somme de 3.240,93 € à hauteur de 3.066,02 € pour Mme [M] [N] et du solde, soit 174,91 € pour la CPAM.

2°) frais divers :

Le tribunal a fixé ce poste aux sommes de 1.550 € (honoraires du médecin conseil) et 703,03 € (frais de déplacement pour le suivi médical).

La somme de 1.550 € pour les frais d'assistance à l'expertise est justifiée et sera retenue par la cour. Par contre, Mme [M] [N] ne peut réclamer, dans le cadre de ses frais de déplacement, ni les billets de train et frais de restaurant pour 4 personnes, ni des frais d'essence démesurés, ni les frais de transport correspondant, en avril 2010, à des vacances familiales dans le Gard, ni des frais de déplacement pour des consultations médicales postérieures à la consolidation et dont le lien avec les séquelles relevées par l'expert n'est pas établi. Il sera ainsi retenu des frais justifiés pour un montant de 121,02 € seulement.

Ce poste de préjudice de frais divers sera donc évalué à la somme de 1.671,02 € et l'indemnisation due à Mme [M] [N] à la somme de 835,51 € après application du taux de perte de chance.

B/ préjudices permanents :

1°) Dépenses de santé futures :

C'est à juste titre que le tribunal a rejeté la demande de Mme [M] [N] correspondant à la prise en charge de cures thermales à vie au rythme de trois années de suite, suivies de trois années de repos. En effet, l'expert n'a en rien indiqué que les cures devraient se renouveler au-delà des trois années qu'il préconise. D'ailleurs, la CPAM ne réclame, au titre des frais futurs, que trois années de cure comprenant le forfait et les consultations spécialisées, pour un montant de 459 €.

Ce poste de préjudice sera donc fixé à la somme de 459 € correspondant en totalité aux frais futurs de la CPAM et le recours de cet organisme s'opérera à hauteur de 229,50 € compte tenu du taux de perte de chance.

2°) Incidence professionnelle :

Mme [M] [N] justifie de ses arrêts de travail successifs depuis les interventions et jusqu'au 30 novembre 2012. Pour autant, elle ne sollicite aucune indemnisation au titre des pertes de gains professionnels.

Elle réclame une somme de 30.000 € au titre de l'incidence de ses séquelles sur sa vie professionnelle en faisant valoir qu'il doit être tenu compte de la difficulté de travailler quand on souffre de maux de tête permanents, de troubles respiratoires majeurs et de troubles de la concentration et en ajoutant qu'elle souffre d'une sécheresse nasale et qu'elle ne peut exiger de son employeur que son bureau soit muni d'un aérosol humidificateur.

L'expert a indiqué que la reprise du travail était non seulement possible mais même souhaitable pour Mme [M] [N] dans un but thérapeutique. Il a noté, concernant les retentissements des séquelles sur sa vie professionnelle et personnelle, qu'elle doit se protéger le nez par un cache-nez en saison froide ou par un foulard en saison sèche et qu'elle est gênée par les poussières et la sensation de froid. Cette gêne dans les actes de la vie courante, réparée dans le cadre du déficit fonctionnel permanent, n'a pas d'impact avéré sur l'exercice professionnel de la victime qui effectue un travail sédentaire comme agent communal dans une petite mairie où elle occupe un poste polyvalent.

C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu que Mme [M] [N] ne justifiait ni d'une dévalorisation sur le marché du travail, ni d'une pénibilité accrue de son exercice professionnel et qu'il a rejeté la demande formulée à ce titre.

II - Préjudices à caractère extra-patrimonial

A/ préjudices temporaires :

1°)Déficit fonctionnel temporaire :

Le tribunal a justement évalué ce poste de préjudice qui répare les troubles dans les conditions d'existence subis jusqu'à la consolidation sur la base d'une somme de 20 € par jour et fixé le montant de l'indemnité due en réparation de ce poste à la somme de 7.910 €, montant qui sera confirmé par la cour, sauf pour elle à appliquer le taux de perte de chance, de sorte que l'indemnité due à Mme [M] [N] doit être arrêtée à la somme de 3.955 €.

2°) Souffrances endurées :

L'évaluation des souffrances endurées, estimées par l'expert à 3 sur une échelle de 7 en considération de la souffrance physique (la muqueuse nasale n'étant plus fonctionnelle) et de la souffrance morale du fait des sensations induites, à hauteur d'une somme de 6.000 € apparaît justifiée et proportionnée et sera validée par la cour, sauf à appliquer le taux de perte de chance de 50%, soit une indemnité due à Mme [M] [N] de 3.000 €.

B/ préjudices permanents :

1°) Déficit fonctionnel permanent :

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ses conditions d'existence.

L'expert a retenu un taux de 6% se décomposant en 3% pour la gêne respiratoire paradoxale et 3% pour l'hyposmie.

C'est en vain que Mme [M] [N] réclame que le taux soit fixé à 20% en sollicitant que le taux de déficit soit augmenté à 5% pour l'hyposmie et à 10 à 15% pour la gêne respiratoire, alors que l'expert a appliqué le barème du Concours Médical et indiqué que la gêne respiratoire n'était pas une insuffisance respiratoire. Il doit être ajouté que Mme [M] [N] se plaint également de céphalées mais qu'elle était déjà sujette à des migraines qu'elle qualifiait d'invalidantes lorsqu'elle a consulté le Dr [W] [C]. C'est également en vain que la demanderesse sollicite la prise en compte de douleurs neuropathiques et d'une chute de son élan vital qui n'ont pas été retenus par l'expert.

La victime étant âgée de 40 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité calculée sur la base de 1.450 € du point, soit une somme de 8.700 €, réduite à 4.350 € par application du taux de perte de chance de 50%.

2°) préjudice esthétique :

Il n'a pas été retenu par l'expert. Mme [N] soutient que le fait de porter un cache-nez ou un foulard porterait atteinte à son esthétique. Mais que ces accessoires ne lui sont utiles qu'à l'extérieur, uniquement en période de froid ou en période de sécheresse, et qu'ils ne sont pas de nature à dégrader l'image de la personne, ni à l'égard de sa famille et de ses proches, ni à l'égard de la population reçue en mairie.

Le rejet prononcé par le tribunal sera donc confirmé.

3°)Préjudice d'agrément

Le tribunal a retenu un préjudice d'agrément au regard des énonciations de l'expertise selon lesquelles la patiente ne peut plus aller à la piscine, ne pratique plus le vélo, fait des malaises au restaurant et a la sensation de se désocialiser.

Mais c'est à juste titre que les appelants soulignent que la réparation du préjudice d'agrément suppose que soit justifiée la pratique d'un sport ou d'une activité de loisir spécifique, la gêne dans des activités plus générales de loisir étant réparée dans le cadre du déficit fonctionnel permanent.

La demande formulée de ce chef sera donc rejetée.

Préjudice sexuel

L'existence d'un préjudice sexuel de Mme [M] [N] à raison de la perte de l'olfaction et d'une altération de la libido n'est pas discutée. Compte tenu de ces éléments, ce préjudice peut être évalué à la somme de 3.000 €, soit une somme de 1.500 € après application du taux de perte de chance.

Considérant en conséquence qu'il convient de condamner le Dr [W] [C]  et la Médicale de France in solidum à payer les sommes suivantes, compte tenu du taux de perte de chance de 50% et après application du droit de préférence de la victime sur les postes de préjudice où elle est en concurrence avec le tiers payeur :

- à Mme [M] [N], la somme de 3.901,53 € au titre des préjudices à caractère patrimonial et celle de 11.305 € au titre des préjudices à caractère extra-patrimonial, soit une somme totale de 15.206,53 €, assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- à la CPAM [Localité 4], [Localité 2], [Localité 1], SEINE MARITIME, la somme de 404,41 € assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 août 2013 ;

Considérant que la somme allouée à la CPAM sur le fondement de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale - et improprement dénommée 'pénalité' dans le dispositif - sera portée à 1.028 € compte tenu du montant fixé réglementairement à ce jour ;

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement,

Confirme le jugement dont appel sur les dispositions relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens ;

L'infirme en toutes ses autres dispositions et statuant à nouveau,

Dit que le Dr [W] [C] a commis une faute en procédant de manière prématurée à une intervention chirurgicale sans attendre les résultats du traitement médical de l'obstruction nasale dont souffrait Mme [M] [N] et qu'il en est résulté une perte de chance pour cette dernière d'éviter les séquelles de la turbinectomie pratiquée estimée à 50% ;

Condamne en conséquence le Dr [W] [C]  et la Médicale de France in solidum à réparer les préjudices subis par Mme [M] [N] en lien de causalité avec l'intervention en cause dans la proportion de 50 % et à verser les sommes suivantes :

- à Mme [M] [N], la somme totale de 15.206,53 €, assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- à la CPAM [Localité 4], [Localité 2], [Localité 1], SEINE MARITIME, la somme de 404,41 € assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 août 2013 ;

Dit que le Dr [W] [C]  n'a pas pleinement rempli son obligation d'information en n'informant pas Mme [M] [N] de la possibilité de devoir recourir à une seconde intervention et le condamne in solidum avec la Médicale de France à lui payer la somme de 2.000 € en réparation du préjudice en résultant ;

Condamne le Dr [W] [C]  et la Médicale de France in solidum à verser à la CPAM [Localité 4], [Localité 2], [Localité 1], SEINE MARITIME une somme de 1.028 € à titre d'indemnité en application de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale ;

Les condamne à payer à Mme [M] [N] une somme de 1.200 € et à la CPAM [Localité 4], [Localité 2], [Localité 1], SEINE MARITIME une somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Les condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 14/08195
Date de la décision : 15/05/2015

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°14/08195 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-05-15;14.08195 ?
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