La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/11/2002 | FRANCE | N°02/505

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 20 novembre 2002, 02/505


TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE

DE ROCHEFORT

JUGEMENT DU 20 NOVEMBRE 2002 DEMANDERESSE : La Société C à capital et personnel variables, régie par le Livre V du Code Rural,, immatriculée au R.C.S. de SAINTES , agissant aux poursuites et diligences de son Directeur et de ses Administrateurs. REPRÉSENTÉE par la S.C.P. CLAIRAND-ROUGIER, avocats associés, plaidant par Maître ROUGIER, avocat au Barreau de LA ROCHELLE, substituée par Maître NOURRIGEON DÉFENDEURS : Mr X..., Société D, Société Civile Immobilière immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de MAR

ENNES prise en la personne de ses gérants, REPRÉSENTÉS PAR Maître FOULON, avoca...

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE

DE ROCHEFORT

JUGEMENT DU 20 NOVEMBRE 2002 DEMANDERESSE : La Société C à capital et personnel variables, régie par le Livre V du Code Rural,, immatriculée au R.C.S. de SAINTES , agissant aux poursuites et diligences de son Directeur et de ses Administrateurs. REPRÉSENTÉE par la S.C.P. CLAIRAND-ROUGIER, avocats associés, plaidant par Maître ROUGIER, avocat au Barreau de LA ROCHELLE, substituée par Maître NOURRIGEON DÉFENDEURS : Mr X..., Société D, Société Civile Immobilière immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de MARENNES prise en la personne de ses gérants, REPRÉSENTÉS PAR Maître FOULON, avocat au Barreau de ROCHEFORT, substituée par Maître PAILLET Société N, prise en la personne de ses représentants légaux et statutaires, REPRÉSENTÉE par Maître PAILLET, avocat au Barreau de ROCHEFORT COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats et du délibéré :

Jean-Pierre MÉNABÉ, Président

Nathalie PIGNON, Vice- Présidente

Sophie ROUBEIX, Vice-Présidente

M.C. LABEYRIE, Greffier présente lors des débats et du prononcé

DÉBATS : En audience publique le 9 Octobre 2002. JUGEMENT :

Contradictoire, prononcé par Jean-Pierre MÉNABÉ, Président, en audience Publique le 20 Novembre 2002, date indiquée à l'issue des débats.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Le 30 novembre 1993, il a été procédé à la constitution de la SCI D, le capital social étant alors fixé à 3 millions de Francs avant

d'être porté à 4,3 millions de Francs et Mr. X... étant devenu, à la suite de cette augmentation de capital, titulaire, en pleine propriété, de 1.050 des 4.300 parts représentatives de celui-ci et, en nue-propriété, de 856 autres parts.

Par acte authentique du 18 janvier 1994, la SCI D est devenue propriétaire d'un ensemble immobilier, pour un prix de 1,8 million de Francs.

Le 16 février 1999, la Société C, a consenti à la S.A M un prêt de 200.000,00 Francs, remboursable sur 6 mois et productif d'intérêts au taux de 8,55 % l'an, Mr. X..., par ailleurs président du conseil d'administration de cette personne morale, se portant caution solidaire de ses engagements.

La SA M a été placée en redressement puis en liquidation judiciaires par décisions du Tribunal de Commerce de ROCHEFORT des 22 novembre 1999 et 12 juillet 2000.

Après avoir déclaré sa créance, la Société C a, par acte du 20 novembre 2000, fait citer M. X... devant le Tribunal de Commerce de MARENNES en paiement de la somme principale de 200.000,00 Francs outre 26.137,62 Francs, au titre des intérêts de retard au 6 octobre 2000, 22.613,76 Francs, à titre d'indemnité conventionnelle, et 10.000,00 Francs, au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Faisant valoir que M. X... avait cherché à organiser son insolvabilité en vendant, le 20 septembre 1999, ses parts en pleine propriété dans la SCI D pour un prix dérisoire de 50.000,00 Francs alors même que celles-ci constituaient sa seule garantie quant au recouvrement des sommes dues par la SA M, la Société C a, par actes séparés des 20 novembre et 1er décembre 2000, fait assigner l'intéressé, la SCI et la société de droit britannique N, acquéreur desdites parts, devant ce Tribunal afin qu'il prononce la nullité de cette vente en

application de l'article 1591 du Code Civil, le jugement à intervenir faisant, dans ce cas, l'objet de l'ensemble des mesures de publicité légale, ou qu'il la lui déclare, subsidiairement, inopposable sur le fondement de l'article 1167 du même Code, le prononcé de l'exécution provisoire et l'allocation d'une somme de 8.000,00 Francs au titre des frais irrépétibles étant également requis.

Par décision du 24 octobre 2001, le Tribunal a, avant dire droit, ordonné une expertise, chargeant M. Y... de déterminer la valeur des 1.050 parts sociales litigieuses à la date de leur cession.

Aux termes de son rapport, daté du 14 mai 2002, ce dernier a procédé à une double estimation, la première s'élevant à 105.999,33 Euros après application d'un abattement pour minorité totale, la seconde fixée, sans abattement eu égard au droit d'usage par ailleurs consenti au porteur des parts sur une partie de l'immeuble social, à 124.705,28 Euros et ayant sa préférence.

La Société C, d'une part, Mr X... et la SCI D, d'autre part, ont déposé leurs dernières écritures au greffe de ce siège les 31 mai et 8 août 2002.

La Société N n'a pas conclu postérieurement au prononcé du jugement du 24 octobre 2001, de sorte qu'elle est réputée s'en tenir aux conclusions signifiées aux autres parties le 6 juin 2001.

Les prétentions et moyens respectifs se présentent comme suit :

La Société C maintient ses demandes, portant toutefois à 2.287,00 Euros celle présentée contre Mr X... et la société N au titre des frais irrépétibles et requérant leur condamnation aux dépens, incluant le coût de la mesure d'instruction diligentée.

Il soutient :

- que la vente de parts sociales litigieuse est nulle pour vileté du prix,

- qu'en effet, la valeur réelle des parts s'élève à 124.705,28 Euros

dès lors que la nature familiale de la société, son objet réel, savoir la mise en valeur d'une propriété d'agrément pour en jouir et non pour en tirer profit, et le droit d'usage reconnu à leur porteur exclut toute possibilité d'abattement,

- que le prix de vente est donc de plus de seize fois inférieur à cette valeur,

- qu'en toute hypothèse, Mr X..., en tant que dirigeant et caution de la SA M, a été informé de ses difficultés dès avant l'ouverture de son redressement judiciaire, ce qui l'a conduit à vouloir mettre son patrimoine à l'abri des poursuites de son créancier, la vente litigieuse ayant été passée le 20 septembre 1999 et enregistrée le 25 octobre suivant, soit moins de deux mois avant l'ouverture de la procédure collective,

- que la chronologie des événements ne peut que jeter le trouble sur la bonne foi de Mr X..., ce qui justifie de plus fort sa demande subsidiaire tendant à ce que la vente lui soit déclarée inopposable. Mr X... et la SCI D concluent au débouté de la Société C et à sa condamnation au versement d'une somme de 8.000,00 Francs (1.219,59 Euros), en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, en affirmant :

- que le prix de 50.000,00 Francs était bien conforme à la valeur des parts au jour de leur cession, celles-ci ne donnant pas vocation à une quelconque possibilité de logement dans les immeubles de la SCI, ni de pouvoir de décision majoritaire à leur titulaire et le prix payé ne devant donc pas être rapproché de la valeur du patrimoine de la personne morale puisque correspondant à une simple potentialité,

- que, de surcroît, les parties ont librement déterminé et fixé le prix, le juge n'ayant pas à se substituer à elles,

- que la Société C ne rapporte la preuve d'aucune fraude à ses

droits, ni d'une quelconque complicité du tiers acquéreur, étant, au demeurant, relevé que Mr X... a injecté le prix de cession de ses parts dans le compte courant de la SCI et était parfaitement libre de conclure la vente critiquée à défaut de sûreté prise, au préalable, par son créancier sur celles-ci,

- qu'en tout état de cause, la Société C n'établit pas la réalité de son préjudice alors, au surplus, que les parts étaient difficilement saisissables,

- que leur argumentation originelle n'est en rien modifiée par les conclusions de M. Y..., son estimation devant, en effet, être écartée puisque Mr X... est le seul porteur de parts à pouvoir bénéficier d'un droit d'usage sur l'immeuble social.

La Société N considère également que la demande de la Société C est mal fondée et souhaite se voir octroyer une somme de 1.524,49 Euros (10.000,00 Francs) au titre des débours, non compris dans les dépens, par elle exposés, en prétendant :

- que le prix de cession, déterminé par les parties contractantes et désigné dans l'acte de vente en conformité avec les dispositions de l'article 1591 du Code Civil, a tenu compte de ce qu'il s'agissait des parts d'une SCI et de ce que leur acquéreur ne serait qu'associé minoritaire,

- que les conditions nécessaires au succès de l'action paulienne ne sont pas réunies dès lors qu'il n'est pas démontré l'existence d'un préjudice pour le créancier et d'une volonté du débiteur de le causer avec la complicité d'un tiers.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2002. MOTIFS :

Attendu que, lorsque le prix est hors de proportion avec la valeur de la chose vendue, l'obligation de l'acheteur est dépourvue d'objet véritable et celle du vendeur de cause ;

Qu'en telle hypothèse, le prix vil est assimilable à l'absence de

prix de sorte que la vente est nulle et de nullité absolue, cette nullité pouvant être judiciairement prononcée à la demande de tous ceux qui y ont intérêt ;

Attendu, en l'espèce, qu'il est constant que Mr X... était détenteur, en pleine propriété, de 1.050 des 4.300 parts représentatives du capital social de la SCI D, s'élevant à 4.300.000,00 Francs, et qu'il les a, par acte sous seing privé du 20 septembre 1999, vendu à la Société de droit anglais N pour un prix de 7.622,45 Euros (50.000,00 Francs) ;

Attendu que, commis par jugement de ce siège en date du 24 octobre 2001 à l'effet de procéder à l'estimation desdites parts au jour de leur cession, M. Y... a, aux termes d'un rapport daté du 14 mai 2002, conclu que leur valeur était égale à 1.050/4.300èmes de celle de la propriété de 21 ha 56 a 36 ca, correspondant à l'actif net de la SCI D à défaut de passif social ;

Attendu que Mr X..., s'il ne conteste pas l'évaluation de l'actif immobilier de la SCI D faite par M. Y..., soit 510.704,21 Euros (3.350.000,00 Francs), remet en cause la méthode d'estimation de ses parts sociales adoptée par l'expert en prétendant qu'il doit être tenu compte, d'une part, de ce que la vente a porté sur des parts ne conférant pas à leur porteur un droit d'habitation sur l'ensemble immobilier suévoqué et, d'autre part, de ce que leur détenteur ne dispose d'aucun pouvoir de décision majoritaire ;

Attendu qu'en réponse à cette argumentation, déjà développée devant lui, M. Y... a précisé que, si l'abattement pour minorité totale, représentant 15 à 25 % de la valeur obtenue, était aisément concevable pour les sociétés commerciales, les décisions de gestion ayant pour principal objet de distribuer des bénéfices, il ne pouvait être que très faible en l'espèce s'agissant d'une société civile immobilière de caractère familial dont l'objet réel est de constituer un capital destiné à augmenter dans le temps, les seules décisions à

prendre portant sur l'entretien de la propriété, parfaitement assuré par les gérants ;

Qu'il a en outre estimé qu'il n'y avait pas lieu de procéder à cet abattement en contrepartie du droit d'usage d'une partie de l'immeuble social accordé à Mr X... ;

Attendu que se trouve inséré dans le rapport de M. Y... la copie du procès-verbal des délibérations de l'assemblée extraordinaire des associés de la SCI D en date du 18 juillet 1995, dont il ressort que ceux-ci ont alors décidé de donner pouvoir à un clerc de notaire à l'effet de représenter la société aux actes devant constater le prêt à usage de l'immeuble social, pour une partie des bâtiments aux époux X..., pour l'autre à Mr X..., ces prêts devant être consentis "dans les termes des articles 1875 et suivants du Code Civil, à charge pour les occupants d'assurer l'entretien des bâtiments mis à leur disposition" et le mandataire de la société ayant "tous pouvoirs pour déterminer les autres modalités de l'occupation" ;

Mais attendu qu'aucune preuve n'est rapportée de ce que les actes constatant ces prêts aient été passés ;

Qu'il ne saurait, dès lors, être procédé à une compensation entre un droit d'usage, dont la réalité n'est pas démontrée, et l'abattement pour minorité totale, lequel correspond à une situation purement objective ;

Attendu, en revanche, que le Tribunal ne peut que faire sien le raisonnement ayant conduit M. Y... à fixer à 15 % l'abattement à pratiquer à ce titre, la valeur globale des parts cédées se trouvant ramenée, de ce fait, à (510.704,21 Euros X 1.050) X 0,85 = 106.000,82 Euros ;

Qu'en tout état de cause, et à supposer même que soit appliqué l'abattement maximum généralement retenu pour les sociétés commerciales, soit 25 %, la valeur des 1.050 parts cédées, soit 93.530,13 Euros, demeurerait hors de proportion avec le prix de 7.622,45 Euros, payé par la Société N ;

Attendu, dans ces conditions, que, nonobstant toute discussion sur la volonté des parties à la vente de frauder les droits des créanciers de Mr X..., sa démonstration n'ayant pas à être faite dans le cadre de l'action en nullité pour défaut de prix, principalement engagée, la Société C, qui a intérêt à obtenir la réintégration dans le patrimoine de son débiteur d'éléments d'actif lui permettant d'être éventuellement désintéressé, est fondé à prétendre que la disproportion constatée entre le prix payé et la valeur réelle des parts cédées est telle qu'elle prive de cause l'obligation du vendeur et justifie l'annulation de l'acte du 20 septembre 1999 ;

Qu'il sera, par là-même, fait droit à sa demande ;

Attendu, par ailleurs, qu'il apparaît opportun, compte tenu des circonstances du litige et de l'ancienneté de la vente litigieuse, d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Attendu, enfin, qu'il n'est pas inéquitable, au regard de la résistance opposée par Mr X... et la Société N à la réclamation de la Société C, qu'ils soient solidairement condamnés à prendre en charge, à hauteur de 1.500,00 Euros, les frais non répétibles que leur adversaire a été contraint d'exposer. PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

DÉCLARE nulle et de nul effet la cession de parts sociales conclue entre Mr X... et la Société N suivant acte sous seing privé du 20 septembre 1999.

DIT que lesdites parts réintégreront le patrimoine de Mr X...

DIT que la présente décision fera l'objet des mesures de publicité

légale requises en cas de cession de parts sociales d'une Société Civile Immobilière.

ORDONNE l'exécution provisoire du jugement de ces chefs.

CONDAMNE Mr X... et la Société N à payer à la Société C la somme de 1.500,00 Euros, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

CONDAMNE les mêmes aux dépens, en ce inclus le coût de l'expertise de M. Y...

AUTORISE la S.C.P. CLAIRAND-ROUGIER à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision. LE GREFFIER LE PRÉSIDENT M.-C. LABEYRIE J.-P. MÉNABÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Numéro d'arrêt : 02/505
Date de la décision : 20/11/2002

Analyses

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES - Objet - Détermination - Prix

Lorsque le prix est hors de proportion avec la valeur de la chose vendue, l'obligation de l'acheteur est dépourvue d'objet véritable et celle du vendeur de cause. Dans un tel cas, le prix vil est assimilable à l'absence de prix de sorte que la vente est nulle. Il y a lieu d'annuler la cession de parts d'une S.C.I. sans appliquer l'abattement maximum pour minorité totale de 25 % de la valeur des parts cédées. Cet abattement est concevable pour les sociétés commerciales, les décisions de gestion ayant pour objet principal de distribuer des bénéfices, mais concernant une S.C.I. de caractère familial dont l'objet réel est de constituer un capital destiné à augmenter dans le temps, cet abattement ne peut être que très faible, les seules décisions à prendre portant sur l'entretien de la propriété. A supposer même que soit appliquée cette réduction de 25% retenue pour les sociétés commerciales, la valeur des parts cédées resterait hors de proportion avec le prix payé (environ 13 fois inférieur)


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.poitiers;arret;2002-11-20;02.505 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award