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15/12/2015 | FRANCE | N°14/20306

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 15 décembre 2015, 14/20306


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 3



ARRET DU 15 DECEMBRE 2015



(n° 778 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/20306



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 24 Septembre 2014 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 14/01665





APPELANT



SYNDICAT DES PILOTES D'AIR FRANCE (SPAF) représenté par son Président Monsieur [A]

[B] dûment habilité à cet effet

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représenté et assisté de Me Frédéric WEYL de l'ASSOCIATION R. WEYL F. WEYL F. WEYL S. PORCHERON, avocat au barreau de PARI...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3

ARRET DU 15 DECEMBRE 2015

(n° 778 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/20306

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 24 Septembre 2014 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 14/01665

APPELANT

SYNDICAT DES PILOTES D'AIR FRANCE (SPAF) représenté par son Président Monsieur [A] [B] dûment habilité à cet effet

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté et assisté de Me Frédéric WEYL de l'ASSOCIATION R. WEYL F. WEYL F. WEYL S. PORCHERON, avocat au barreau de PARIS, toque : R028

INTIMEE

SA AIR FRANCE Prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 2]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

assistée de Me Aurélien BOULANGER de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 Novembre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente de chambre

Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mlle Véronique COUVET

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Martine ROY-ZENATI, président et par Mlle Véronique COUVET, greffier.

Le syndicat des pilotes d'Air France a fait citer Air France devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny aux fins de lui enjoindre de faire cesser toute utilisation des informations recueillies grâce aux déclarations individuelles des grévistes à d'autres fins que celles autorisées par la loi, et en particulier la reconstitution d'équipages, et lui faire défense sous astreinte de réaliser des vols en procédant à la reconstitution d'équipages par l'exploitation de ces informations.

Le syndicat a exposé avoir déposé le 5 septembre 2014, un préavis de grève à compter du 15 septembre 2014 à 0h ; que la société Air France aurait utilisé, pendant la période précédant la grève, les déclarations individuelles des salariés pour assurer des vols qui auraient été affectés par l'exercice du droit de grève, en procédant à une réorganisation anticipée du service par la reconstitution d'équipages pour les vols prévus le 15 septembre et les jours suivants, alors que ni la réorganisation anticipée du service, ni la reconstitution d'équipages n'entrent dans les finalités des déclarations individuelles, lesquelles ne sont destinées, selon la loi DIARD du 16 mars 2012, qu'à l'information des passagers et l'organisation du service pendant la grève.

Par ordonnance du 24 septembre 2014 le juge des référés a rejeté la demande au motif que le syndicat ne démontrait pas l'existence d'un trouble manifestement illicite qui résulterait de l'utilisation par Air France des informations résultant des déclarations individuelles préalables, dès lors qu'une telle utilisation ne portait pas atteinte au libre exercice du droit de grève.

Le SPAF a interjeté appel de cette ordonnance le 8 octobre 2014.

Par conclusions transmises le 29 octobre 2015, il demande à la cour de :

- réformer l'ordonnance entreprise,

- faire défense à la Société Air France d'utiliser des informations recueillies grâce aux déclarations individuelles des grévistes pour la réorganisation du service ou de l'activité avant la grève, en particulier pour la reconstitution d'équipages avant la grève les concernant,

- faire défense à la Société Air France de réaliser des vols en procédant à la reconstitution d'équipages par l'exploitation d'informations recueillies grâce aux déclarations individuelles des personnels grévistes, sous astreinte définitive de 100 000 euros pour chaque vol court-courrier, de 300 000 euros pour chaque vol moyen-courrier, de 500 000 euros pour chaque vol long-courrier opéré en infraction à cette interdiction,

- se réserver la faculté de liquider l'astreinte,

- condamner Air France à lui payer une somme provisionnelle de 5000 euros pour chacun des vols opéré par des équipages reconstitués au moyen de l'exploitation des informations résultant des déclarations individuelles prévues par la loi, et en particulier les vols AF 7700 CDG-Nice, AF1606 CDG Dusseldorf, AF6624 Orly-Nice, AF7706 Roissy Nice, AF 852 Orly-Cayenne, AF422 CDG-Bogota, AF860 Roissy-Lomé, AF508 Roissy-Le Caire, AF444 CDG-Rio du 15 septembre 2014, dont la substitution des membres d'équipage grévistes a été établie,

- ordonner la suppression de la publication de l'ordonnance entreprise, et la publication de sa décision l'infirmant, sur le site « intraligne » d'information de la société Air France dans les quarante-huit heures de la signification de la décision à intervenir et pour une durée minimum de deux mois, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard ou par jour d'interruption,

- se réserver la faculté de liquider l'astreinte,

- débouter AIR France de toutes ses demandes incidentes et/ou contraires,

- condamner Air France en tous les dépens, et à lui payer une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Le SPAF soutient que la loi du 19 mars 2012 n'énonce pas que les déclarations individuelles des grévistes ont pour objet de permettre à l'employeur de remplacer les personnels grévistes par des personnels non-grévistes, ni d'anticiper la réorganisation du service avant la grève ; que le transport aérien étant un secteur concurrentiel et la question ne se posant pas de la nécessité d'assurer la continuité d'un service public, la déclaration individuelle ne peut avoir ni pour objet ni pour finalité d'assurer la réalisation d'un « service minimum », ni de faciliter le recours à des supplétifs pour briser la grève ou la priver de ses effets. Il estime dans ces conditions que l'utilisation des déclarations individuelles aux fins de reconstituer les équipages avant la grève est constitutive d'un trouble manifestement illicite.

Par conclusions transmises le 3 avril 2015, la société Air France demande à la cour :

-confirmer l'ordonnance,

En conséquence :

-dire n'y avoir lieu à référé,

En tout état de cause :

-condamner le syndicat SPAF à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- condamner le syndicat SPAF à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le syndicat SPAF aux dépens.

Elle soutient que l'objectif de la loi est de permettre l'organisation de l'activité durant la grève en vue d'informer les passagers sur le trafic assuré et que l'utilisation des informations des déclarations individuelles permet la réalisation de cet objectif ; qu'en outre l'entreprise confrontée à une grève est en droit de réorganiser son activité avec les salariés non grévistes, en vertu des principes à valeur constitutionnelle de la liberté d'entreprendre et à valeur constitutionnelle de la liberté du travail, sans pour autant porter atteinte au droit de grève des salariés qu'ils peuvent librement exercer. Elle invoque une réponse ministérielle du 7 janvier 2014 par laquelle le Ministre du travail indique s'agissant de la loi dite DIARD que : « La loi du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien, dite loi Diard, vise d'une part, à éviter les grèves en incitant à la prévention des conflits et d'autre part, à instaurer un service garanti et à améliorer l'information des usagers des transports aériens » ; que l'un des objectifs de cette loi est donc d'assurer un service garanti qui ne peut être réalisé que par la réorganisation de l'activité, par la reconstitution des équipages pendant le mouvement de grève, mais également avant.

MOTIFS DE LA DECISION

Considérant qu'aux termes de l'article 809 du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Considérant que le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou non, constitue une violation évidente de la règle de droit; que l'atteinte au droit de propriété constitue par elle-même une voie de fait causant un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser ;

Considérant que la loi du 19 mars 2012 vise à « concilier de façon équilibrée, dans les entreprises de transport aérien de passagers, le principe constitutionnel du droit de grève d'une part, et d'autre part l'objectif de valeur constitutionnel de sauvegarde de l'ordre public, notamment la protection de la santé et de la sécurité des personnes (passagers en attente dans les aéroports) ainsi que le principe de continuité du service dans les aéroports lié à l'exploitation des aérodromes et l'exécution, sous l'autorité des titulaires du pouvoir de police, des missions de police administrative » ; que son article 2 complète le titre 1er du livre 1er de la première partie du code des transports, d'un chapitre IV intitulé : 'Dispositions relatives au droit à l'information des passagers du transport aérien' ; que la section 3 de ce chapitre est relative à l'exercice du droit de grève, et la section 4 à l'information des passagers ;

Considérant que l'article L. 1114-7 du code des transports impose aux entreprises et établissements entrant dans le champ d'application de la loi d'informer gratuitement les passagers du service qui sera assuré en cas de perturbation, c'est-à-dire, de refus d'embarquement, de retard ou d'annulation liés à une grève, et cela au plus tard 24 heures avant le début de la perturbation ; que ce faisant il permet de garantir aux voyageurs aériens un service pendant la perturbation, sans pour autant imposer un service minimum dans le cadre du transport aérien ;

Considérant que l'article L 1114-3 du code des transports dispose : 'En cas de grève et pendant toute la durée du mouvement, les salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols informent, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui de leur intention d'y participer.

Le salarié qui a déclaré son intention de participer à la grève et qui renonce à y participer en informe son employeur au plus tard vingt-quatre heures avant l'heure prévue de sa participation à la grève afin que celui-ci puisse l'affecter. Cette information n'est pas requise lorsque la grève n'a pas lieu ou lorsque la prise du service est consécutive à la fin de la grève.

Le salarié qui participe à la grève et qui décide de reprendre son service en informe son employeur au plus tard vingt-quatre heures avant l'heure de sa reprise afin que ce dernier puisse l'affecter. Cette information n'est pas requise lorsque la reprise du service est consécutive à la fin de la grève.

Les informations issues des déclarations individuelles des salariés ne peuvent être utilisées que pour l'organisation de l'activité durant la grève en vue d'en informer les passagers. Elles sont couvertes par le secret professionnel.'

Considérant que ces dispositions sont destinées à assurer aux usagers le service garanti prévu à l'article L. 1114-7 précité par la soumission de l'exercice individuel du droit de grève à des préavis de 48 h pour entrer dans la grève, et de 24 h pour y renoncer ;

Considérant que le conseil constitutionnel a, dans sa décision du 15 mars 2012, pour retenir que l'article 2 de la loi était conforme à la Constitution, rappelé qu'il ressortait des travaux parlementaires qu'en imposant aux salariés des entreprises entrant dans le champ d'application de la loi d'informer leur employeur de leur intention de participer à un mouvement de grève, le législateur avait entendu mettre en place un dispositif permettant l'information des entreprises de transport aérien ainsi que de leurs passagers afin, notamment, d'assurer le bon ordre et la sécurité des personnes dans les aérodromes et, par suite, la préservation de l'ordre public qui est un objectif de valeur constitutionnelle ;

Considérant que, s'il n'est pas interdit à l'employeur d'organiser l'entreprise pendant la grève, l'utilisation par celui-ci des informations issues des déclarations individuelles des salariés avant le début du mouvement doit avoir pour finalité celle prévue par la loi, à savoir l'information des usagers au moins 24 heures à l'avance des vols qui décollent ou atterrissent, afin d'éviter leur déplacement et l'encombrement des aéroports, ce qui répond à un objectif de préservation de l'ordre public ; que cette disposition n'est en effet pas destinée à permettre à la société de transport aérien un aménagement du trafic avant le début du mouvement par la recomposition des équipes en fonction des salariés déclarés ou non grévistes, en l'absence de service minimum imposé, et alors même que la perturbation de l'activité est précisément la finalité de l'exercice du droit de grève ;

Considérant qu'une telle utilisation constitue un trouble manifestement illicite ; que toutefois, dès lors qu'il n'est pas en débat que la grève a cessé, les demandes tendant à le faire cesser sont sans objet ;

Considérant que cette utilisation a causé au SPAF un préjudice, établi avec l'évidence requise en référé dès lors qu'il a affecté la perturbation sus visée que poursuivait la grève ;

Qu'il convient de réparer ce préjudice en allouant au SPAF la somme provisionnelle de 27 000 euros à valoir sur son indemnisation ;

Qu'il convient également d'ordonner la publication de la présente décision infirmative sur le site 'intraligne' d'information de la société Air France dans les conditions fixées au dispositif ;

Considérant que la SA Air France qui succombe ne peut prétendre à l'allocation de dommages et intérêts ni au bénéfice d'une indemnité de procédure ;

Considérant que l'équité commande de faire bénéficier le SPAF des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau ;

Dit que l'utilisation des déclarations individuelles aux fins de reconstituer les équipages avant la grève est constitutive d'un trouble manifestement illicite ;

Dit que les interdictions demandées aux fins de cessation de ce trouble sont devenues sans objet ;

Condamne la SA Air France à verser au syndicat des Pilotes d'Air France la somme provisionnelle de 27 000 euros en réparation du préjudice subi ;

Ordonne la publication de la décision sur le site 'intraligne' d'information de la SA Air France dans le délai de 3 jours à compter de sa signification et pour une durée d'un mois, sous astreinte de 500 euros par jour retard passé ce délai pendant deux mois à l'issue duquel il sera à nouveau fait droit ;

Condamne la SA Air France à verser au syndicat des Pilotes d'Air France la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SA Air France de ses demandes de dommages et intérêts et d'indemnité de procédure ;

Condamne la SA Air France aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 14/20306
Date de la décision : 15/12/2015

Références :

Cour d'appel de Paris A3, arrêt n°14/20306 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-12-15;14.20306 ?
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