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16/06/2022 | FRANCE | N°16/13587

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 16 juin 2022, 16/13587


Copies exécutoires

délivrées le :REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 16 JUIN 2022



(n° 2022/ , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/13587 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZ3W2



Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Septembre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 15/08566





APPELANTE



La société LA POSTE

[Adres

se 5]

[Localité 3]



Représentée par Me Charles ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E2130



INTIME



Monsieur [P] [X] [E]

[Adresse 2]

[Localité 6]



Représenté par Me Benoît PEL...

Copies exécutoires

délivrées le :REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 16 JUIN 2022

(n° 2022/ , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/13587 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZ3W2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Septembre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 15/08566

APPELANTE

La société LA POSTE

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Charles ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E2130

INTIME

Monsieur [P] [X] [E]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260

APPELANT PROVOQUE

Le syndicat SUD DES SERVICES POSTAUX PARISIENS

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Janvier 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de la formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Lydie PATOUKIAN, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine BRUNET dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis.

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Chaïma AFREJ, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, la société La Poste emploie deux catégories de personnel : des fonctionnaires et des salariés de droit privé.

Par instruction du 3 août 1993 reprenant une décision du conseil d'administration de la société La Poste du 27 avril 1993, il a été arrêté que les primes et indemnités existantes constituant un complément de rémunération avaient vocation à être regroupées dans un complément indemnitaire applicable à tous les agents fonctionnaires et non fonctionnaires de droit public. Par délibération du 25 janvier 1995, le conseil d'administration de La Poste a approuvé le principe de la suppression des primes et indemnités regroupées dans le complément indemnitaire de chaque catégorie de personnel et a constaté que le complément indemnitaire dénommé complément Poste constituait désormais, de façon indissociable, l'un des sous-ensembles de la rémunération de base de chaque catégorie de personnel. Par cette délibération, le complément indemnitaire a été étendu aux agents contractuels relevant de la convention commune La Poste-France Télécom.

Par décision n° 717 du 4 mai 1995, la rémunération de référence a été définie comme comprenant :

- le traitement indiciaire pour les fonctionnaires ou le salaire de base pour les agents contractuels qui rémunère l'ancienneté et l'expérience ;

- le complément Poste qui rétribue le niveau de fonction et tient compte de la maîtrise du poste.

M. [P] [E] est salarié de droit privé de cette société.

Considérant notamment qu'un rappel de complément Poste lui était dû, M. [P] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail, le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens intervenant volontairement à cette procédure afin d'obtenir réparation du préjudice porté selon lui à l'intérêt collectif de la profession du fait d'une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal'. Par jugement du 21 septembre 2016 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, cette juridiction a :

- condamné la SA LA POSTE prise en la personne de son représentant légal en exercice à payer à M. [P] [E] les sommes suivantes :

* 3 059,74 euros au titre du complément Poste,

* 305,97 euros au titre des congés payés afférents,

* 20 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la partie demanderesse du surplus de ses demandes ;

- dit la demande du Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens recevable ;

- débouté le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens de sa demande ;

- condamné la SA LA POSTE aux dépens de l'instance.

La société La Poste a interjeté appel de ce jugement le 24 octobre 2016.

Le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens a formé appel incident provoqué par conclusions transmises et notifiées par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 13 mars 2018.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 mai 2019.

L'affaire a été examinée à l'audience de la cour du 18 juin 2019 puis mise en délibéré jusqu'au 30 avril 2020. Le prononcé de l'arrêt a été prorogé au 22 octobre 2020 en raison de l'état d'urgence sanitaire.

Les parties ayant fait part à la cour de leur accord pour entrer en voie de médiation, une médiation a été ordonnée par arrêt en date du 13 juillet 2020, l'affaire devant être rappelée à l'audience du 14 janvier 2021. A cette audience, l'affaire a été renvoyée, la médiation étant en cours. Par arrêt du 16 février 2021, la cour a notamment ordonné le renouvellement de la mission de médiation pour une durée de trois mois à compter du 18 février 2021 et dit que l'affaire serait rappelée à l'audience du 10 juin 2021.

L'affaire a été renvoyée successivement aux audiences des 14 octobre 2021 et 14 janvier 2022 à laquelle les débats ont été rouverts.

Les parties ont indiqué ne pas être parvenues à un accord.

Par dernières conclusions récapitulatives transmises et notifiées par le RPVA le 9 mai 2019 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société La Poste soutient notamment que le montant du complément Poste résulte d'accords collectifs signés avec les organisations syndicales représentatives. Elle fait valoir qu'elle n'a pas contrevenu au principe 'à travail égal, salaire égal'.

En conséquence, elle demande à la cour de :

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris dans toutes ses dispositions tant en ce qui concerne le rappel de salaire au titre du Complément Poste, l'indemnité de congés payés sur ce rappel, la remise de bulletins de paie rectifiés, que la condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance ;

- rejeter toutes demandes de dommages et intérêts ;

Ce faisant :

- voir réformer intégralement le jugement ;

- déclarer irrecevable et mal fondé en ses demandes le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens ;

- le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions et le condamner aux dépens relatifs à son intervention ;

- condamner M. [P] [E] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions d'intimés et d'appel incident provoqué transmises et notifiées par le RPVA le 9 mai 2019 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [P] [E] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens soutiennent notamment que l'inégalité de traitement ne résulte pas des accords collectifs conclus et que la société La Poste a violé le principe 'à travail égal, salaire égal'.

En conséquence, il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a constaté la violation par LA POSTE du principe 'à travail égal, salaire égal' au titre du Complément Poste et l'a condamnée à verser à M. [P] [E] un rappel de salaire et de congés payés afférents à ce titre ;

Statuant à nouveau s'agissant des quantum,

- condamner LA POSTE à verser à M. [P] [E] les sommes suivantes :

À titre principal,

* 3 059,74 euros à titre de rappel de complément poste,

* 305,97 euros au titre des congés payés afférents,

À titre subsidiaire,

* 3 059,74 euros à titre de rappel de complément poste,

* 305,97 euros au titre des congés payés afférents ;

- ordonner à LA POSTE de remettre à M. [P] [E] des bulletins de salaire conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;

- condamner LA POSTE à verser à M. [P] [E] les sommes suivantes :

* 3 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice subi du fait de l'inégalité de traitement,

* 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner LA POSTE à verser au Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens les sommes suivantes :

* 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession,

* 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

ces sommes avec intérêt au taux légal à compter de la date de la demande de convocation portée devant le conseil de prud'hommes ;

- condamner LA POSTE aux entiers dépens.

L'affaire a été communiquée au ministère public qui, dans ses observations écrites du 9 mai 2019 dont les parties ont reçu communication écrite pour pouvoir y répondre utilement, indique qu'il appartient à la cour de procéder à une comparaison in concreto de la situation du salarié et du fonctionnaire auquel il se compare ; que la cour disposera de tous moyens de droit pour rejeter les demandes du salarié si cet examen révèle une différence de fonction exercée ou de maîtrise du poste ; qu'elle pourra tirer toutes conséquences de droit au profit du salarié si l'examen des pièces révèle une fonction exercée et une maîtrise du poste identiques.

MOTIVATION

Sur le rappel de complément Poste

Sur les accords salariaux

La société La Poste soutient qu'il n'y a pas de rupture collective d'égalité au sein de la catégorie des fonctionnaires et entre les collaborateurs de la Poste. Elle souligne qu'elle a respecté les accords salariaux de 2001 et de 2003 et fait valoir que les accords salariaux fixant les montants du complément Poste conclus avec les organisations syndicales représentatives, ont un effet impératif de sorte que les prétentions de M. [P] [E] ne peuvent pas être accueillies. Enfin, elle soutient qu'en concluant l'accord du 5 février 2015, les partenaires sociaux ont expressément reconnu que l'indemnité de carrière antérieure personnelle de même que le complément Poste reposaient sur des considérations objectives et pertinentes.

M. [P] [E] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens soutiennent que les accords salariaux conclus avec les organisations syndicales représentatives ont vocation à s'appliquer aux seuls salariés de sorte qu'ils n'ont pas d'incidence sur la différence de traitement dénoncée, celle-ci résultant du dispositif incluant ces accords pour les salariés et les décisions de la société pour les fonctionnaires. Ils font valoir que l'accord du 5 février 2015 n'a aucune incidence sur l'illégalité du dispositif du complément Poste jusqu'à cette date.

La cour étant saisie d'un contentieux individuel, une absence de rupture collective d'égalité est indifférente à l'issue du litige.

Par décision n° 717 du 4 mai 1995, il a été arrêté que l'évolution du niveau des 'Compléments Poste' serait discutée chaque année dans le cadre de négociations salariales avec les organisations syndicales. L'évolution du montant du complément Poste des salariés résulte d'accords salariaux conclus avec les organisations syndicales représentatives alors que, comme l'indique la société La Poste, l'évolution de ce complément Poste pour les fonctionnaires est intervenue par voie d'actes réglementaires. L'objet des accords salariaux conclus avec les organisations syndicales représentatives des salariés portait uniquement sur l'évolution du montant du complément Poste payé aux salariés et ne s'étendait pas à l'appréciation globale du système de rémunération mis en oeuvre de sorte qu'il ne peut pas être retenu que la signature de ces accords s'oppose aux prétentions de M. [P] [E].

Enfin, par accord du 5 février 2015, le complément Poste a été supprimé et a été remplacé par :

- un Complément de Rémunération d'un montant identique pour les salariés et les fonctionnaires ayant le même niveau de fonction ;

- une Indemnité de Carrière Antérieure Personnelle constituée de la différence entre le complément Poste actuellement versé à chaque agent quel que soit son statut et le Complément de Rémunération.

Comme précisé par la société La Poste, ces dispositions sont entrées en vigueur à compter du 1er juillet 2015. Le terme de la période de réclamation du salarié est fixé au mois de juin 2015 de sorte que les mesures de cet accord sont applicables pour la période postérieure à la période de réclamation.

D'autre part, il ne peut être déduit des termes de l'accord que les partenaires sociaux ont de manière rétroactive admis que le complément Poste reposait sur des considérations objectives et pertinentes comme soutenu par la société La Poste ce d'autant que la présomption de justification d'avantages institués par accord collectif ne s'étend pas à la différence de traitement objet du litige.

Sur le principe d'égalité de traitement

La société La Poste soutient qu'elle n'a pas contrevenu à ce principe au regard des trois causes justificatives de la différence de complément Poste qui doivent être selon elle retenues et examinées : la différence de fonctions successivement occupées, la maîtrise du poste et la différence de travail ou de fonctions. Elle précise qu'il appartient au salarié de démontrer qu'il occupe, à la date de l'introduction du litige, et qu'il a occupé précédemment les mêmes fonctions successives que le fonctionnaire auquel il se compare et non seulement qu'il occupe une fonction de même niveau. Elle ajoute que le juge doit opérer une appréciation in concreto des situations dans lesquelles se trouvent le salarié intimé et le fonctionnaire auquel il se compare au regard de ces critères. En l'espèce, elle soutient d'une part, que le salarié ne justifie pas avoir occupé successivement des fonctions identiques à celles occupées par le fonctionnaire auquel il se compare et, d'autre part, qu'il ne justifie pas effectuer le même travail ou occuper les mêmes fonctions. Elle fait valoir qu'elle justifie d'une différence de parcours professionnel, de travail et de fonction entre le salarié et le fonctionnaire référent de sorte qu'ils ne se trouvent pas dans une situation identique. Elle précise qu'à fonction et niveau de classification comparables et date de recrutement identique, M. [P] [E] et les fonctionnaires référents perçoivent un complément Poste identique. Elle en déduit que faire droit à la demande de M. [P] [E] constituerait une rupture d'égalité à rebours car il percevrait alors un montant de complément Poste versé à un nombre limité de fonctionnaires. Elle sollicite en conséquence l'infirmation du jugement critiqué et le débouté de M. [P] [E].

M. [P] [E] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens soutiennent que le principe 'à travail égal, salaire égal' s'applique au complément Poste qui constitue un complément de rémunération. Ils précisent que ce principe a vocation à s'appliquer aux travailleurs se trouvant dans une situation identique au regard de l'avantage considéré de sorte que seuls le niveau de fonction et la maîtrise du poste peuvent être pris en compte pour apprécier l'identité de situation, l'ancienneté et l'expérience étant liées au traitement indiciaire pour les fonctionnaires et au salaire de base pour les salariés. S'agissant du niveau de fonction, ils soulignent que le montant du complément Poste n'a jamais dépendu de la fonction exercée comme le révèlent les textes édictés par la société et ses modalités d'évolution. Ils soutiennent que la société ne peut pas invoquer une différence d'ancienneté pour justifier une différence de maîtrise du poste et donc une disparité de complément Poste. Ils ajoutent que la maîtrise du poste doit être évaluée à l'aune de critères objectifs et qu'en l'espèce, seul celui de l'évaluation établie par l'employeur est opérant. Ils soutiennent que, compte tenu des niveaux d'évaluation, seule une évaluation au niveau D serait susceptible d'influer à la baisse sur le montant du complément Poste de sorte que la société ne pourrait justifier une différence de traitement entre M. [P] [E] et un fonctionnaire exerçant au même niveau de fonction que le sien que si son activité professionnelle avait été évaluée par la lettre D contrairement à celle du fonctionnaire ce qui n'est pas le cas. Ils font valoir que la notion d'expérience ne peut pas se substituer à celle d'ancienneté et que la notion d'historique de carrière n'est pas opérante ; qu'ainsi, il ne peut pas être retenu que l'exercice antérieur de fonctions variées entraîne une meilleure maîtrise d'un poste et ils font valoir qu'ils démontrent le contraire à partir d'exemples concrets. En conséquence, M. [P] [E] demande à la cour de condamner la société La Poste à lui payer un rappel de complément Poste à titre principal, sur la base d'une comparaison avec un fonctionnaire exerçant au même niveau de fonction que le sien et à titre subsidiaire, sur le fondement d'une comparaison avec un fonctionnaire exerçant selon lui une fonction égale ou de valeur égale au même niveau de fonction que le sien.

Le principe d'égalité de traitement dont le principe 'à travail égal, salaire égal' énoncé par les articles L. 2271-1 8° et L. 3221-2 du code du travail constitue une déclinaison, s'applique à tous les droits et avantages accordés aux salariés. Il implique que deux personnes placées dans une situation identique ou similaire, perçoivent la même rémunération ou le même avantage. Si, aux termes de l'article 1315, devenu l'article 1353 du code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant cette différence. En conséquence, il appartient à M. [P] [E] de justifier qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à celle du fonctionnaire auquel il se compare et il incombe à la société La Poste de démontrer que la différence de traitement est justifiée par des éléments objectifs et matériellement vérifiables.

Aux termes de l'article L. 3221-4 du code du travail, sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, des capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. S'il n'est pas nécessaire que les fonctions exercées soient strictement identiques, il convient qu'elles impliquent un niveau de responsabilité, de capacité et de charge physique ou nerveuse comparable.

Afin de trancher le litige, il convient de définir la notion de situation identique ou similaire applicable au cas d'espèce avant éventuellement, dans le cas où le salarié justifie se trouver dans une situation identique ou similaire à celle du fonctionnaire auquel il se compare, de définir et d'examiner les éléments objectifs et matériellement vérifiables de nature à justifier une différence de traitement.

Sur la notion de situation identique ou similaire

La société La Poste soutient que M. [P] [E] doit se comparer à un fonctionnaire exerçant des fonctions identiques alors que M. [P] [E] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens font valoir à titre principal qu'il doit percevoir un complément Poste d'un montant égal à celui perçu par un fonctionnaire exerçant au même niveau de fonction que le sien. Ils soutiennent à ce titre que le complément Poste a toujours été lié au niveau de fonction et non à la fonction exercée comme le démontrent selon eux, la décision de 1995 définissant des champs de normalité, la perception par les salariés exerçant au même niveau de fonction d'un montant identique de complément Poste et les dispositions de la circulaire du 26 septembre 1996.

Il résulte de l'instruction BRH du 3 août 1993 reprenant une décision du conseil d'administration de la société La Poste du 27 avril 1993 que le complément Poste payé initialement aux seuls fonctionnaires, a regroupé des primes et indemnités existantes liées à l'exercice de fonctions déterminées, énumérées en annexe. Contrairement à ce que soutiennent M. [P] [E] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens, la définition du champ de normalité énoncée par la décision BRH du 4 mai 1995 n'est pas contraire à l'existence d'un lien entre le montant du complément Poste et la fonction. En effet, le champ de normalité est défini par l'article 5.1.1 comme 'étant la plage à l'intérieur de laquelle et pour un même niveau de fonction, les 'compléments Poste' ou les rémunérations de référence doivent se situer et évoluer dans le temps. Il y a donc pour chaque champ de normalité, un niveau de 'Complément Poste' maximum constituant la borne supérieure du champ, et un niveau de 'Complément Poste' minimum constituant la borne inférieure de ce même champ.'. Il est précisé à l'article 5.2.1 : 'Les 'Compléments Poste' ont été composés sur la base de primes et d'indemnités ayant un caractère permanent que percevait chaque agent en septembre 1993 pour la première vague, mars 1994 pour la seconde vague et janvier 1995 pour les agents contractuels.(...) La reclassification des personnels (...) met en évidence le caractère hétérogène des compléments au sein d'un même niveau de fonction. (...) il a donc été décidé de diviser chaque plage de normalité en trois secteurs égaux, à savoir le secteur bas, le secteur médian et le secteur haut(...).'. Il en résulte que la création des champs de normalité a eu pour seul objet, compte tenu de la diversité des montants de complément Poste au sein d'un même niveau pour les fonctionnaires, d'établir des bornes hautes et basses puis à l'intérieur de ces bornes des secteurs bas, médian et haut.

L'instruction BRH du 3 août 1993 reprenant une décision du conseil d'administration de la société La Poste du 27 avril 1993 a arrêté le principe d'une corrélation entre la mise en oeuvre progressive de ce complément Poste et un processus de reclassification qui a conduit à terme à la définition de huit niveaux de fonction communs aux fonctionnaires et aux salariés et à la classification des fonctions dans ces niveaux. La circulaire du 26 septembre 1996 citée par M. [P] [E] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens explicite les opérations de reclassification en indiquant qu'elles consistent en un 'pesage' des postes c'est-à-dire en une étude du poste permettant son rattachement à un niveau de fonction. Les niveaux de fonction définis regroupent des fonctions différentes. Ainsi à titre d'exemple, sont classées au niveau II-1 les fonctions d'agent courrier, de technicien SI, de guichetier, de chauffeur poids-lourds et de gestionnaire contrat-clientèle comme le démontrent les fiches individuelles de gestion et les bulletins de paie des fonctionnaires exerçant à ce niveau de fonction produits aux débats.

Il ressort des accords salariaux conclus communiqués aux débats que, chaque année, les partenaires sociaux ont défini un montant de complément Poste par niveau de fonction pour les salariés de sorte que les salariés d'un même niveau de fonction perçoivent le même montant de complément Poste. Par contre, il est établi par les décisions de la société précitées que les fonctionnaires d'un même niveau de fonction peuvent percevoir des montants de complément Poste différents, répartis en trois secteurs, bas, médian et haut.

Il résulte de ces éléments que, dès lors que M. [P] [E] invoque une inégalité de traitement par rapport à un fonctionnaire et non à un autre salarié et qu'il est établi qu'au sein d'un même niveau de fonction, les fonctionnaires exerçant des fonctions différentes peuvent percevoir des montants de complément Poste distincts, la situation identique ou similaire requise s'entend comme l'exercice de fonctions identiques ou similaires au même niveau de fonction. En conséquence, le salarié doit en premier lieu retenir comme cadre de référence un niveau de fonction identique au sien puis au sein de ce niveau, comparer sa situation à celle d'un fonctionnaire exerçant les mêmes fonctions que lui ou des fonctions similaires, ce pour chaque période de réclamation.

La société La Poste ne peut pas valablement invoquer le risque d'une inégalité de traitement à rebours à l'encontre de fonctionnaires exerçant des fonctions identiques et de même niveau qu'un salarié recruté au même moment puisque la date de recrutement renvoie à l'ancienneté et qu'étant rémunérée par le traitement indiciaire du fonctionnaire et le salaire de base du salarié, elle ne peut pas être prise en compte à nouveau pour la détermination du complément Poste.

En l'espèce, à titre principal, M. [P] [E] compare sa situation au cours de périodes successives composant la période de réclamation, à celle de fonctionnaires exerçant au même niveau de fonction que le sien. Compte tenu de ce qui précède, dans la mesure où le salarié ne justifie pas s'être trouvé dans une situation identique ou similaire à celle des fonctionnaires auxquels il se compare, il sera débouté de ses demandes formulées à titre principal.

A titre subsidiaire, M. [P] [E] compare à l'aide d'un tableau les montants de complément Poste qu'il a perçus au cours de la période de réclamation à ceux perçus par des fonctionnaires ayant exercé au même niveau de fonction que le sien selon lui pendant une même période de temps des fonctions identiques ou similaires aux siennes.

M. [P] [E] compare sa situation à celle de deux fonctionnaires :

- M. [A] [V] du mois d'octobre 2008 au 20 décembre 2012 ;

- M. [O] [C] du 21 décembre 2012 au mois de juin 2015 inclus.

Comme cela ressort des bulletins de salaire de ces deux fonctionnaires produits aux débats, au cours de la première période, M. [P] [E] exerçait les fonctions de facteur comme M. [V] ; au cours de la seconde période, il exerçait les fonctions de facteur comme M. [C] .

Il convient donc de retenir que du mois d'octobre 2008 au mois de juin 2015, M. [P] [E] justifie avoir exercé au même niveau de fonction, des fonctions identiques ou similaires à celles exercées par les fonctionnaires auxquels il se compare et qu'il justifie dès lors s'être trouvé dans une situation identique ou similaire à celle de ces fonctionnaires.

Il incombe dès lors à la société La Poste de démontrer par des élément objectifs et matériellement vérifiables que la différence de complément Poste est justifiée par une plus grande maîtrise de leur poste par ces fonctionnaires.

Sur la maîtrise du poste

La société La Poste soutient que la maîtrise du poste et la différence de parcours professionnel sont des éléments justificatifs pertinents d'une différence de complément Poste.

Une différence ne peut constituer un élément objectif de nature à justifier une inégalité de traitement que si elle a une incidence sur l'élément à apprécier. En l'espèce, l'élément à apprécier comme cause justificative de la différence de complément Poste est la meilleure maîtrise du poste par le fonctionnaire. Il appartient donc à la société La Poste de démontrer en quoi le parcours professionnel du fonctionnaire auquel le salarié se compare notamment par la diversité et la nature des fonctions exercées, lui confère une meilleure maîtrise de son poste.

En outre, l'activité professionnelle des agents de la société La Poste est évaluée de manière codifiée par des lettres A, B, D, E :

A : remplit partiellement les exigences du poste,

B : correspond bien aux exigences du poste,

D : ne satisfait pas aux exigences du poste,

E : dépasse les exigences du poste.

Par décision n° 717 du 4 mai 1995, il a été arrêté que ' le 'Complément Poste' rémunérant le niveau de fonction et la maîtrise du poste, l'appréciation annuelle de chaque agent peut avoir également un impact sur le niveau du complément indemnitaire'. Il a été également arrêté que l'agent dont l'activité professionnelle était évaluée D verrait son complément Poste diminuer dans des proportions précisées en annexe. Il résulte de ces éléments que l'évaluation annuelle de l'agent est un élément d'appréciation important de la maîtrise de son poste même si son activité professionnelle n'est pas évaluée comme ne satisfaisant pas aux exigences du poste (lettre D), ce d'autant qu'elle constitue un élément objectif et contradictoire comme le démontre notamment l'instruction n° 355-03 du 21 décembre 2006 produite aux débats.

En l'espèce, la société La Poste ne compare pas le parcours professionnel des fonctionnaires à celui du salarié et elle ne produit aucun élément concernant celui-ci.

Elle ne produit pas les évaluations de l'activité professionnelle de M. [V] et de M. [C]. Elle ne produit pas celles du salarié et n'indique pas ses lettres d'évaluation. La fiche individuelle de gestion produite aux débats concernant M. [O] [C] ne mentionne pas les lettres d'évaluation à compter de l'année 2013. Il résulte de la fiche individuelle de gestion concernant M. [A] [V], produite par la société La Poste, que son activité professionnelle n'a pas été évaluée au cours des années 2009 à 2013 et aucun élément n'est produit pour la période antérieure. La société La Poste ne verse aux débats aucun autre élément objectif de nature à démontrer que chacun de ces fonctionnaires dispose concrètement d'une meilleure maîtrise de son poste que le salarié.

En conséquence, la société La Poste ne démontre pas que la différence de complément Poste perçu par M. [P] [E] et par les fonctionnaires exerçant des fonctions identiques ou similaires aux siennes au même niveau de fonction que le sien auxquels il se compare, est justifiée par des éléments objectifs et matériellement vérifiables.

Dès lors, il sera retenu que la société La Poste n'a pas respecté le principe d'égalité de traitement.

M. [P] [E] établit sa demande de rappel de salaire à partir du tableau comparatif évoqué précédemment.

Compte tenu de ce qui précède quant aux périodes au cours desquelles M. [P] [E] a exercé au même niveau de fonction, des fonctions identiques ou similaires à celles des fonctionnaires auxquels il se compare, il sera fait droit à sa demande subsidiaire, le montant de rappel de complément Poste sollicité étant exact, et la société La Poste sera condamnée à lui payer les sommes suivantes :

- 3 059,74 euros à titre de rappel de complément Poste,

- 305,97 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera confirmée sur ces chefs de demande.

Sur les dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de l'inégalité de traitement

M. [P] [E] soutient que l'inégalité de traitement dont il a été victime, lui a causé un préjudice moral dont il doit être indemnisé.

Il ne justifie pas suffisamment de l'existence d'un préjudice moral.

En conséquence, il sera débouté de sa demande à ce titre.

La décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.

Sur la demande du Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens

Le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens soutient que le non-respect par l'employeur du principe 'à travail égal, salaire égal' a porté préjudice à l'ensemble du personnel de La Poste et, plus généralement, à l'ensemble de la profession de sorte qu'il est recevable et fondé à obtenir réparation du préjudice ainsi porté à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente.

La société La Poste soutient que le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens est irrecevable en ses demandes et qu'en tous cas, celles-ci sont mal fondées car les accords salariaux ayant été conclus avec les organisations syndicales représentatives depuis 2001, une atteinte à l'intérêt collectif de la profession ne peut être retenue.

Aux termes de l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

Les demandes d'un syndicat professionnel sont donc recevables si elles relèvent de la défense de l'intérêt collectif de la profession.

En l'espèce, la société La Poste ne soutient pas que les demandes objet du litige ne relèvent pas de la défense de l'intérêt collectif de la profession mais que le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens ne peut pas valablement soutenir qu'il est porté atteinte à cet intérêt dans la mesure où les accords évoqués précédemment ont été conclus avec les organisations syndicales représentatives. Elle ne présente donc pas de moyen au soutien de l'irrecevabilité des demandes du syndicat mais au soutien de leur manque de fondement.

Il a été précédemment retenu par la cour que l'objet des accords salariaux conclus avec les organisations syndicales représentatives des salariés portait uniquement sur l'évolution du montant du complément Poste payé aux salariés et ne s'étendait pas à l'appréciation globale du système de rémunération mis en oeuvre de sorte que la signature de ces accords ne prive pas en eux-mêmes de fondement l'action du Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens.

Cependant, il appartient au Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens de caractériser le préjudice direct ou indirect apporté à l'intérêt collectif de la profession ce qu'il ne fait pas dès lors qu'il énonce seulement qu'il ne fait aucun doute que le non-respect par l'employeur du principe 'à travail égal, salaire égal', par la rupture de l'égalité professionnelle provoquée, a porté préjudice à l'ensemble du personnel de la Poste, et plus généralement, à l'ensemble de la profession.

Dès lors, il sera débouté de sa demande à ce titre.

La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Sur la remise des documents

La cour constate que les premiers juges n'ont pas statué sur cette demande.

Il sera ordonné à la société La Poste de remettre à M. [P] [E] des bulletins de salaire conformes à la présente décision sans qu'il y ait lieu à prononcer une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie succombante en son appel à titre principal, la société La Poste sera condamnée au paiement des dépens. C'est à juste titre que les premiers juges l'ont condamnée à payer à M. [P] [E] la somme de 20 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Leur décision sera confirmée à ces titres.

La société La Poste sera condamnée à payer à M. [P] [E] la somme de 100 euros pour la procédure d'appel au titre des frais irrépétibles.

Le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens qui succombe en son appel et en ses prétentions, sera débouté de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation soit le 23 octobre 2013 et, pour les salaires échus postérieurement à la saisine, à compter de leur date d'exigibilité ; la créance indemnitaire produit intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Rappelle que les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par la société La Poste de la convocation devant le bureau de conciliation soit le 23 octobre 2013 et, pour les salaires échus postérieurement à la saisine, à compter de leur date d'exigibilité,

Ordonne à la société La Poste de remettre à M. [P] [E] des bulletins de salaire conformes à la présente décision,

Déboute le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens de ses demandes,

Condamne la société La Poste à payer à M. [P] [E] la somme de 100 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne la société La Poste aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 16/13587
Date de la décision : 16/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-16;16.13587 ?
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