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25/04/2024 | FRANCE | N°23/10043

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 25 avril 2024, 23/10043


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9



ARRET DU 25 AVRIL 2024



(n° , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/10043 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHXSV



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 25 Mai 2023 - Cour d'Appel de PARIS - RG n° 20/08117





DEMANDERESSE AU DEFERE



S.A. [K] GROUP agissant poursuites et diligences de son reprÃ

©sentant légal domicilié audit siège

[Adresse 7]

[Localité 16]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Créteil sous le numéro 957 504 608,



assistée de Me ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRET DU 25 AVRIL 2024

(n° , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/10043 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHXSV

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 25 Mai 2023 - Cour d'Appel de PARIS - RG n° 20/08117

DEMANDERESSE AU DEFERE

S.A. [K] GROUP agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié audit siège

[Adresse 7]

[Localité 16]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Créteil sous le numéro 957 504 608,

assistée de Me Paul-Gabriel CHAUMANET de l'ASSOCIATION CHAUMANET, CALANDRE - EHANNO, CAYLA - DESTREM, avocat au barreau de PARIS, toque : R101

DEFENDEURS AU DEFERE

Monsieur [W] [K]

né le [Date naissance 5] 1946 à [Localité 21]

[Adresse 9]

[Localité 17]

S.A.S. LA MAISON DU [Localité 3]

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 4]

[Localité 15]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 304 141 203

S.A.S. PROMO BRICO

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 7]

[Localité 16]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Créteil sous le numéro 316 469 394

représentés par Me Patricia HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, assistés de Me Etienne RIONDET, avocat au barreau de PARIS, toque : R024

Madame [T] [K]

née le [Date naissance 8] 1942 à [Localité 19] (59)

[Adresse 9]

[Localité 17]

Madame [H] [K]

née le [Date naissance 6] 1972 à [Localité 20]

[Adresse 13]

[Localité 12]

Monsieur [N] [K]

né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 20]

[Adresse 10]

[Localité 17]

représentés par Me Christian VALENTIE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2441

assistés de Me Kyum LEE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0202

S.A.S. JG CAPITAL MANAGEMENT prise en la personne de son représentant légal en exercice y domicilié

[Adresse 2]

[Localité 14]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 437 850 209,

représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

assistée de Me Olivia DIAZ et Me Gabriel HANNONTIN, avocats au barreau de PARIS, toque : T03

S.A.S. BRICORAMA FRANCE agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 11]

[Localité 18]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Créteil sous le numéro 406 680 314,

représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Alexandra PELIER-TETREAU, conseillère faisant fonction de Présidente

M. Frédéric ARBELLOT,conseiller désigné par ordonnance du premier président pour remplacer à la Cour

Mme Laura TARDY, conseillère désignée par ordonnance du premier président pour remplacer à la Cour

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté par Mme Alexandra PELIER-TETREAU, conseillère faisant fonction de Présidente, à l'audience dans les conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER : Mme Saoussen HAKIRI lors des débats.

ARRET :

- contradictoire,

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Mme Alexandra PELIER-TETREAU, conseillère faisant fonction de Présidente et par Mme Saoussen HAKIRI, greffière présente lors de la mise à disposition.

***********

Exposé des faits et de la procédure

En juillet 2007, la société JG Capital Management a acquis 5,99 % du capital de la société anonyme cotée [K] Group.

Par assignation du 21 mai 2008, JG Capital Management a introduit une action ut singuli contre le président directeur général de la SA [K] Group, M. [W] [K], d'une part et contre certains membres de sa famille étant ou ayant été administrateurs de la même société, d'autre part.

Le 19 mai 2020, le tribunal de commerce de Créteil a jugé prescrites certaines des opérations critiquées par la société JG Capital Management et a rejeté l'ensemble de ses demandes.

Cette dernière a interjeté appel de ce jugement le 26 juin 2020.

Les parties ayant échangé leurs conclusions pendant plus de deux ans, le conseiller de la mise en état près la cour d'appel de Paris a fixé la clôture des débats au 9 février 2023 et les plaidoiries au 22 mars 2023.

Aux termes de conclusions d'incident du 2 février 2023, la société JG Capital Management a toutefois sollicité du conseiller de la mise en état la désignation d'un mandataire ad hoc, avec pour mission la représentation de la SA [K] Group à l'instance, sur le fondement de l'article R. 225-170 du code de commerce.

Le conseiller de la mise en état a supprimé le calendrier de procédure au fond afin d'entendre les parties sur cet incident.

Par ordonnance du 25 mai 2023, il a été fait droit à la demande de la société JG Capital Management, désignant la SCP Abitbol et [R], prise en la personne de Me [R], avec pour mission de :

- Prendre connaissance de l'ensemble des écritures et pièces de la présente procédure, ainsi que tout document complémentaire ;

- Représenter la société [K] Group dans le cadre de la présente instance avec l'assistance du conseil de son choix ;

- Se faire remettre par les dirigeants de la société [K] Group ou ses employés, s'il l'estime opportun, tous documents et informations utiles à l'exercice de sa mission.

Le conseiller de la mise en état a notamment rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les intimés au principal, considérant que « la désignation d'un mandataire ad hoc d'une société présente dans l'instance engagée par un actionnaire de la société contre les dirigeants de celle-ci sur le fondement d'une action ut singuli, constitue une décision provisoire car prise pour la durée de l'instance et donc de nature à entrer dans les pouvoirs juridictionnels du conseiller de la mise en état. »

Le 8 juin 2023, la SA [K] Group, représentée par M. [W] [K], a déféré cette ordonnance à la cour en vue de son annulation.

*****

Dans sa requête notifiée par voie électronique le 26 décembre 2023, la société [K] Group demande à la cour de :

- Juger recevable le présent recours en déféré-nullité à l'encontre de l'ordonnance rendue le 25 mai 2023 par Mme le conseiller de la mise en état du pôle 5 chambre 9 de la cour ;

- Juger que Mme le conseiller de la mise en état n'est pas compétente pour statuer dans les conditions suivantes :

« Rejetons l'exception d'incompétence du conseiller de la mise en état pour statuer sur la demande provisoire de désignation d'un mandataire ad hoc ;

Rejetons l'exception d'irrecevabilité de la demande de nomination d'un mandataire ad hoc fondée sur le fait qu'il s'agit d'une demande nouvelle ;

Faisons droit à la demande de désignation d'un mandataire ad hoc ;

Désignons la SCP Abitbol et [R] prise en la personne de Me [R], administrateur judiciaire, avec comme mission : prendre connaissance de l'ensemble des écritures et pièces de la présente procédure, ainsi que de tout document complémentaire ;

- représenter la société [K] Group dans le cadre de la présente instance avec l'assistance du conseil de son choix ;

- se faire remettre par les dirigeants de la société [K] Group ou ses employés, s'il l'estime opportun, tous documents et informations utiles à l'exercice de sa mission ;

Disons que les frais et honoraires résultant de l'accomplissement du mandat ad hoc seront supportés par la société [K] Group ;

Ordonnons le versement d'une provision de 10 000 euros à valoir sur les honoraires et frais du mandataire ad hoc directement entre les mains du mandataire ;

Ordonnons à la société JG Capital Management de verser ladite provision, dans un délai de 15 jours à réception de la présente décision ;

Disons que cette provision lui sera remboursée par la société [K] Group sur la preuve du versement de celle-ci entre les mains du mandataire ad hoc désigné, à première demande, et en tant que de besoin condamnons la société [K] Group à rembourser la société JG Capital Management la somme de 10 000 euros en cas de versement de cette somme au mandataire ad hoc par la société JG Capital Management ;
Disons n'y avoir lieu d'ordonner une quelconque astreinte ;

Disons n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Disons que les dépens de l'incident seront joints aux dépens du fond ;

Renvoyons l'affaire à l'audience de mise en état du 7.09.2023 pour intervention volontaire du mandataire ad hoc » ;

- Annuler l'ordonnance rendue le 25 mai 2023 par Mme le conseiller de la mise en état du pôle 5 chambre 9 de la cour en toutes ses dispositions ;

Subsidiairement :

- Infirmer l'ordonnance rendue le 25 mai 2023 par Mme le conseiller de la mise en état du pôle 5 chambre 9 de la cour en toutes ses dispositions ;

En tout état de cause :

- Juger que la société JG Capital Management ne démontre pas l'existence d'un conflit d'intérêt entre la famille [K] et la société [K] Group ;

- Juger que la provision de 10 000 euros à valoir sur les honoraires et frais du mandataire ad hoc désigné dans l'ordonnance entreprise, restera à la charge de la société JG Capital Management ;

- Condamner la société JG Capital Management à verser à la société [K] Group la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

*****

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2023, M. [W] [K], la société La Maison du [Localité 3] et la société Promo Brico demandent à la cour de :

Juger nulle et réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par Mme le conseiller de la mise en état le 25 mai 2023 ;

En tout état de cause, condamner la société JG Capital Management à verser à chacun des concluants la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

*****

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 novembre 2023, Mme [T] [K], Mme [H] [K] et M. [N] [K] demandent à la cour de :

- Déclarer recevable le déféré-nullité formé par la société [K] Groupe ;

- Annuler l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état le 25 mai 2023 ;

- Débouter la société JG Capital Management de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société JG Capital Management à payer à Mme [T] [K], Mme [H] [K] et M. [N] [K] la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société JG Capital Management aux dépens de l'instance.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 décembre 2023, la société Bricorama France demande à la cour de :

Déclarer recevable le déféré-nullité formé par la société [K] Group ;

Annuler l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état le 25 mai 2023 ;

Débouter la société JG Capital Management de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner la société JG Capital Management à payer à la société [K] Group la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société JG Capital Management aux dépens de l'instance dont le recouvrement sera effectué conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 janvier 2024, la société JG Capital Management demande à la cour de :

A titre principal :

Prononcer la nullité pour vice de fond de la requête en déféré-nullité adressée à la cour par la société [K] Group représentée par M. [W] [K] ;

A titre subsidiaire :

Déclarer irrecevable le déféré-nullité exercé par la société [K] Group à l'encontre de l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état le 25 mai 2023 ;

A titre très subsidiaire :

Juger que le conseiller de la mise en état était compétent pour procéder à la nomination d'un mandataire ad hoc, et qu'une telle décision s'imposait au regard de la situation de conflit d'intérêts dans laquelle se trouve M. [W] [K] ;

En conséquence :

Confirmer l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état le 25 mai 2023 ;

Débouter la demanderesse au déféré-nullité de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner M. [W] [K] à verser 15 000 euros à la société JGCM au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens de l'incident.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité de la requête en déféré-nullité

La société JG Capital Management expose qu'au regard du caractère exécutoire de l'ordonnance ayant désigné un mandataire ad hoc pour représenter la société [K] Group dans le cadre de l'action ut singuli, d'une part, et de l'article 1159 du code civil qui pose le principe du dessaisissement du dirigeant en cas de représentation judiciaire d'autre part, M. [W] [K] n'a plus le pouvoir de représenter la société [K] Group à l'instance. Elle conclut que ce défaut de pouvoir constitue une irrégularité de fond sanctionnée par la nullité de la requête en déféré-nullité, en application de l'article 117 du code de procédure civile.

Mmes [T] et [H] [K] et M. [N] [K] répliquent qu'en vertu d'une jurisprudence établie, le représentant légal d'une société conserve la faculté d'exercer, au nom de celle-ci, un recours contre la décision qui le dessaisit du pouvoir de la représenter, fût-elle assortie de l'exécution provisoire.

La société [K] Group reprend le même moyen de droit que Mmes [T] et [H] [K] et M. [N] [K].

M. [W] [K], la société La Maison du [Localité 3] et la société Promo Brico, d'une part, et la société Bricorama France, d'autre part, ne se prononcent pas sur la nullité de la requête en déféré-nullité.

Sur ce,

Il est de principe que l'organe légal d'une société représentant celle-ci dans l'instance dirigée contre elle et tendant à la désignation d'un administrateur provisoire a, en cette qualité, le pouvoir d'exercer les voies de recours ouvertes à l'encontre de la décision de désignation qui le dessaisit du pouvoir de représenter la société, le caractère exécutoire de l'ordonnance de désignation ne privant pas le représentant légal de son droit de recours.

Il en résulte que la société [K] Group, représentée par M. [W] [K], a le pouvoir de former un déféré contre l'ordonnance ayant désigné un mandataire ad hoc pour représenter ladite société à l'instance, de sorte que le moyen tiré de la nullité pour vice de fond de la requête sera rejeté.

Sur la recevabilité de la requête en déféré-nullité

La société JG Capital Management énonce, au visa de l'article 916 du code de procédure civile qui fixe de manière limitative la liste des ordonnances du conseiller de la mise en état susceptibles d'être déférées par requête à la cour, que le recours exercé par la société [K] Group n'a été introduit dans aucun des cas d'ouverture à déféré par ce texte, ce qui a conduit la société à vouloir qualifier son recours de déféré-nullité. Considérant que le déféré-nullité n'est recevable qu'en cas d'excès de pouvoir, elle soutient que le conseiller de la mise en état n'a fait qu'exercer les pouvoirs qui lui sont confiés par la loi, sans les excéder ni porter atteinte aux droits et obligations des parties.

Mmes [T] et [H] [K] et M. [N] [K] répliquent qu'au stade de la recevabilité du déféré-nullité, la cour d'appel doit se borner à un examen formel, qui se limite à vérifier que l'auteur du déféré-nullité fait grief au conseiller de la mise en état d'avoir commis un excès de pouvoir. Ils ajoutent que la société [K] Group sollicite l'annulation de la décision du conseiller de la mise en état au motif que ce dernier n'avait pas le pouvoir d'ordonner la désignation d'un mandataire ad hoc pour la représenter dans le cadre de l'action ut singuli initiée par la société JG Capital Management, ce qui constitue un excès de pouvoir, lequel consiste, pour le juge, à statuer en dehors de ses pouvoirs juridictionnels. Ils concluent que l'action en déféré-nullité de la société [K] Group est recevable.

La société [K] Group énonce que la requête en déféré-nullité est recevable, au motif que même lorsque le dirigeant est dessaisi en suite de la désignation d'un administrateur provisoire, il peut exercer un recours, au nom de la société, pour contester l'ordonnance de désignation du mandataire.

M. [W] [K], la société La Maison du [Localité 3] et la société Promo Brico, d'une part, et la société Bricorama France, d'autre part, ne se prononcent pas sur la recevabilité de la requête en déféré-nullité.

Sur ce,

Selon l'article 916 du code de procédure civile, les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d'aucun recours indépendamment de l'arrêt sur le fond.

Toutefois, elles peuvent être déférées par requête à la cour dans les quinze jours de leur date lorsqu'elles ont pour effet de mettre fin à l'instance, lorsqu'elles constatent son extinction ou lorsqu'elles ont trait à des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps.

Elles peuvent être déférées dans les mêmes conditions lorsqu'elles statuent sur une exception de procédure, sur un incident mettant fin à l'instance, sur une fin de non-recevoir ou sur la caducité de l'appel.

Toutefois, il est possible de déroger à toute règle interdisant, différant ou limitant un recours en formant un déféré-nullité, recours exceptionnel et subsidiaire, lequel n'est ouvert qu'à condition qu'un texte porte une atteinte au principe du double degré de juridiction et que la décision à l'encontre de laquelle le recours est interjeté soit affectée d'un excès de pouvoir.

L'excès de pouvoir consistant pour le juge judiciaire à méconnaître l'étendue de son pouvoir de juger n'est établi que lorsqu'il méconnaît la séparation des pouvoirs et empiète sur les attributions des autres autorités, lorsqu'il s'arroge des attributions que le dispositif normatif lui refuse et statue hors des limites de ses attributions (excès de pouvoir positif) et lorsqu'il refuse d'exercer les compétences que la loi lui attribue (excès de pouvoir négatif), de sorte que ni la violation des règles de droit ou leur mauvaise interprétation, ni la violation des règles de procédure ne caractérisent un excès de pouvoir du juge.

En l'espèce, il apparaît que l'ordonnance attaquée - ayant ordonné la désignation d'un mandataire ad hoc - n'entre pas dans les prévisions des alinéas 2 et 3 du texte précité qui fixe limitativement les exceptions à l'interdiction d'exercer un recours à l'encontre d'une ordonnance du conseiller de la mise en état.

En présence d'une prohibition du recours de droit commun, la voie du déféré-nullité n'est ouverte à la société [K] Group qu'à la condition qu'elle rapporte la preuve, d'une part, que le conseiller de la mise en état a commis un excès de pouvoir, en ce qu'il aurait usé de prérogatives que la loi ne lui a pas offertes, d'autre part, que l'interdiction d'exercer un recours aurait entravé son droit d'appel.

S'il n'est pas utilement contesté que l'article 916 précité affecte le droit pour la société [K] Group de déférer l'ordonnance, dès lors que l'ordonnance n'est pas susceptible de recours immédiat mais que son droit se voit différé, il n'en demeure pas moins que le déféré-nullité de la requérante doit permettre, par les griefs allégués, de sanctionner un excès de pouvoir, en ce qu'il conditionne sa recevabilité.

L'ordonnance ayant désigné un mandataire ad hoc est contestée par la société [K] Group et les consorts [K] au motif que le conseiller de la mise en état aurait dépassé les pouvoirs juridictionnels qui lui appartiennent pour y procéder et qu'il se serait attribué une prérogative qu'aucun texte ne prévoit, laquelle attribution serait, selon eux, dévolue au tribunal en vertu de l'article R. 225-170 alinéa 2 du code de commerce dans le cadre d'une action ut singuli en présence d'un conflit d'intérêt.

Il y a lieu, à cet égard, de distinguer les conditions de recevabilité du recours avec celles de son succès, dès lors qu'un déféré-nullité n'est recevable - outre le point de déterminer si l'ordonnance du conseiller de la mise en état est susceptible d'un recours indépendamment de l'arrêt sur le fond qui n'est pas sujet à discussion dans le cas présent - qu'à la condition que le grief allégué repose sur un excès de pouvoir.

Il est ici observé qu'il est bien allégué par les intimés que la désignation d'un mandataire ad hoc procède d'une méconnaissance par le conseiller de la mise en état de l'étendue de ses pouvoirs, peu important que le grief soit au terme de l'examen au fond retenu ou rejeté, de sorte que le litige, dont l'objet est déterminé par les prétentions respectives des parties en vertu de l'article 4 du code de procédure civile, concerne bien un excès de pouvoir.

Enfin, l'incompétence alléguée, en ce qu'elle procède d'une privation d'un pouvoir juridictionnel, relève d'un excès de pouvoir positif.

Il s'ensuit que le recours en déféré-nullité formé par la société [K] Group est recevable.

Sur la compétence du conseiller de la mise en état pour désigner un mandataire ad hoc afin de représenter la société [K] Group dans le cadre d'une action ut singuli

La société [K] Group soutient, au rappel de l'avis de la Cour de cassation du 17 février 1994 indiquant que « les attributions conférées au conseiller de la mise en état par les articles 910 et 771 du nouveau code de procédure civile ne lui permettent pas de désigner un mandataire ad hoc chargé de représenter une société précédemment liquidée », que le conseiller de la mise en état a dépassé les pouvoirs juridictionnels qui lui appartiennent en procédant à la désignation d'un mandataire ad hoc aux fins de la représenter pendant la durée de l'instance. Ils ajoutent que le seul fait que la désignation du mandataire ad hoc soit limitée au temps de la procédure judiciaire ne suffit pas à constituer une mesure provisoire entrant dans la compétence du conseiller de la mise en état.

Mmes [K] et M. [N] [K] font valoir que l'article R. 225-170 alinéa 2 - d'interprétation stricte - vise le seul pouvoir du « tribunal » pour désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans le cadre d'une action ut singuli en présence d'un conflit d'intérêt, de sorte qu'il n'appartient pas au conseiller de la mise en état de s'attribuer cette prérogative puisqu'aucun texte ne le prévoit, ni l'article 907 du code de procédure civile, ni l'article 789 du même code. Ils ajoutent enfin qu'en vertu de l'article L. 311-1 du code de l'organisation judiciaire, seule la cour, à l'exclusion du conseiller de la mise en état, peut prendre des décisions susceptibles de remettre en cause ce qui a été jugé en première instance. Ils soutiennent qu'en désignant un mandataire ad hoc afin d'assurer la régularité de la représentation de la société [K] Group à l'instance, le conseiller de la mise en état a statué sur une question touchant à la recevabilité de l'action ut singuli ; qu'en présence d'une telle contrariété entre le jugement attaqué et l'appréciation portée par le conseiller de la mise en état, l'ordonnance encourt la nullité. Ils soulèvent en outre le caractère nouveau en cause d'appel de la demande de la société JG Capital Management de voir désigner un mandataire ad hoc, ce dont il doit se déduire que la cour ne pouvait être saisie pour la première fois d'une telle demande, sauf à méconnaître le principe de l'effet dévolutif de l'appel.

M. [W] [K], la société La Maison du [Localité 3] et la société Promo Brico, d'une part, et la société Bricorama France, d'autre part, concluent également à l'incompétence du conseiller de la mise en état au regard de l'article 914 du code de procédure civile listant de façon exhaustive ses pouvoirs.

La société JG Capital Management réplique que plusieurs décisions ont reconnu au conseiller ou juge de la mise en état le pouvoir de désigner un mandataire ad hoc, au motif qu'une telle nomination constituait une mesure provisoire ; que l'avis de la Cour de cassation cité par la requérante n'a pas de valeur contraignante puisqu'il remonte à près de 30 ans, époque à laquelle le rôle du conseiller de la mise en état était plus restreint qu'au jour où la cour doit statuer. Elle conclut que la désignation du mandataire ad hoc par le conseiller de la mise en état participe à la fois d'une bonne administration de la justice et des intérêts de la société représentée.

Sur ce,

L'article R. 225-170 du code de commerce, applicable aux sociétés anonymes, dispose que Lorsque l'action sociale est intentée par un ou plusieurs actionnaires, agissant soit individuellement, soit dans les conditions prévues à l'article R. 225-169, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux.

Le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance, lorsqu'il existe un conflit d'intérêt entre celle-ci et ses représentants légaux.

Les pouvoirs du conseiller de la mise en état sont notamment régis par les dispositions des articles 907 et 789 (par renvoi) du code de procédure civile.

L'article 907 du code de procédure civile prévoit qu'A moins qu'il ne soit fait application de l'article 905, l'affaire est instruite sous le contrôle d'un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée [le conseiller de la mise en état], dans les conditions prévues par les articles 780 à 807 et sous réserve des dispositions qui suivent.

L'article 789 du code de procédure civile dispose encore que :

Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : [']

4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d'un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ; ['].

En l'espèce, l'instance est pendante devant la cour sans que l'instruction ait été clôturée ni le conseiller de la mise en état dessaisi.

La demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société [K] Group dans le cadre de l'instance est une mesure provisoire, au sens des dispositions de l'article 789, 4° précitées sur renvoi de l'article 907, prise pour la durée de l'instance, qui ne nécessite aucun examen au fond du dossier et relève ainsi, en l'absence de texte l'interdisant, de la compétence du conseiller de la mise en état.

Le moyen tiré du caractère exclusif de la compétence de la cour dans sa formation collégiale s'agissant de décisions susceptibles de remettre en cause - directement ou indirectement - ce qui a été jugé en première instance est inopérant, dès lors que ledit conseiller, dans l'ordonnance critiquée, s'est borné à nommer un mandataire ad hoc au regard de l'existence d'un conflit d'intérêt entre la société [K] Group et son représentant légal, sans examiner une quelconque fin de non-recevoir de l'action ut singuli de nature à contrarier le jugement ou à remettre en cause les points sur lequel il a été statué en première instance.

De même, le moyen tiré du caractère exclusif de la compétence du tribunal, au regard de l'article R. 225-170 du code de commerce, sera écarté, le terme 'tribunal' - terme générique pour désigner le juge saisi du litige - devant s'entendre à l'aune de la finalité du texte et il ne peut être déduit de sa rédaction, qui ne traite pas des questions de compétences, que la désignation d'un mandataire ad hoc est réservée à la seule juridiction collégiale de première instance.

Par ailleurs, pour conclure à l'incompétence du conseiller de la mise en état, la société [K] Group se fonde sur un avis de la Cour de cassation de 1994, lequel a été rendu sous l'empire d'une législation de conception et d'interprétation différentes, et dans un contexte distinct puisqu'il s'agissait d'une société précédemment liquidée, de sorte que la cour écartera cet avis.

Il apparaît ainsi d'une bonne application des règles de procédure au regard de l'objectif poursuivi par la désignation d'un mandataire ad hoc et d'une juste proportionnalité procédurale, de considérer que le conseiller de la mise en état est compétent pour procéder à cette désignation, sauf à entraver le cours de la procédure en appel.

Enfin, la présomption d'un conflit d'intérêt entre la société et son représentant dans le cadre d'une action ut singuli impose - à tout moment de la procédure - la désignation d'un mandataire ad hoc sauf à voir retenue une violation de la loi, sans qu'il puisse être opposé le caractère nouveau d'une telle prétention en cause d'appel sur le fondement des articles 564 et 564 du code de procédure civile, dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges.

C'est donc à bon droit que le conseiller de la mise en état a rejeté le moyen tiré de l'irrecevabilité soulevée sur le fondement de la prohibition des prétentions nouvelles en appel.

Il y a par conséquent lieu de rejeter la demande de nullité de l'ordonnance s'agissant de l'exception d'incompétence opposée par la société [K] Group et de l'irrecevabilité au titre de la nouveauté de la demande.

Sur le bien-fondé de la désignation d'un mandataire ad hoc

La société [K] Group sollicite l'infirmation de l'ordonnance du 25 mai 2023, exposant que le prétendu conflit d'intérêts « objectif » entre la société [K] Group et la famille [K] n'est pas établi ; qu'elle est intervenue en toute indépendance depuis le début de la présente procédure, en ce qu'elle a été représentée par son propre conseil et a assuré sa défense de manière distincte de celle de son représentant légal et des membres du conseil d'administration.

Mmes [K] et M. [N] [K] contestent l'utilité de la mesure prononcée par le conseiller de la mise en état, au motif que la société [K] Group a déjà conclu à la confirmation du jugement et le mandataire ad hoc ne pourra donc présenter de demandes nouvelles en son nom ; que la mesure ordonnée ne fera donc pas disparaître le conflit d'intérêt préexistant, de sorte qu'il s'agit d'une mesure provisoire inutile ; qu'en outre, les frais générés par une telle désignation sont élevés, dans la mesure où le mandataire ad hoc a déjà adressé à la société [K] Group des factures d'un montant total de 36 000 euros HT, s'ajoutant à la provision de 10 000 euros fixée par le conseiller de la mise en état.

M. [W] [K], la société La Maison du [Localité 3] et la société Promo Brico, d'une part, et la société Bricorama France, d'autre part, opposent l'inutilité de la désignation d'un mandataire ad hoc, considérant que cette mesure n'a aucune finalité à ce stade de la procédure.

La société JG Capital Management réplique qu'un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence le 9 novembre 2022, retenant que « Lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société ne peut être régulièrement représentée que par un mandataire ad hoc, qu'il appartient au juge de désigner à la demande de l'associé ou du représentant légal ou, le cas échéant, d'office » ; que ce même arrêt précise qu'un conflit d'intérêt est caractérisé entre la société et son gérant lorsque ce dernier a été assigné à la fois à titre personnel et en tant que représentant légal de la société bénéficiaire de l'action ; que cette solution s'applique nécessairement au cas d'espèce et que l'ordonnance du 25 juin 2023 critiquée est donc bien fondée. Elle conclut que la mesure prononcée est en outre utile, puisqu'elle permet à la société [K] Group d'assurer la défense de ses intérêts en toute indépendance et de purger la procédure en cours d'un éventuel vice procédural.

Sur ce,

Il est désormais de principe que, lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société ne peut être régulièrement représentée que par un mandataire ad hoc, qu'il appartient au juge de désigner à la demande de l'associé ou du représentant légal ou, le cas échéant, d'office (C. cass., Com., 9 nov. 2022 - 20-19.077 ; P).

Le conflit d'intérêt, qui vise la situation dans laquelle les intérêts personnels d'une personne sont en opposition avec ses devoirs, lesquels tendent justement à la protection des intérêts dont elle a la charge, résulte de la circonstance selon laquelle le représentant légal de la société pour le compte de laquelle l'action ut singuli est engagée est assigné à la fois à titre personnel et en tant que représentant légal de la société, bénéficiaire de l'action.

Il s'ensuit que lorsque l'action sociale est exercée ut singuli, un conflit d'intérêts existe nécessairement entre le dirigeant toujours en fonction dont la responsabilité est recherchée et la société.

En l'espèce, la société JG Capital Management a introduit une action ut singuli aux termes de laquelle elle sollicite une indemnisation du préjudice social de la société [K] Group au titre de fautes de gestion commises par ses dirigeants.

Elle poursuit ainsi la condamnation de M. [W] [K] à indemniser le préjudice subi par la société [K] Group. Or, dans le cadre de la présente instance, la société [K] Group est représentée par M. [W] [K] en sa qualité de président-directeur général de ladite société.

Au regard des principes précités retenus en matière de conflit d'intérêt, la désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société [K] Group dans le cadre de la présente instance s'impose, nonobstant les participations accrues de la famille [K] - dont celle de M. [W] [K] - au capital de la société [K] Group, qui sont indifférentes pour caractériser un conflit d'intérêt au motif que la société est une personne morale distincte dont les intérêts peuvent ne pas coïncider avec ceux de ses actionnaires, fussent-ils majoritaires.

De même, la circonstance selon laquelle la société a son propre conseil depuis le début de la procédure, qui est différent de celui défendant les intérêts de M. [W] [K] et de celui défendant les intérêts des consorts [K], est indifférente dans l'appréciation du conflit d'intérêt constitué par l'identité de personne entre le représentant actuel de la société objet du litige et le représentant de la société lorsque les décisions litigieuses ont été prises.

Enfin, comme l'a souligné le conseiller de la mise en état, le fait que la société dispose d'un conseil d'administration n'est pas plus de nature à écarter tout conflit d'intérêt pour les mêmes raisons d'identité de dirigeant passé et actuel.

Il y a par conséquent lieu de considérer que la mesure ordonnée par le conseiller de la mise en état permet à la société [K] Group d'être valablement représentée à l'instance, conformément à l'article R. 225-170 du code de commerce et à la jurisprudence de la Cour de cassation, et de défendre ses intérêts indépendamment de M. [W] [K].

Aussi, convient-il de rejeter la demande de nullité de l'ordonnance en ce qu'elle a fait droit à la demande de désignation d'un mandataire ad hoc.

Sur les frais du déféré-nullité

Les dépens du déféré-nullité seront joints aux dépens du fond.

Il convient enfin, en raison de l'équité, de laisser aux parties la charge de leurs propres frais non compris dans les dépens prévus à l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette la demande de nullité de la requête en déféré-nullité ;

Déclare recevable la requête en déféré-nullité ;

Rejette la demande de nullité de l'ordonnance du conseiller de la mise en état ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres frais non compris dans les dépens prévus à l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens du déféré-nullité seront joints aux dépens du fond.

Le greffier La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 23/10043
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;23.10043 ?
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